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Tunisie | Le tissu associatif à l’épreuve du bâillon

En octobre 2025, les autorités tunisiennes ont ordonné la suspension d’activités de plusieurs organisations de la société civile – Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et Mnemty, dont la présidente Saâdia Ben Mosbah est incarcérée depuis le 6 mai 2024 – en invoquant des audits financiers liés à des financements étrangers. Ce revirement secoue le tissu associatif du pays, dévoilant la tension entre le désir d’autonomie citoyenne et la volonté de contrôle étatique. 

Manel Albouchi *

Depuis la révolution, la Tunisie a vu naître plus de vingt-cinq mille associations : autant de petites constellations dans la nuit du politique, autant de tentatives de se dire autrement. Là où l’État se retire ou se fait discret, la société cherche à se relier.

Chaque association est un mot nouveau dans la langue encore hésitante du peuple. Ce foisonnement n’est pas un désordre, mais un mouvement vital : celui d’un Moi collectif en construction. 

Comme l’enfant qui, selon Winnicott, découvre son existence à travers l’aire transitionnelle, la Tunisie expérimente l’espace du jeu social : entre dépendance à l’État et autonomie civique, entre illusion et réalité. Les associations sont ces espaces potentiels où le peuple apprend à se penser, à éprouver sa propre capacité d’agir. 

L’association : miroir et guérison 

Le tissu associatif tunisien est le miroir du psychisme national. D’un côté, l’inflation des structures traduit un désir d’existence, une pulsion créatrice comparable à celle que Freud appelait «travail de civilisation» : une transformation des pulsions en œuvre collective. De l’autre, la désorganisation et la dépendance financière révèlent les zones d’ombre d’un Moi social encore fragile, en quête d’un Autre qui le reconnaisse. 

Mais chaque initiative associative agit comme un travail de symbolisation. À travers la culture, la santé, l’éducation ou la solidarité, le peuple tunisien transforme le cri en langage, la blessure en projet.

C’est, au sens jungien, un processus d’individuation collective : le passage du multiple au sens, de la dispersion à la conscience. Là où Jung voyait l’individuation comme «le devenir de ce que nous sommes en puissance», la Tunisie cherche à devenir ce qu’elle pressent déjà : un sujet collectif capable de créer son propre mythe. 

Le mouvement associatif relève aussi du développement décrit par Piaget : comme l’enfant qui construit le réel en interaction avec le monde, le peuple apprend à se structurer par l’action. Chaque association devient une expérience cognitive, un essai du réel, où l’apprentissage démocratique passe par le tâtonnement, la coopération et parfois l’échec. 

Surmoi étatique et peur du chaos 

Le renforcement du contrôle administratif, la suspicion autour des financements étrangers ou les suspensions d’associations traduisent la peur d’un trop-plein de vie. C’est la réaction du Surmoi freudien, inquiet de l’élan pulsionnel qu’il ne parvient plus à contenir. Le Père symbolique, «l’État», tente de restaurer la Loi, mais confond parfois ordre et enfermement. Pourtant, ce conflit est nécessaire. 

Dans toute psychogenèse, comme dans toute société, le développement passe par l’épreuve de la limite. Le Moi collectif doit affronter l’autorité pour se différencier. Cette tension, douloureuse mais structurante, appartient au processus d’autonomisation : elle signe la naissance d’un sujet social responsable. 

Anthropologie du lien 

L’association porte dans son étymologie le geste du lien : ad-sociare = se joindre à. Elle est l’antidote du cynisme et de la solitude civique. S’associer, c’est plus qu’agir : c’est se relier.  

Dans son approche de la complexité, Edgar Morin nous rappelle que le vivant ne se comprend que par ses interactions : le lien précède la structure, la relation fonde l’identité. 

Le monde associatif tunisien est cette trame vivante où la société tisse son propre tissu de sens, malgré le chaos apparent. Chaque groupe, chaque collectif, chaque initiative locale est une micro-écologie du sens, fragile mais créatif, où la coopération compense la précarité. 

C’est là que s’expérimente la «pensée du Nous», celle qui relie sans uniformiser, qui organise sans figer. 

