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CIFF 2025 – Khaled El Nabawy, une conversation sur une vie d’acteur

Le théâtre en plein air de l’Opéra du Caire était baigné d’une lumière douce, ce dimanche 16 novembre, lorsque Khaled El Nabawy est monté sur scène pour une rencontre avec le public, organisée dans le cadre des Cairo Industry Days. Quatre jours plus tôt, le Festival international du film du Caire (CIFF) lui avait remis le Prix Faten Hamama d’excellence, saluant un parcours devenu incontournable. Cette conversation, menée avec une attention bienveillante par le critique Zein Khairy, a offert quelque chose de rare : non pas une série de souvenirs, mais un regard intime sur la manière dont un acteur construit sa vie, son art, et même son rapport au monde.

Zein Khairy a choisi d’ouvrir la séance par un souvenir qui avait la délicatesse d’un effet miroir. Il raconte qu’il y a vingt-cinq ans, son père avait écrit un scénario et avait invité chez lui un jeune acteur qui débutait à peine. Lorsqu’on avait sonné à la porte, c’est lui, Zein, qui était allé ouvrir. L’acteur qui entrait ce jour-là, inconnu, timide, concentré, était le même homme qu’il accueillait aujourd’hui sur scène, devant un public venu l’écouter. La salle a souri, et la distance entre la star et l’enfant qu’il avait été s’est soudain réduite.

Une brève vidéo retraçant ses rôles a encore affiné ce moment suspendu, avant que Khaled ne prenne la parole.

Ce qu’il raconte en premier surprend par sa simplicité. Il n’a jamais rêvé de devenir acteur. Il cherchait seulement « un travail qui me plaise et qui me permette de gagner ma vie ». Son père voulait qu’il devienne médecin. Lorsqu’il s’est inscrit en agriculture, il n’était pas heureux ; son père l’était encore moins. Il passait ses journées à la cafétéria plus qu’en classe, jusqu’au jour où il a remarqué une porte sur laquelle était écrit « Théâtre ». Il l’a poussée. Le metteur en scène, ne voulant pas de spectateurs passifs, lui a demandé de lire un texte. Il a lu. On lui a confié le rôle principal. Il avait alors décidé de ne jamais revenir. Mais lorsque le metteur en scène l’a rappelé pour lui dire que son absence ferait de lui un élève en échec, il est retourné aux répétitions.

C’est lors de la première répétition qu’il a compris. Un espace s’était ouvert. Il se sentait à sa place. Sans le savoir, il venait de trouver son métier. Sa mère l’a immédiatement soutenu. Son père n’a accepté qu’après l’avoir vu sur scène, dans un rôle principal.

De ce début presque accidentel, Khaled a tiré une conviction : ce métier exige une discipline absolue. Il en parle souvent, mais ce jour-là, il en a donné la version la plus simple, la plus claire : un acteur n’a pas le droit d’être malade, ni en retard, ni distrait. Trop de gens dépendent de lui. Une équipe entière peut perdre une journée à cause d’un seul faux pas. L’acteur doit donc tenir debout, physiquement et moralement, même dans la fatigue ou le doute.

C’est ce qu’il a appris à l’institut, où ses professeurs lui répétaient qu’un rôle, même minime, s’inscrit toujours dans le mouvement d’un groupe. C’est aussi ce que lui ont transmis Mohamed Abdelaziz, qui lui a enseigné la discipline ; Salah Abou Seif, qui lui a dit qu’un film doit toujours dépasser le précédent ; et Abdelmonem Madbouly, son professeur de théâtre, dont il parle avec une tendresse presque filiale.

La rencontre a naturellement conduit au souvenir de Youssef Chahine. L’Émigré (1994), tourné alors qu’il était encore très jeune, est revenu plusieurs fois dans la conversation, comme un point de bascule. Zein l’a interrogé sur la fameuse scène où Ram court pour prévenir qu’il y a de l’eau. La caméra se trouvait dans une voiture ; Khaled courait à côté. Chahine avait demandé à ce qu’on attache l’acteur à la voiture par une corde, pour qu’ils avancent exactement à la même vitesse. « Si la voiture allait trop vite, je tombais » dit-il, sans dramatiser. Ce n’était pas une bravade : c’était la logique d’un metteur en scène exigeant.
Plus forte encore est la scène de l’incendie, qui n’apparaît à l’écran que quelques secondes. Sur le plateau, il a vu les techniciens travailler jusqu’à l’épuisement. Cela l’avait bouleversé. « Je me suis senti honteux », confie-t-il. C’est pour eux, et pour tous les invisibles du cinéma, qu’il a tenu à dédier son prix lors de la cérémonie d’ouverture.

C’est à ce moment que revient l’une des anecdotes les plus importantes de sa carrière : celle qui concerne Ines Deghidi. Avant que Chahine ne lui propose L’Émigré, Khaled avait déjà signé un contrat avec elle pour Disco Disco. Lorsque Chahine lui a annoncé qu’il avait besoin de lui et qu’il devait se rendre disponible pendant une année entière, Khaled en a parlé à Ines. Elle aurait pu lui demander de respecter son engagement. Elle aurait pu lui rappeler qu’un contrat est un contrat. Au lieu de cela, elle lui a répondu : « Cours vers Youssef Chahine, je te délie de ton contrat. » Il raconte ce moment avec une émotion intacte. « Je n’ose pas imaginer ce que ma carrière serait devenue si elle m’avait demandé de rester », dit-il. Cette phrase est lourde de sens : elle dit à la fois la loyauté d’Ines Deghidi, l’influence immense de Chahine, et la fragilité des trajectoires artistiques, qui tiennent parfois à un geste de générosité.

Dans cette conversation, une ligne s’est dessinée avec netteté : Khaled construit ses choix de rôles selon une éthique précise. Il refuse les personnages qui se ressemblent. C’est ce qui explique, dit-il, pourquoi il n’a tourné que vingt-cinq films en trente-cinq ans. Il préfère choisir peu, mais choisir juste.

Ce souci de précision et de vérité se retrouve aussi dans sa manière d’incarner les personnages arabes dans les productions internationales. Il raconte comment, dans un film étranger, une costumière voulait qu’il incarne un docteur irakien très mal habillé. Il avait refusé. « Un docteur peut n’avoir qu’une seule chemise, mais elle est propre. » Dans The Citizen, il avait insisté pour que son personnage libanais conserve son élégance.
Cette vigilance se prolongeait sur scène. Incarnant Sadate dans une pièce de théâtre aux États-Unis, il refusait certaines répliques, surtout lors des représentations destinées aux étudiants. Il ne voulait pas qu’ils se fassent une image déformée des Arabes. Il explique : « Nous ne sommes pas faibles. Nous sommes pacifiques, mais pas faibles. Nous avons une culture, et nous comprenons ce qui est devant nous. »

CIFF 2025
Khaled El Nabawy

Au milieu de ces échanges, plusieurs voix se sont levées pour témoigner. La réalisatrice Kamla Abu Zekri, avec qui il a travaillé sur Wahat El Ghouroub (2017), a pris la parole. Elle raconte avoir immédiatement pensé à lui en lisant le roman. Elle confesse avoir eu un peu peur au début : il avait travaillé avec les plus grands, surtout avec Youssef Chahine. Puis elle a découvert un artiste extraordinairement précis, à tel point que, le premier jour de tournage, il lui posait des questions sur la manière exacte de frapper à une porte ou d’entrer dans une pièce. Elle s’était dit : « comment va-t-on faire trente épisodes comme ça ? » Elle avait fini par lui dire, en riant, qu’il aurait droit à une question par épisode. Elle affirme avoir énormément appris de lui et conclut en disant qu’il aurait pu gagner davantage ou tourner plus, mais qu’il respecte toujours ses principes.

Le producteur Gaby Khoury a ajouté une note d’humour : « Il a parlé de tout le monde : les professeurs, les techniciens, les acteurs… mais pas un mot des producteurs ! »
Le journaliste Mahmoud Saad, lui, a raconté une projection privée de L’Émigré, en présence de Yousra et de Chahine. Il ne connaissait pas encore le jeune acteur assis à côté de Yousra, mais lorsque le visage de Ram est apparu à l’écran, il avait immédiatement compris.

Un moment très fort est revenu avec la critique Rim Chaker. Elle se souvenait de la projection de L’Émigré aux Journées cinématographiques de Carthage en 1994. Le public tunisien avait porté le jeune acteur sur les épaules. Elle s’était dit que ce succès brutal risquait de le perdre. Elle lui a demandé : « Comment as-tu survécu à ça ? » Khaled a souri. Il a remercié Tunis. Il a raconté que Chahine, en le voyant ainsi, avait dit à Gaby qu’il fallait lui réserver une chambre dans un asile psychiatrique, et que Gaby avait répondu : « pas une chambre, une suite ! »
Puis il a expliqué simplement que le succès ne lui est pas monté à la tête parce qu’il avait vu ceux qui l’avaient précédé. En plus, il voulait faire partie de cette histoire du cinéma, avec ceux d’avant lui et ceux qui viendraient après.

Son fils, l’acteur Nour El Nabawy, a apporté un éclairage précieux. Il dit que son père ne lui a jamais appris comment jouer, mais comment vivre. Ce qu’il aime chez lui, dit-il, c’est qu’il parle d’idées, jamais de personnes ou de futilités. Il affirme qu’il apprend encore aujourd’hui de lui.

Peu à peu, le portrait qui se dessinait sur scène dépassait celui d’un acteur à succès. C’était la trajectoire d’un homme qui, en entrant par hasard dans une salle de théâtre, a trouvé non pas un métier, mais une façon d’être au monde.
Lui-même résume cette manière en une phrase qu’il répète souvent : « Sois différent, même si tu dois rester seul. »
Lorsqu’il la prononce, ce n’est ni une morale ni une injonction. C’est un constat. C’est ainsi qu’il a choisi ses rôles, négocié ses contrats, défendu l’image des Arabes à l’écran, respecté les techniciens, appris des anciens, et transmis à son fils le sens de la vie avant celui du jeu.

Ce dimanche-là, au Caire, la rencontre n’a pas simplement célébré un acteur. Elle a révélé une cohérence intérieure : celle d’un homme qui a fait de la discipline une élégance, de la précision une éthique, et de la dignité une manière de marcher dans la lumière.

Neïla Driss

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JCC 2025 – « Palestine 36 » ouvrira l’édition 36

Pour leur 36ᵉ édition, les JCC choisissent d’ouvrir sur un récit de mémoire et de résistance : Palestine 36, le nouveau long métrage de la réalisatrice palestinienne Annemarie Jacir.

Les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) ont annoncé que Palestine 36 ouvrira leur 36ᵉ édition, qui se déroulera du 13 au 20 décembre 2025. Créées en 1966, les JCC constituent le plus ancien festival de cinéma d’Afrique et du monde arabe, un espace fondateur pour les cinémas engagés et les voix indépendantes. Le choix de Palestine 36 en ouverture s’inscrit naturellement dans cette lignée, tant le film dialogue avec la mémoire, l’histoire et la résistance.

JCC 2025 Ouverture
Palestine 36

Présenté sous les thèmes de la mémoire, de l’identité et de la résistance, Palestine 36 donne le ton de cette édition à travers un récit profondément ancré dans l’histoire palestinienne. Le film suit Yusuf, un jeune homme partagé entre son village et Jérusalem en 1936, au moment où les soulèvements contre le mandat britannique prennent de l’ampleur. Entre aspirations à la liberté et bouleversements politiques, le film explore des destinées individuelles rattrapées par les forces de l’Histoire. Fidèle à la démarche d’Annemarie Jacir, la narration mêle regard intime et mémoire collective pour raconter une période décisive de la lutte palestinienne.

Cette ouverture prend une dimension supplémentaire cette année puisque Palestine 36 a été choisi par le ministère palestinien de la Culture comme candidat officiel aux Oscars 2026, dans la catégorie du Meilleur film international. Une reconnaissance importante, qui confère au film un rayonnement accru et souligne sa portée artistique et politique.

La présence de l’acteur tunisien Dhafer L’Abidine dans le film suscitera sans doute un écho particulier en Tunisie. Figure incontournable du paysage audiovisuel tunisien et arabe, acteur reconnu aussi bien dans les productions régionales que dans les projets internationaux, sa participation apporte une résonance affective pour le public tunisien.

JCC 2025 Ouverture
Palestine 36
JCC 2025 – Annemarie Jacir, réalisatrice de « Palestine 36 »

Autour de lui, le film rassemble Hiam Abbass, Kamel El Basha, Saleh Bakri, Yasmine Al-Massri, Jeremy Irons, Liam Cunningham, Robert Aramayo, Billy Howle, Jalal Altawil, Yafa Bakri et Karim Daoud Anaya, une distribution qui témoigne de la dimension internationale du projet.

« Découvrons ensemble l’art de la narration et des histoires vivaces et humaines », a déclaré le festival en annonçant cette ouverture. Une phrase qui résonne parfaitement avec l’esprit du film et avec celui des JCC, fidèles depuis près de soixante ans à un cinéma audacieux, sensible et ancré dans les réalités sociales et politiques des peuples.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Mohamed Abdelaziz, un demi-siècle de rires et de conscience sociale

Figure centrale du cinéma égyptien depuis les années 1970, Mohamed Abdelaziz a bâti une œuvre profondément populaire sans jamais renoncer à une exigence artistique rigoureuse. Réalisateur de comédies devenues cultes, mais aussi enseignant et homme de théâtre, il occupe une place unique dans l’histoire du cinéma arabe : celle d’un artiste qui a su concilier succès populaire, responsabilité sociale et fidélité absolue à une vision éthique du métier. Cette longévité exceptionnelle, nourrie par une connaissance intime des différentes générations de cinéastes depuis plus de soixante ans, fait de lui un témoin précieux de l’évolution du cinéma égyptien moderne.

À l’occasion de la 46ᵉ édition du Festival International du Film du Caire (CIFF), qui se déroule du 12 au 21 novembre 2025, le festival lui a rendu hommage lors de la cérémonie d’ouverture en lui décernant la Pyramide d’Or pour l’ensemble de sa carrière. Le lendemain, une conversation approfondie a été organisée avec lui, modérée par le critique Osama Abdel Fattah, en présence d’un public nombreux et de plusieurs artistes venus célébrer son parcours. Ce moment a permis de retracer une trajectoire d’une richesse exceptionnelle et de mettre en lumière, à travers ses propres mots, ce qui constitue l’essence de son œuvre : une comédie sociale sérieuse, structurée, engagée, au service de la société.

L’émotion d’un hommage : un public inattendu et un parcours reconnu

Mohamed Abdelaziz commence par revenir sur l’émotion qui l’a traversé lorsque Hussein Fahmy, président du CIFF, l’a informé qu’il recevrait la Pyramide d’Or. Il dit connaître Hussein Fahmy depuis des dizaines d’années : ils ont tourné ensemble de nombreux films, dont certains ont rencontré un immense succès. Il décrit cette annonce comme un moment de bonheur pur.

Mais c’est surtout l’accueil du public lors de la cérémonie d’ouverture qui l’a profondément bouleversé. Il avoue avoir été « effrayé » par cette chaleur inattendue :
« Je ne pensais pas mériter un tel hommage », confie-t-il.

Cette réaction du public lui a donné le sentiment que son parcours — ses 67 films, ses 20 feuilletons et ses pièces de théâtre, dont 3 dans le secteur privé — « n’avait pas été vain ».

Il insiste également sur une dimension essentielle de sa carrière : la transmission. Il se décrit comme l’élève d’une génération prestigieuse dont il a hérité un patrimoine artistique qu’il considère comme un devoir de transmettre à son tour. Cet engagement accompagne toute sa vie professionnelle. Il mentionne aussi qu’un livre a été édité par le CIFF à cette occasion et sera distribué aux festivaliers.

Une vie consacrée au cinéma, au théâtre et à l’enseignement

Depuis 1964, Mohamed Abdelaziz travaille simultanément dans le cinéma, le théâtre et l’enseignement. Le modérateur Osama Abdel Fattah rappelle qu’il est considéré comme l’un des enseignants de cinéma les plus anciens au monde, ayant vu défiler des générations de réalisateurs, à commencer par Daoud Abdel Sayed, Khairy Beshara, jusqu’aux jeunes cinéastes d’aujourd’hui.

Mohamed Abdelaziz confirme cette continuité et souligne l’importance qu’il accorde à l’enseignement. Il évoque sa rencontre avec Hussein Fahmy à l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire dans les années 1960, où leurs professeurs leur avaient « inculqué l’amour du cinéma ».

En riant, Hussein Fahmy a pris la parole juste pour expliquer qu’il avait enseigné pendant une douzaine d’années avant d’arrêter « parce qu’il n’avait pas la patience », tandis que Mohamed Abdelaziz, lui, n’a jamais cessé d’enseigner.

Mohamed Abdelaziz a continué en affirmant que l’enseignement constitue pour lui une forme de création : transmettre à des jeunes talents, les voir évoluer, les voir réussir, lui procure un sentiment de joie et d’accomplissement. Il exprime toutefois un regret sincère : « Les étudiants ne présentent un film comique comme projet de fin d’études que tous les vingt ans », dit-il. La comédie, selon lui, demande une maîtrise particulière que trop peu de jeunes cinéastes osent aborder.

Les débuts dans la tragédie

Avant de devenir l’un des maîtres de la comédie sociale, Mohamed Abdelaziz s’est d’abord orienté vers la tragédie. Diplômé de l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, formé par les grands, dont Salah Abou Seif et Hussein Kamal, il réalise ses deux premiers films dans un registre dramatique : Images interdites (1972) puis Une femme du Caire (1973).

