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ECLAIRAGE – Tunisie : Déficit, austérité et justice sociale … pour quoi et pour qui ?

Le débat sur le déficit budgétaire en Tunisie ressurgit à chaque loi de finances, souvent réduit à une opposition simpliste entre la rigueur et la dépense. Pourtant, la véritable question n’est pas de savoir si le déficit est bon ou mauvais en soi, mais bien à quoi il sert et à qui il profite. C’est cette question fondamentale, éclipsée par le dogme néolibéral, qui détermine la trajectoire économique et sociale du pays.

Le faux dilemme du déficit : entre l’offre et la demande

Le discours dominant, importé des orthodoxies néolibérales des années 1980, oppose mécaniquement la politique de l’offre — favorable à la compétitivité et à la rentabilité des entreprises — à celle de la demande, jugée inflationniste et inefficace. Ce raisonnement, appliqué aujourd’hui à la Tunisie, conduit à considérer le déficit budgétaire comme une faute de gestion, et non comme un outil économique stratégique.

Or, l’histoire récente rappelle une vérité dérangeante : les plus grands défenseurs du néolibéralisme — Ronald Reagan et Margaret Thatcher — ont pratiqué un keynésianisme sélectif, dissimulé derrière le discours du marché libre. Sous leurs gouvernements, les déficits publics ont explosé non pas pour soutenir les ménages ou les services publics, mais pour financer des dépenses militaires, des subventions massives aux entreprises et des baisses d’impôts pour les plus aisés.

Ce paradoxe invite à poser la question centrale : le problème n’est pas le déficit, mais sa destination. En Tunisie, où le déficit dépasse encore les 5 % du PIB, le même dilemme se pose : les ajustements budgétaires servent-ils à corriger des déséquilibres structurels ou à transférer les coûts de la crise vers les classes moyennes et populaires ?

 

Les plus grands défenseurs du néolibéralisme — Ronald Reagan et Margaret Thatcher — ont pratiqué un keynésianisme sélectif, dissimulé derrière le discours du marché libre. Sous leurs gouvernements, les déficits publics ont explosé non pas pour soutenir les ménages ou les services publics, mais pour financer des dépenses militaires, des subventions massives aux entreprises et des baisses d’impôts pour les plus aisés.

 

L’austérité contre la productivité sociale

Les politiques d’austérité imposées au nom de la stabilité budgétaire et de la maîtrise de la dette ont, partout dans le monde, eu des effets économiques dévastateurs à long terme. En réduisant les dépenses d’éducation, de santé publique, d’infrastructures et de sécurité sociale, les États hypothèquent les investissements les plus productifs pour l’avenir.

La Tunisie n’échappe pas à cette logique. Depuis plusieurs années, les dépenses d’investissement public stagnent, tandis que les dépenses de fonctionnement et le service de la dette absorbent plus de 80 % du budget de l’État. Les infrastructures se dégradent, les hôpitaux manquent de moyens, les écoles rurales se vident, et la productivité globale de l’économie s’en trouve affaiblie.

 

La Tunisie n’échappe pas à cette logique. Depuis plusieurs années, les dépenses d’investissement public stagnent, tandis que les dépenses de fonctionnement et le service de la dette absorbent plus de 80 % du budget de l’État…

 

C’est un cercle vicieux : la réduction des dépenses sociales affaiblit la demande intérieure, freine la croissance, accentue les inégalités et, paradoxalement, alourdit la dette publique à moyen terme. Ce que les économistes du développement enseignent depuis des décennies reste valable : les dépenses sociales sont un investissement, pas une charge.

Un keynésianisme socialement orienté pour la Tunisie

Face à l’échec des politiques de rigueur et à la montée du chômage, la Tunisie doit repenser le rôle de son déficit budgétaire. L’objectif ne devrait pas être de réduire le déficit à tout prix, mais de le rendre productif socialement et économiquement.

Cela signifie orienter les dépenses publiques vers des secteurs à effet multiplicateur élevé : l’éducation, la santé, les infrastructures locales et la transition énergétique. Ce sont ces investissements qui stimulent la productivité, soutiennent la consommation et renforcent la cohésion sociale.

 

Face à l’échec des politiques de rigueur et à la montée du chômage, la Tunisie doit repenser le rôle de son déficit budgétaire. L’objectif ne devrait pas être de réduire le déficit à tout prix, mais de le rendre productif socialement et économiquement.

