CIFF 2025 – Afef Ben Mahmoud à l’honneur dans le palmarès complet du Festival du Caire
La 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire s’est achevée au théâtre de l’Opéra du Caire par une cérémonie de clôture placée sous le signe de la mémoire et de la responsabilité du cinéma. La soirée s’est ouverte sur l’image de la petite Hind Rajab, accompagnée de l’enregistrement de sa voix. Ce sont ces appels que le monde entier a entendus : la voix d’une enfant palestinienne de Gaza, qui a appelé à l’aide pendant trois heures après avoir vu les membres de sa famille tués sous ses yeux par l’armée israélienne, avant d’être elle-même tuée. Elle n’avait que six ans.
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Le président du festival, Hussein Fahmy, est alors monté sur scène pour rappeler que ce que le public venait d’entendre pourrait, à première écoute, ressembler à une scène de cinéma, mais qu’il s’agissait d’une réalité tragique. Il a insisté sur le fait que la force du cinéma réside dans sa capacité à documenter, à préserver les histoires vraies et à empêcher qu’elles ne soient effacées, quels que soient les efforts pour les ignorer. Il a souligné que Hind, son histoire et sa voix resteraient présentes, et que les enfants qui lui ressemblent ne sont pas des chiffres, mais des êtres humains de chair et de sang.
Hussein Fahmy a ensuite indiqué qu’il se réjouissait que le film de clôture de cette 46ᵉ édition soit La Voix de Hind Rajab, de Kaouther Ben Hania, un film qui revient précisément sur cet appel, sur les circonstances de la mort de l’enfant et sur la manière dont ce moment a été enregistré puis diffusé. Ce choix de clôture affirme la volonté du festival de placer au centre la question de la mémoire et du témoignage.
Dans la suite de son discours, il est revenu sur les différents volets de cette édition : les films en compétition, les films restaurés qui attirent toujours un public nombreux, les ateliers, les masterclasses, ainsi que le Marché du film qui a rassemblé de nombreux professionnels. Il a remercié les institutions égyptiennes qui ont soutenu cette édition, en particulier le ministère de la Culture dirigé par le Dr Ahmed Fouad Henawy, ainsi que les autres ministères concernés, l’Autorité égyptienne du tourisme, le gouvernorat du Caire et l’Opéra égyptienne. Il a enfin félicité le peuple qatari pour le lancement du festival de Doha et annoncé la signature d’un accord de coopération entre le Festival du Caire et la Qatar Media City Film Commission, destiné à développer une collaboration stratégique autour de la production et de la circulation des films arabes.
Avant la divulgation du palmarès et la remise des prix, plusieurs hommages ont été rendus à des figures marquantes du cinéma international et égyptien. Le réalisateur chinois Guan Hu a été honoré pour l’ensemble de sa carrière et pour sa contribution au rayonnement du cinéma asiatique contemporain. La cinéaste hongroise Ildikó Enyedi, qui avait animé une masterclasse remarquée au cours de cette édition, a également reçu un hommage spécial, saluant une œuvre singulière et profondément ancrée dans la réflexion sur l’identité et le regard. Le directeur de la photographie égyptien Mahmoud Abdel Samie a lui aussi été honoré pour l’ensemble de sa carrière. Dans le discours qu’il a prononcé à cette occasion, il est revenu sur son engagement pour la préservation du patrimoine cinématographique égyptien et a annoncé que des discussions sont en cours pour l’ouverture, dans les prochaines années, d’un Musée du Cinéma en Égypte — un projet qu’il suit de près.

Une fois ce cadre posé, la cérémonie a enchaîné avec l’annonce du palmarès.
Dans la compétition internationale, présidée par Nuri Bilge Ceylan, avec Basma, Bogdan Mureșanu, Joan Hu, Nadine Khan, Simona Paggi et Leyla Bouzid, la Pyramide d’or du meilleur film a été attribuée à Dragonfly de Paul Andrew Williams. Le prix de la meilleure interprétation féminine a été décerné ex aequo aux deux actrices principales de ce film, Andrea Riseborough et Brenda Andrew Williams. La Pyramide d’argent du meilleur réalisateur est revenue aux frères Tarzan et Arab Nasser pour Once Upon a Time in Gaza, tandis que le prix du meilleur acteur a récompensé Majd Eid pour le même film. Once Upon a Time in Gaza a également reçu le prix du meilleur long métrage arabe, ce qui porte à trois le nombre de prix obtenus par ce titre au Caire.
Once Upon a Time in Gaza, coproduction entre la France, la Palestine, l’Allemagne, le Portugal, le Qatar et la Jordanie, se déroule à Gaza en 2007. Le film suit Yahiya, un étudiant, et Osama, un trafiquant de drogue au bon cœur, qui se retrouvent associés et vendent de la drogue depuis un restaurant de falafels. Leur activité les met en présence d’un policier corrompu et arrogant, et les pressions s’accumulent progressivement, jusqu’à faire apparaître la fragilité des liens, la violence des rapports de pouvoir et la dureté des conditions de vie dans une société en crise. Le film avait fait sa première à Cannes, où il avait déjà obtenu un prix de mise en scène, avant d’arriver au Caire avec ce parcours déjà bien entamé.

La Pyramide de bronze, prix spécial du jury, a distingué As We Breathe du réalisateur Seamus Alton.