Mais après ces deux films, il se retrouve pendant deux années sans travail. C’est alors que son ancien professeur, le Dr Hatchman, lui apporte un scénario de comédie. Ironie du sort : ce professeur lui avait déjà dit, lorsqu’il était étudiant, qu’il finirait par faire de la comédie. Mohamed Abdelaziz accepte. Le film — Fil Seef Lazem Neheb (1974) — devient un immense succès, à la fois public et critique, au point que certains ont dit qu’il prendrait la suite du grand réalisateur Fatin Abdel Wahab.

Ce tournant le fait entrer durablement dans le monde de la comédie, même s’il insiste sur un point : « Je ne suis pas allé vers la comédie. C’est la comédie qui est venue vers moi. »

Tragédie et comédie : deux visions du monde

Mohamed Abdelaziz consacre un long moment à expliquer la différence profonde entre la tragédie et la comédie, une distinction essentielle à sa compréhension du cinéma.

La tragédie, dit-il, s’intéresse généralement à un cas particulier. Elle raconte l’histoire d’un personnage qui commet une seule erreur — une seule — et qui en paiera le prix toute sa vie. C’est un art centré sur l’individu, sur ses choix personnels, sur son destin.

La comédie, au contraire, regarde la société tout entière. Elle s’empare des comportements collectifs, des dérives sociales, de ce qui dysfonctionne dans la vie quotidienne. Elle ridiculise certaines attitudes, expose les contradictions et les déformations des relations humaines. Elle pousse à réfléchir sans même qu’on s’en aperçoive.

« La comédie traite de sujets sérieux », affirme-t-il. Elle parle de problèmes sociaux, de mauvaises habitudes, de comportements nuisibles. Et comme elle attire beaucoup de spectateurs, elle possède une influence considérable. Beaucoup plus, selon lui, que la tragédie, parce qu’elle touche un public immensément large.

Il renverse ainsi l’idée reçue qui voudrait que la comédie soit un art mineur : la comédie, pour lui, est plus sérieuse que la tragédie.

Une rigueur absolue : aucun gag gratuit, aucune improvisation

Son secret : « si tu veux faire de la comédie, il ne faut pas plaisanter ».

Mohamed Abdelaziz raconte ensuite comment il a instauré une discipline stricte sur ses plateaux. Pour lui, le rire n’est pas un but en soi. C’est une conséquence. Il faut donc bien réfléchir un film, bien le structurer, étudier toutes les scènes et ne pas céder à la facilité.

Il donne un exemple : dès son premier film comique, l’immense comédien Abdel Monem Madbouly propose de mettre sa veste à l’envers pour provoquer un gag immédiat. Il refuse catégoriquement : « ce n’est pas cela qui fait rire », dit-il.

Il insiste : il ne réalise jamais un film dans l’intention de provoquer le rire.
« Je ne fais pas un film pour faire rire », explique-t-il à Madbouly, qui reste stupéfait. Cette ligne de conduite marque une frontière claire : la comédie doit naître des situations, jamais de l’artifice.

À partir de là, il impose une règle fondatrice : aucune improvisation ne doit altérer le message. Que ce soit avec des comédiens de théâtre habitués à improviser, avec des stars ou avec de jeunes acteurs, il veille personnellement au respect absolu du texte et du rythme. Il raconte qu’au théâtre aussi, il se tenait chaque soir dans les coulisses pour vérifier que les comédiens ne modifiaient pas les scènes. Pour lui, cette rigueur est indispensable : « si l’on cède un peu, on ne peut plus contrôler le film, et il peut devenir une comédie sans intérêt ». La comédie, dit-il, exige une construction précise : « C’est une opération architecturale difficile à monter. »

Intabihu Ayuha Al-Sada: critique du libéralisme et confrontation morale

Parmi ses œuvres les plus importantes, Mohamed Abdelaziz cite Intabihu Ayuha Al-Sada (1978), un film qui critique ouvertement l’ « infitah » — le libéralisme économique — et le pouvoir écrasant de l’argent sur les valeurs morales.

Il raconte l’histoire réelle qui l’a inspiré : celle d’un voisin respectable dont la fille, diplômée de droit, s’est vue imposer un mariage avec un cousin non diplômé mais propriétaire d’un atelier de mécanique, donc très riche. Le mari, complexé, adopte un comportement horrible.

Avec ses collaborateurs, il transpose cette histoire en opposant un universitaire à un éboueur, montrant comment le matériel peut prendre le dessus sur la morale. Le film, financé en partie sur ses propres deniers, réalisé avec un petit budget, remporte un immense succès et plusieurs prix — pour lui-même et pour Hussein Fahmy, qui y joue l’un des deux rôles principaux avec Mahmoud Yassine. Tout le dialogue de ce film, en plus de faire rire, comportait une critique de la société. Et c’est bien ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme que la comédie est très sérieuse.

Avec Adel Imam : confiance, discipline et un héritage de dix-huit films

Une grande partie de la conversation est consacrée à sa relation avec Adel Imam. Leur première rencontre remonte à l’époque où Mohamed Abdelaziz était assistant auprès de Med Salem sur un film pour la télévision avec Fouad El Mohandes : c’était d’ailleurs la toute première fois qu’Adel Imam se tenait devant une caméra de cinéma.

Plus tard, lorsqu’il réalise Dakkat Qalbi (1976), une comédie dans laquelle il engage des acteurs tragiques, dont Mahmoud Yassine, Adel Imam lui téléphone : « Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? ». Mais il l’appellera plus tard, pour son film Juns Naeim (1977). Leur collaboration commence alors.

Ils tournent ensemble dix-huit films, parfois trois ou quatre par an.

Adel Imam arrivait du théâtre et voulait son propre espace mais Mohamed Abdelaziz a imposé des règles strictes. Ils travaillaient avec une méthode rigoureuse : lecture scène par scène du scénario, propositions de l’un ou de l’autre, accord final — puis interdiction absolue pour Adel Imam de changer la moindre phrase, règle que l’acteur, pourtant habitué à l’improvisation théâtrale, a respecté avec rigueur.

Mohamed Abdelaziz raconte les nuits où Adel Imam jouait au théâtre jusqu’à trois heures du matin, puis venait le rejoindre pour travailler sur un scénario. À neuf heures, lui-même donnait son cours à l’Institut Supérieur du Cinéma du Caire, puis rejoignait le tournage à quatorze heures. Un rythme épuisant, mais passionnant.

Quand Adel Imam refusait Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn (1978)

Cette anecdote, racontée avec humour, est l’un des moments les plus savoureux de la conversation.

Mohamed Abdelaziz envoie le scénario du film Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn à Adel Imam. Celui-ci le lit et refuse catégoriquement : « Ce film ne réussira pas. »

Il pense à plusieurs acteurs, mais aucun ne le convainc ; il veut absolument Adel Imam.

Il apprend que celui-ci est à Alexandrie pour une pièce de théâtre. Il prend alors une décision inattendue : déplacer tout le tournage à Alexandrie.

Un soir, après la représentation, il va voir Adel Imam dans sa loge. C’est alors qu’un assistant entre avec la feuille de service du lendemain et la remet à Adel, qui s’écrie :
— « J’ai refusé ce film ! »

Mohamed Abdelaziz répond calmement :
— « Le tournage commence demain. »

Adel Imam finit par se rendre sur le plateau. Au troisième jour, il répète : « Le film sera un échec. »

Mais une fois sorti en salles, le film rencontre un immense succès. Un jour, ils assistent ensemble à la séance de 18 heures : la salle rit sans interruption.

Mohamed Abdelaziz lui dit : « Tu vois ? » Et Adel Imam, amusé, répond : « Ce n’est pas le scénario que tu m’avais donné ! »

Une plaisanterie devenue célèbre, symbole de leur complicité.

Témoignages des artistes : gratitude et reconnaissance

Lorsque Mohamed Abdelaziz termine de parler, deux artistes présentes prennent la parole.

L’actrice Lebleba se souvient que, dès leur première rencontre, il lui avait dit qu’elle deviendrait une star. Elle évoque leur travail commun : il lui a appris la précision dans le jeu comique, l’importance de ne pas « bouger la tête n’importe comment », la manière de regarder la caméra, et la nécessité de jouer avec naturel. Elle parle du film où elle joue une femme constamment enceinte pour garder son mari – Al Baa’d Yazhab lel Maa’zoun Marratayn – puis de Khally Balak Men Giranak (1979), pour lequel elle a été choisie à la dernière minute après le désistement d’une autre actrice. Le film est resté trente-quatre semaines en salles et a lancé sa carrière de manière décisive.

Elham Chahine, quant à elle, raconte que leur relation est à la fois professionnelle et familiale. Elle se souvient qu’il lui avait envoyé une pièce comique comportant quatre grandes scènes musicales, alors qu’elle était connue pour jouer le drame et la tragédie. Cette pièce, jouée pendant cinq ans et présentée dans de nombreux pays arabes, a révélé au public et aux réalisateurs une facette d’elle que personne ne soupçonnait. Grâce à lui, elle a commencé à être prise au sérieux dans des rôles comiques et même dans des rôles de chanteuse.

En écoutant Mohamed Abdelaziz dérouler ces souvenirs, ces principes et ces scènes de travail, on comprend que sa carrière n’a jamais été seulement une succession de films, mais une manière de penser la société et de dialoguer avec elle. Chaque anecdote qu’il raconte, chaque détail qu’il restitue, révèle une philosophie du cinéma où la comédie n’est jamais un simple divertissement : elle devient une forme de militantisme, un engagement discret mais profond, orienté vers l’idée d’un monde meilleur.

Pour lui, faire rire n’est pas une échappée légère : c’est une stratégie pour faire réfléchir. Il insiste sur cette conviction, répétée comme un fil rouge : on transforme davantage les mentalités avec le rire qu’avec un discours direct et sérieux, qui risquerait de braquer le public. La comédie, parce qu’elle attire, désarme et rassemble, ouvre un espace où les sujets sensibles peuvent être abordés sans violence, où les contradictions sociales apparaissent avec clarté, où les comportements peuvent être questionnés sans accuser frontalement.

Ce qui frappe, au terme de cette rencontre, c’est l’extrême cohérence de son parcours. Le réalisateur qui refuse un gag facile, qui impose une discipline intransigeante, qui déplace un tournage entier pour convaincre un acteur, est le même qui continue d’enseigner, de transmettre, et de rappeler aux jeunes cinéastes que la comédie est un langage indispensable pour comprendre une société et la faire évoluer.

Et l’on se prend alors à imaginer ce que pourrait devenir la comédie égyptienne si davantage de jeunes réalisateurs acceptaient, comme lui, d’en faire un espace d’action, de réflexion et d’espoir. Peut-être est-ce là l’horizon que cette conversation ouvre : celui d’une génération qui, en revisitant les leçons de Mohamed Abdelaziz, redonnera à la comédie sa force première — faire rire pour mieux éclairer, mieux questionner, mieux transformer.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Rencontre avec Hussein Fahmy, président du festival

Lors de la 46ᵉ édition du Festival International du Film du Caire (CIFF), qui se déroule du 12 au 21 novembre 2025, son président Hussein Fahmy a consacré une rencontre à la presse arabe pour revenir sur les grands enjeux du festival, sur sa vision du cinéma égyptien et sur la manière dont il conçoit son rôle à la tête d’un événement qu’il considère comme l’un des plus importants du monde arabe et du continent africain.

Une réflexion sur le rôle du CIFF et son héritage

Dès les premières questions, Hussein Fahmy a exprimé le souhait que cette édition soit meilleure que les précédentes. L’idée d’avancer, d’enrichir le festival et de renforcer son identité revient souvent dans ses propos. Pour lui, le CIFF tire sa force de ses racines : l’Égypte, son histoire cinématographique et le fait qu’il s’agit du festival le plus ancien et le plus important de la région, fondé en 1972. Il semble toutefois oublier que les Journées cinématographiques de Carthage, créées en 1966, sont plus anciennes encore ; mais leur caractère initialement biennal explique qu’elles n’en soient qu’à leur 36ᵉ édition.

Interrogé sur l’avenir du festival, Hussein Fahmy se montre confiant. Malgré la multiplication des festivals de cinéma dans le monde arabe, il ne perçoit pas cette dynamique comme une menace mais comme un contexte stimulant. « La compétition stimule la créativité », affirme-t-il, soulignant que les quarante-sept années d’histoire du CIFF constituent un socle institutionnel solide. Ce qu’il espère transmettre, dit-il, c’est un festival renforcé, durable et capable de porter l’évolution du cinéma arabe.

Un engagement personnel pour la restauration du patrimoine cinématographique

La restauration des films constitue un pilier majeur de son action, un engagement directement lié à son propre parcours. Dès ses débuts, Hussein Fahmy a appris son métier auprès de la première génération des cinéastes égyptiens, et a travaillé avec des figures telles que Hassan El Imam ou Youssef Chahine. Cette proximité avec ces maîtres, dit-il, a façonné son goût du cinéma et son sentiment de responsabilité envers ce patrimoine. Sa volonté de restaurer les films découle naturellement de cette formation et de la conviction qu’il porte une part d’héritage.

Lorsqu’il est devenu président du CIFF, il a été nommé au conseil d’administration d’une entreprise qui possède 1 400 films et plusieurs salles de cinéma. Il a alors lancé un vaste chantier de restauration, mené avec le directeur de la photographie Mahmoud Abdel Samie, très impliqué dans cette mission. Plusieurs films ont été restaurés, des sous-titres ont été ajoutés, et le travail continue. Divers pays, notamment la Chine et l’Allemagne, ont apporté leur soutien.

Pour Hussein Fahmy, restaurer ces films n’a de sens que s’ils sont vus : en plus de les programmer au CIFF, il envisage de les mettre à disposition sur des plateformes pour toucher un public plus large. Il rappelle qu’à leur sortie, nombre de ces films circulaient déjà en URSS, au Brésil ou en Chine, et que les sous-titres facilitent aujourd’hui leur retour sur la scène internationale.

Cette année, il a eu l’idée d’imprimer les affiches des films restaurés sur les sacs du festival. La réaction du public, qui demandait des sacs précis en fonction des affiches, a amusé les organisateurs et, selon lui, témoigne de l’attachement des spectateurs à ces œuvres.

Le lendemain de cette rencontre, et toujours dans le même esprit de célébration de la mémoire cinématographique, Hussein Fahmy a convié la presse autour d’une immense caméra ancienne appartenant au Studio Misr, installée pour l’occasion dans le jardin de l’Opéra du Caire. Il en a expliqué le fonctionnement, les mécanismes et les particularités, avant d’annoncer que des études et discussions avancées sont en cours avec des spécialistes italiens pour créer enfin un musée du cinéma en Égypte. L’emplacement reste à déterminer, mais l’initiative s’inscrit dans une vision patrimoniale globale.

Une présidence menée en parallèle d’une carrière d’acteur active

Interrogé sur la manière dont il concilie sa carrière d’acteur et la présidence du CIFF, Hussein Fahmy explique qu’il n’a pas besoin d’être présent au bureau chaque jour pendant de longues heures. Son rôle consiste à définir la stratégie, les grandes orientations, les décisions structurantes, et à résoudre les problèmes éventuels. L’exécution quotidienne est assurée par son équipe, composée de professionnels qualifiés.

L’an dernier, il tournait même pendant le festival. Cette année, dès la clôture, il se rendra au Festival de Marrakech, au Maroc, où un hommage lui sera rendu, avant de reprendre un tournage en Égypte. Il vient d’ailleurs de célébrer cinquante ans de carrière, au cours desquels il a exploré tous les genres – tragédie, comédie, théâtre, cinéma – en veillant, dit-il, à ne jamais se répéter. Selon lui, il a accompli tout ce qu’il souhaitait sur le plan artistique.

Décisions difficiles, contexte politique et responsabilités culturelles

Revenant sur ses trois années de présidence, Hussein Fahmy cite parmi les décisions les plus difficiles le remplacement de certains membres de l’ancienne équipe du CIFF.

Il évoque également les défis de l’édition 2024. Après le massacre qui a suivi le 7 octobre, le festival avait jugé indispensable de mettre les projecteurs sur Gaza et de prendre une position claire. Il rappelle notamment sa décision d’annoncer que l’État d’Israël ne participerait pas au CIFF. Une prise de position qui lui a été reprochée lorsqu’il exerçait des fonctions d’ambassadeur de bonne volonté à l’ONU. Il dit l’avoir assumée totalement, allant jusqu’à rendre son passeport diplomatique : « Ils ne peuvent pas nous faire taire », affirme-t-il.

Cette année, la situation est différente, marquée par ce qu’il qualifie de « pseudo-paix ». Parallèlement, l’Égypte traverse une période particulièrement intense, marquée par de grands projets culturels comme l’inauguration du Grand Musée égyptien, qui donnent le sentiment d’une nouvelle dynamique. Le festival s’inscrit dans ce contexte, tout en gardant un regard attentif sur les situations en Palestine, au Soudan et au Liban.

La sélection des films et la question des artistes égyptiens

S’agissant de la sélection de la 46ᵉ édition, Hussein Fahmy décrit un processus en plusieurs étapes : une commission visionne les films et lui remet des rapports. Il regarde certains titres qu’il juge importants, mais les films d’ouverture et de clôture relèvent de son choix direct. Cette année, il a retenu le film brésilien Les voyages de Tereza pour l’ouverture et La voix de Hend Rajab, de Kaouther Ben Hania, pour la clôture. Il insiste sur le fait qu’aucune pression extérieure ni financière n’intervient dans ces décisions.

À la question de savoir si l’Égypte peut encore produire des artistes comparables à Ahmed Zaki, Nour Sherif, Hussein Fahmy lui-même, Nagla Fathy ou Shadia, il répond que oui. Même si des artistes de cette envergure sont rares, la nouvelle génération compte, selon lui, d’excellents talents.