 

Un tel choix implique aussi une redéfinition du contrat social tunisien. Les classes moyennes, lourdement taxées, ne peuvent continuer à supporter le poids de la consolidation budgétaire tandis que les rentes, les niches fiscales et l’économie informelle prospèrent sans réelle contribution au bien commun. Le déficit, s’il doit exister, doit servir à corriger ces déséquilibres, non à les perpétuer.

Le danger d’une société duale

Les leçons des années Reagan-Thatcher sont claires : le néo-keynésianisme néolibéral, fondé sur la réduction des droits sociaux et l’extension du marché, produit une société duale — un monde où coexistent une minorité intégrée et une majorité marginalisée. La Tunisie en porte déjà les stigmates : chômage massif des jeunes diplômés, informalité endémique, exode des compétences, et perte de confiance dans les institutions publiques.

Cette dualisation nourrit un terreau de désespoir et de désengagement politique, où se multiplient les discours populistes et les tentations autoritaires. Une telle dynamique n’est pas seulement économique : elle menace la cohésion nationale.

 

Cette dualisation nourrit un terreau de désespoir et de désengagement politique, où se multiplient les discours populistes et les tentations autoritaires. Une telle dynamique n’est pas seulement économique : elle menace la cohésion nationale.

 

Pour un déficit au service de la justice sociale

La question du déficit en Tunisie ne doit plus être posée en termes de morale comptable, mais de choix de société. Faut-il maintenir un État qui subventionne les rentes et sacrifie les services publics, ou un État qui investit dans le capital humain, l’innovation et la solidarité ?

Un déficit orienté vers la justice sociale n’est pas une menace pour la stabilité, mais une condition de sa pérennité. À l’heure où le pays prépare son budget 2026, le véritable courage politique serait de faire du déficit un instrument de développement inclusif, non un fardeau à fuir.

Car au fond, la question reste la même : un déficit, oui — mais pour quoi et pour qui ?

 

La question du déficit en Tunisie ne doit plus être posée en termes de morale comptable, mais de choix de société. Faut-il maintenir un État qui subventionne les rentes et sacrifie les services publics, ou un État qui investit dans le capital humain, l’innovation et la solidarité ?

 

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain

D’Economie Financière (IAEF-ONG)

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ECLAIRAGE – Chronique économique et financière hebdomadaire : Entre apaisement monétaire international et fragilités locales persistantes

A l’international : entre réajustement monétaire et incertitude géopolitique

La fin d’octobre 2025 a été marquée par une accalmie apparente sur les marchés mondiaux, dans un climat où la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) maintiennent une posture prudente. Les signaux récents d’un ralentissement de l’inflation aux États-Unis ont conforté l’idée d’une stabilisation des taux directeurs, désormais orientés vers un plateau prolongé avant un éventuel cycle de baisse en 2026. Cette orientation a contribué à une légère détente sur les marchés obligataires, mais sans provoquer de réel rebond des actifs risqués, toujours pénalisés par l’incertitude politique aux États-Unis et les tensions au Moyen-Orient.

Sur le plan énergétique, le baril de Brent oscille autour de 84 dollars, soutenu par les tensions persistantes entre Israël et le Hamas, tandis que la croissance européenne reste atone, freinant la demande globale. Ces éléments conjugués exercent une pression ambivalente sur les économies émergentes : une marge de manœuvre accrue pour la politique monétaire, mais un environnement de financement extérieur toujours contraint

Dans ce contexte, les marchés des changes ont légèrement réagi : le dollar s’est maintenu à des niveaux élevés, tandis que l’euro a retrouvé un peu de vigueur face aux devises émergentes. Pour la Tunisie, ces mouvements se traduisent par une relative stabilité du dinar face au dollar (2,935 DT contre 2,932…), mais une légère appréciation face à l’euro (3,413 DT contre 3,415…), témoignant d’un équilibre fragile sur le marché interbancaire des changes.

 

Le dollar s’est maintenu à des niveaux élevés, tandis que l’euro a retrouvé un peu de vigueur face aux devises émergentes. Pour la Tunisie, ces mouvements se traduisent par une relative stabilité du dinar face au dollar (2,935 DT contre 2,932…), mais une légère appréciation face à l’euro (3,413 DT contre 3,415…),

En Tunisie: entre résilience financière et tensions de liquidité

Les indicateurs monétaires et financiers tunisiens au 31 octobre 2025 confirment une situation contrastée, où la stabilité nominale cache des déséquilibres structurels toujours persistants.

