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Militantisme sur les réseaux sociaux | Overdose et immaturité

Avec les guerres au Moyen-Orient, l’assassinat de Charlie Kirk, ou les timides petits postes et «stories» que je vois en ce moment sur le Soudan (toutes ces causes méritent l’attention et tout drame mérite compassion, sans échelle de valeur), les réseaux sociaux, Instagram en tête, sont devenus la caisse de résonnance des pensées les plus pauvres. Le théâtre d’un bavardage passionné s’éparpillant dans tous les sens, et qui ne sert à rien.

Youssef Bouanani *

Depuis la signature du cessez-le feu à Gaza, le 10 octobre 2025, j’ai constaté un «retour à la normale» des militants 2.0 sur internet. Déjà que durant l’été, les posts et «stories» sur la plage et en train de faire la fête ont pris une part importante dans le flux journalier des photos et vidéos atroces de personnes tuées, éventrées ou décapitées, depuis la mi-octobre, je ne vois plus l’effervescence des derniers mois de la part des nouveaux militants du 21e siècle. Attention, je ne cherche pas à verser dans un «takfirisme» moral qui consisterait à nier la sincérité de leur position; je m’interroge plutôt sur la profondeur et la constance de leur ferveur, une fois la tendance, ce «trend» éphémère et bruyant nourri de visibilité instantanée, consommé.

Je n’ai jamais été un militant et je ne compte pas le devenir, mais dans mes lectures d’adolescent passionné de politique, j’ai appris le modèle militant avec des personnages comme Robespierre, Proudhon, Charles Mauras, Lénine, De Gaulle, Che Guevara, Castro, Bourguiba, Nasser, et tant d’autres. Des hommes animés par une foi inébralable dans leur cause, jamais à court de mots, de slogans ou d’actions pour faire avancer leurs idées. Un panache hors du commun qui donnait naissance à des révolutions. Un style particulier faisant qu’ils étaient suivis par des masses entières et arrivaient à faire ce que tant d’autres avant eux pensaient impossible d’accomplir. Malheureusement, l’injustice et les malheurs dans le monde deumeurent, mais je crains bien que des caractères comme ces gens-là n’existent plus.

Je vais m’abstenir de faire du «Gen z bashing» ou de simplement dire que c’était mieux avant. Avant quoi ? Avant internet, avant que la télé ne devienne en couleurs, avant mai 68, avant l’invention du «chocolat Dubaï»..? Trop facile les discours de comptoir qui jettent le tort sur tout et n’importe quoi. Je pense plutôt que c’est un mal d’antan, le mal du vide; amplifié par l’époque et les réseaux sociaux, et qui touche ma génération plus que les autres. Ceci a pour résultat de transformer le militantisme d’un don de soi à la cause, à un don de la cause pour soi. Je m’explique.

Les pensées les plus pauvres

Avec les guerres au Moyen-Orient, l’assassinat de Charlie Kirk, ou les timides petits postes et «stories» que je vois en ce moment sur le Soudan (toutes ces causes méritent l’attention et tout drame mérite compassion, sans échelle de valeur), les réseaux sociaux, Instagram en tête, sont devenus la caisse de résonnance des pensées les plus pauvres. Le théâtre d’un bavardage passionné s’éparpillant dans tous les sens, et qui ne sert à rien. Il n’y a rien de plus nuisible à une cause que l’écart entre le discours et le geste.

Particulièrement depuis octobre 2023, pour beaucoup de jeunes sur les réseaux, militer est un plaisir. Le plaisir de se sentir appartenir à un groupe, d’avoir l’impression de défendre une cause qui semble juste, souvent sans comprendre ses fondements, ou bien même si elle est fondée.

Dans ce militantisme jeune, et par défintion immature, on milite doucement dans la pratique, fort sur les réseaux. On milite entre deux soirées de fêtes, deux séances de shoping, deux passages chez l’esthéticienne et parfois même entre deux consultations chez le psychologue. Bien loin ce militantisme des épopées des biographies de personnages historiques cités plus haut. Je ne dis pas que ces personnages historiques ne faisaient que le maquis, Castro était amateur de bonne chair, de belles femmes et des fameux cigares. Mais le sérieux de leur verbe et surtout de leurs actions a fait en sorte qu’ils aient obtenu davantage de résultats concrets que ceux qui militent aujourd’hui.

Alors, pourquoi le militant d’aujourd’hui semble-t-il s’être laissé glisser dans cette mollesse tranquille et bien beige à côté de la ferveur de leurs aînés ?