L’intelligence artificielle : un outil utile, mais jamais un substitut à l’humain

Interrogé sur l’intelligence artificielle, Hussein Fahmy se montre prudent. L’IA peut être utile ponctuellement, dit-il, mais ne doit jamais remplacer l’humain. Elle rend les choses superficielles, crée une distance entre le spectateur et les personnages, et risque d’appauvrir la profondeur émotionnelle du cinéma. Il craint qu’un usage excessif ne fasse disparaître la dimension sensible qui constitue l’essence même du septième art.

Neïla Driss

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JCC 2025 – L’affiche et les films tunisiens de la 36ᵉ édition dévoilés

Les Journées cinématographiques de Carthage ont levé le voile sur l’affiche de leur 36ᵉ édition, qui se tiendra du 13 au 20 décembre 2025. L’image choisie cette année met en scène une silhouette féminine en marche, traversée par un flux de couleurs où se croisent le bleu, le violet, le fuchsia et des teintes orangées. Cette figure, imaginée par le designer Firas Agrebi, semble avancer portée par un souffle lumineux, comme si elle ouvrait un passage vers un espace en transformation. Son mouvement vers l’avant traduit une dynamique de liberté et de persévérance, en écho à l’identité même des JCC, qui demeurent depuis leur création un lieu de circulation des récits, de résistance culturelle et d’échanges entre les cinémas d’Afrique et du monde arabe. Le jasmin qu’elle tient, élément visuel discret mais central, ancre l’affiche dans la Tunisie, rappelant l’hospitalité, la mémoire et l’esprit de création qui caractérisent le festival.

JCC 2025 Affiche

Dans le même temps, la direction des JCC a annoncé la liste des films tunisiens retenus cette année dans les différentes sections compétitives, un ensemble particulièrement attendu tant par le public que par les professionnels du secteur. Sélectionnés par un comité indépendant, ces titres offrent un aperçu de la vitalité et de la diversité du cinéma tunisien actuel.

En compétition officielle des longs métrages de fiction, trois films représenteront la Tunisie. Where the Wind Comes From d’Amel Guellaty, déjà remarqué au Festival d’El Gouna 2025 où il a remporté le Prix de la meilleure fiction arabe, poursuit ainsi son parcours international. Il sera accompagné de La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania, dont la projection à Venise avait suscité un écho exceptionnel et qui avait valu au film de décrocher le Lion d’Argent et plusieurs prix dans les sections parallèles; l’œuvre a depuis été choisie pour représenter la Tunisie aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film international et a été programmée dans plusieurs festivals majeurs. Le troisième long métrage en lice, Promis Le Ciel d’Erige Sehiri, avait quant à lui inauguré la section Un Certain Regard au Festival de Cannes en mai 2025.

La section des longs métrages documentaires rassemble également trois propositions : Le Para-dis de Majdi Lakhdar, Notre Semence d’Anis Lassoued et On The Hill de Belhassen Handous. Chacun de ces titres vient enrichir un segment documentaire tunisien de plus en plus structuré, où se croisent approches personnelles, récits ancrés dans le réel et explorations formelles.

Enfin, la compétition officielle des courts métrages comptera trois films tunisiens : Le fardeau des ailes de Rami Jarboui, Sursis de Walid Tayaa et Tomates Maudites de Marwa Tiba. Ces œuvres courtes, souvent premières incursions ou laboratoires esthétiques, occupent toujours une place essentielle aux JCC, révélant régulièrement de nouveaux regards.

Avec une affiche tournée vers l’horizon et une sélection nationale qui témoigne d’une véritable pluralité de voix, cette 36ᵉ édition des Journées cinématographiques de Carthage s’annonce comme un rendez-vous attentif aux mouvements du monde, aux histoires qui s’écrivent aujourd’hui et à celles qui cherchent encore leur forme.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – « Rosemead », une mère et son fils, entre honte et amour

Sélectionné à la 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire (CIFF), dans la section Special Screenings, Rosemead de Eric Lin poursuit un parcours déjà marqué par de nombreuses sélections dans divers festivals. Après sa première mondiale au Tribeca Film Festival en juin 2025, il a remporté le Prix du Public UBS au Festival de Locarno.

Inspiré d’un article du Los Angeles Times signé Frank Shyong en 2017, le film met en scène Lucy Liu dans le rôle d’Irene Chao, une Américaine d’origine chinoise atteinte d’un cancer incurable, et Lawrence Shou dans celui de Joe, son fils adolescent souffrant de schizophrénie. Le scénario de Marilyn Fu, tiré de faits réels, s’ancre dans le quotidien d’une famille vivant dans la vallée de San Gabriel, à Los Angeles, où la maladie mentale, la honte et la peur se mêlent à la tendresse et à la fatigue.

Une histoire née du silence

L’intrigue suit Irene, propriétaire d’une petite imprimerie qu’elle dirige seule depuis la mort de son mari. Son fils Joe, autrefois élève brillant et nageur prometteur, se referme peu à peu. Il néglige ses études, se coupe de ses amis, dessine des araignées et des cadavres et développe une fascination pour les fusillades de masse. L’inquiétude se transforme en peur lorsque ses accès de violence deviennent incontrôlables.

Mais avant la peur, il y a le déni. Irene refuse d’abord de voir ce qui s’impose à elle : l’idée que son fils puisse souffrir d’un trouble psychique lui paraît insupportable. Elle se persuade que ce n’est qu’une phase, qu’il finira par aller mieux. Elle tait les crises, dissimule les signes, refuse de discuter avec le médecin qui suit son fils et espère que tout redeviendra « comme avant ». Ce déni, le film le rend visible par les gestes du quotidien : Irene range, cuisine, travaille, comme pour préserver un ordre fragile.

La honte est ici autant culturelle que personnelle. Américaine d’origine chinoise, Irene redoute le regard du voisinage, la rumeur, la stigmatisation. Dans son entourage, majoritairement sino-américain, la discrétion est une valeur essentielle, et la maladie mentale reste un sujet qu’on préfère taire. Le film montre cette communauté sans caricature, à travers des scènes simples — un dîner, un échange de politesse, une absence de question — où se devine un ensemble de codes partagés, de pudeurs héritées. Le silence y est collectif avant d’être individuel.

Eric Lin capte ce poids du non-dit avec une mise en scène d’une grande retenue. Les regards détournés, les visages filmés dans la pénombre, les sons étouffés d’une maison où les mots ne circulent plus traduisent la solitude d’Irene et l’isolement de Joe. Dans cet espace clos, la maladie devient une présence invisible, diffuse, qui ronge et enferme.

Le moment où la peur s’installe

Le film bascule lorsque le déni ne tient plus. Les gestes du fils deviennent inquiétants, les silences menaçants. Irene comprend que la situation dépasse ses forces. Elle commence à craindre que Joe ne se blesse, ou qu’il fasse du mal à autrui ou même pire. Elle perçoit la violence possible, imprévisible, d’un adolescent qu’elle ne reconnaît plus. Et elle-même, atteinte d’un cancer avancé, se sait de plus en plus faible.

Cette prise de conscience est le centre du film. Elle scelle la fin de l’illusion et l’entrée dans une peur qu’Irene ne peut plus repousser. Elle sait qu’elle va mourir, qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre, et qu’elle devra affronter seule cette menace grandissante. Le scénario installe alors un double compte à rebours : celui de la mère condamnée et celui du fils en dérive. Deux existences parallèles, deux solitudes qui se reflètent.

Eric Lin filme cette progression avec lenteur et sobriété. Pas de grands effets, pas de musique insistante, mais la respiration des personnages, les bruits du quotidien… La peur naît de cette accumulation de détails et du silence qu’ils laissent derrière eux.

Une mère entre la honte et l’amour

Lucy Liu compose une Irene d’une justesse remarquable. Son jeu, épuré, donne à ce personnage une force contenue. Elle incarne la dignité d’une femme qui n’a plus le choix, la lassitude de celle qui porte tout sans jamais demander d’aide. Son visage exprime la fatigue, la peur, la tendresse, souvent dans un même plan.

Lawrence Shou, dans le rôle de Joe, traduit la confusion, la vulnérabilité et l’imprévisibilité de l’adolescence malade. Le film ne cherche jamais à le juger. Il ne fait pas de lui un monstre, mais un être en perte d’équilibre, pris dans sa propre perception déformée du monde. Ce face-à-face entre mère et fils, dominé par les silences et les gestes, forme le cœur émotionnel du film.

Les dialogues alternent naturellement entre anglais et mandarin, comme c’est souvent le cas dans les familles sino-américaines. Ce bilinguisme n’est pas un signe de distance, mais de continuité : les deux langues coexistent, l’une pour le quotidien, l’autre pour la tendresse ou la prière. Le film les emploie sans soulignement, comme une évidence, un ancrage culturel qui donne au récit sa vérité.

CIFF 2025 Rosemead

Une esthétique du non-dit

Formé comme directeur de la photographie, Eric Lin conçoit chaque plan pour exprimer ce que les mots ne peuvent dire. La lumière, douce et diffuse, épouse les visages sans les flatter. Les intérieurs — la maison, l’atelier, la chambre du fils — sont filmés comme des espaces mentaux, des refuges et des pièges à la fois. Le décor devient une extension de la psyché : tout semble étroit, clos, sous pression.

La violence n’explose jamais, mais elle s’impose par les signes. Le film montre des armes, des couteaux, une hache, et du sang. Le spectateur voit, mais sans spectacle : ces éléments apparaissent avec la même banalité que le reste du quotidien. Cette banalité fait peur. Elle donne au film une tension continue, où chaque objet devient une menace potentielle.

Rosemead avance par fragments, par ellipses. Le récit semble parfois suspendu, comme si la réalité glissait entre les doigts des personnages. Ce choix de narration, sobre et elliptique, renforce la proximité avec eux. Le spectateur n’en sait jamais plus qu’Irene : il partage sa confusion, sa peur, son silence.

Un drame sur la responsabilité et la perte

Au-delà de la maladie et de la fin de vie, Rosemead interroge la responsabilité. Celle d’une mère qui se sait condamnée et s’inquiète de ce qu’il adviendra de son fils après sa mort. Celle d’un fils enfermé dans un monde intérieur, incapable de comprendre les limites de son propre danger. Le film ne propose pas de solution. Il observe. Il montre les gestes de survie, les décisions impossibles, les mots qu’on n’ose pas dire.

La tension entre amour et peur structure tout le récit. Irene aime son fils, mais elle a peur de lui. Elle veut le sauver, mais elle sent qu’elle ne le peut plus. Cette ambivalence, filmée sans emphase, confère au récit sa gravité. Rosemead ne parle pas d’héroïsme, mais de fatigue et d’amour mêlés, de cette ligne floue entre protection et abandon.

Un film sur la société américaine et ses silences

Le film inscrit ce drame intime dans un cadre social précis. En évoquant la fascination de Joe pour les fusillades scolaires, il renvoie à la violence latente de la société américaine, à la banalisation du danger, à la libre vente des armes, y compris aux jeunes, et à l’isolement des familles. Mais il le fait sans dénonciation frontale. La menace reste à l’arrière-plan, intégrée à la peur quotidienne.

À travers cette histoire, Eric Lin et Marilyn Fu abordent la question du non-dit dans les familles d’origine asiatique aux États-Unis, souvent confrontées à la honte de la vulnérabilité et à la difficulté de demander de l’aide. Le film expose ces failles avec retenue, sans discours explicatif. Tout passe par les silences, les gestes, les regards.

Un premier film au ton maîtrisé

Pour son premier long métrage, Eric Lin choisit la sobriété. Il ne cherche ni l’effet ni la provocation. Sa mise en scène repose sur la durée, la précision du cadre, l’écoute des visages. Cette rigueur donne au film une force tranquille, où chaque image semble contenir le poids du non-dit.

Lucy Liu y trouve un rôle rare, qui met en valeur sa profondeur d’interprétation. Elle porte le film sans jamais le dominer, donnant à Irene une présence silencieuse, humaine, ancrée dans la réalité la plus simple. Le film s’enracine dans cette vérité-là : celle des émotions qu’on retient, des décisions qu’on ne dit pas, des peurs qu’on ne partage pas.

Une œuvre sur le courage du regard

Rosemead est moins un film sur la folie qu’un film sur la lucidité. Celle qu’on repousse, puis qu’on accepte trop tard. Il raconte la peur de voir, la peur de savoir, la peur de transmettre. C’est une œuvre sur le regard qu’on détourne pour continuer à vivre.

Présenté au Festival du Caire après son passage à Locarno et à Tribeca, Rosemead s’impose par sa retenue, son attention au détail et sa fidélité à l’humain. Il ne cherche pas à impressionner, mais à écouter. Il parle de honte, de peur, d’amour et de solitude, avec cette justesse rare qui rend le silence plus fort que tout.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Préserver et transmettre le patrimoine cinématographique arabe

Lors de la 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire (CIFF), qui se déroule du 12 au 21 novembre 2025, un panel organisé en partenariat avec Coventry University s’est penché sur une question essentielle : comment restaurer et préserver le patrimoine visuel du cinéma arabe ?

Intitulé « Restaurer le patrimoine visuel du cinéma arabe », ce rendez-vous a réuni des acteurs essentiels du champ de la préservation : Hussein Fahmy, Tamer El Said, Ossen El Sawaf et Stefanie Schulte Strathaus, sous la modération de Maggie Morgan. Durant près d’une heure et demie, les intervenants ont exploré le travail de restauration comme un acte artistique, un devoir moral, un effort collectif, mais aussi un travail de préservation et de mémoire. De leurs échanges s’est dégagée une vision nuancée, parfois complexe, mais toujours passionnée de ce que signifie sauver l’image arabe.

Dès l’ouverture, Hussein Fahmy prend la parole pour saluer les participants et remercier son équipe. Il rend hommage au travail accompli et situe le contexte : le CIFF présente cette année dix nouveaux films restaurés, qui s’ajoutent aux dix programmés l’an passé et qui sont de nouveau proposés cette année, tant ils avaient remporté un grand succès auprès du public lors de la 45ᵉ édition. Vingt films en deux éditions, une progression assumée. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité bien plus dense : l’institution dont il fait partie possède environ 1 400 films nécessitant une restauration. « C’est un vrai trésor », dit-il, conscient de la responsabilité immense qui repose sur ses épaules.

Choisir les films à restaurer relève d’un véritable casse-tête. Les priorités sont fixées en fonction de l’importance artistique des œuvres et de leurs auteurs : il cite par exemple Hassan Limam, dont les films doivent être restaurés en priorité. La restauration devient alors un acte de sélection, mais aussi un devoir de transmission. Il rappelle que, pendant longtemps, préserver un film était extrêmement complexe : les négatifs étaient dispersés dans de multiples boîtes, nécessitant des conditions de conservation strictes, notamment le froid. La numérisation permet aujourd’hui une stabilisation durable, tout en ouvrant la voie à une diffusion plus large, notamment grâce aux sous-titres en anglais désormais intégrés aux copies restaurées.

Mais il insiste sur un point souvent mal compris : « Restaurer ne veut pas dire simplement réparer des défauts et des imperfections. » La restauration est un processus bien plus profond, qui interroge le sens même du film.

Cette réflexion est reprise et largement développée par Tamer El Said, fondateur de la cinémathèque du Caire en 2012. Son institution, située en plein centre-ville, travaille depuis plus d’une décennie à préserver les archives du cinéma égyptien, à les restaurer, à les numériser et à leur offrir une nouvelle vie. Pour lui, la question « Pourquoi restaurer ? » mérite d’être posée. L’Égypte possède des archives énormes sur le plan cinématographique, et il considère essentiel de les rendre accessibles, de créer de nouveaux débats, d’offrir aux jeunes cinéastes la possibilité de se nourrir de ce patrimoine. Pendant trop longtemps, dit-il, la restauration se faisait chez les Occidentaux. D’où l’importance cruciale de ramener ce savoir-faire dans la région, de « se réapproprier notre patrimoine ».

Dans son laboratoire, Tamer utilise un appareil capable de scanner tous les formats, en préservant le support original sans l’endommager. Sa structure possède aussi un appareil de colorisation, un atelier pour développer les films analogiques, et procèder ensuite à la numérisation afin de conserver chaque film sous deux formes : analogique et numérique. Grâce à cette maîtrise technique, mais aussi à un réseau international solide, son équipe peut retrouver à l’étranger des copies disparues d’Égypte. Les collaborations universitaires intègrent également un volet de formation permanent.

Pour lui, restaurer exige de suivre des règles éthiques précises : même si la technologie permet aujourd’hui d’obtenir une qualité exceptionnelle, voire de coloriser des films anciens, il refuse toute intervention qui modifierait la nature même de l’œuvre. « Un film de 1958 doit correspondre à son époque », affirme-t-il. Sans sources de recherche, une restauration peut facilement trahir un film. Il cite un exemple frappant : en consultant les archives de Hussein Sharif, ils découvrent que pour un de ses films, il avait décidé que chaque scène devait avoir une couleur différente. Sans ce document, lors de la restauration, ils auraient pu uniformiser les teintes, à l’encontre de la volonté du cinéaste, et produire ainsi une œuvre différente de celle voulue par son réalisateur.

Cette exigence traverse le programme Remastered, un cycle de quatre mois durant lequel neuf mentors ont formé huit restaurateurs d’image et huit restaurateurs de son. Les participants n’ont pas seulement appris les outils techniques : ils ont travaillé à comprendre ce que les cinéastes voulaient dire, à analyser les dommages sur les pellicules, à manipuler les supports originaux avec discernement. La venue d’une spécialiste de Bologne — l’un des plus importants centres de restauration de film au monde — a marqué un moment fort, d’autant plus qu’elle avait travaillé sur La Momie de Shadi Abdel Salem.