Le solde du compte courant du Trésor s’est établi à 1 102 MDT, en baisse marquée par rapport à la veille (885,1 MDT) mais encore éloigné du niveau de 2024 (1 315,1 MDT), traduisant un recours plus modéré du Trésor aux liquidités bancaires. En parallèle, le solde du compte courant ordinaire des banques s’est raffermi à 383,3 MDT, signalant une légère amélioration de la liquidité interbancaire à très court terme.

Le volume global du refinancement s’est maintenu à un niveau élevé, atteignant 11 987,4 MDT, soit une progression de 75 MDT par rapport à la veille, mais toujours inférieur aux 12 650 MDT enregistrés à la même période de 2024. Cette dynamique reflète la dépendance persistante du système bancaire aux injections de la Banque centrale, notamment via les appels d’offres (4 600 MDT) et les opérations de refinancement à plus long terme (ORPLT) de 2 628 MDT. Ces montants confirment que la BCT continue d’assurer un soutien massif au système bancaire, tout en maîtrisant les tensions de liquidités.

Le taux directeur demeure fixé à 7,5 %, inchangé depuis plusieurs mois, tandis que le taux du marché monétaire (TMM) reste aligné à 7,49 %, contre 7,99 % un an plus tôt. Cette détente monétaire relative traduit la volonté de la BCT d’éviter une asphyxie du crédit à l’économie dans un contexte de ralentissement de la demande intérieure et d’inflation désormais contenue autour de 6,7 %.

Les billets et monnaies en circulation poursuivent leur progression, atteignant 25 447 MDT, soit 3,5 milliards de plus qu’en 2024, un signal d’une économie toujours marquée par la prédominance du cash et l’informalité.

 

Le volume global du refinancement s’est maintenu à un niveau élevé, atteignant 11 987,4 MDT, soit une progression de 75 MDT par rapport à la veille, mais toujours inférieur aux 12 650 MDT enregistrés à la même période de 2024. Cette détente monétaire relative traduit la volonté de la BCT d’éviter une asphyxie du crédit à l’économie dans un contexte de ralentissement de la demande intérieure et d’inflation désormais contenue autour de 6,7 %.

 

Sur le plan extérieur, les avoirs nets en devises s’établissent à 24 513,5 MDT, équivalant à 105 jours d’importation, en léger recul par rapport à la veille (106 jours) et à 2024 (111 jours). Ce fléchissement, bien que contenu, rappelle la vulnérabilité de la balance des paiements face aux pressions sur les importations énergétiques et alimentaires.

En revanche, les recettes touristiques cumulées (6 715 MDT) et les revenus du travail cumulés (6 992 MDT) affichent une nette amélioration par rapport à 2024 (+8 % environ), apportant un soutien crucial au compte courant et à la stabilité du dinar. Ces flux extérieurs demeurent le principal amortisseur des chocs économiques, dans un contexte où les financements extérieurs restent limités et conditionnés par des négociations avec les bailleurs de fonds internationaux.

 

Perspectives à court et moyen terme : une stabilité sous contrainte

À court terme, la situation monétaire tunisienne reste maîtrisée grâce à l’action de la BCT, qui parvient à stabiliser la liquidité et le taux interbancaire sans aggraver la pression sur les réserves. Toutefois, cette stabilité demeure artificielle et dépendante du soutien continu de la Banque centrale et des flux extérieurs non productifs (tourisme, transferts).

À moyen terme, la question de la soutenabilité budgétaire reste entière. La contraction de l’encours des bons du Trésor à court terme (3 010 MDT contre 9 294 MDT en 2024) et la hausse des BTA (28 733 MDT contre 17 495 MDT) traduisent une préférence du Trésor pour un allongement des maturités afin d’éviter une pression immédiate sur la liquidité. Ce mouvement, bien que cohérent, reporte le risque de tension sur la dette publique à moyen terme, d’autant que les taux d’intérêt réels restent positifs.

La politique monétaire tunisienne se trouve donc dans une phase de transition : stabiliser sans relancer, ajuster sans asphyxier. Le dilemme de la BCT pour la fin d’année 2025 sera d’arbitrer entre le soutien à la liquidité bancaire et la défense des réserves de change dans un contexte d’incertitude géopolitique régionale.

