Le harcèlement sexuel, destin inéluctable des femmes ?
Chez l’être humain le toucher, si on le compare à la vue qui s’exerce à distance, est le seul sens qui permet d’être en contact direct avec son prochain. Mardi 5 novembre 2025, lors d’un bain de foule qu’a voulu prendre la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, elle a subi, devant les caméras du monde entier, un harcèlement sexuel de la part d’un simple citoyen proche d’elle qui non seulement l’a entourée de son bras, mais l’a embrassée sur le cou et a même effleuré sa poitrine, avant d’être arrêté par les gardes du corps dont la fonction porte bien son nom puisqu’ils sont appelés, avant tout, à défendre l’intégrité physique du chef de l’État.
Jamila Ben Mustapha *

Après avoir vécu cet événement qui l’avait prise de court, réalisant le désordre profond à l’échelle nationale, occasionné par les gestes de plus en plus osés qu’elle avait subis, elle en a parlé par la suite à son peuple dans une intervention publique, en indiquant qu’elle allait porter plainte.
Quelles remarques peut-on faire sur cet incident si grave ? Historiquement, dans l’Antiquité, si l’on prend l’exemple de l’Égypte, le statut des Pharaons égalait celui des dieux ou venait juste après eux. Et par la suite, l’autorité du roi, du mikado ou du sultan s’exerçait autant par le prestige de leur apparence que par la distance que leurs sujets étaient tenus de respecter quand certains d’entre eux avaient la possibilité de s’approcher d’eux, tête baissée, dans une attitude recommandée de vénération et d’humilité.
L’autorité en démocratie
Avec la généralisation du régime démocratique, les présidents détiennent leur légitimité, non plus par le haut – par la bénédiction des dieux ou des élites –, mais par le bas, par le peuple lui-même, appelé à les choisir et à leur déléguer la souveraineté qui lui revient en théorie, en votant pour eux. Ceci pousse le chef à donner de l’importance à ce dernier, à tenter de le séduire et à tout faire pour l’avoir de son côté dans le but d’être élu ou réélu.
Il est certain que le fait de toucher le président de l’État que sa fonction place nettement au-dessus de tous, de la seule façon permise – lui serrer la main –, exerce une attraction réelle sur ses compatriotes, percevant spontanément une grande différence qualitative entre lui et les autres à cause de l’unicité de son rôle.
Mais ce qui est scandaleux dans le cas de la présidente mexicaine, c’est que cet individu, mettant entièrement entre parenthèses son statut et le symbole qu’elle représente, se comporte avec elle non pas même comme avec une simple compatriote, mais comme avec une femme qu’il ne respecte pas et agresse, en s’en prenant à son intégrité physique sans lui demander son avis, comme un passant pervers qui se permettrait de toucher la première passante anonyme venue. Subi par la cheffe de l’État, cet acte n’est pas loin d’équivaloir à une profanation.
Manque de respect de toute femme
Quel enseignement tirer de ce geste ? Cela montre que, encore au XXIe siècle, partout, et quel que soit son niveau dans l’échelle sociale, aucune femme n’est à l’abri de ce genre d’agression, encore qu’être touchée physiquement par un passant dans la rue parce qu’il profite de l’effet de surprise et de votre impréparation, est moins choquant que de l’être quand on est la représentante suprême de la nation et que cet acte n’est pas loin de devoir être considéré comme un sacrilège.
Cela signifie aussi, chez cet individu, le manque de respect de toute femme, le désir de ne pas prendre au sérieux, de réduire volontairement à néant le prestige de son statut, même quand il est le plus élevé du pays.
Ce geste indique encore une volonté claire de la rabaisser, de lui rappeler qu’elle appartient irrémédiablement au sexe dit «faible», et que sa fonction, si haute soit-elle, n’arrive pas à éliminer sa prétendue infériorité, première, dominante, à savoir sa condition de femme, donc, aux yeux de cet individu, d’objet sexuel.
C’est ainsi qu’aussi simples et proches du peuple que les chefs de l’État veuillent être, ils ont intérêt à ne pas oublier que la proximité totale avec lui, dans des bains de foule désordonnés, est loin d’être recommandée et que leur statut exige une distance minimale salvatrice par crainte d’«un mauvais pas» – au sens propre et figuré – qui porterait alors atteinte, non seulement à leur personne, ce qui est grave, mais à l’honneur même du pays, ce qui l’est encore plus.
Et autant nous avons été solidaires du citoyen irakien qui avait envoyé au président George W. Bush, destructeur de son pays, une chaussure sur la tête, autant nous désapprouvons l’attaque de la présidente du Mexique qui révèle à quel point le chemin est, partout, encore bien long avant la réalisation de l’égalité des sexes.
* Ecrivaine.
L’article Le harcèlement sexuel, destin inéluctable des femmes ? est apparu en premier sur Kapitalis.