À l’issue de cette formation, un partenariat avec Misr International a permis la restauration de quatre films de Youssef Chahine. Trois d’entre eux avaient été restaurés auparavant, mais d’une manière qui ne respectait pas les exigences techniques et esthétiques nécessaires à la fidélité des œuvres. Leur travail vise donc à reprendre intégralement ces restaurations pour en restituer l’intégrité, tout en restaurant également un quatrième film. Parallèlement, d’autres projets avancent : des films légendaires arabes, notamment syriens et soudanais.

CIFF 2025 Panel Restauration
CIFF 2025 – Hussein Fahmy et Tamer El Said

À ce stade de la discussion, la question de la collaboration internationale est posée : pourquoi est-elle si importante, et à qui appartiennent ces films ? C’est Stefanie Schulte Strathaus, de l’Arsenal – Institut für Film und Videokunst e.V., qui prend la parole. Elle commence par interroger sa propre présence dans un panel consacré au cinéma arabe, avant de présenter le « living archive » qu’elle dirige, fondé en 1963. Les archives de l’Arsenal rassemblent des films venus du monde entier : de l’Est, de l’Ouest, d’Amérique latine. Elle raconte comment, dès la première édition du Festival de Berlin en 1971, l’Arsenal sous-titrait les films en allemand pour les montrer dans l’espace germanophone. Les copies, conservées au fil des décennies, ont fini par vieillir et représenter un véritable enjeu de préservation.

Mais un obstacle apparaissait : les fonds disponibles étaient réservés à la restauration et à la préservation des archives allemandes. La question des films internationaux restait donc sans réponse, jusqu’au jour où une chercheuse indienne, incapable de retrouver un film dans son propre pays, finit par le découvrir chez eux. De là est née l’idée d’ouvrir leurs collections, de permettre aux gens de venir rechercher leurs films. Ce geste a attiré des financements, permis des restaurations communes et donné naissance à une dynamique internationale de collaboration. « La question n’est pas de savoir qui possède le film, mais comment le préserver ensemble », résume-t-elle.

La réflexion s’approfondit encore lorsque Ossen El Sawaf, de l’Association Jocelyne Saab, intervient. Fondée en 2019, cette ONG s’est donnée pour mission de restaurer les films de la réalisatrice, dont beaucoup étaient endommagés. Il raconte une anecdote révélatrice : un technicien étranger, très fier de son travail sur la restauration sonore, finit par avouer qu’il ne comprenait pas l’arabe. Comment restaurer un son sans comprendre ce qu’il porte ? Cette question ouvre tout un champ de réflexion : restaurer ne consiste pas à « nettoyer » une piste sonore, mais à préserver un héritage, des idées, un langage.

Il rappelle également l’aspect financier : restaurer un film à l’étranger est extrêmement cher, parfois plus cher que la production du film lui-même. Et surtout, envoyer les films hors du monde arabe signifie confier leur traitement à des institutions qui, même bien intentionnées, prennent des décisions selon leurs propres critères. Pour éviter cela, l’association mise sur la recherche, l’étude des archives personnelles et la formation. Elle organise des workshops pour former de nouveaux restaurateurs, qui à leur tour formeront d’autres. Un workshop débute d’ailleurs au sein même de ce festival.

L’objectif est double : restaurer et diffuser. Ossen explique que les archives du film Dunia (2005), conservées à la Cinémathèque française, étaient tellement abîmées qu’elles étaient inutilisables — preuve de l’urgence de reprendre la main sur la restauration dans la région. Une nouvelle structure ouvrira au Liban en 2026, avec un personnel formé et dédié. L’association souhaite multiplier les workshops dans de nombreux pays arabes, afin d’enraciner cette pratique dans un tissu culturel local. L’Archive Circulation Initiative, autre entité que l’association a fondée, met en relation chercheurs, restaurateurs et institutions, documente les processus et aide les films restaurés à retrouver une visibilité.

C’est alors qu’une question précise est posée à Tamer El Said : comment se coordonne la restauration en Égypte, et les cinéastes arabes sont-ils impliqués ? Il rappelle l’existence d’une grande entraide, fondée sur un réseau solide d’institutions, de musées du cinéma, et de collaborations — notamment avec Misr International. Ce travail s’articule aussi avec les initiatives du CIFF ou de l’Association Jocelyne Saab. Mais il insiste : personne ne peut travailler seul. Rechercher les copies, comprendre l’histoire d’un film est un travail complexe, impliquant de multiples intervenants. Parfois, pour décider si une imperfection doit être conservée ou supprimée, il faut retrouver une copie à l’étranger et la comparer avec la copie qu’on a, pour déterminer si ce « défaut » apparaît sur toutes les copies ou sur une seule, et s’il s’agit d’un choix artistique. « Cela n’est possible que si nous connaissons la volonté du cinéaste », dit-il.

Enfin, la question est posée : existe-t-il un projet de coloriser les films en noir et blanc ? Hussein Fahmy répond catégoriquement : non. Si un réalisateur a choisi le noir et blanc, il faut respecter ce choix. « C’est notre devoir moral », affirme-t-il. Il reconnaît que des expériences de colorisation ont eu lieu ailleurs, mais sans grand succès. En revanche, il souligne, au-delà de la restauration, l’importance essentielle de diffuser les films restaurés, de les faire revivre auprès du public.

Au terme du panel, une idée domine : restaurer un film arabe n’est pas seulement une opération technique. C’est un processus qui exige de la recherche, de l’éthique, du respect, une collaboration internationale, un savoir-faire local, et surtout une conscience aiguë de ce que représente la mémoire cinématographique. C’est un geste de sauvegarde, mais aussi un geste de transmission. Et dans ce travail patient, multiple, exigeant, le patrimoine visuel du cinéma arabe retrouve une vie nouvelle — et un avenir.

Au-delà de tout ce travail de restauration, une question demeure, presque urgente : que fera-t-on de cette mémoire si les jeunes générations ne s’en emparent pas ? Les intervenants l’ont rappelé à plusieurs reprises, parfois explicitement, parfois par la simple force de leurs témoignages : restaurer ne suffit pas, encore faut-il regarder. Ces films, revenus d’un long silence, ne demandent qu’à dialoguer avec un public nouveau, à transmettre des formes, des idées, des gestes de cinéma que l’on ne fabrique plus de la même manière. La préservation n’a de sens que si elle ouvre un passage, si elle pousse les jeunes cinéastes à comprendre d’où ils viennent pour imaginer où ils peuvent aller. Et peut-être est-ce là l’enjeu le plus essentiel : que ce patrimoine restauré devienne non seulement un héritage, mais aussi un point de départ, une invitation à apprendre, à questionner, à créer — et surtout à aller voir ces films pour leur offrir une nouvelle vie.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Une cérémonie d’ouverture trop sobre

La soirée du mercredi 12 novembre 2025 a marqué l’ouverture de la 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire (CIFF), un événement central de la scène cinématographique arabe et internationale. La capitale égyptienne a accueilli un ensemble remarquable de stars, de personnalités culturelles et de professionnels, aussi bien égyptiens — tels que Youssra, Lebleba, Yousry Nasrallah ou Laila Eloui — que venus du monde entier pour célébrer le lancement de cette nouvelle édition.

La cérémonie a débuté par l’hymne national égyptien, suivi d’une prestation musicale, avant le discours du président du festival, l’acteur Hussein Fahmy. Celui-ci a déclaré : « Aujourd’hui, nous célébrons l’ouverture de la 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire, que j’ai l’honneur de présider. L’Égypte, terre d’art, de culture et d’histoire, redessine aujourd’hui son présent grâce aux pas dévoués et aux efforts de son peuple ; ces efforts nous offrent à tous des sentiments sincères de fierté, de bonheur et d’appartenance. » Il a également souligné l’engagement constant de l’Égypte envers ses voisins : « L’Égypte n’a jamais oublié de soutenir ses frères ni négligé son devoir humanitaire, comme en témoignent le soutien à nos frères au Soudan et au Liban, ainsi que son engagement historique envers la cause palestinienne, culminant dans l’accord de Sharm el-Cheikh pour mettre fin à l’agression sur Gaza. »

Hussein Fahmy a ensuite mis en avant plusieurs distinctions récentes de personnalités égyptiennes à l’international, notamment « Dr. Khaled El-Anani, Secrétaire général de l’UNESCO, et Dr. Mina Rizk, Président du Conseil exécutif de la FAO ». Il a également salué « l’équipe nationale de football junior qualifiée pour la Coupe du monde » ainsi que « l’inauguration spectaculaire du Grand Musée Égyptien », soulignant que ce musée venait couronner des décennies de travail et s’inscrivait dans une longue histoire où l’Égypte « aime l’art et la culture depuis des milliers d’années ». Son intervention s’est conclue par une affirmation forte : « L’Égypte est toujours capable de miracles et, par sa volonté et son travail, de créer des moments exceptionnels — des moments cinématographiques immortels dans notre histoire. »

Le ministre de la Culture, Dr. Ahmed Fouad Henno, a ensuite proclamé l’ouverture officielle du festival. Dans son allocution, il a célébré « la magie de la caméra qui nous permet d’entrer dans d’innombrables mondes et de vivre mille vies ». Évoquant l’histoire de la découverte du tombeau de Toutankhamon, il a rappelé que Howard Carter avait aperçu « les traits du roi créés par les mains d’un artiste égyptien, un moment dont les émotions n’ont pas été enregistrées, mais que le cinéma a su ressusciter ». Il a souligné le rôle du nouveau Grand Musée Égyptien, qui « rend à ce moment sa gloire, redonne à l’imagination son énergie, et à la civilisation égyptienne sa voix », avant de rappeler l’importance des « milliers d’histoires réelles qui méritent d’être vues et racontées » et la capacité du cinéma à « redécouvrir l’humain en nous et devenir une promesse de paix, de vie et de beauté ».

La cérémonie s’est poursuivie avec une présentation par Hussein Fahmy des efforts de restauration du patrimoine cinématographique égyptien. Il a précisé : « Nous poursuivons notre initiative pour restaurer environ 1 400 films égyptiens, afin de préserver notre patrimoine artistique et une production immense. » Il a également annoncé que cette année, le festival projette plus de vingt films restaurés, dont dix avaient déjà été montrés lors de la 45ᵉ édition, et qui reviennent en raison de l’intérêt qu’ils ont suscité, ainsi qu’une dizaine de nouvelles restaurations. Des séquences Avant/Après ont été projetées, permettant au public d’apprécier le travail mené par les équipes de restauration.

Hussein Fahmy a ensuite exprimé la gratitude du festival envers ses partenaires et sponsors, avant que la présentatrice Jasmin Taha Zaki ne prenne la parole pour rappeler que « chaque nouvelle édition du Festival international du film du Caire rassemble les amoureux du cinéma, unis par leur amour de cet art ». Elle a souligné que l’Égypte traverse une véritable renaissance culturelle et que le cinéma, « plus qu’une industrie, est une conscience, un rêve et la mémoire d’une nation ».

Un montage vidéo présentant les films des différentes compétitions a précédé l’annonce officielle des jurys.

La soirée a ensuite accueilli deux hommages majeurs. Le premier a célébré le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, président du jury de la compétition internationale, qui a reçu la Pyramide d’or pour l’ensemble de sa carrière. Le second a honoré le comédien Khaled El Nabawy, lauréat du Prix Faten Hamama d’excellence. Celui-ci a remercié « l’Égypte, la direction du festival, le Ministre de la Culture, Hussein Fahmy, le public » et dédié sa distinction « aux âmes de ses parents, à son épouse Mona El Maghraby, à ses enfants Karim, Nour et Ziyad », ainsi qu’aux cinéastes qui ont façonné son parcours. Il a conclu en dédiant son prix « au peuple palestinien ».

Un hommage supplémentaire a célébré la longue carrière du réalisateur Mohamed Abdel Aziz, honoré à son tour de la Pyramide d’or. Celui-ci a déclaré : « Je n’oublierai jamais cet hommage après un long parcours au cinéma, au théâtre et à la télévision », ajoutant un message destiné aux jeunes créateurs : « plus vous donnez au cinéma, plus il vous rend au centuple ».

La cérémonie s’est conclue par l’annonce du film d’ouverture, le long-métrage brésilien Les voyages de Téreza/The Blue Trail.

A la fin de cette cérémonie, un constat s’impose. Les éditions précédentes du festival se distinguaient par des décors imposants, des installations visuelles, des espaces décorés dans toute l’enceinte de l’Opéra du Caire et diverses animations qui instauraient une ambiance cinématographique festive dès l’entrée. Tout cela a disparu cette année. Mis à part une unique prestation musicale en début de soirée, aucun décor élaboré et aucune autre intervention artistique n’ont accompagné les différentes étapes de la cérémonie. La soirée s’est limitée à la présentation des jurys, aux hommages et à l’annonce du film d’ouverture.

Cette sobriété soulève une question légitime : reflète-t-elle un choix artistique délibéré ou traduit-elle plutôt des contraintes budgétaires ? Aucun communiqué officiel n’apporte pour l’instant de précision. Dans certains festivals, une cérémonie réduite peut répondre à une orientation éditoriale recentrée sur les discours et la programmation, privilégiant la sobriété à l’ornementation. Dans d’autres cas, une diminution des installations, des décors ou des animations correspond à une réduction du budget opérationnel, les dépenses étant alors concentrées sur les éléments essentiels : les films, les jurys et les hommages.

Qu’il s’agisse d’un choix ou d’une contrainte, la disparition de ces dispositifs se ressent d’autant plus fortement à l’Opéra du Caire, où la scénographie et les installations des années précédentes jouaient un rôle structurant dans l’identité du festival. Les années antérieures, pratiquement tout l’espace était décoré, illuminé, animé, créant un véritable parcours visuel qui attirait les visiteurs, invitait à la photographie et plongeait instantanément dans l’ambiance du festival. Rien de tel en 2025.

La 46ᵉ édition du CIFF s’ouvre donc sur une cérémonie réduite à l’essentiel. Reste à voir comment ce choix — volontaire ou subi — influencera l’atmosphère générale du festival dans les jours à venir. Car au-delà des projections et de la programmation, un festival vit aussi par son espace, son énergie et la manière dont il enveloppe son public. Cette sobriété inaugurale annonce-t-elle une nouvelle façon d’imaginer l’expérience du CIFF, ou marque-t-elle simplement une parenthèse dans son histoire visuelle ? Les prochains jours le diront.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Demain s’ouvre la 46ᵉ édition du Festival international du film du Caire

Demain le Festival international du film du Caire (CIFF) donnera le coup d’envoi de sa 46ᵉ édition, qui se tiendra du 12 au 21 novembre 2025. L’événement s’annonce foisonnant, curieux et profondément ancré dans l’humain. Fidèle à sa tradition d’exigence et d’ouverture, le festival affirme cette année deux lignes fortes : célébrer un cinéma d’auteur attentif aux réalités du monde et faire de la mémoire une force vivante et partagée.

Cette orientation se manifeste dès la composition du jury international, présidé par Nuri Bilge Ceylan, l’un des plus grands cinéastes du cinéma contemporain, dont la filmographie – de Winter Sleep à Les herbes sèches – explore la lenteur, le silence et les territoires intérieurs. À ses côtés siègent la réalisatrice tunisienne Leyla Bouzid, l’actrice égyptienne Basma, la cinéaste égyptienne Nadine Khan, la monteuse italienne Simona Paggi, le réalisateur chinois Guan Hu et le Roumain Bogdan Mureșanu. Ensemble, ils départageront les douze films de la compétition internationale, où se croisent la mémoire, la résistance, l’amour et la solitude.

La compétition internationale affirme cette identité par des œuvres venues des quatre coins du monde. Calle Málaga de Maryam Touzani prolonge la veine intime inaugurée par Le Bleu du caftan, en suivant une femme partagée entre devoir, désir et culpabilité. Death Does Not Exist de Félix Dufour-Laperrière, film d’animation d’une beauté plastique rare, interroge la frontière entre la présence et l’absence. Dragonfly de Paul Andrew Williams aborde la compassion et la rédemption à travers une tragédie familiale. Exile de Mehdi Hmili, représentant la Tunisie dans cette compétition, suit le parcours d’un homme brisé qui tente de reconstruire sa vie après la prison, dans un pays marqué par l’injustice et les fractures sociales. Once Upon a Time in Gaza des frères Tarzan et Arab Nasser conjugue rage de vivre et humour noir au cœur d’un territoire meurtri. One More Show de Mai Saad et Ahmed Eldanf s’intéresse aux artistes de théâtre qui continuent de jouer malgré les crises. Renovation de Gabrielė Urbonaitė explore les silences d’un couple dont la maison, en travaux, devient métaphore du temps qui s’effrite. Sand City de Mahde Hasan mêle poésie et observation sociale dans un Bangladesh en mutation. Souraya, mon amour de Nicolas Khoury évoque le Liban contemporain à travers une histoire d’amour et de mémoire. The Silent Run de Marta Bergman suit une migrante qui fuit la guerre pour se réinventer ailleurs, et Zafzifa de Peter Sant clôt la sélection sur une méditation mélancolique où la nature reflète l’état du monde.

La présence tunisienne est particulièrement forte cette année. D’abord dans le jury, avec Leyla Bouzid, ensuite dans la compétition internationale grâce à Exile de Mehdi Hmili, mais aussi dans la compétition Horizons du cinéma arabe, qui accueille deux longs-métrages tunisiens. Round 13 de Mohamed Ali Nahdi (Tunisie, 2025, 102 min) suit un père de famille confronté à la maladie et aux bouleversements que celle-ci provoque dans ses relations avec les siens ; à travers ce récit intime, le film explore la fragilité, la solidarité et la dignité face à l’épreuve. Looking for Aida de Sarra Abidi (Tunisie, 2025, 89 min) se déroule quant à lui dans un centre d’appels où Aïda, marquée par le départ soudain d’un collègue qu’elle connaissait depuis des années, entame une réflexion sur le temps, l’amour et le sens de son existence. Portrait sensible d’une femme en quête d’elle-même, le film s’impose par sa pudeur et sa justesse. À cela s’ajoute la présence du projet tunisien Goodbye Party de Sarra El Abed à la Cairo Film Connection, confirmant la vitalité du cinéma tunisien dans toutes les sections du festival.