De la chute à la communion 

La Tunisie traverse encore ses contradictions : trop de lois, trop peu de confiance ; trop d’énergie, pas assez de structure. Mais dans cette tension, quelque chose se transforme. Chaque association, chaque groupe de parole, chaque projet partagé prépare la métamorphose du cri en langage, du chaos en lien. 

Freud parle d’élaboration secondaire ; Jung, d’alchimie du Soi ; Piaget, de construction du réel ; Morin, de complexification du vivant. Tous disent la même chose autrement : qu’un peuple se soigne en apprenant à se relier, qu’il s’élève en apprenant à penser ensemble. 

Je l’appelle devenir psychique d’une nation. C’est ce moment où la société, comme l’enfant, cesse de confondre liberté et toute-puissance, où elle apprend que l’autonomie naît du lien et non de la rupture. C’est le passage de l’instinct à la conscience, du cri à la parole, du groupe à la communauté de sens. C’est ce lent processus par lequel un peuple, à travers ses crises, apprend à se penser, à se contenir, à se créer. 

Ainsi, la phénoménologie d’un peuple en devenir n’est pas seulement politique : elle est psychique et surtout profondément humaine. C’est la lente émergence d’un Nous conscient, un peuple qui cesse de crier pour apprendre à se répondre, et qui découvre, dans le tissu social, la chair vivante de sa propre âme. 

* Psychologue consultante en développement. 

Biographie :

Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux – Communiqués 2025. 

Donald W. Winnicott – Jeu et Réalité (Folio essais). 

Sigmund Freud – Malaise dans la civilisation (Petite Bibliothèque Payot). 

Sigmund Freud – Psychologie des foules et analyse du moi (Petite Bibliothèque Payot).

Carl Gustav Jung – Les Racines de la conscience (le livre de poche).

Jean Piaget – la psychologie de l’intelligence (Armand Colin).

Edgar Morin – La Méthode 6 : Éthique (Points).    

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Tunisie : Après l’ATFD, la suspension du FTDES accentue la pression sur la société civile

Quelques jours après la suspension de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), les autorités ont décidé de geler pour un mois les activités du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Cette décision, notifiée récemment aux responsables de l’organisation, a été reçue avec incompréhension par ses membres, qui assurent avoir respecté toutes les obligations légales et administratives.

Selon Romdhane Ben Amor, porte-parole du FTDES, cette mesure s’inscrit dans la continuité d’une série de contrôles et d’audits engagés depuis plusieurs mois.

« Ce qui se passe aujourd’hui peut se reproduire demain. Rien ne nous fera peur ni n’affaiblira notre détermination. Où que nous soyons, nous resterons fidèles aux opprimés et attachés aux valeurs de justice et de dignité », a-t-il déclaré dans un message rendu public.

Lire aussi:

Tunisie – Suspension de l’ATFD : Une vague de réactions solidaires contre une décision jugée arbitraire

Un acteur historique du débat social

Créé en 2011, dans le sillage de la révolution, le FTDES s’est imposé comme un acteur central de l’analyse sociale en Tunisie, publiant régulièrement des études sur le chômage, les inégalités régionales, la pauvreté ou les migrations. Ses travaux ont souvent alimenté le débat public et contribué à éclairer les politiques sociales.

L’organisation a indiqué qu’elle se conformerait à la décision administrative tout en réaffirmant son engagement “envers les causes sociales et les luttes pour la dignité”.

Un contexte de vigilance accrue

Cette suspension intervient dans un climat de surveillance renforcée du secteur associatif, marqué ces derniers mois par plusieurs vérifications administratives et financières.
Si les autorités affirment agir dans le cadre de la loi, certaines voix au sein de la société civile redoutent un rétrécissement progressif de l’espace d’expression indépendant.

Le décret-loi 88 de 2011, qui garantit la liberté d’association, reste en vigueur. Mais son interprétation et son application suscitent aujourd’hui des débats sur l’équilibre entre contrôle administratif et vitalité du tissu associatif, pilier de la vie démocratique tunisienne depuis plus d’une décennie.

Pour approfondir:

Tunisie : L’État relance la traque des fonds étrangers dans le milieu associatif

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