In fine, sans réforme structurelle ni relance de la production intérieure, la stabilité monétaire actuelle risque de demeurer un équilibre précaire — celui d’une économie en apnée, suspendue entre dépendance externe et résilience interne.

 

La politique monétaire tunisienne se trouve donc dans une phase de transition : stabiliser sans relancer, ajuster sans asphyxier. Le dilemme de la BCT pour la fin d’année 2025 sera d’arbitrer entre le soutien à la liquidité bancaire et la défense des réserves de change dans un contexte d’incertitude géopolitique régionale.

 

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Références :

(1) Sources principales consultées pour le contexte international : World Bank MENAAP (31 oct. 2025), données prix Brent / marché pétrolier (31 oct. 2025), minutes Fed / prises de position récentes, analyses Reuters sur la réaction des marchés aux tensions régionales. (Banque Mondiale)

(2) (*) https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/indicateurs.jsp

(**) https://www.ins.tn/

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain

D’Economie Financière (IAEF-ONG)

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ECLAIRAGE – Le cri d’un citoyen tunisien : symptôme d’une économie à bout de souffle

Il arrive qu’un simple témoignage vaille mieux qu’un rapport officiel. Ces derniers jours, la vidéo d’un citoyen tunisien exprimant sa détresse face à la flambée des prix et à la dégradation du quotidien a bouleversé les réseaux sociaux. L’émotion qu’elle a suscitée dépasse la dimension individuelle : elle révèle, dans sa sincérité brute, le visage d’une crise économique et sociale devenue systémique. Ce cri du cœur, loin d’être isolé, s’inscrit dans une réalité nationale marquée par l’érosion du pouvoir d’achat, la raréfaction des produits, la désillusion politique et la perte de confiance envers l’État.

Un choc du coût de la vie et une érosion du pouvoir d’achat

Lorsque ce citoyen affirme que « les prix ont flambé et la vie est devenue insupportable », il ne s’agit pas d’une hyperbole (1 fest). Le constat est étayé par la tendance inflationniste persistante que connaît la Tunisie depuis plus de deux décennies. Avec une inflation qui oscillait autour de 6,7 % en 2024, et une hausse particulièrement marquée des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité, le pouvoir d’achat réel des ménages s’est considérablement contracté (1).

Les hausses successives des prix des légumes, des fruits et du poisson, évoquées dans le témoignage, traduisent les tensions structurelles dans les circuits de distribution et dans la chaîne de valeur agricole (2). Ces tensions sont alimentées par la dépendance aux importations, la hausse des coûts de production (carburant, intrants agricoles, alimentation animale) et le désengagement progressif de l’État des mécanismes de régulation des prix. Le résultat est clair : le panier du consommateur moyen s’est appauvri, et le marché s’est segmenté entre une minorité solvable et une majorité qui survit.

 

Les hausses successives des prix des légumes, des fruits et du poisson, évoquées dans le témoignage, traduisent les tensions structurelles dans les circuits de distribution et dans la chaîne de valeur agricole. Ces tensions sont alimentées par la dépendance aux importations, la hausse des coûts de production (carburant, intrants agricoles, alimentation animale) et le désengagement progressif de l’État des mécanismes de régulation des prix.

 

Une économie sans moteur productif

Le diagnostic formulé par le citoyen — « l’État a abandonné son rôle dans la production » — rejoint celui de nombreux économistes. Le modèle de développement tunisien, centré sur la consommation et l’endettement, s’est essoufflé. L’investissement productif privé stagne, l’investissement public recule, et les politiques industrielles et agricoles manquent de cohérence (3).

 

Le diagnostic formulé par le citoyen — « l’État a abandonné son rôle dans la production » — rejoint celui de nombreux économistes. Le modèle de développement tunisien, centré sur la consommation et l’endettement, s’est essoufflé. L’investissement productif privé stagne, l’investissement public recule, et les politiques industrielles et agricoles manquent de cohérence.

 

Le pays importe désormais une part croissante de ses besoins alimentaires, tandis que la productivité agricole décline sous l’effet combiné du manque d’eau, de la vétusté des équipements et du retrait progressif des soutiens publics. L’agriculture, autrefois pilier de la souveraineté économique, se trouve fragilisée. Dans ce contexte, les importations deviennent vitales mais pèsent lourdement sur des finances publiques sous tension, accentuant le déséquilibre de la balance commerciale et la pression sur les réserves en devises (4).