Le festival soigne également ses temps symboliques. La clôture sera marquée par La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania, inspiré de la tragédie palestinienne qui a bouleversé le monde en janvier 2024 : celle d’une fillette de six ans tuée par l’armée Israélienne dans sa voiture à Gaza, alors qu’elle appelait les secours. En choisissant ce film, le festival inscrit la Palestine au cœur de sa dernière image : un cri d’enfant devenu symbole de l’innocence perdue et de la violence des temps. Ce choix réaffirme la place du cinéma comme témoin, et celle du Caire comme voix du monde arabe.

Le CIFF 2025 rendra par ailleurs hommage à quatre figures majeures du cinéma mondial : Mohamed Abdel Aziz, artisan d’une comédie sociale exigeante ; Mahmoud Abdel Samie, chef opérateur et documentariste qui a accompagné un demi-siècle d’histoire visuelle égyptienne ; Ildikó Enyedi, cinéaste hongroise au lyrisme singulier, dont le nouveau film Silent Friend sera présenté hors compétition ; et Hiam Abbass, actrice et réalisatrice palestinienne, célébrée pour son parcours entre les deux rives de la Méditerranée. Chacun recevra la Pyramide d’or pour l’ensemble de sa carrière, un trophée qui relie patrimoine et modernité.

La section Cairo Classics demeure l’un des piliers du festival. Elle mettra à l’honneur les grandes restaurations du cinéma égyptien – Youssef Chahine, Salah Abu Seif, Kamal El Sheikh, Barakat, Hassan al-Imam – tout en ouvrant un dialogue avec des auteurs internationaux comme David Lynch, Diane Kurys ou Sam Kadi. L’invitation à revoir Sa’eed Effendi (1956), rare film irakien restauré, inscrit cette sélection dans une démarche patrimoniale et pédagogique. Des ateliers et panels autour de la restauration numérique, en partenariat avec Coventry University, viendront prolonger cette réflexion sur la mémoire du cinéma et la transmission.

Le centenaire de la FIPRESCI sera célébré par la présentation de vingt-cinq films égyptiens marquants du premier quart du XXIᵉ siècle, de I Love Cinema d’Osama Fawzy à Les messages de la mer de Daoud Abdel Sayed, L’Appartement d’Héliopolis de Mohamed Khan, Microphone d’Ahmad Abdalla ou L’Immeuble Yacoubian de Marwan Hamed. Une rétrospective qui redonne toute sa place à la modernité du cinéma égyptien et à la diversité de ses écritures.

Tournée vers l’avenir, la 46ᵉ édition inaugure Cairo’s XR, première section du festival consacrée aux nouvelles formes immersives. Réalité virtuelle, intelligence artificielle, installations interactives : autant de dispositifs pour raconter autrement, et pour faire du spectateur un acteur de l’expérience cinématographique.

Sur le versant professionnel, le festival lance Cairo Pro-Meet sous l’égide du Cairo Film Market. Ce nouveau hub de rencontres, de mentorat et de coproductions prolonge la dynamique de la Cairo Film Connection et confirme la place du Caire comme l’un des pôles les plus actifs de la région pour le développement des projets arabes.

Enfin, l’affiche officielle, dominée par une colombe portant un rameau d’olivier, incarne l’esprit de cette édition : un message de paix et d’espérance dans un monde traversé par les conflits. En réunissant mémoire, innovation, engagement et ouverture, le Festival international du film du Caire 2025 s’impose une fois encore comme un espace de dialogue entre les cinémas et les peuples, où l’art demeure un langage universel et une promesse de vie.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Le Prix Faten Hamama d’excellence sera décerné à Khaled El Nabawy

Le Festival international du film du Caire a annoncé que le Prix Faten Hamama d’excellence sera remis, lors de sa 46ᵉ édition qui se tiendra du 12 au 21 novembre 2025, à l’acteur égyptien Khaled El Nabawy, l’une des figures les plus marquantes et les plus respectées du cinéma arabe contemporain. Cette distinction rendra hommage à une carrière remarquable, guidée par une conscience artistique rare et un engagement constant envers le cinéma comme vecteur de culture et d’humanité.

Institué en mémoire de la grande actrice Faten Hamama, le prix honore chaque année des personnalités éminentes du cinéma pour leur contribution exceptionnelle à l’enrichissement de l’art cinématographique. En 2024, il avait été attribué à Ahmed Ezz, et en 2022 à Karim Abdelaziz — deux acteurs qui, chacun à sa manière, incarnent la vitalité et la modernité du cinéma égyptien.

Formé à l’Institut supérieur d’art dramatique du Caire dont il sort diplômé en 1989, Khaled El Nabawy débute la même année avec Une nuit de noces (Leilat Asal) de Mohamed Abdel Aziz. Dès ses premiers rôles, il attire l’attention par sa rigueur et la profondeur psychologique de ses compositions. Sa participation à Le Citoyen égyptien (Al-Muwatin Masri) de Salah Abou Seif, aux côtés de Omar Sharif, confirme un talent d’interprète capable d’allier intensité et retenue, émotion et maîtrise.

C’est toutefois en 1994, avec L’Émigré (Al-Mohager) de Youssef Chahine, que sa carrière prend un tournant décisif. Sous la direction du maître, il livre une interprétation habitée, à la fois charnelle et spirituelle, qui lui ouvre la reconnaissance du public et de la critique, en Égypte comme à l’étranger. Ce rôle fondateur l’installe durablement parmi les acteurs les plus prometteurs de sa génération. L’émigré sera projeté lors de cette édition dans la section Cairo Classics.

Au fil des années, Khaled El Nabawy s’impose comme l’un des visages majeurs du cinéma égyptien moderne, alternant entre drames intimistes et fresques sociales : Le Destin (Al-Massir, 1997) de Youssef Chahine, Omar 2000 (2000) d’Ahmed Atef, Le Dealer (Al-Dealer, 2010) d’Ahmed Saleh, ou encore Le Voyageur (Al-Mosafer, 2009) d’Ahmed Maher témoignent d’une filmographie exigeante, marquée par le souci de la vérité intérieure. Son interprétation, toujours mesurée, traduit une compréhension rare de la complexité humaine, nourrie d’un travail minutieux sur le geste, la voix et le regard.

CIFF 2025 
Khaled El Nabawy

Son parcours s’est également ouvert à l’international : il tournera sous la direction de Ridley Scott dans Kingdom of Heaven (2005), donnera la réplique à Naomi Watts et Sean Penn dans Fair Game (2010), et tiendra le rôle principal du film The Citizen (2012) de Sam Kadi, présenté dans plusieurs festivals internationaux. Ce dernier, qui lui a valu une reconnaissance mondiale, sera projeté cette année dans la section Cairo Classics du festival, en hommage à l’ensemble de sa carrière. Ces collaborations confirmeront la stature mondiale d’un artiste capable de franchir les frontières culturelles sans jamais renier ses racines.

Parallèlement à son œuvre cinématographique, Khaled El Nabawy mène depuis plus de trente-cinq ans une riche carrière télévisuelle, de Bawwabat Al-Helwani (La Porte d’Al-Helwani) jusqu’à Embratoret Meem (Empire M, 2024), où il explore avec une constante justesse les drames et dilemmes du quotidien égyptien. Il s’est également illustré sur scène, notamment avec Al-Genzir (La Chaîne) au Caire et Camp David à Washington, où il incarnait le président Anouar El-Sadate — rôle salué par la critique américaine pour sa précision et sa dignité.

En honorant Khaled El Nabawy du Prix Faten Hamama d’excellence, le Festival international du film du Caire célébrera bien plus qu’un acteur accompli : il saluera une trajectoire exemplaire, celle d’un artiste qui a su faire du cinéma une parole de vérité et de dialogue, un espace de rencontre entre l’Égypte et le monde.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – «Les voyages de Tereza» ouvrira la 46ᵉ édition

Le Festival international du film du Caire a annoncé que Les voyages de Tereza /The Blue Trail (O Último Azul), du réalisateur brésilien Gabriel Mascaro, ouvrira la 46ᵉ édition du festival, qui se tiendra du 12 au 21 novembre 2025. Le film sera projeté hors compétition lors de la soirée d’ouverture, marquant le coup d’envoi d’une édition placée sous le signe de la liberté, de la résistance et de la puissance du cinéma d’auteur contemporain.

Réalisé par Gabriel Mascaro, figure majeure du cinéma brésilien actuel, Les voyages de Tereza suit le parcours de Tereza, une femme de 77 ans vivant dans une petite ville industrielle de l’Amazonie. Sa vie bascule lorsqu’elle reçoit un ordre officiel lui enjoignant de rejoindre une colonie d’hébergement pour personnes âgées. Dans cet endroit isolé, les seniors sont regroupés pour passer leurs dernières années, tandis que la jeune génération se consacre à la productivité et à la croissance économique. Refusant ce destin imposé, Tereza entreprend un voyage le long du fleuve Amazone pour accomplir un dernier souhait avant que sa liberté ne lui soit définitivement retirée — un acte de résistance intime qui bouleversera son existence.

CIFF 2025 
Les voyages de Tereza
The Blue trail

Porté par Denise Weinberg, Rodrigo Santoro, Miriam Socorrás et Adanilo, le film est une coproduction entre le Brésil, le Mexique, le Chili et les Pays-Bas. D’une durée de 86 minutes, il est tourné en portugais et baigné de couleurs somptueuses, à l’image du décor amazonien qu’il célèbre autant qu’il interroge.

Présenté en première mondiale au Festival de Berlin, Les voyages de Tereza s’y est distingué en remportant trois distinctions majeures : le Prix du Jury – Ours d’argent, le Prix du Jury œcuménique et le Prix du Public du Berliner Morgenpost. Ces récompenses confirment le regard singulier de Mascaro sur la tension entre liberté individuelle et contrôle social, une thématique qu’il explore avec sensibilité et audace depuis ses débuts.

Né en 1983 à Recife, Gabriel Mascaro est l’un des cinéastes les plus talentueux de sa génération. Révélé avec Rodeo/Neon Bull, sélectionné parmi les dix meilleurs films de l’année 2016 par le New York Times, il a également marqué la Berlinale avec Divine Love, présenté dans la section Panorama. Son œuvre, à la croisée du réalisme social et de la poésie visuelle, se distingue par une attention constante portée aux marges, aux corps et aux mutations sociales du Brésil contemporain.

En choisissant Les voyages de Tereza pour inaugurer sa 46ᵉ édition, le Festival du Caire confirme sa volonté d’ouvrir le dialogue entre les cinémas du monde, en mettant à l’honneur une œuvre qui conjugue profondeur humaine et puissance esthétique.

Créé en 1976, le Festival international du film du Caire est le premier festival de cinéma international organisé dans le monde arabe et en Afrique, et demeure à ce jour le seul de la région reconnu par la Fédération internationale des associations de producteurs de films (FIAPF). Classé en catégorie « A », il se tient chaque année sous le patronage du ministère égyptien de la Culture.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – 25 films égyptiens pour le centenaire de la FIPRESCI

Le Festival international du film du Caire (CIFF) a révélé, en partenariat avec la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI) et l’Association égyptienne des critiques de cinéma (EFCA), la liste des 25 meilleurs films égyptiens du premier quart du XXIᵉ siècle. L’initiative, lancée à l’occasion du centenaire de la FIPRESCI, marque une étape majeure dans la collaboration historique entre les critiques internationaux et l’un des festivals les plus prestigieux du monde arabe et d’Afrique.

Les résultats de ce classement seront publiés dans un ouvrage spécial édité pour la 46ᵉ édition du festival, prévue du 12 au 21 novembre 2025. Ce volume comprendra des analyses critiques de chacun des vingt-cinq films retenus ainsi qu’une étude approfondie des grandes tendances esthétiques et de production qui ont marqué le cinéma égyptien depuis l’an 2000. En complément, une table ronde sera organisée durant le festival pour présenter l’ouvrage et en débattre avec le public, les critiques et les professionnels.

L’idée de ce sondage est née d’une séance de réflexion réunissant les trois partenaires – FIPRESCI, CIFF et EFCA – avec l’objectif de documenter plus d’un siècle de cinéma égyptien, tout en valorisant les réalisations récentes à travers un regard critique rigoureux. L’annonce officielle du projet avait été faite en mai 2025 au Pavillon égyptien du Marché du Film de Cannes, lors de la 78ᵉ édition du festival.

Une méthodologie précise

Pour établir ce classement, un formulaire de vote a été distribué à l’ensemble des membres de l’Association égyptienne des critiques de cinéma. Ceux-ci disposaient d’une liste de 881 longs-métrages sortis en Égypte entre le 1ᵉʳ janvier 2001 et le 31 juillet 2025. Si les cinq derniers mois de l’année en cours n’ont pas été pris en compte, ce choix permettait de présenter les résultats en amont du festival. Les films éligibles incluaient aussi bien les sorties en salles que les œuvres directement diffusées sur les chaînes satellites ou les plateformes de streaming, garantissant une compétition équitable entre toutes les productions.

Soixante-trois critiques ont participé à ce vote, témoignant d’un fort engagement de la profession. Ce travail collectif offre désormais une référence précieuse pour les spectateurs, les chercheurs et les historiens du cinéma désireux de comprendre quelles œuvres ont marqué de façon décisive le paysage cinématographique égyptien des vingt-cinq dernières années.

CIFF 2025 FIPRESCI 
Cinéma égyptien

Le palmarès des 25 films retenus

Parmi les films les mieux classés, I Love Cinema d’Osama Fawzy illustre avec une délicatesse rare la manière dont le cinéma peut devenir un moteur de curiosité et de passion chez les jeunes générations. Le film met en scène un jeune garçon fasciné par les images et les histoires, offrant une réflexion implicite sur la relation intime entre le spectateur et l’art cinématographique, mais aussi sur la manière dont le cinéma peut incarner des repères culturels et sociaux dans l’Égypte contemporaine. Cette sensibilité se retrouve dans les œuvres de Daoud Abdel Sayed, dont Les messages de la mer explore avec profondeur la mémoire et l’identité à travers le récit d’un homme confronté à son passé. Ces films témoignent d’un cinéma qui, tout en racontant des histoires personnelles, engage une réflexion plus large sur la société et la culture égyptiennes.

La sélection met également en lumière des réalisateurs capables de combiner réussite critique et reconnaissance internationale. C’est le cas de Mawran Hamed avec Immeuble Yacoubian, qui a non seulement lancé sa carrière mais a également propulsé le roman d’Alla Al Aswany sur la scène mondiale. Le film a permis de donner une visibilité internationale à la littérature et au cinéma égyptiens, tout en abordant avec acuité les tensions sociales, politiques et économiques de l’époque. Cette capacité à toucher un public large tout en conservant une exigence artistique se retrouve chez Youssef Chahine et Khaled Youssef, dont la collaboration sur Le Chaos confirme l’influence durable de Chahine et sa manière de traiter les questions sociales complexes avec un style narratif affirmé.

CIFF 2025 FIPRESCI 
Cinéma égyptien

Le classement reconnaît aussi l’émergence de voix nouvelles et audacieuses qui expérimentent formes et esthétiques. Omar Zohairy, avec Plumes, incarne ce cinéma contemporain capable de surprendre et de provoquer, tant par sa présentation à Cannes que par la polémique qu’il a suscitée en Égypte. Ce décalage entre l’accueil international, marqué par la reconnaissance du film dans les festivals, et la réaction locale, souvent critique voire hostile, illustre la tension permanente entre modernité artistique et perception sociale en Égypte. De même, Microphone d’Ahmad Abdalla Elsayed s’intéresse à la culture underground et à la scène musicale alternative du Caire, révélant une jeunesse inventive et engagée. Ces œuvres montrent que le cinéma égyptien du XXIᵉ siècle n’est pas seulement tourné vers le divertissement ou la tradition : il cherche également à questionner, expérimenter et renouveler ses codes, en donnant voix à des récits jusqu’alors marginalisés. Il est à noter que ces deux films ont remporté le Tanit d’Or aux Journées Cinématographiques de Carthage.

La place donnée aux films explorant des problématiques urbaines et sociales, comme Les derniers jours d’une ville de Tamer El Said, démontre un intérêt pour l’espace contemporain et ses transformations. Le Caire devient alors un personnage à part entière, et les histoires qui s’y déroulent reflètent les mutations de la société, les tensions individuelles et collectives, ainsi que les nouvelles formes de vie dans la métropole. De même, Les femmes du Caire met en avant des perspectives féminines et des personnages marginalisés, soulignant que le cinéma égyptien contemporain accorde une importance croissante à la diversité des voix et à la représentation des réalités sociales complexes.

CIFF 2025 FIPRESCI 
Cinéma égyptien
CIFF 2025 FIPRESCI Cinéma égyptien

Enfin, ce classement met en évidence un équilibre entre films audacieux et œuvres accessibles, montrant que le cinéma égyptien du XXIᵉ siècle sait allier innovation artistique et dialogue avec le public. Cette sélection témoigne de la vitalité et de la diversité du cinéma égyptien, capable de naviguer entre tradition et modernité, entre succès national et reconnaissance internationale, tout en continuant à documenter et à interroger les transformations sociales et culturelles de la société contemporaine.

