Gabès souffre, Gabès attend, Gabès espère…
Une nouvelle marche nationale aura lieu, ce samedi 25 août 2025, à Tunis, pour exiger le démantèlement des unités du Groupe chimique tunisien (GCT) à Gabès et dénoncer «l’étouffement écologique et humain» qui ronge les habitants de cette ville du sud-est de la Tunisie. De Gabès à Tunis, c’est le même cri : rendre à la terre son souffle.
Manel Albouchi

La campagne Stop Pollution appelle citoyens, syndicats et associations à descendre dans la rue, cet après-midi, à partir de 15h30, devant le siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) pour se diriger vers le siège central du Groupe chimique tunisien (GCT).
Aujourd’hui, Gabès n’a pas besoin qu’on lui parle. Elle a besoin qu’on l’écoute. Depuis trop longtemps, cette terre respire du poison et réclame de l’air. Les chiffres, les rapports, les promesses… nous les connaissons tous.
Ce que j’écris ici n’est pas un réquisitoire : c’est un acte de reconnaissance. Parce que reconnaître, c’est déjà commencer à réparer. Et peut-être que la première écologie, avant les lois et les plans, c’est l’écoute du vivant : celle qui réapprend à respirer.
Un trésor perdu
Le golfe de Gabès renferme l’unique oasis marine au monde. Mais il est aussi devenu l’un des plus malades. Ce n’est pas seulement une question d’écologie, c’est une question de santé, de dignité, d’avenir. Quand la mer et la terre deviennent stériles, c’est tout un peuple qu’on étouffe. Quand la chimie remplace la vie, c’est la nation qui s’asphyxie.
Les études nationales et internationales le répètent depuis des années : les eaux du golfe contiennent des concentrations alarmantes de métaux lourds et de phosphogypse. Les maladies respiratoires, dermatologiques, les cancers, tout cela n’est plus une fatalité : c’est un symptôme. Celui d’une économie qui a oublié son corps. Et pourtant, le silence persiste.
Gabès n’est pas un scandale : c’est un miroir. Celui d’un pays qui cherche encore comment respirer sans se nier.
Une erreur de modèle
Le phosphate n’est pas une malédiction. C’est une richesse mal exploitée. Les premières extractions datent de l’époque coloniale : les Français ont découvert le gisement, tracé les rails, ouvert la voie. Mais les usines de transformation, celles qui saturent encore l’air de Gabès, ce sont nous qui les avons construites, après l’indépendance. Nous voulions transformer notre propre matière, créer de la valeur, affirmer notre souveraineté économique. L’intention était noble, le résultat, tragique.
Des usines semblables existaient autrefois en Europe, en France, en Espagne, en Allemagne. Elles ont été fermées dans les années 1980 pour des raisons environnementales et sanitaires. Nous avons pris la relève croyant prolonger un progrès, alors que nous ne faisions que rejouer son erreur.
Il ne s’agit pas d’identifier des coupables ou de désigner des comploteurs. C’est une question de regard : nous avons hérité d’un système qui confond produire et se développer, croître et respirer.
Le devoir de réparer
La responsabilité est collective. Elle n’est pas seulement dans un ministère, mais dans notre rapport à la terre. Nous avons trop longtemps confondu la richesse avec la vitesse, Et le progrès avec la combustion.
Réaménager l’usine ne se fera pas du jour au lendemain, Mais le silence, lui, peut cesser dès maintenant.
Ce qu’on peut faire, concrètement :
- Dépêcher des hauts responsables de l’Etat pour discuter avec les Gabésiens de leurs problèmes et des moyens d’y remédier;
- Remplacer les équipements vétustes des usines du CPG et mettre fin immédiatement aux rejets de toutes sortes;
- Lancer un plan de délocalisation progressive des unités les plus nocives ;
- Créer un fonds spécial pour la sauvegarde de l’oasis de Gabès, une richesse nationale que nous devons tous contribuer à préserver ;
- Instaurer une transparence totale des données environnementales consultables par chaque citoyen et mettre en place un système d’alerte précoce à la pollution industrielle, et pas seulement à Gabès.
Ces mesures ne suffiront pas à tout réparer mais elles peuvent rendre à Gabès ce qui lui manque le plus : d’abord la confiance en l’avenir et l’espoir d’un vrai développement, celui qui relie, protège, inspire.
La promesse
Nous irons frapper aux portes des Tunisiens, non pour bâtir des murs de séparation ou des jardins vitrines, mais pour sauver nos enfants.
Nous irons dialoguer avec nos partenaires européens engagés dans la transition écologique, mais aussi avec nos voisins de la Méditerranée, et demander leur aide pour réparer la catastrophe écologique à Gabès, car la mer n’est à personne : elle est un souffle partagé.
«Les lourds fardeaux s’allègent lorsqu’ils sont portés par plusieurs consciences, et non par une seule, fût-t-elle dotée de la plus grande force», écrivait Taha Hussein.
Et Gabès n’est pas un échec. C’est un avertissement et une promesse : celle d’un pays qui peut enfin choisir de respirer à son propre rythme.
Respirer, aujourd’hui, c’est déjà résister. Car l’être humain n’est pas une machine : il n’est pas seulement production, il est corps, et il est surtout reliance : l’art de se relier au vivant, à la terre et aux autres. Et c’est là que commence la véritable indépendance : celle qui ne se signe pas mais qui se respire.
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La campagne “Stop Pollution” a réitéré son attachement à l’arrêt immédiat de l’activité des unités industrielles du Groupe Chimique Tunisien (