L’État, réduit à un rôle de gestion courante, peine à garantir l’approvisionnement du marché. La pénurie de certains produits essentiels n’est pas seulement le résultat d’une spéculation ponctuelle, mais d’une incapacité structurelle à planifier, produire et réguler. Cette impuissance économique nourrit le sentiment d’abandon et alimente la défiance sociale.

La crise de la gouvernance et la faillite de la planification

Le citoyen le dit sans détour : « Les responsables sont prisonniers d’un système sans vision ni stratégie ». Ce jugement traduit une crise de gouvernance profonde. Depuis plusieurs décennies, la Tunisie fonctionne sans véritable planification économique intégrée. Les politiques publiques se succèdent au rythme des urgences, sans coordination entre les ministères, sans priorités claires, et sans mobilisation du secteur privé productif.

Cette absence de stratégie a des effets visibles : une croissance molle (autour de 2 % en moyenne sur les cinq dernières années), un taux de chômage élevé (supérieur à 15 %, et dépassant 35 % chez les jeunes diplômés), et une désindustrialisation progressive. La politique budgétaire, contrainte par le service de la dette, se contente de mesures palliatives, tandis que la politique monétaire, focalisée sur la stabilité des prix, a peu d’impact sur l’investissement et la création d’emplois.

Dans ce contexte, la lutte contre la spéculation — souvent présentée comme un axe majeur — devient un argument politique plus qu’une politique économique. Le citoyen le souligne : « Si les spéculateurs existent, qu’on les montre ». Cette phrase dénonce l’usage rhétorique du terme pour masquer la faiblesse de l’appareil d’État. La spéculation n’est qu’un symptôme d’un marché désorganisé, d’une économie informelle florissante et d’une absence d’autorité régulatrice efficace.

 

Cette absence de stratégie a des effets visibles : une croissance molle (autour de 2 % en moyenne sur les cinq dernières années), un taux de chômage élevé (supérieur à 15 %, et dépassant 35 % chez les jeunes diplômés), et une désindustrialisation progressive. La politique budgétaire, contrainte par le service de la dette, se contente de mesures palliatives, tandis que la politique monétaire, focalisée sur la stabilité des prix, a peu d’impact sur l’investissement et la création d’emplois.

 

Le délitement social et la perte du contrat civique

Derrière les difficultés économiques, ce témoignage met en lumière une crise sociétale : celle de la confiance. « Quand quelqu’un réussit, on l’accuse d’avoir volé », déplore-t-il. Ce constat illustre une fracture morale : dans une économie stagnante, la réussite devient suspecte, et la solidarité s’effrite. Le tissu social tunisien, autrefois fondé sur une forte cohésion communautaire, se délite sous l’effet combiné de la pauvreté, de la méfiance et du repli sur soi.

Le citoyen, enseignant de son état, évoque aussi la faillite du système éducatif : « On ne forme plus des générations capables de penser ou de construire ». Là encore, le constat rejoint les analyses de terrain : un système éducatif déconnecté du marché du travail, figé dans des programmes obsolètes, et incapable de promouvoir la créativité ou l’esprit d’entreprise. Ce déclin éducatif alimente un cercle vicieux : chômage, fuite des compétences, démotivation, et perte de productivité nationale.

Entre populisme et impuissance : un État en perte de crédibilité

Ce témoignage, dans sa virulence, est aussi une critique implicite du populisme ambiant. Les slogans officiels — « lutte contre la corruption », « redressement national », « autosuffisance » — apparaissent creux lorsqu’ils ne s’accompagnent d’aucune amélioration concrète du quotidien. La gouvernance actuelle, concentrée entre les mains de l’exécutif, peine à convaincre d’une vision claire de sortie de crise.

L’État tunisien vit aujourd’hui dans une tension permanente entre le discours et la réalité : il promet la souveraineté alimentaire mais réduit les subventions agricoles ; il prône la justice sociale mais laisse l’inflation ronger les revenus fixes ; il annonce la relance mais gèle les recrutements publics. Cette incohérence mine la légitimité du pouvoir et alimente une colère sociale devenue chronique.

 

L’État tunisien vit aujourd’hui dans une tension permanente entre le discours et la réalité : il promet la souveraineté alimentaire mais réduit les subventions agricoles ; il prône la justice sociale mais laisse l’inflation ronger les revenus fixes ; il annonce la relance mais gèle les recrutements publics. Cette incohérence mine la légitimité du pouvoir et alimente une colère sociale devenue chronique.