Une initiative qui s’inscrit dans l’histoire du festival et de la critique

Fondé en 1976, le Festival international du film du Caire reste le seul festival arabe et africain classé en catégorie « A » par la FIAPF (Fédération internationale des associations de producteurs de films), statut qu’il partage avec les plus grands rendez-vous cinématographiques mondiaux. Ce projet s’inscrit ainsi dans sa mission de valorisation du patrimoine cinématographique tout en accompagnant les évolutions du cinéma contemporain.

De son côté, la FIPRESCI, créée en 1925 à Bruxelles, regroupe aujourd’hui les associations nationales de critiques de plus de cinquante pays et des membres individuels d’une quarantaine d’autres. Sa vocation est de défendre la critique cinématographique et de promouvoir la culture du cinéma à l’échelle internationale.

Avec cette sélection, la FIPRESCI, l’EFCA et le CIFF offrent un panorama inédit du cinéma égyptien de ce début de siècle, un outil de mémoire et de transmission qui invite à relire un quart de siècle de création à travers le regard exigeant des critiques. L’ouvrage et les débats à venir devraient nourrir une réflexion approfondie sur la vitalité d’un cinéma en perpétuel dialogue avec son histoire et son présent.

Voici le classement complet établi par les critiques

  1. I Love Cinema (2004) — Osama Fawzy
  2. Les messages de la mer (2010) — Daoud Abdel Sayed
  3. Le Citoyen, l’indic et le voleur (2001) — Daoud Abdel Sayed
  4. La Porte du soleil (2004) — Yousry Nasrallah
  5. L’appartement d’Héliopolis (2007) — Mohamed Khan
  6. Nuits blanches (2003) — Hani Khalifa
  7. Les Meilleurs moments (2004) — Hala Khalil
  8. Microphone (2011) — Ahmad Abdalla Elsayed
  9. Ibrahim El Abyad (2009) — Mawran Hamed
  10. Immeuble Yacoubian (2006) — Mawran Hamed
  11. Le Magicien (2001) — Radwan El-Kashef
  12. Les derniers jours d’une ville (2016) — Tamer El Said
  13. Son Excellence le Ministre (2002) — Samir Seif
  14. Les femmes du Caire (2009) — Yousry Nasrallah
  15. Sortir au jour (2012) — Hala Lotfy
  16. Les Portes fermées (2001) — Atef Hatata
  17. Plumes (2021) — Omar Zohairy
  18. L’Aquarium (2008) — Yousry Nasrallah
  19. Chercher une issue pour M. Rambo (2025) — Khaled Mansour
  20. Hiyam, la fille de l’usine (2014) — Mohamed Khan
  21. Un-zéro (2009) — Kamlah Abu-Zikri
  22. Temps libre (2006) — Mohammed Moustafa
  23. L’Île (2007) — Sherif Arafa
  24. Abu Zaabal 89 (2025) — Bassam Mortada
  25. Le Chaos (2007) — Youssef Chahine & Khaled Youssef

Neïla Driss

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CIFF 2025 — Hommage à quatre maîtres du cinéma mondial

À l’occasion de sa 46ᵉ édition, qui se tient du 12 au 21 novembre 2025, le Festival international du film du Caire rend hommage à quatre grandes figures du cinéma égyptien, arabe et international à travers ses Career Achievement Awards (Prix pour l’ensemble de la carrière) dont le trophée, la Pyramide d’or, est remis chaque année à des figures majeures du cinéma mondial. Mohamed Abdel Aziz, Mahmoud Abdel Samie, Ildikó Enyedi et Hiam Abbass seront ainsi célébrés pour l’ensemble de leur œuvre, leurs contributions à l’art cinématographique et leur influence durable sur plusieurs générations de cinéastes. Par cette quadruple distinction, le CIFF affirme à la fois son enracinement dans le patrimoine du cinéma égyptien et sa vocation universelle à mettre en dialogue les expériences du monde.

Mohamed Abdel Aziz, l’artisan de la comédie sociale

Figure majeure du cinéma égyptien depuis les années 1970, Mohamed Abdel Aziz a bâti une œuvre profondément populaire sans jamais renoncer à l’exigence artistique. Formé à l’école des grands maîtres dont il fut l’assistant — notamment sur Cairo 30 (1966), Mon père sur l’arbre/My Father Above the Tree (1969), We Do Not Sow Thorns (1970) ou Palabres sur le Nil/Chatter on the Nile (1971) —, il fait ses débuts de réalisateur avec Images interdites/Forbidden Photos (1972), l’un des derniers films en noir et blanc de l’histoire du cinéma égyptien.

Ce qui distingue Mohamed Abdel Aziz, c’est cette alliance rare entre réalisme social et humour, un art de capter les contradictions du quotidien à travers la légèreté apparente de la comédie. Ses films emblématiques, tels En été, il faut aimer/In Summer, We Must Love (1974), Un monde de gosses/The World of Kids (1976) ou Mille baisers et un baiser/Thousand Kisses, and a Kiss (1977), ont contribué à renouveler le genre, en lui insufflant une sensibilité à la fois populaire et critique. Sa longue collaboration avec Adel Imam a donné naissance à des classiques intemporels, de Certains se marient deux fois/Some Visit the Marriage Registrar Twice (1978) à Hanafi le Magnifique/Hanfi the Pasha (1990), en passant par Méfie-toi de tes voisins/Watch Out for Your Neighbors (1979).

Souvent comparé à Fatin Abdel Wahab, pionnier de la comédie égyptienne, Mohamed Abdel Aziz s’en distingue pourtant par une approche plus rigoureuse, presque perfectionniste. Ses collègues l’avaient surnommé “le dictateur du plateau” pour son obsession du détail et son exigence de précision. Parallèlement au cinéma, il s’est illustré au théâtre (Mohamed Ali Street, 1991 ; Afrotto, 1999) et à la télévision (A Day of Honey, A Day of Onions, 1998 ; Abu Dahka Genan, 2009, biopic d’Ismail Yassine). En enseignant à l’Institut supérieur du cinéma, il a transmis son savoir à toute une génération. Son nom incarne ainsi l’idée d’un cinéma égyptien total, capable de faire rire, réfléchir et durer.

CIFF 2025
Prix pour l’ensemble de la carrière

Mahmoud Abdel Samie, l’œil du réel

S’il est une figure plus discrète mais essentielle du septième art égyptien, c’est bien Mahmoud Abdel Samie, chef opérateur et documentariste d’exception, dont la carrière s’étend sur plus d’un demi-siècle. Diplômé en 1966 de la Faculté des arts appliqués, il a tourné plus de 200 documentaires et participé à la construction visuelle du cinéma égyptien moderne.

Mahmoud Abdel Samie a accompagné l’histoire du pays avec sa caméra. Il fut le premier directeur de la photographie à entrer sur le front durant la guerre d’usure en juillet 1969, puis à filmer les jours décisifs qui précédèrent la victoire d’octobre 1973. Engagé dans le mouvement du Nouveau Réalisme égyptien, il a signé les images de films marquants comme Houseboat No. 70, The Piper, A Love Story’s Last Chapter ou The Hooligans. Son regard, toujours attentif à la lumière du quotidien, a su traduire le vécu d’un peuple avec une vérité sans emphase.

Président actuel de la Société du film du Caire et de son festival annuel, Mahmoud Abdel Samie est aussi un pédagogue reconnu, formant depuis les années 1960 des générations de chefs opérateurs et de réalisateurs. En lui décernant un Career Achievement Award (Prix pour l’ensemble de la carrière), le CIFF salue autant le témoin que le créateur, celui qui a su faire du documentaire une écriture du réel aussi noble que la fiction.

CIFF 2025
Prix pour l’ensemble de la carrière

Ildikó Enyedi, l’éloge de la sensibilité et du mystère

Sur le plan international, le festival distingue cette année la cinéaste hongroise Ildikó Enyedi, dont l’œuvre rare et poétique a marqué les festivals du monde entier. Dès son premier long métrage, Mon 20e siècle lauréat de la Caméra d’or à Cannes, Ildikó Enyedi imposait un univers singulier, mêlant fantaisie et réflexion philosophique sur la modernité.

En 2017, son film Corps et âme recevait l’Ours d’or à Berlin avant d’être nommé à l’Oscar du meilleur film international. Qu’il s’agisse de Simon, le mage ou de L’histoire de ma femme, sa mise en scène explore l’intériorité, le désir et la frontière poreuse entre rêve et réalité. Son dernier film, Silent Friend, présenté à la Biennale de Venise en septembre, poursuit cette quête : celle d’un cinéma à la fois intellectuel et charnel, attentif à la beauté du monde autant qu’à sa fragilité. Ce film sera projeté en hors compétition pendant cette édition du CIFF.

Ancienne professeure à l’École de cinéma de Budapest, jurée à Cannes et dans de nombreux festivals, Ildikó Enyedi incarne la figure rare d’une cinéaste européenne qui allie pensée et émotion, sans jamais sacrifier l’un à l’autre. Le Career Achievement Award (Prix pour l’ensemble de la carrière) qui lui sera remis au Caire consacre une œuvre d’auteur profondément humaine, ouverte à l’altérité et à la poésie du geste filmique.

CIFF 2025
Prix pour l’ensemble de la carrière

Hiam Abbass, la mémoire vivante du cinéma arabe

Enfin, le CIFF célèbre Hiam Abbass, comédienne, réalisatrice et icône palestinienne dont la trajectoire symbolise le dialogue entre les cultures arabes et occidentales. Née à Nazareth en 1960, formée à la photographie et au théâtre à Jérusalem, elle s’installe à Paris à la fin des années 1980. Depuis, elle a joué dans plus d’une centaine de films et de séries, imposant une présence magnétique, à la fois fière et vulnérable.

Dans le monde arabe, elle s’est illustrée dans des œuvres majeures comme Haifa de Rashid Masharawi, La Porte du Soleil de Yousry Nasrallah ou Paradise Now de Hany Abu-Assad. À l’international, elle a collaboré avec Steven Spielberg (Munich), Tom McCarthy (The Visitor) ou encore Ridley Scott (Blade Runner 2049). Elle a également marqué la télévision avec ses rôles dans Succession et Ramy, où sa justesse donne une profondeur nouvelle aux personnages arabes dans la fiction occidentale.

Mais Hiam Abbass ne se limite pas à l’interprétation : avec son premier long métrage Héritage (2012), elle a signé une œuvre d’auteur sur la transmission, la mémoire et la quête d’identité, thèmes centraux de son parcours. En honorant cette artiste complète, le CIFF rend hommage à une figure de passage, qui relie les mondes, transcende les frontières et incarne une forme d’universalité à la fois arabe et féminine.

CIFF 2025
Prix pour l’ensemble de la carrière

Une constellation de regards

En choisissant d’honorer ces quatre personnalités, le Festival du Caire affirme sa volonté de réunir les multiples visages du cinéma : la comédie populaire et le documentaire, le réalisme social et la poésie intérieure, la transmission et la résistance culturelle. Tous partagent un même engagement : celui de croire encore au pouvoir du cinéma pour raconter le monde, le penser, et le transformer.

Ces Career Achievement Awards (Prix pour l’ensemble de la carrière) ne se contentent donc pas de saluer des carrières ; ils dessinent un portrait collectif du cinéma comme mémoire vivante, à la fois locale et universelle. Du Caire à Budapest, de Nazareth à Paris, ces destins convergent dans une même fidélité à l’art du regard — ce regard qui éclaire la complexité humaine et qui, au Caire cette année, retrouve toute sa légitimité d’être célébré.

Neïla Driss

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Golden Globes 2026 : Helen Mirren honorée par le prix Cecil B. DeMille

Les Golden Globes ont annoncé que l’actrice, productrice et triple lauréate Helen Mirren recevra le prix Cecil B. DeMille en 2026, en reconnaissance de son apport exceptionnel et durable au monde du divertissement. Le prix lui sera remis lors de la nouvelle émission annuelle en prime time intitulée « Golden Eve », diffusée le jeudi 8 janvier 2026 à 20h (ET/PT) sur CBS et en streaming sur Paramount+.

Une carrière d’exception saluée

Considérée comme l’une des plus grandes comédiennes de sa génération, Helen Mirren a marqué plus de six décennies de cinéma, de théâtre et de télévision. Récompensée à trois reprises par les Golden Globes, elle a notamment été distinguée pour ses interprétations de la reine Elizabeth II dans The Queen (2006) et d’Elizabeth I dans Elizabeth I (2005). Ces rôles emblématiques ont confirmé son talent pour incarner des figures complexes et puissantes, oscillant entre autorité, émotion et fragilité.

Lauréate d’un Oscar, de plusieurs Emmy Awards, BAFTA, SAG Awards et d’un Tony Award, Helen Mirren est l’une des rares artistes à avoir remporté les distinctions les plus prestigieuses du cinéma et du théâtre. En 2003, elle a été faite Dame de l’Empire britannique pour l’ensemble de son œuvre artistique.

Pour Helen Hoehne, présidente des Golden Globes, « Helen Mirren est une force de la nature et sa carrière est tout simplement extraordinaire. Ses performances transcendent le temps et continuent d’inspirer des générations d’artistes et de spectateurs à travers le monde. »

“Golden Eve” : une soirée dédiée à l’héritage du cinéma et de la télévision

Cette année, les Golden Globes innovent avec la création de « Golden Eve », une émission spéciale consacrée aux lauréats des prix Cecil B. DeMille et Carol Burnett, deux distinctions honorant respectivement une carrière exceptionnelle dans le cinéma et à la télévision.

Après le succès de la Golden Gala 2025, qui célébrait Viola Davis et Ted Danson, cette nouvelle formule offrira un regard inédit sur le parcours des artistes honorés, avec des images d’archives, des entretiens exclusifs et des moments marquants de leur carrière.

« Golden Eve » s’inscrira dans le cadre de la Golden Week, une série d’événements et d’émissions diffusés sur les plateformes du groupe Paramount, en prélude à la 83ᵉ cérémonie des Golden Globes, prévue le dimanche 11 janvier 2026. Cette édition sera animée par la comédienne et humoriste Nikki Glaser, déjà nommée aux Golden Globes, aux GRAMMY Awards et aux Emmy Awards.

Un prix chargé d’histoire

Créé en 1952 en hommage au réalisateur Cecil B. DeMille, le prix éponyme a depuis récompensé 69 personnalités parmi les plus illustres du cinéma mondial. Parmi elles figurent Walt Disney, Audrey Hepburn, Sidney Poitier, Judy Garland, Elizabeth Taylor, Robert Redford, Barbra Streisand, Meryl Streep, Tom Hanks ou encore Oprah Winfrey.

Son équivalent pour la télévision, le Carol Burnett Award, instauré en 2019 et attribué pour la première fois à la légendaire humoriste américaine Carol Burnett, distingue un artiste ayant marqué l’histoire du petit écran par la qualité et l’influence de son œuvre.

Une institution du cinéma mondial

Depuis 1944, les Golden Globes sont considérés comme l’une des cérémonies les plus prestigieuses d’Hollywood, honorant chaque année le meilleur du cinéma et de la télévision, et désormais du podcast. Diffusés dans plus de 185 pays, ils constituent un événement mondial surnommé « Hollywood’s Party of the Year », véritable ouverture de la saison des récompenses.

Les Golden Globes sont produits par Dick Clark Productions, société également derrière des émissions emblématiques telles que les American Music Awards, les Billboard Music Awards ou So You Think You Can Dance.

Une ouverture internationale

Ces dernières années, les Golden Globes ont profondément renouvelé leur composition en s’ouvrant à des critiques de cinéma venus du monde entier, afin de mieux représenter la diversité culturelle du public et du cinéma mondial. Cette ouverture a permis d’intégrer plus d’une centaine de nouveaux votants internationaux issus de différents continents. J’ai, pour ma part, l’honneur d’en faire partie en tant que critique tunisienne, la seule actuellement résidente en Tunisie à participer au vote des Golden Globes.

Un engagement culturel et humanitaire

Au-delà du prestige de sa cérémonie, l’organisation des Golden Globes a consacré au fil des décennies plus de 55 millions de dollars à des actions caritatives, des bourses d’études, des projets de restauration de films et des initiatives favorisant la diversité et l’accès à l’industrie du divertissement pour les communautés sous-représentées.

Un hommage attendu

L’annonce de la distinction d’Helen Mirren s’inscrit dans une longue tradition de reconnaissance du talent et de l’engagement des artistes ayant marqué durablement le septième art. À 80 ans, l’actrice britannique rejoint ainsi le panthéon des grandes figures honorées par le Cecil B. DeMille Award, symbole d’une carrière exemplaire et d’une passion inébranlable pour l’art de raconter des histoires.

Neïla Driss

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Quand le cinéma s’invite au droit — et que le droit s’interroge à travers le cinéma

Colloque international Droit et Cinéma / 31 octobre et 1er novembre 2025, Tunis

Le cinéma franchit les portes de la faculté de droit. Pendant deux jours, il s’y installe non pas comme divertissement, mais comme question, comme miroir, comme témoin. C’est cette rencontre singulière que propose le Colloque international “Droit et Cinéma”, organisé les 31 octobre et 1er novembre 2025 à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, en partenariat avec l’École Supérieure de l’Audiovisuel et du Cinéma (ESAC) et l’Initiative Normes, Culture et Patrimoine.

Le droit et le cinéma, à première vue, semblent appartenir à deux univers dissemblables : l’un repose sur la rigueur des textes, la hiérarchie des normes et la recherche d’un équilibre ; l’autre sur l’imaginaire, la subjectivité et la mise en crise des certitudes. Mais lorsque le cinéma s’invite dans le domaine du droit, il ne vient pas seulement illustrer ou raconter : il interrogedérangerévèle. Il oblige la loi à se regarder autrement, à affronter sa propre représentation, à se confronter à la perception sensible qu’en donne l’image.