Aujourd’hui, plus qu’hier, s’opposer et partager les mêmes publications sur les réseaux est une façon de se sentir vivant. Au fond, l’activiste digital n’a pas vraiment espoir de voir un changement dans le monde, mais le fait d’avoir quelque chose à combattre participe à son équilibre; c’est la raison pour laquelle c’est même important que le malheur qu’il combat demeure le plus longtemps possible, ou qu’il le remplace très vite.

Les passions sur les réseaux concernant le conflit au Moyen-Orient se sont calmées, alors même qu’objectivement, rien n’a changé. Le conflit est sur pause, les scandales demeurent et pourtant plus rien sur mon «feed insta». C’est en tout cas évident qu’il y a toujours une forme de jubilation d’un côté comme de l’autre du champ politique quand un événement a lieu, qui confirme un discours et qui en fragilise un autre. Il suffit de voir la vitesse à laquelle tous se ruent sur le moindre fait, pour comprendre que les enjeux profonds que l’événement pourrait dévoiler comptent peu par rapport à son potentiel de victoire symbolique. On fait mine de s’affliger, mais on se réjouit des drames qui nous font bien voir par le groupe. Dans ce contexte, la dynamique des réseaux sociaux peut difficilement aboutir à autre chose que de la mauvaise foi.

Dans ce contexte, l’événement n’a de valeur que par le fruit qu’on peut en tirer. Il ne suscite pas une réflexion, mais un réflexe. Est-ce que ce qui se passe fait mes affaires et donc mérite que je milite pour (autrement dit que je clique pour le partager dans ma story) ? Ou ça ne fait pas mes affaires et donc je continue à scroller ? C’est ici l’horizon indépassable de l’analyse politique des individus sur les réseaux.

Information et indifférence

Au-delà de cette bêtise issue d’un mal-être que j’explique plus tard, est-ce que des facteurs extérieurs participent à cette perte d’essence dans le militantisme jeune ? Oui. Dans un modèle où les médias doivent parler de tout et n’importe quoi pour ratisser le plus large possible afin de survivre économiquement, l’événement vaut peu par lui-même, car noyé dans l’équivalence générale. J’exclus certains médias, mais ouvrez la première page d’un grand journal généraliste et vous verrez qu’on passe de la guerre à un récap du match de football, du sort d’un peuple entier aux derniers scandales amoureux d’une célébrité, sans la moindre distinction. Il n’y a aucune cohérence et donc aucune valeur véhiculée dans le récit de l’actualité, et c’est pour ça que le monde de l’information est par nature relativiste et qui nous conditionne à traiter l’information avec une forme d’indifférence. Staline disait «la mort d’un homme et une tragédie, la mort de millions d’hommes n’est qu’une statistique».

Précurseur, le petit père des peuples. On nous parle de 70 000 morts quelque part, de 500 000 là bas, presque autant pas loin… Apathie générale, là où si on réalisait ce que donnait réellement 500 000 morts devant nos yeux, on ne dormirait plus la nuit!  

Gilles Lipvestsky, dans son essai “L’ère du vide”, paru il y a 42 ans, en parle avec ces mots «La politique est entrée dans l’ère du spectaculaire. Liquidons la conscience rigoriste et idéologique au profit d’une curiosité dispersée, captée par tout et rien. (…) Notre société ne connaît pas de préséance, de codification définitive, de centre, rien que des stimulations et des options équivalentes en chaîne. (…) De là résulte l’indifférence postmoderne, indifférence par excès, non par défaut. L’apathie répond à la pléthore d’informations, à leur vitesse de rotation. Sitot enregistré, l’événement est oublié, chassé par d’autres encore plus spectaculaires».

En avril 2025, quand il y a eu l’histoire du mur qui s’est effondré sur des adolescents à Sidi-Bouzid, ou depuis quelques années avec les vagues d’arrestations de personnes «plus ou moins» critiques de Kais Saied, plus récemment quand il y a eu l’affaire de la pollution à Gabès (comme ci ce n’était pas le cas depuis 40 ans avec des crimes contre l’envrionnement et les habitants de la région et que personne n’a réellement engagé d’actions et demandé des comptes), j’ai naïvement pensé que ça allait avoir un impact durable et que la vague d’indignation sur les réseaux sociaux allait produire quelque chose d’inédit, équivalant à l’effervescence générale qu’on pouvait voir à ce moment-là sur Internet. Que nenni ! Quelques jours plus tard, on parlait et on partageait avec la même passion d’autres choses plus banales. Les manifestations n’ont duré que quelques jours, la poussière a été mise sous le tapis, et le pouvoir a continué avec son fameux «Circulez, il n’y a rien à voir!».