 

Un cri qui résonne comme une alerte nationale

Ce citoyen, en exprimant son désarroi, ne fait pas que témoigner — il diagnostique. Son cri traduit ce que les institutions peinent à reconnaître : la Tunisie traverse une crise de modèle, pas seulement une crise de conjoncture. Une économie sans vision productive, un État sans planification, un peuple sans espoir — telle est la trilogie du malaise national.

Mais dans ce cri réside aussi une leçon : celle d’un peuple qui refuse de se taire. Derrière la colère, il y a encore une exigence de dignité, un appel à la rationalité économique et à la responsabilité politique. La Tunisie n’a pas besoin de nouveaux slogans, mais d’un nouveau contrat économique et social, fondé sur la production, la compétence et la justice.

Car comme le dit le citoyen : « Les marchés sont pleins, mais les poches sont vides ». Et tant que cette phrase demeurera vraie, aucune réforme ne sera crédible.

 

Mais dans ce cri réside aussi une leçon : celle d’un peuple qui refuse de se taire. Derrière la colère, il y a encore une exigence de dignité, un appel à la rationalité économique et à la responsabilité politique. La Tunisie n’a pas besoin de nouveaux slogans, mais d’un nouveau contrat économique et social, fondé sur la production, la compétence et la justice.

 

 

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Références :

(1) : FEST : https://library.fes.de/pdf-files/bueros/tunesien/14391.pdf

(2) : INS : https://www.ins.tn/publication/indice-des-prix-la-consommation-septembre-2025

(3) : ITCEQ: http://www.itceq.tn/files/tableaux-de-bord/conjoncture/2025/tbord-mars2025.pdf

(4) : BCT : https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/documents/Conjoncture_fr.pdf

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain

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ECLAIRAGE – Tunisie – Les leçons d’un dilemme monétaire mondial

L’actualité monétaire américaine, marquée par les tensions au sein de la Réserve Fédérale, offre un miroir instructif pour la Tunisie. Derrière la communication de la Fed et sa volonté affichée de transparence, se cache un dilemme classique mais d’une actualité brûlante. A savoir : comment concilier la lutte contre l’inflation et le soutien à l’emploi, sans compromettre la crédibilité de l’institution monétaire.

Un dilemme américain aux résonances tunisiennes

La Fed se retrouve sur une ligne de crête : un resserrement trop hâtif de sa politique monétaire risquerait d’étouffer la reprise et de raviver le chômage; tandis qu’un statu quo prolongé accentuerait les pressions inflationnistes. Ce dilemme, qui place l’institution face au choix entre deux maux, illustre les limites d’une politique monétaire contrainte par la perception politique et la peur de perdre son indépendance.

La situation tunisienne, bien que différente par nature et par ampleur, n’en est pas moins proche dans sa logique. La Banque centrale de Tunisie (BCT) fait face au même tiraillement : préserver la stabilité des prix dans un contexte d’inflation encore élevée; tout en soutenant une économie en sous-régime, minée par un chômage structurel et une faible création d’emplois productifs.

Crédibilité monétaire et pression politique

À Washington comme à Tunis, l’indépendance de la Banque centrale n’est jamais acquise. Aux États-Unis, la Fed est critiquée par un Congrès inquiet de l’inflation. Car celle-ci ronge le pouvoir d’achat d’un électorat déjà fragilisé. En Tunisie, la BCT est soumise à d’autres types de pressions : celles d’un gouvernement contraint par le déficit budgétaire et la dette publique, et par les revendications sociales exigeant davantage de liquidités et de crédit à l’économie.

Le risque est similaire : si la Banque centrale sacrifie la stabilité monétaire pour répondre aux besoins conjoncturels du gouvernement, elle perd en crédibilité. Mais si elle maintient une politique restrictive au nom de la lutte contre l’inflation, elle freine la relance et alimente le chômage. Ce cercle vicieux est au cœur du dilemme tunisien actuel.

 

Le risque est similaire : si la Banque centrale sacrifie la stabilité monétaire pour répondre aux besoins conjoncturels du gouvernement, elle perd en crédibilité. Mais si elle maintient une politique restrictive au nom de la lutte contre l’inflation, elle freine la relance et alimente le chômage. Ce cercle vicieux est au cœur du dilemme tunisien actuel.