C’est à ce croisement fécond entre raison et imaginaire, règle et liberté que se consacrera ce colloque, réunissant juristes, universitaires, cinéastes et critiques autour d’une même table, pour penser ensemble ce qui relie — et parfois oppose — le droit et le cinéma.

Droit et cinéma
Affiche du Colloque international “Droit et Cinéma / القانون و السينما”

Représenter le droit : entre symbole et récit

La première journée du colloque sera consacrée à la présence du droit dans la narration cinématographique. Comment la justice s’incarne-t-elle à l’écran ? Sous quels visages, quels archétypes, quelles formes de mise en scène ? De Giovanni Rizzoni (Université Luiss-Guido Carli de Rome) à Ivan Capeller (Université Fédérale de Rio de Janeiro), les chercheurs questionneront la représentation du pouvoir judiciaire, des figures d’accusés ou de juges, et les métamorphoses du procès dans le langage filmique.

Au-delà de la simple analyse des œuvres, il s’agira de comprendre ce que le cinéma fait au droit — et réciproquement. L’image, en reconfigurant la notion de vérité ou de faute, en déplaçant la frontière entre culpabilité et responsabilité, invente de nouvelles façons d’appréhender la justice. Dans un monde saturé de récits audiovisuels, cette relecture devient essentielle.

Quand le cinéma devient contre-pouvoir

Le deuxième axe du colloque, intitulé “Le cinéma, outil de propagande ou champ de critique du droit”, abordera le cinéma comme espace de résistance, de débat ou de légitimation du pouvoir.
Sous la présidence de Kamel Ben Ouanes, critique de cinéma et vice-président de l’Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique, et de Sonia Chamkhi, cinéaste et écrivaine, la réflexion portera sur le rapport ambivalent entre cinéma et institution : comment le film peut-il être à la fois instrument de pouvoir et arme critique ?

Des communications venues d’Italie, du Canada, de Tunisie et de France évoqueront la jurisprudence visuelle autour du divorce, la représentation des peuples et des frontières, ou encore les mutations du cinéma postrévolutionnaire. Le regard du Sud, souvent minoré dans les circuits de production mondiale, sera aussi au cœur des débats : que signifie “filmer la justice” depuis des territoires où la loi est parfois inachevée, suspendue ou confisquée ?

Le droit de créer : entre libertés et contraintes

Le dernier axe, prévu le samedi 1er novembre, portera sur les vicissitudes juridiques de la création cinématographique : financement, statut des œuvres, droit d’auteur, intelligence artificielle. Autrement dit, tout ce qui façonne aujourd’hui les conditions mêmes de la production artistique.
Sous la présidence de Nouha Chaouachi et Mariam Ben Salem, la discussion s’ouvrira sur les réalités concrètes auxquelles font face les créateurs : protection des films, circulation internationale, censure, nationalité des œuvres… autant de questions cruciales à l’heure où les plateformes brouillent les frontières et où la technologie redéfinit l’idée même d’auteur.

Les communications de Géraldine Goffaux Callebaut (Université d’Orléans), Aïda Caïd Essebsi (Faculté des Sciences Juridiques de Tunis) et Ghazi Gherairi (Initiative Normes, Culture et Patrimoine) interrogeront la manière dont le droit peut — ou non — accompagner ces mutations sans trahir l’esprit de la création.

Thémis et l’objectif

L’affiche du colloque en dit déjà long : une statue de Thémis, déesse grecque de la justice, les yeux bandés, tenant d’une main la balance et de l’autre… une caméra.
Thémis, dans la mythologie grecque, incarne la loi naturelle, la mesure et la sagesse. Elle est cette figure qui veille sur l’équilibre entre l’ordre et la morale. Son bandeau symbolise l’impartialité, sa balance la recherche d’équité, son glaive l’autorité de la loi.
Mais ici, Thémis ne tient plus seulement les attributs du jugement : elle adopte aussi le regard du cinéma. En remplaçant son glaive par une caméra, l’image suggère un déplacement subtil — celui d’une justice qui s’ouvre à la perception, à l’émotion, à la pluralité des points de vue.

En associant l’icône du droit à l’instrument du regard, l’affiche traduit l’ambition de ce colloque : montrer que le cinéma peut rendre la justice plus humaine, et que le droit peut donner sens à l’image.

Droit et cinéma
Programme

Droit et cinéma
Programme

Entre cadre et liberté : une réflexion ouverte

Ce colloque, par son approche transversale, dépasse le cadre académique : il invite à repenser la justice comme expérience sensible. À travers l’image, le son, le récit, le cinéma dit ce que le droit tait : les émotions, les injustices, les zones d’ombre. En retour, le droit, par sa rigueur et son langage, impose au cinéma un contrepoint, une structure, parfois une limite salutaire.

Entre la balance de Thémis et l’objectif de la caméra, il y a cette même quête d’équilibre — entre vérité et représentation, entre norme et liberté.
Et peut-être est-ce là, dans cette tension, que se loge la véritable rencontre : celle d’un droit qui apprend à écouter les images, et d’un cinéma qui redonne au droit un visage, une voix, une conscience.

📅 31 octobre et 1er novembre 2025
📍 Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
🎬 Entrée libre — conférences, projections et débats ouverts au public

Neïla Driss

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Ces films sur la Palestine que les distributeurs américains refusent de voir

Le silence après l’ovation

Il y a parfois des silences qui en disent long. Cet automne, à la Mostra de Venise, La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania a bouleversé le public, recevant une ovation de près de vingt-quatre minutes, un record pour ce festival. Le film retrace l’histoire d’Hind, une fillette palestinienne tuée à Gaza en 2024, après avoir supplié en vain les secours de venir la sauver alors qu’elle était piégée dans une voiture sous les tirs israéliens. Mais à peine les applaudissements retombés, le silence d’Hollywood s’est imposé. Aucun grand distributeur américain n’a voulu acquérir le film, pourtant ayant comme producteurs exécutifs Brad Pitt, Joaquin Phoenix et Rooney Mara, et choisi par la Tunisie pour représenter le pays aux Oscars.

« Personne ne dit qu’il a peur », confie la réalisatrice. « Mais on sent la gêne. C’est comme si parler d’un enfant palestinien tué était devenu un sujet qu’il faut contourner. »

Des films sur la Palestine célébrés, mais sans marché

Son constat illustre une réalité plus large. Quatre films qui racontent la Palestine de 1936 à 2024 — All That’s Left of You de Cherien Dabis, Palestine 36 d’Annemarie Jacir, The Sea de Shai Carmeli-Pollak et La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania — cherchent aujourd’hui à percer dans la course aux Oscars. Tous ont été acclamés dans les festivals internationaux, tous ont ému les spectateurs, tous ont récolté des prix, et aucun n’a réussi à franchir la barrière du marché américain.

Les distributeurs américains, interrogés anonymement, avancent des arguments de façade : plannings surchargés, budgets marketing insuffisants, ou craintes d’un public peu réceptif. Mais ces raisons ne tiennent pas face à l’évidence. Ce qui freine, ce n’est ni la langue ni la qualité des films : c’est leur sujet. Dans un Hollywood fragmenté, où chaque mot sur le Moyen-Orient devient explosif, la peur de se positionner a remplacé le courage artistique.

Des jurys courageux face à l’autocensure des distributeurs

Pourtant, sur la scène internationale, les jurys des grands festivals ont, eux, tranché selon le seul critère du cinéma. La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania a remporté neuf prix à Venise, dont le Lion d’Argent, ainsi que d’autres distinctions à San Sebastian, Chicago, Gand et Hamptons. All That’s Left of You de Cherien Dabis a été récompensé à San Francisco, Shanghai, Sydney et Hamptons, tandis que The Sea de Shai Carmeli-Pollak a reçu deux prix au festival de Jérusalem. Ces films, célébrés partout où ils ont été projetés, rappellent que la reconnaissance critique et artistique n’est pas en cause : ce qui coince, c’est l’accès au marché américain.

Les ovations et récompenses obtenues témoignent que, là où le courage artistique persiste, le public et les jurys savent reconnaître et récompenser le talent.

La question se pose désormais : que feront les électeurs des grandes compétitions comme les Golden Globes ou les Oscars ? Voteront-ils pour ces films et leur décerneront-ils, eux aussi, les prix qu’ils méritent ? Ou céderont-ils, à leur tour, à la frilosité ambiante qui réduit la Palestine au silence ?

Le climat de peur à Hollywood

Depuis deux ans, le conflit à Gaza a provoqué une fissure profonde dans l’industrie. D’un côté, plus de 5 000 professionnels ont signé un appel au boycott des institutions israéliennes ; de l’autre, les grands studios — Paramount, Warner Bros. — ont publiquement condamné cette initiative, préférant afficher leur neutralité. Entre les deux, une majorité silencieuse se tait, craignant de compromettre sa carrière ou son image. Javier Bardem, portant un keffieh aux Emmy Awards, a dénoncé la guerre, pendant qu’Amy Schumer, sur Instagram, plaidait pour les otages israéliens. Chaque geste devient un signal politique.

Dans ce climat hyperpolarisé, les distributeurs se trouvent en première ligne : acheter un film sur la Palestine, c’est risquer une campagne de dénigrement en ligne, voire des menaces de boycott. À Hollywood, tout est image — et tout se calcule. Les films deviennent des dossiers sensibles, des « projets à évaluer plus tard », comme si leur existence même posait problème.

Le public, lui, ne fuit pas

Et pourtant, le public, lui, ne fuit pas. L’an dernier, le documentaire No Other Land de Yuval Abraham, Basel Adra et Hamdan Ballal (Oscar 2025 du meilleur documentaire), qui racontait la vie d’une communauté palestinienne en Cisjordanie occupée, n’avait trouvé aucun distributeur. Ses producteurs ont décidé de le sortir eux-mêmes en salles américaines : il a rapporté 2,5 millions de dollars, devenant l’un des documentaires les plus vus de l’année. Mieux encore, les réalisateurs ont refusé une offre d’une grande plateforme, par souci d’éthique, refusant d’associer leur œuvre à des capitaux liés à l’industrie militaire israélienne.

Les initiatives indépendantes comme dernier refuge

Ces initiatives indépendantes sont devenues le dernier refuge d’un cinéma que les grands circuits jugent « trop risqué ». En 2024, les frères palestino-américains Hamza et Badi Ali ont fondé Watermelon Pictures, une société de distribution installée à Chicago, destinée à offrir une vitrine aux films arabes et palestiniens rejetés par les studios. Avec la mannequin Alana Hadid comme directrice artistique, ils ont déjà pris sous leur aile All That’s Left of You et Palestine 36. Les deux films ont reçu des ovations, des critiques élogieuses, et pourtant, aucune offre venue de Los Angeles.

« Dès qu’on parle de Palestine, la conversation se bloque », explique Hamza Ali. « On nous écoute poliment, puis on nous renvoie vers des supérieurs hiérarchiques. Rien n’avance. »

Le pouvoir du récit

Derrière cette frilosité se cache une vérité dérangeante : dans l’industrie du cinéma comme ailleurs, le pouvoir de raconter dépend de qui détient le micro. Aujourd’hui plus que jamais, le narratif est central. Contrôler le récit, c’est orienter l’empathie, fixer les symboles, dessiner la mémoire collective. Empêcher une histoire palestinienne de circuler, c’est aussi empêcher l’existence d’une perspective plurielle dans l’espace public.

Les cinéastes palestiniens et arabes ne demandent pas la complaisance ; ils réclament la possibilité d’être entendus. Chaque film est une voix, une mémoire, une humanité. Dans un monde saturé d’images, priver quelqu’un du droit de raconter sa propre histoire, c’est lui refuser une part d’existence. Le récit n’est pas un simple instrument politique : il est le moyen par lequel des vies rencontrent d’autres vies.

Quand d’autres voix se lèvent ailleurs

Si Hollywood, par peur du contrecoup, choisit le silence, d’autres acteurs — festivals, distributeurs indépendants, collectifs d’artistes — s’efforcent, ailleurs, de rouvrir les espaces que l’industrie verrouille. Face à la frilosité des studios américains, ces initiatives rappellent que le cinéma n’est pas seulement un produit à vendre, mais un langage universel, capable de traverser les frontières que d’autres voudraient dresser. Lors de la dernière Mostra de Venise, le collectif Venise4Palestine a fait entendre cette voix collective, refusant que la Palestine reste confinée aux marges du récit mondial. Rassemblant cinéastes, techniciens et artistes venus de tous horizons, il a investi l’espace public du festival — projections, marches, interventions symboliques — pour rappeler que le cinéma, avant d’être un marché, est un lieu de mémoire et de résistance.

Ces gestes, souvent modestes, ont pourtant un poids immense. Ils rappellent qu’un film peut encore être un acte de courage, un moyen d’exister dans un monde saturé de récits qui excluent. À l’inverse du silence hollywoodien, ces voix affirment que raconter, c’est déjà agir. Car le cinéma, dans sa forme la plus essentielle, est un outil de transmission et de lien : il construit une mémoire partagée, forge l’empathie, et inscrit dans l’histoire celles et ceux que l’on voudrait effacer. La question n’est donc pas de savoir qui détient la vérité, mais de permettre à chacun.e de faire parvenir sa voix. L’universalité du cinéma tient à cela : sa capacité à rendre visibles des mondes effacés, à offrir un espace commun à des récits longtemps étouffés, et à rappeler que toute image, avant d’être politique, est un droit à l’existence.


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El Gouna 2025 – « Where the Wind Comes From » sacré Meilleur film de fiction arabe

Hier soir, lors de la cérémonie de clôture de la 8ᵉ édition du Festival international du film d’El Gouna, le film tunisien Where the Wind Comes From, réalisé par Amel Guellaty, a remporté l’Étoile d’El Gouna du Meilleur film de fiction arabe.

Cette récompense vient distinguer le premier long métrage de la réalisatrice tunisienne, produit par Asma Chiboub pour Yol Film (Tunisie) et Karim Aïtouna pour Haut les Mains Productions (France), en coproduction avec le Doha Film Institute (Qatar). Le film, d’une durée d’environ 100 minutes, est interprété par Eya Bellagha et Slim Baccar dans les rôles principaux.

Présenté pour la première fois en janvier 2025 au Festival de Sundance dans la section World Cinema Dramatic Competition, Where the Wind Comes From a ensuite figuré dans plusieurs festivals internationaux, notamment à Rotterdam et à La Valette, où il avait remporté le Golden Bee Award du meilleur long métrage ainsi que le prix de la meilleure interprétation féminine pour Eya Bellagha. Sa sélection à El Gouna, en compétition pour les films de fiction arabes, a confirmé la reconnaissance croissante du film sur la scène régionale.

Le récit suit deux jeunes Tunisiens, Alyssa, 19 ans, et Mehdi, 23 ans, qui quittent Tunis pour se rendre à Djerba afin de participer à un concours de dessin. Ce voyage devient pour eux une manière d’explorer leur rapport au monde, à la liberté et à leurs propres choix. Le film se déroule principalement sur les routes du sud tunisien et aborde, à travers ce déplacement, les aspirations et les contradictions d’une jeunesse tunisienne contemporaine.

Where the Wind Comes From se distingue par une approche réaliste, ancrée dans la société tunisienne d’aujourd’hui, tout en laissant place à des moments de respiration et de contemplation. Amel Guellaty, également scénariste du film, y prolonge les thématiques qu’elle avait amorcées dans ses courts métrages, autour du passage à l’âge adulte et du rapport entre la jeunesse et son environnement social.

Avec cette Étoile d’El Gouna, le film rejoint la liste des œuvres arabes primées par le festival depuis sa création, confirmant la présence du cinéma tunisien dans les principales manifestations de la région.

Neïla Driss

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CIFF 2025 – Cairo Classics, Quand la mémoire du cinéma devient un acte de résistance culturelle

Après le succès rencontré par les deux précédentes éditions, le Festival international du film du Caire poursuit cette année encore son entreprise de sauvegarde et de transmission du patrimoine cinématographique mondial. En recréant la section Cairo Classics, le festival ne se contente pas d’honorer des chefs-d’œuvre anciens : il affirme la conviction que préserver la mémoire du cinéma est aussi un geste politique et artistique, une manière de rappeler que chaque film, restauré ou redécouvert, raconte l’histoire d’une époque, d’un regard et d’un pays.

Cette section, initiée pour replacer le cinéma égyptien et international dans une perspective patrimoniale, s’est rapidement imposée comme l’un des piliers du CIFF. Elle incarne l’idée d’un dialogue entre passé et présent : un espace où le spectateur d’aujourd’hui peut mesurer la force d’un art capable de traverser les décennies sans perdre de sa modernité. Le festival, fidèle à son ambition de préserver à la fois la mémoire du cinéma égyptien et celle du cinéma mondial, propose cette année une programmation éclectique, mêlant chefs-d’œuvre restaurés et redécouvertes inattendues.

Un dialogue entre continents et générations

La sélection Cairo Classics 2025 met en lumière cinq œuvres d’horizons très différents, réunies par un même souci de mémoire et d’humanité. Des États-Unis à la France, en passant par l’Irak, chaque film illustre une manière singulière de raconter l’homme dans son rapport au monde et à l’Histoire.

The Citizen (États-Unis, 2012) de Sam Kadi, propose une réflexion poignante sur l’identité et l’exil. L’histoire de ce jeune Arabe arrivé à New York le 10 septembre 2001, à la veille des attentats, prend aujourd’hui une résonance particulière. Sam Kadi y dépeint le parcours d’un homme que l’Histoire dépasse, prisonnier d’un système où la citoyenneté devient un privilège précaire. Restauré pour cette édition, le film retrouve la puissance émotionnelle de son propos initial : interroger le rêve américain à travers le regard de l’autre.