Attention, si les autorités de mon cher pays tombent sur cet article, je tiens à préciser que je n’appelle aucunement à un soulevenement populaire ou à un trouble à l’ordre public, uniquement à ce que les malheurs d’un peuple qui souffre s’arrêtent.

Il y a aucune décence et aucune cohérence dans la gestion des paroles et des émotions sur Internet et c’est pour ça que je pense que la réaction se résume à l’expressivité.

En d’autres termes, pour ma génération, le contenu expressif, c’est le seul vrai contenu. Ce qui explique pourquoi malgré les aberrations qui occurent en Tunisie chaque semaine, les autorités ne semblent pas vraiment s’inquiéter d’un soulèvement populaire, tant et aussi longtemps que les indignations digitales se relaient indifféremment au gré des circonstances, c’est-à-dire qu’elles remplissent une fonction cathartique.

Ce qui est important, c’est de pouvoir extérioriser et projeter un conflit intérieur, dans les limites de son confort et sans pour autant aller jusqu’au bout et mettre ses idées en actions ordonnées qui demandent un changement. Pour résumer, plus le jeune crie sa colère de manière symbolique et affiche sa révolte, entre deux posts qui n’ont rien à voir, plus on peut partir du principe qu’il n’en a rien à cirer.

Ces grands personnages historiques militants cités plus haut, avaient principalement un point en commun : au moment où ils ont senti que leur destin et celui de leur groupe (nation) étaient trop régis par des facteurs extérieurs, ils sont passés à l’action. Pourquoi, à mon avis, alors que ma génération n’a quasiment plus les moyens de contrôler son destin, elle ne prend pas action ?

Il se peut que je me trompe, mais je pense que la génération la plus individualisée et hédoniste jamais observée est incapable d’imaginer les moyens de mettre en place le changement, s’il ne vient pas d’en haut, d’une autoritié.

Autrement dit, le jeune individualisé et n’appartenant au groupe que par le titre et rien par la pratique, est incapable d’imaginer pour le collectif une porte de sortie et une série d’action pour l’emprunter. Il faut qu’elle lui soit servie sur un plateau d’argent.

Revenons à notre sujet principal. Les idées politiques elles-mêmes deviennent des cloisons. Le jeune est politiquement immature par défaut, et ce n’est pas de sa faute. Sans éducation politique sérieuse, il adopte une pensée en vase clos. Autrement dit, il devient encore plus bête ! J’en veux pour preuve mon observation de quelque chose de l’ordre du jeu vidéo dans la manière dont les jeunes deviennent politisés. On s’interesse à la politique parce que tout le monde le fait (la trend, le mal de cette génération), puis, sans beaucoup lire et sans trop se renseigner, on adopte une position politique en excluant tout le reste du spectre. Ensuite, on joue le script correspondant à l’avatar qu’on s’est choisi et plus on crie haut et fort nos idées en marginalisant celles de l’autre, plus socialement on paraît intelligent, malin et on gagne des points de valeurs symboliques.

On croit tout savoir du conflit palestinien, de l’implication des émiratis au Soudan, de la tactique militaire des Russes en Ukraine, des élections municipales à New-York et du bien-fondé ou pas de la politique (parfois schizophrénique) de Trump. Le pire ce n’est pas d’être sûr de ses idées, c’est la méchaneté avec laquelle on rejette celles des autres et la bêtise avec laquelle on arbore un patchwork d’idées préfabriquées, apprises sur le tas avec à coup de vidéos de 45 secondes, modèle «fast-food», tout cela dans le but de revomir cet amas difforme d’informations dans la nouvelle agora de notre époque (Internet) et bien se faire voir. Ceci n’est que le symptôme du «moi» de l’individu d’aujourd’hui.

Le jeune est en crise existentielle et identitaire, à cause d’une multitude de raisons, parfois individuelles, mais surtout résultat de l’identité moderne qui a tendance à être fluctuante et instable. Face à ce mal structurel, pourquoi le jeune semble alors sans défense ? Ça prendrait un livre entier à essayer de l’expliquer, mais dans un contexte de libération et d’initiative individuelle, il est de plus en plus difficle de trouver les ressources qui permettent de stabiliser sa vie intérieure par soi-même. Le jeune est jeté dans le bain de la vie tout seul, dans un contexte d’éclatement de la famille, de crise de l’éducation et de la hiéarchie (le meurtre du père œdipien, encouragé par le postmodernisme finit bien souvent mal), d’érosion des régimes symboliques qu’ils soient religieux ou séculier, et d’essor des dispositifs qui favorisent la comparaison, notamment les réseaux sociaux qui mettent en scène des jeunes de son âge plus beaux, plus riches, plus célèbres, mais bien souvent moins équilibrés. L’influenceur vedette n’existe que parce qu’il y a des influençables bêtes, ne l’oubliez pas.