Le prix Naguib Mahfouz du meilleur scénario a été attribué à The Things You Kill d’Alireza Khatami. Ce film (Turquie, Canada, France, Pologne, 2025, 113 minutes), sélectionné en compétition internationale et présenté par le Canada pour l’Oscar du meilleur film international, suit Ali, professeur de littérature installé en Turquie après des années passées aux États-Unis. La mort de sa mère l’oblige à revenir dans la maison familiale et fait remonter à la surface une enfance marquée par un père autoritaire et une mère silencieuse. L’arrivée de Reza, un jardinier qu’Ali engage, introduit un trouble supplémentaire : cet homme devient peu à peu le révélateur des zones obscures de son histoire. Le film avance par réminiscences, objets, gestes et non-dits, pour interroger la filiation, la culpabilité, la transmission de la violence et la peur de la reproduire au moment où Ali tente de devenir père à son tour. En plus du prix du scénario, The Things You Kill a également reçu le prix FIPRESCI de la critique internationale, ce qui en fait l’un des films les plus distingués de cette édition.
Le prix Henri Barakat de la meilleure contribution artistique a récompensé la photographie de Sand City, signée Matthew Gio Mbini.
Dans la section Horizons du cinéma arabe, le jury composé d’Abdel Salam Moussa, Nadia Dristi et Karim Aïtouna a remis le prix du meilleur scénario au très beau Complaint No. 713317 de Yasser Shafiei, dont c’est le premier long métrage. Le prix Salah Abou Seif, prix spécial du jury, est allé à Anti-Cinema du réalisateur Ali Saïd. Le grand prix Saad Eddine Wahba du meilleur film arabe a distingué Dead Dog (Kalb Saken) de la cinéaste libanaise Sarah Francis.
Le prix de la meilleure interprétation féminine dans cette section a été attribué à Afef Ben Mahmoud pour son rôle dans Round 13 de Mohamed Ali Nahdi. Le film arrive au Caire directement après sa participation au festival de Tallinn. Il suit une famille tunisienne confrontée à la maladie d’un enfant et explore, à travers ce noyau familial, la douleur, la dignité et le poids des difficultés sociales qui s’ajoutent à l’épreuve intime. C’est dans ce cadre qu’Afef Ben Mahmoud incarne une mère aux prises avec une situation qui dépasse ses forces, entre inquiétude, responsabilité et épuisement. Le film s’attache aux gestes du quotidien, aux regards, à la tension qui s’installe au sein de la famille, et c’est à partir de là que se construit le rôle qui lui a valu ce prix.
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Du côté des documentaires, le Festival du Caire a annoncé la victoire de Souraya mon amour de Nicolas Khoury. Ce film libano-qatari, en arabe, d’une durée de 81 minutes, plonge dans l’univers de l’artiste Souraya Baghdadi et revient sur la relation qui l’unissait à son mari, le réalisateur Maroun Bagdadi, plus de trente ans après sa mort. Le documentaire se construit à partir d’extraits de Petites guerres (1982), où Maroun Bagdadi avait filmé leur première rencontre, ainsi que d’archives personnelles et d’entretiens. Il s’intéresse notamment au rapport de Souraya à son corps après des années de danse et de méditation, et interroge la manière dont le deuil et la mémoire se tissent dans le temps.
Le prix du public Youssef Sherif Rizkallah, doté de 15 000 dollars, a été remis à One More Show (Dayel ‘Anna ‘Ard) de Mai Saad et Ahmed al-Danf. Le film se déroule au cœur de la destruction à Gaza et suit la troupe du Free Gaza Circus – Youssef, Batout, Ismail, Mohamed et Just – contrainte au déplacement du nord de Gaza vers le sud. Malgré les ruines, ces artistes de cirque continuent à se produire pour les enfants dans les abris et dans les rues, transformant leurs numéros en acte de résistance et en geste de consolation.
Le prix NETPAC du meilleur film asiatique a été attribué à The Botanist de Jing Yi, dans le cadre de l’engagement du festival en faveur de la visibilité des cinémas asiatiques.
La compétition des courts métrages, présidée par la réalisatrice thaïlandaise Boom Boonsermvicha, avec l’actrice égyptienne Tara Emad et le cinéaste suisse Anas Sarin, a vu le prix Youssef Chahine du meilleur film court attribué à Cairo Streets (Shawarei al-Qahira) du réalisateur Abdallah al-Tayea. Le prix du meilleur film arabe court est revenu à Teta w Teta (Two Tetas) de Lynn al-Safah, et le prix spécial du jury a récompensé A Very Straight Neck de Niu Sora.
Au milieu d’un palmarès dense et riche, un manque reste toutefois visible : le film Calle Málaga de Maryam Touzani repart sans aucun prix. Depuis sa projection, critiques et spectateurs n’avaient cessé d’en parler en termes élogieux, le décrivant comme un très beau film, une véritable ode à la vie et un condensé d’émotions. Son absence du palmarès a suscité de nombreux commentaires à la sortie de la cérémonie et sur les réseaux sociaux, chacun essayant de comprendre et d’expliquer cette absence, le film répondant à tous les critères pour remporter tous ces prix : un très beau scenario, une belle mise en scène et une interprétation remarquable de la part de son actrice principale Carmen Maura, sans oublier les couleurs, la chaleur du film, les belles photographies…
La soirée s’est achevée avec la projection de La Voix de Hind Rajab, confirmant le fil conducteur de cette clôture : un festival qui, au-delà des récompenses, interroge la manière dont le cinéma garde trace des voix, des visages et des histoires que l’on aurait trop facilement tendance à laisser disparaître.
Neïla Driss
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