Autre regard sur l’humanité, The Elephant Man (États-Unis, 1980) de David Lynch reste un monument du cinéma moderne. Le festival présente une copie restaurée de ce chef-d’œuvre qui, sous son noir et blanc somptueux, raconte la dignité retrouvée d’un homme difforme exploité dans les foires victoriennes. À travers la figure bouleversante de John Merrick, Lynch questionne la cruauté d’une société fascinée par la monstruosité. En replaçant ce film dans la programmation du CIFF, les organisateurs rappellent combien la compassion et la différence constituent des thèmes universels, qui traversent toutes les cultures et toutes les époques.

Plus inattendu, Moi qui t’aimais/C’est Si Bon! (France, 2025) de Diane Kurys rejoint probablement la section en raison de son sujet : la passion tumultueuse entre Yves Montand et Simone Signoret, couple mythique du cinéma français. Inspiré de faits réels, le film se concentre sur leur relation et sur la dimension émotionnelle de cette histoire. Sa sélection dans Cairo Classics illustre la volonté du festival d’inclure, dans sa programmation patrimoniale, des œuvres récentes qui évoquent des figures ou des moments marquants de l’histoire du cinéma.

Autre rareté, Sa’eed Effendi (Irak, 1956) de Kamiran Hasni, considéré comme l’un des premiers grands films du cinéma irakien, sera projeté dans une copie restaurée. Situé dans le Bagdad des années 1950, le film dépeint avec justesse les tensions sociales et familiales d’un quartier populaire. À travers le conflit entre un instituteur et son voisin cordonnier, Hasni brosse un tableau sensible d’un monde où la dignité des classes modestes se heurte à la rigueur des traditions.

Enfin, le festival rend hommage une nouvelle fois à David Lynch avec The Short Films of David Lynch (États-Unis, 2002), compilation de courts métrages réalisés entre 1967 et 1995. Ces œuvres, souvent expérimentales, révèlent les obsessions esthétiques du cinéaste – la texture du son, la matière du rêve, l’angoisse du quotidien – et permettent de comprendre la genèse d’une œuvre majeure. Leur présentation au Caire, sous la forme d’un programme restauré et commenté par Lynch lui-même, offre une plongée fascinante dans l’univers mental d’un créateur qui a su transformer la marginalité en poésie visuelle.

Les classiques égyptiens : un miroir de l’histoire et de la société

La section Cairo Classics du CIFF 2025 consacre une place majeure au patrimoine égyptien, offrant un panorama exceptionnel du cinéma du pays, des années 1950 aux années 1970, mais incluant également des œuvres emblématiques des décennies suivantes. La sélection rend hommage à la richesse et à la diversité de la production égyptienne, allant des grands drames sociaux et familiaux aux réflexions historiques et artistiques, en passant par le cinéma d’introspection et de critique politique. Vingt-quatre films restaurés sont ainsi présentés, signés par les maîtres du cinéma égyptien tels que Youssef Chahine, Salah Abu Seif, Kamal El Sheikh, Hussein Kamal, Henry Barakat, Ezz El-Dine Zulficar, Hassan al-Imam ou Hossam El-Din Mostafa.

Parmi les œuvres emblématiques, Une Femme sur la route (Ezz El-Dine Zulficar, 1958) explore les tensions familiales et les conflits de loyauté dans un contexte social marqué par les inégalités et la rivalité fraternelle. Crime dans un quartier calme (Hossam El-Din Mostafa, 1967) place le spectateur dans une intrigue politique où l’engagement et le devoir personnel se confrontent aux événements tragiques de l’histoire. L’Impasse des Deux-Palais (Hassan al-Imam, 1964), première partie de la trilogie adaptée de Naguib Mahfouz, retrace la vie d’Ahmad Abd al-Jawad et de sa famille avant la Révolution de 1919, offrant une observation fine des rapports familiaux, sociaux et politiques de l’époque. Khan al-Khalili (Atef Salem, 1966) met en scène la vie quotidienne dans le célèbre quartier cairote, mêlant drame familial et tensions sociales.

La programmation inclut également des œuvres majeures de Youssef Chahine, offrant des perspectives différentes sur le rôle de l’artiste et de l’histoire. Alexandrie encore et toujours (1989) revient sur la situation du cinéma égyptien à la fin des années 1980, mêlant fiction et réalité à travers le regard du réalisateur et ses interactions avec les acteurs et les créateurs. L’émigré(1994), quant à lui, transpose le mythe biblique de Joseph dans l’Égypte ancienne, explorant des questions de foi, de savoir et de destinée humaine, tout en donnant une dimension épique et spirituelle à l’œuvre. Ces gens du Nil (1972) relie, de manière plus contemporaine, des trajectoires individuelles aux grands projets nationaux, ici le détournement du Nil, questionnant la relation entre idéal et progrès.

Les films de Salah Abu Seif témoignent de son engagement critique et social : Cairo 30 (1966), adaptation du roman de Mahfouz, expose la corruption et les compromis moraux d’une société en mutation, tandis que La Seconde Épouse (1967) dénonce l’oppression patriarcale dans les villages et les rapports de force liés aux héritages et aux traditions.Le Mendiant  (Hossam El-Din Mostafa, 1973) offre un portrait existentiel d’un homme confronté au vide moral et aux contradictions d’une société en crise. Des films comme L’Impossible (Hussein Kamal, 1965) ou Le Mirage (Anwar al-Shanawi, 1970) mettent en lumière l’articulation entre destin individuel et contraintes sociales, où les relations personnelles se heurtent aux conventions et à l’autorité familiale ou sociale.

D’autres œuvres interrogent le pouvoir et ses excès : Un soupçon de peur  (Hussein Kamal, 1969) dépeint une tyrannie villageoise qui devient allégorie d’un pouvoir oppressif, Crépuscule et Aurore  (Kamal El Sheikh, 1970) plonge dans les intrigues et les conflits de pouvoir à la veille de la Révolution, et Les Grives et l’Automne (Hossam El-Din Mostafa, 1967) illustre les désillusions personnelles après les bouleversements politiques.

Les classiques du réalisme et de l’humanisme égyptien sont également au programme : Le Péché (Henry Barakat, 1965) raconte la difficulté d’une jeune paysanne à protéger son enfant après une agression, exposant la pauvreté, la morale sociale et la condition des femmes ; La Lampe à huile  (Kamal Attia, 1968) confronte science moderne et croyances populaires dans le quartier de Sayyida Zainab ; Voie sans issue (Hossam El-Din Mostafa, 1964) et Les Assassins (Ashraf Fahmy, 1971) explorent la justice, la trahison et les choix moraux complexes. L’Homme qui a perdu son ombre  (Kamal El Sheikh, 1968) et Le Palais du désir (Hassan al-Imam, 1967) poursuivent la réflexion sur le destin, les héritages familiaux et la quête de liberté individuelle, tandis que Ma femme et le chien  (Said Marzouk, 1971),  Ma femme est PDG (Fatin Abdel Wahab, 1966) et Nuit et Barreaux  (Ashraf Fahmy, 1973) abordent des contextes plus intimes, sociaux ou symboliques, centrés sur les relations, la jalousie, la modernité et le désir de justice.

Le patrimoine comme horizon

Dans un monde où le cinéma est souvent soumis à la logique du flux et de l’oubli, la section Cairo Classics agit comme un contre-champ salutaire. Elle replace le film dans le temps long, celui de la mémoire et de la réévaluation. Chaque projection devient une conversation entre hier et aujourd’hui, un acte de résistance face à la disparition culturelle. Cette année, plus encore, le CIFF confirme que préserver le patrimoine, c’est aussi le faire vivre : en reliant David Lynch à Kamiran Hasni, Diane Kurys à Youssef Chahine, Sam Kadi à Salah Abu Seif, le festival tisse une cartographie du cinéma mondial où chaque œuvre, qu’elle vienne de Paris, Bagdad ou du Caire, raconte la même chose : le besoin universel de témoigner, d’aimer et de comprendre. Le passé, au Caire, n’est jamais figé : il respire, se projette, et éclaire notre présent.

C’est également dans cette perspective que le festival inscrit la question de la restauration numérique au cœur de ses Cairo Industry Days. Deux initiatives majeures y sont consacrées cette année :

D’abord, un panel intitulé Restaurer le patrimoine visuel du cinéma arabe, organisé en partenariat avec Coventry University. Ce rendez-vous met en lumière la restauration numérique comme un art autant qu’une mission culturelle : redonner vie à l’identité visuelle du cinéma arabe et préserver son héritage pour les générations futures. Les échanges porteront sur les techniques modernes de restauration, la coopération internationale et la transmission des savoirs. Seront notamment évoqués la restauration d’œuvres emblématiques comme Saeed Afandi, la formation des nouvelles générations et la nécessité d’équilibrer production contemporaine et sauvegarde des classiques.

Un atelier de formation sur la restauration numérique complète cette démarche. Dirigé par Mounir Al Mahmoud, Ossen El Sawaf et Idir Ben Slama, il offre une immersion dans les processus, outils et principes éthiques de la restauration numérique. De la numérisation des éléments originaux à la correction des défauts d’image et de son, en passant par la fidélité chromatique et la préservation de l’intégrité artistique, cet atelier illustre la volonté du CIFF de faire de la restauration un pilier durable de la renaissance visuelle du cinéma arabe.

Neïla Driss

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RSIFF 2025 – Trésors du cinéma restauré

Depuis quelques années, les plus grands festivals de cinéma accordent une place croissante aux sections consacrées aux films restaurés et aux trésors du patrimoine mondial. À Cannes, Venise ou Berlin, ces programmations dites « Classics » ou « Treasures » sont devenues des rendez-vous incontournables : elles ne se limitent plus à la nostalgie, mais incarnent la continuité même du cinéma, sa mémoire vive. En redonnant vie à des œuvres oubliées ou fragilisées par le temps, elles rappellent que la préservation du patrimoine n’est pas seulement un acte de sauvegarde, mais aussi un geste de transmission. Montrer un film restauré, c’est offrir à de nouvelles générations la possibilité de voir — souvent pour la première fois sur grand écran — des images fondatrices, des voix et des émotions qui ont façonné l’histoire du septième art. C’est aussi replacer ces œuvres dans un présent qui, sans elles, perdrait une part essentielle de sa culture et de sa sensibilité.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit désormais le Festival international du film de la mer Rouge, dont la 5ᵉ édition se tiendra à Djeddah du 4 au 13 décembre 2025. En seulement quelques années, l’événement s’est imposé comme un acteur central dans la redécouverte et la valorisation du cinéma d’hier, en particulier dans le monde arabe. Sa section Treasures (Trésors), devenue emblématique, réunit cette année six films majeurs, arabes et internationaux, minutieusement restaurés, et proposera, pour la première fois en Arabie saoudite, une projection de films muets accompagnée en direct.

Pensé comme un hommage vibrant aux archives vivantes du septième art, le programme Treasures offre au public l’occasion rare de redécouvrir des œuvres devenues légendaires, sublimées par les restaurations les plus récentes. Faisal Baltyuor, directeur général de la Red Sea Film Foundation, en résume la philosophie : « Cette année, Treasures met en lumière de véritables légendes du cinéma, des moments et des performances devenus immortels, recréés pour les spectateurs saoudiens et internationaux. Chacun de ces films a marqué une étape importante lors de sa sortie initiale, et c’est un honneur particulier pour nous d’avoir contribué à la restauration de deux des œuvres les plus mémorables d’Oum Kalthoum, dans le cadre de notre engagement constant à offrir le meilleur du cinéma à l’Arabie saoudite. »

L’héritage d’Oum Kalthoum magnifié par la restauration

Parmi les joyaux de cette sélection figurent deux films légendaires du patrimoine égyptien, Aïda (1942) et Nashid al-Amal (Le Chant de l’Espoir, 1937), tous deux réalisés par Ahmed Badrakhan et portés par la voix et la présence inégalables d’Oum Kalthoum, véritable icône du monde arabe. Restaurés en 4K grâce à la collaboration entre la Red Sea Film Foundation et Egypt Media City, ces films seront projetés pour la première fois dans leurs nouvelles versions au festival.

Dans Aïda, Oum Kalthoum incarne la fille d’un modeste fermier, amoureuse de Sami, un jeune noble. Leur relation, condamnée par les barrières de classe, se heurte au refus du père de ce dernier, un pacha inflexible. Mais tout bascule lorsque celui-ci, assistant à une représentation musicale d’Aïda, est bouleversé par sa voix et finit par accepter leur union. Ce mélodrame romantique est aussi une réflexion sur la société égyptienne de l’époque, traversée par les tensions entre classes sociales et les aspirations individuelles.

Le Chant de l’Espoir explore, quant à lui, un dilemme plus intime et profondément féminin. Oum Kalthoum y interprète Amal, une jeune femme talentueuse, écartelée entre son amour et son ambition artistique. Contrainte de choisir entre sa carrière de chanteuse et les attentes d’une société patriarcale, Amal incarne le conflit douloureux entre devoir social et liberté personnelle. Derrière cette intrigue mélodramatique se dessine la figure d’une femme qui, dans la vie réelle comme à l’écran, n’a jamais cessé de défier les conventions pour imposer sa voix dans un monde dominé par les hommes.

RSIFF 2025 Treasures
Oum Kalthoum dans le film Le Chant de l’Espoir, 1937

Spellbound : Hitchcock et le pouvoir du rêve

Le programme met également à l’honneur un chef-d’œuvre du cinéma mondial : Spellbound (La Maison du Docteur Edwardes, 1945) d’Alfred Hitchcock, récemment restauré par Walt Disney Studios en association avec The Film Foundation, avec la participation de l’Academy Film Archive et le soutien de Martin Scorsese et Steven Spielberg. Ce thriller psychologique, produit par David O. Selznick, témoigne de la fascination du producteur pour la psychanalyse, sujet encore peu abordé à Hollywood dans les années 1940.

Sur le tournage, Selznick imposa même la présence de son propre psychanalyste en tant que conseiller, au grand dam du réalisateur. Le film est également célèbre pour la séquence onirique imaginée par Salvador Dalí, dont il ne subsiste que deux minutes dans la version finale, mais qui demeure un moment d’anthologie du cinéma surréaliste.

Porté par Ingrid Bergman et Gregory Peck, Spellbound explore la frontière trouble entre culpabilité et folie, raison et désir. Sa projection au Festival de la mer Rouge marquera la première présentation publique de cette restauration de 2024.

Le Grand Bleu : le souffle infini de Luc Besson

Autre moment fort du programme : Le Grand Bleu (The Big Blue, 1988) de Luc Besson, film culte franco-américain-italien qui fera ses débuts sur grand écran en Arabie saoudite.

Inspiré de la vie de champions d’apnée, le film raconte la rivalité fraternelle entre Jacques Mayol (Jean-Marc Barr) et Enzo Molinari (Jean Reno), deux amis d’enfance devenus plongeurs de légende. À leurs côtés, Rosanna Arquette incarne la ligne fragile entre l’amour terrestre et l’appel des profondeurs.
Réalisé à une époque où les effets spéciaux numériques n’existaient pas encore, Le Grand Bleu repose sur de véritables plongées, filmées avec une grâce et une intensité inégalées. La bande originale d’Éric Serra, aux accents planants, accompagne ces images subaquatiques d’une beauté hypnotique. Véritable phénomène populaire, le film est resté à l’affiche en France pendant un an, attirant près de dix millions de spectateurs.

Un hommage vibrant à l’âge du muet

L’édition 2025 offrira au public saoudien une expérience inédite : celle d’un programme intitulé Silent Film Spectacular, consacré à l’âge d’or du cinéma muet accompagné en direct. Pour cette grande première en Arabie saoudite, le célèbre pianiste britannique Neil Brand, référence mondiale de l’accompagnement musical des films muets, fera résonner sa musique en parfaite harmonie avec les images d’époque.

Ce spectacle réunira trois courts métrages burlesques signés Buster Keaton, Charlie Chaplin et Laurel & Hardy : The Immigrant, Liberty et One Week. Avec un pianiste et un batteur jouant en direct, le public retrouvera l’esprit des premières projections du début du XXᵉ siècle, lorsque chaque salle devenait un théâtre vivant. Un moment de grâce et de rires, à partager en famille, qui rappellera la puissance universelle du cinéma muet et son humour intemporel.

Umrao Jaan : la poésie de l’Inde restaurée

Enfin, le festival accueillera la projection exceptionnelle du film indien Umrao Jaan (1981) de Muzaffar Ali, restauré en 4K cette année par les Archives nationales du film de l’Inde dans le cadre du National Film Heritage Mission. Adapté du roman de Mirza Hadi Ruswa publié en 1899, Umrao Jaan Ada, ce drame somptueux raconte le destin d’une poétesse et courtisane de Lucknow au XIXᵉ siècle, interprétée par Rekha, dont la prestation reste l’une des plus marquantes du cinéma indien.

Porté par la musique envoûtante de Khayyam et les vers de Shahryar, le film recrée avec minutie l’élégance raffinée de la culture d’Awadh, à travers ses costumes, ses décors et ses chansons devenues mythiques. Œuvre d’auteur réalisée en marge du cinéma commercial, Umrao Jaan a acquis au fil du temps un statut culte, célébré pour sa sensualité, sa poésie et son regard mélancolique sur un monde disparu.
Sa projection au Festival de la mer Rouge sera aussi la première organisée hors d’Inde, confirmant la portée internationale du travail de restauration entrepris par les institutions cinématographiques indiennes.

En réconciliant mémoire et modernité, le programme Treasures du Red Sea International Film Festival 2025 invite à un voyage à travers les époques et les continents, un dialogue entre l’Orient et l’Occident, entre le silence et la musique, entre l’amour et la mer, la folie et la poésie.
Chaque film y devient un témoin vivant, restauré pour reprendre sa place dans la lumière, et rappeler que le cinéma, au-delà des langues et des frontières, demeure avant tout un art de la mémoire.

Neïla Driss

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