CIFF 2025 — Hommage à quatre maîtres du cinéma mondial
À l’occasion de sa 46ᵉ édition, qui se tient du 12 au 21 novembre 2025, le Festival international du film du Caire rend hommage à quatre grandes figures du cinéma égyptien, arabe et international à travers ses Career Achievement Awards (Prix pour l’ensemble de la carrière) dont le trophée, la Pyramide d’or, est remis chaque année à des figures majeures du cinéma mondial. Mohamed Abdel Aziz, Mahmoud Abdel Samie, Ildikó Enyedi et Hiam Abbass seront ainsi célébrés pour l’ensemble de leur œuvre, leurs contributions à l’art cinématographique et leur influence durable sur plusieurs générations de cinéastes. Par cette quadruple distinction, le CIFF affirme à la fois son enracinement dans le patrimoine du cinéma égyptien et sa vocation universelle à mettre en dialogue les expériences du monde.
Mohamed Abdel Aziz, l’artisan de la comédie sociale
Figure majeure du cinéma égyptien depuis les années 1970, Mohamed Abdel Aziz a bâti une œuvre profondément populaire sans jamais renoncer à l’exigence artistique. Formé à l’école des grands maîtres dont il fut l’assistant — notamment sur Cairo 30 (1966), Mon père sur l’arbre/My Father Above the Tree (1969), We Do Not Sow Thorns (1970) ou Palabres sur le Nil/Chatter on the Nile (1971) —, il fait ses débuts de réalisateur avec Images interdites/Forbidden Photos (1972), l’un des derniers films en noir et blanc de l’histoire du cinéma égyptien.
Ce qui distingue Mohamed Abdel Aziz, c’est cette alliance rare entre réalisme social et humour, un art de capter les contradictions du quotidien à travers la légèreté apparente de la comédie. Ses films emblématiques, tels En été, il faut aimer/In Summer, We Must Love (1974), Un monde de gosses/The World of Kids (1976) ou Mille baisers et un baiser/Thousand Kisses, and a Kiss (1977), ont contribué à renouveler le genre, en lui insufflant une sensibilité à la fois populaire et critique. Sa longue collaboration avec Adel Imam a donné naissance à des classiques intemporels, de Certains se marient deux fois/Some Visit the Marriage Registrar Twice (1978) à Hanafi le Magnifique/Hanfi the Pasha (1990), en passant par Méfie-toi de tes voisins/Watch Out for Your Neighbors (1979).
Souvent comparé à Fatin Abdel Wahab, pionnier de la comédie égyptienne, Mohamed Abdel Aziz s’en distingue pourtant par une approche plus rigoureuse, presque perfectionniste. Ses collègues l’avaient surnommé “le dictateur du plateau” pour son obsession du détail et son exigence de précision. Parallèlement au cinéma, il s’est illustré au théâtre (Mohamed Ali Street, 1991 ; Afrotto, 1999) et à la télévision (A Day of Honey, A Day of Onions, 1998 ; Abu Dahka Genan, 2009, biopic d’Ismail Yassine). En enseignant à l’Institut supérieur du cinéma, il a transmis son savoir à toute une génération. Son nom incarne ainsi l’idée d’un cinéma égyptien total, capable de faire rire, réfléchir et durer.

Mahmoud Abdel Samie, l’œil du réel
S’il est une figure plus discrète mais essentielle du septième art égyptien, c’est bien Mahmoud Abdel Samie, chef opérateur et documentariste d’exception, dont la carrière s’étend sur plus d’un demi-siècle. Diplômé en 1966 de la Faculté des arts appliqués, il a tourné plus de 200 documentaires et participé à la construction visuelle du cinéma égyptien moderne.
Mahmoud Abdel Samie a accompagné l’histoire du pays avec sa caméra. Il fut le premier directeur de la photographie à entrer sur le front durant la guerre d’usure en juillet 1969, puis à filmer les jours décisifs qui précédèrent la victoire d’octobre 1973. Engagé dans le mouvement du Nouveau Réalisme égyptien, il a signé les images de films marquants comme Houseboat No. 70, The Piper, A Love Story’s Last Chapter ou The Hooligans. Son regard, toujours attentif à la lumière du quotidien, a su traduire le vécu d’un peuple avec une vérité sans emphase.
Président actuel de la Société du film du Caire et de son festival annuel, Mahmoud Abdel Samie est aussi un pédagogue reconnu, formant depuis les années 1960 des générations de chefs opérateurs et de réalisateurs. En lui décernant un Career Achievement Award (Prix pour l’ensemble de la carrière), le CIFF salue autant le témoin que le créateur, celui qui a su faire du documentaire une écriture du réel aussi noble que la fiction.