 

Inflation, chômage et croissance : le triangle impossible

La règle de Taylor, souvent invoquée par les banquiers centraux, veut que la réaction à l’inflation soit plus forte que celle au chômage. Mais dans les économies fragiles, cette hiérarchie se heurte à la réalité sociale. En Tunisie, où le chômage des jeunes dépasse 35 % et où le pouvoir d’achat se dégrade continuellement, privilégier exclusivement la stabilité des prix revient à ignorer la dimension humaine de la croissance.

La Fed, durant la crise des subprimes, avait su sortir des sentiers battus sous l’impulsion de Ben Bernanke, en adoptant une politique non conventionnelle audacieuse. La Tunisie, confrontée à une situation de stagnation prolongée, pourrait s’inspirer de cette flexibilité intellectuelle : oser des instruments de relance ciblés, mobiliser la politique de crédit vers la production et la transformation, et rétablir la confiance dans le circuit financier interne.

 

La Fed, durant la crise des subprimes, avait su sortir des sentiers battus sous l’impulsion de Ben Bernanke, en adoptant une politique non conventionnelle audacieuse. La Tunisie, confrontée à une situation de stagnation prolongée, pourrait s’inspirer de cette flexibilité intellectuelle : oser des instruments de relance ciblés, mobiliser la politique de crédit vers la production et la transformation, et rétablir la confiance dans le circuit financier interne.

 

In fine : restaurer la crédibilité sans étouffer l’économie

Le dilemme américain éclaire, à sa manière, les tensions tunisiennes entre orthodoxie monétaire et urgence sociale. Dans les deux cas, la crédibilité d’une banque centrale ne se mesure pas uniquement à sa rigueur; mais à sa capacité à agir avec discernement et courage face aux contraintes politiques et économiques.

La Tunisie, en observant les hésitations de la Fed, doit comprendre que la véritable indépendance d’une banque centrale ne réside pas dans le refus du risque, mais dans sa faculté à articuler stabilité, croissance et équité sociale. Autrement dit, l’économie tunisienne ne peut se contenter d’une politique monétaire défensive : elle doit oser une stratégie d’ajustement active, au service de l’investissement et de l’emploi, sans renoncer à la discipline qui fonde la confiance.

 

L’économie tunisienne ne peut se contenter d’une politique monétaire défensive : elle doit oser une stratégie d’ajustement active, au service de l’investissement et de l’emploi, sans renoncer à la discipline qui fonde la confiance.

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain

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Revue économique et financière hebdo au 24 octobre 2025 : équilibre fragile … maîtrisé

A l’ international : marchés sous pression, entre prudence et incertitude

La scène économique mondiale reste marquée par une forte volatilité liée à la conjonction de facteurs géopolitiques et monétaires. Le ralentissement de la croissance mondiale s’accentue, notamment en Europe, où la BCE maintient une politique de taux élevés pour contenir une inflation encore au-dessus de sa cible. Aux États-Unis, la Réserve fédérale poursuit une approche prudente, temporisant toute baisse de taux dans un contexte de résilience de l’emploi et d’endettement public record.

Sur les marchés financiers, les investisseurs demeurent attentistes : les places boursières européennes ont connu des séances hésitantes. Tandis que le dollar reste relativement ferme face à l’euro.

Les cours du pétrole évoluent autour de 85 dollars le baril, soutenus par les tensions persistantes au Moyen-Orient et les réductions de production décidées par l’OPEP+.

Les marchés émergents, notamment africains, subissent une pression croissante sur leurs devises face au durcissement monétaire global. Cette situation alimente des sorties de capitaux, accentuant les besoins de financement extérieur et pesant sur les balances de paiements.

 

En Tunisie, une liquidité bancaire sous surveillance

En Tunisie, les indicateurs monétaires récents mettent en évidence une liquidité bancaire toujours tendue, malgré quelques signes de rééquilibrage. Le solde du compte courant du Trésor s’est contracté à 1 325,8 MDT, contre 2 136,3 MDT un an plus tôt, traduisant la montée des besoins de financement de l’État. Les comptes ordinaires des banques affichent un niveau modéré de 357 MDT, signe d’une gestion serrée des ressources.

Les billets et monnaies en circulation s’élèvent à 25 226 MDT, en légère hausse, reflet de pressions saisonnières liées à la fin d’année. Face à cette situation, la Banque centrale de Tunisie demeure le pivot du système, ajustant finement son intervention.

