Ghar El Melh : les cultures « Ramli » menacées par le changement climatique et l’urbanisation
Dans une frange du littoral tunisien, relevant de la belle région de Bizerte (Nord de la Tunisie), un système agricole ingénieux, unique au monde et adapté à une zone humide riche en biodiversité, risque de disparaître. Il s’agit de pratiques agricoles ancestrales dans le sable, qui ont façonné non seulement les paysages de la ville côtière de Ghar El Melh, mais aussi les traditions, les rites et le rapport des natifs de cette ville avec la terre et la mer. C’est pour cela que beaucoup d’exploitants agricoles militent aujourd’hui pour sauver un héritage national et mondial.
Bien qu’elles soient encore pratiquées par environ 180 agriculteurs et reconnus (certifiés), depuis le 15 juin 2020, par la FAO en tant que patrimoine mondial “SIPAM”, Système Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial, ces pratiques sont désormais, menacées par l’urbanisation sauvage, le changement climatique et le retard d’intervention pour le déblocage d’une conduite d’eau entre la lagune et la mer, sur laquelle est basé tout un système d’irrigation naturelle. L’absence de relève, en raison de la désaffection des jeunes pour l’agriculture artisanale, est aussi une menace pour ces cultures originales et écologiques
“Les potagers périurbains dites “Ramli”, sont cultivés dans des parcelles de sable irriguées, grâce à un phénomène osmotique. Les pommes de terre, l’oignon, les laitues, les aubergines, l’haricot et autres cultures maraîchères, poussent dans des sols sablonneux et sont irrigués en utilisant l’eau de mer qui s’infiltre et remonte à la surface”, explique Mohamed Blanco, guide sur les lieux, de l’ONG, Tunisian Campers.
Il s’adressait à des journalistes en visite à Ghar el Melh, dans le cadre d’une formation de six mois en journalisme environnemental, organisée par le PAMT2 (Programme d’Appui aux Médias Tunisiens 2 (PAMT2), financé par l’UE, en partenariat avec le Projet d’Appui à la Gouvernance Environnementale et Climatique pour une Transition Ecologique en Tunisie (PAGECTE), la Start-up Tunisian Campers et le ministère de l’Environnement.
“L’eau salée, humidifiée par la marée, irrigue les racines des plantes après son dessalement grâce au phénomène de migration des sels vers le haut et la capacité des plantes à filtrer l’eau. La remontée de la nappe phréatique grâce à la marée permet d’alimenter les cultures en eau douce, tout en limitant le recours à l’irrigation artificielle”, enchaîne le jeune guide de randonnées éco-responsables.
Ali Garsi, agriculteur pratiquant les cultures Ramli milite pour préserver et perdurer les cultures en sable et n’arrête pas d’alerter sur les dangers qui planent sur ce système naturel qui n’existe qu’en Tunisie.
” En l’absence de relève, c’est à nous de faire perdurer ces cultures de plus en plus menacées par plusieurs facteurs”, a-t-il dit. “Le vrai problème aujourd’hui est le blocage de la conduite d’eau entre la lagune et la mer, une conduite sur laquelle se base tout le système d’irrigation cent pour cent naturel. La mouvance du grau, dite en dialecte local “boughaz”, qui fait communiquer la lagune avec la mer et permet l’échange avec la lagune de Sidi Ali El Mekki, se bloque désormais chaque 48 heures alors qu’elle se bloquait chaque 2 ou 3 ans avant, et ce en raison de l’ensablement accru”.
“L’élévation attendue du niveau de la mer devrait, aussi, impacter la zone et submerger les zones humides. De même, le changement climatique pourrait entrainer un déficit hydrique et une carence en eau douce et pousser les exploitants agricoles à abandonner ou à recourir à une irrigation d’appoint surtout durant les périodes sèches”, a développé Garsi.
La solution pour préserver la zone humide consiste, d’après lui, en l’aménagement d’une conduite d’eau durable entre la lagune de Ghar El Melh et la Sebkha de Sidi Ali El Mekki et non entre la sebkha et la mer, pour résoudre définitivement la question de l’accumulation du sable et le blocage des échanges et des mouvements de l’eau.
De son côté, Zohra Ennafef, membre du bureau exécutif de l’UTAP et présidente de la Fédération de la femme agricole milite pour assurer l’écoulement des produits agricoles de Ghar El Melh et se révolte contre les atteintes au domaine public maritime.
“Les cultures Ramli risquent de disparaître, non seulement à cause des changements climatiques, mais aussi à cause de l’abandon des terres, le manque de circuits de distribution spécifiques aux produits agricoles des potagers et les tentatives de convaincre les agriculteurs de vendre leurs terres”.
Ennafef œuvre, à cet effet, pour la labellisation des produits de terroir de Ghar El Melh, en tant que patrimoine immatériel unique. “Nos produits sont vendus à des tarifs équivalents aux produits conventionnels, alors qu’ils sont originaux, issus d’un système naturel et écologique et sont d’un goût unique”.
Des labels pour les produits des parcelles “RAMLI” permettront de leur assurer une meilleure plus-value, estime la responsable, soulignant la nécessité d’insérer des Gataayas (parcelles dans les zones humides) dans un circuit éco-culturel local. Déjà, la région n’arrête pas d’accueillir des groupes de touristes locaux et étrangers et ses produits agricoles sont prisés par les visiteurs.
Il y a lieu de rappeler que la ville de Ghar El Melh, qui abrite une zone humide d’environ 15 000 ha, a obtenu le “label Ville des zones humides- Ville RAMSAR” en octobre 2018. Grâce à ce label, elle est devenue la première ville arabe et nord-africaine sur la liste de Ramsar des villes accréditées.
Valoriser sa richesse écologique, ses valeurs sociales et culturelles et sa biodiversité, devient ainsi non seulement un devoir national, mais, aussi, une responsabilité à assumer pour sauvegarder un héritage mondial.
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