Finie l’époque de la verticalité, qui amenait une cohésion de la pensée et une stabilité de l’être qui sait d’où il vient et là où il va. Place aujourd’hui à la fragilité intime, angoisse chronique qui rend l’individu particulièrement vulnérable à tout ce qui peut lui donner l’illusion d’une certitude et qui le pousse bien souvent à aduler de faux dieux.

Ce jeune, va donc chercher à l’extérieur des objets propres à forger son identité et cette tentation de réagir en permanence sur les réseaux, naît dans une promesse de détente narcissique. Demandez à un jeune s’il se sent utile ? Beaucoup parlent de dépression, ça en devient même un thème de rigolade entre nous. Le vide pour seul certitude et la nature ayant horreur du vide, le jeune finit trop souvent par le remplir avec…n’importe quoi.

En effet, l’individu qui se sent stérile et qui a l’impression d’être un épiphénomène, son rare moment de gratification dans une journée normale, c’est la dopamine secrtée par son cerveau lorsqu’il se sent habité par une cause lorsqu’il est sur Internet. Ajoutez à cela que son post inutile, sera peut-être même rétribué par un minable «cœur» ou «like» qui ne veut rien dire sur une publication vue et revue 100 fois. Une overdose. Encore une preuve de ce manque de sérieux ? Bien souvent ce partage ne s’accompagne même pas d’un commentaire personnel construit et intelligent. On repartage bêtement, sans vérifier, sans s’intéresser outre-mesure, sans y ajouter autre chose que parfois un emoji triste, ou une indignation stéréotypée.

Une image fragmentée du réel

Les réseaux inhibent la faculté de comprendre un sujet, c’est-à-dire prendre tous les éléments qui le composent en admettant toute l’étendue de leur complexité et en prenant le temps de bien comprendre l’information. Dans les faits, c’est tout le contraire. Non seulement on ne prend rien ensemble parce que les réseaux renvoient toujours une image fragmentée du réel, mais en plus on a tout le loisir de ne prendre que ce qui nous arrange. Et par ailleurs, le mode de communication propre au réseau nous invite implicitement à être laconiques et malhonnêtes, ce qui ne favorise pas tout à fait l’esprit de dialogue. L’ennui avec la compréhension, c’est que c’est un effort, une démarche qui amenuise, dans le phénomène considéré, son pouvoir de satisfaction immédiate. Parce que les choses sont rarement aussi simples qu’elles devraient l’être pour correspondre aux lectures binaires qui soulagent la frustration.

Dans une époque où l’on ne cultive plus un potager en attendant patiemment ses fruits, où l’on n‘attend plus le passage de notre chanson préférée à la radio, mais où on peut la streamer quand ça nous chante, et où l’attente devient une peine atroce, la gratification instantnée est loi. Les idées politiques et le militantisme n’échappent pas à cela. On veut vite s’approprier un sujet, vite le partager et vite recevoir la gratification de savoir qu’on fait partie du lot et qu’on est dans le camp des bons. C’est pour ça qu’à mon sens, il s’agit moins d’un engagement sincère que de la confirmation de sa propre existence par la mise en scène de «soi» et par la tenue d’un discours qui est le plus souvent destiné à ceux qui n’ont pas besoin de l’entendre.

Entre exil et tourmentes, Lénine a passé 40 ans à militer. Bourguiba en a sacrifié autant avant de voir la Tunisie indépendante. Robespierre en a perdu la tête, littéralement. Une cause demande du sérieux, de l’action et surtout la temporalité longue. Combien de nos jeunes peuvent consacrer autant de temps dans l’action de leur cause ? Il faudrait déjà qu’ils lisent et se renseignent plus, et puis qu’ils passent à l’action au lieu de partager une story entre deux scrolls abrutissants.

En outre, il faut prendre la mesure de la violence invisible qui résulte de cette conjoncture morale du jeune. On a tendance à s’accommoder de ce qui ne tourne pas rond, tant qu’on n’en paie pas les frais, mais à terme ça ne profite à personne et on aurait tort de ne pas s’inquiéter du genre d’homme que le monde postmoderne est en train de créer.

* Étudiant en sciences politiques et affaires publiques et internationales. 

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