Le volume global de refinancement s’établit à 11 763 MDT, en léger repli. Les appels d’offres hebdomadaires sont stables à 5 600 MDT. Tandis que les opérations de refinancement à long terme bondissent à 2 628 MDT contre 717 MDT un an plus tôt, signe d’un recours accru à la liquidité structurelle.

Le taux du marché monétaire reste ancré à 7,49 %, très proche du taux directeur de 7,5 %, traduisant une stabilisation bienvenue après plusieurs années de durcissement.

Des fondamentaux externes globalement stables

Les avoirs nets en devises atteignent 25 006 MDT, équivalant à 107 jours d’importation, un niveau satisfaisant mais en léger recul par rapport aux 111 jours enregistrés en 2024. Le dinar tunisien montre une résilience notable : il se maintient autour de 3,41 TND pour un euro et s’apprécie face au dollar, désormais autour de 2,93 TND, bénéficiant du repli du billet vert sur les marchés internationaux.

Les entrées de devises confirment cette solidité. Les recettes touristiques cumulées atteignent 6 715 MDT, en hausse de près de 8 % sur un an, tand que les transferts des Tunisiens à l’étranger progressent de 7,6 % à 6 992 MDT. Ces flux soutiennent la stabilité du dinar et atténuent les tensions sur les réserves. En revanche, le service de la dette extérieure reste élevé, à 10 863 MDT, bien que légèrement inférieur au niveau de l’année précédente.

Le marché financier entre prudence et repositionnement

Sur le marché monétaire, la Banque centrale affiche une volonté de maintenir un équilibre délicat entre soutien à la liquidité et maîtrise des tensions inflationnistes. La réduction des opérations d’open market et la stabilisation du refinancement global illustrent cette approche mesurée.

Le marché des Bons du Trésor traduit un repositionnement stratégique de la dette publique. Les émissions à court terme reculent fortement à 3 010 MDT. Quant aux Bons du Trésor Assimilables à moyen et long termes, ils s’envolent à 28 607 MDT, contre 17 003 MDT un an auparavant. Cette évolution témoigne d’une gestion proactive visant à allonger la maturité de la dette et à réduire la pression du refinancement immédiat.

La Bourse de Tunis reste calme, marquée par un volume d’échanges modéré et une préférence pour les valeurs bancaires et d’assurances. Les investisseurs institutionnels observent une attitude prudente, dans l’attente des orientations définitives du projet de loi de finances 2025, dont les mesures fiscales et budgétaires pourraient influencer les perspectives sectorielles.

Des perspectives de stabilité relative

À court terme, la Tunisie devrait maintenir une stabilité monétaire soutenue par la vigueur du dinar et la solidité des flux extérieurs. La dynamique du tourisme et des transferts demeure un atout majeur pour la balance des paiements. Toutefois, les marges de manœuvre budgétaires resteront limitées face à la hausse des besoins de financement et à la rigidité des dépenses publiques.

À moyen terme, l’équilibre économique dépendra de la coordination entre la politique budgétaire (Cf : LF2026 à l’examen) et monétaire. Une réduction progressive du recours à la dette à court terme, associée à des réformes structurelles ciblant la productivité, sera déterminante pour renforcer la compétitivité nationale. Car, faute de relance effective, le pays s’expose au risque d’une croissance atone accompagnée d’une inflation d’origine structurelle, notamment dans les secteurs de l’énergie et de l’alimentation.

Un équilibre fragile mais maîtrisé

Le paysage économique tunisien au 24 octobre 2025 se caractérise par une stabilisation fragile mais réelle. La Banque centrale, en jouant le rôle d’arbitre prudent, parvient à maintenir une cohérence entre les besoins de financement et la stabilité du dinar. Les recettes extérieures offrent une respiration bienvenue, mais les pressions budgétaires et la dépendance à l’endettement exigent une vigilance de tous les instants.

L’enjeu des prochains mois sera de trouver le juste équilibre entre relance et discipline : stimuler la croissance sans compromettre la stabilité monétaire demeure le défi central de l’économie tunisienne.

 

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Références :

(1) Sources principales consultées pour le contexte international : World Bank MENAAP (24 oct. 2025), données prix Brent / marché pétrolier (24 oct. 2025), minutes Fed / prises de position récentes, analyses Reuters sur la réaction des marchés aux tensions régionales. (Banque Mondiale)

(2) (*) https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/indicateurs.jsp

(**) https://www.ins.tn/

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain D’Economie Financière (IAEF-ONG)

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