Ildikó Enyedi, l’éloge de la sensibilité et du mystère
Sur le plan international, le festival distingue cette année la cinéaste hongroise Ildikó Enyedi, dont l’œuvre rare et poétique a marqué les festivals du monde entier. Dès son premier long métrage, Mon 20e siècle lauréat de la Caméra d’or à Cannes, Ildikó Enyedi imposait un univers singulier, mêlant fantaisie et réflexion philosophique sur la modernité.
En 2017, son film Corps et âme recevait l’Ours d’or à Berlin avant d’être nommé à l’Oscar du meilleur film international. Qu’il s’agisse de Simon, le mage ou de L’histoire de ma femme, sa mise en scène explore l’intériorité, le désir et la frontière poreuse entre rêve et réalité. Son dernier film, Silent Friend, présenté à la Biennale de Venise en septembre, poursuit cette quête : celle d’un cinéma à la fois intellectuel et charnel, attentif à la beauté du monde autant qu’à sa fragilité. Ce film sera projeté en hors compétition pendant cette édition du CIFF.
Ancienne professeure à l’École de cinéma de Budapest, jurée à Cannes et dans de nombreux festivals, Ildikó Enyedi incarne la figure rare d’une cinéaste européenne qui allie pensée et émotion, sans jamais sacrifier l’un à l’autre. Le Career Achievement Award (Prix pour l’ensemble de la carrière) qui lui sera remis au Caire consacre une œuvre d’auteur profondément humaine, ouverte à l’altérité et à la poésie du geste filmique.

Hiam Abbass, la mémoire vivante du cinéma arabe
Enfin, le CIFF célèbre Hiam Abbass, comédienne, réalisatrice et icône palestinienne dont la trajectoire symbolise le dialogue entre les cultures arabes et occidentales. Née à Nazareth en 1960, formée à la photographie et au théâtre à Jérusalem, elle s’installe à Paris à la fin des années 1980. Depuis, elle a joué dans plus d’une centaine de films et de séries, imposant une présence magnétique, à la fois fière et vulnérable.
Dans le monde arabe, elle s’est illustrée dans des œuvres majeures comme Haifa de Rashid Masharawi, La Porte du Soleil de Yousry Nasrallah ou Paradise Now de Hany Abu-Assad. À l’international, elle a collaboré avec Steven Spielberg (Munich), Tom McCarthy (The Visitor) ou encore Ridley Scott (Blade Runner 2049). Elle a également marqué la télévision avec ses rôles dans Succession et Ramy, où sa justesse donne une profondeur nouvelle aux personnages arabes dans la fiction occidentale.
Mais Hiam Abbass ne se limite pas à l’interprétation : avec son premier long métrage Héritage (2012), elle a signé une œuvre d’auteur sur la transmission, la mémoire et la quête d’identité, thèmes centraux de son parcours. En honorant cette artiste complète, le CIFF rend hommage à une figure de passage, qui relie les mondes, transcende les frontières et incarne une forme d’universalité à la fois arabe et féminine.

Une constellation de regards
En choisissant d’honorer ces quatre personnalités, le Festival du Caire affirme sa volonté de réunir les multiples visages du cinéma : la comédie populaire et le documentaire, le réalisme social et la poésie intérieure, la transmission et la résistance culturelle. Tous partagent un même engagement : celui de croire encore au pouvoir du cinéma pour raconter le monde, le penser, et le transformer.
Ces Career Achievement Awards (Prix pour l’ensemble de la carrière) ne se contentent donc pas de saluer des carrières ; ils dessinent un portrait collectif du cinéma comme mémoire vivante, à la fois locale et universelle. Du Caire à Budapest, de Nazareth à Paris, ces destins convergent dans une même fidélité à l’art du regard — ce regard qui éclaire la complexité humaine et qui, au Caire cette année, retrouve toute sa légitimité d’être célébré.
Neïla Driss
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31 octobre et 1er novembre 2025
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Entrée libre — conférences, projections et débats ouverts au public
























