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ECLAIRAGE — Dette souveraine – Le retour aux fondamentaux … Un mal nécessaire devenu dépendance structurelle

L’endettement public est au cœur des débats économiques contemporains. Instrument de relance lorsqu’il finance l’investissement, il devient un fardeau lorsqu’il entretient les déséquilibres et la dépendance. Pour les ménages comme pour les entreprises, la dette excessive est un signal d’alerte ; pour les États, elle devient une question de souveraineté.

Dans le cas de la Tunisie, l’endettement est aujourd’hui moins un choix qu’une nécessité imposée par la faiblesse des recettes fiscales, la stagnation de la croissance et la pression sociale. Mais cette dette n’est pas neutre : elle est en grande partie contractée en devises étrangères. Ce qui change radicalement la donne.

La clé : la monnaie d’émission de la dette

Les économistes de tous bords, notamment en Tunisie, le rappellent : un pays ne risque véritablement une crise de dette souveraine que dans deux situations. Premièrement, si la dette est libellée dans une devise étrangère. Et deuxièmement, si l’État n’a pas la possibilité de la racheter via sa propre Banque centrale.

C’est précisément ce qui distingue les grandes puissances des pays émergents. Les États-Unis peuvent s’endetter sans craindre de défaut : leur dette est en dollars, et la Réserve fédérale peut, en dernier ressort, « monétiser » cette dette — c’est-à-dire la racheter en créant de la monnaie. Ce mécanisme, certes inflationniste quand les tensions sur les capacités de production sont exacerbées et surchauffe, reste une forme de souveraineté. Il garantit la liquidité de la dette publique et protège l’État contre la spéculation.

 

C’est précisément ce qui distingue les grandes puissances des pays émergents. Les États-Unis peuvent s’endetter sans craindre de défaut : leur dette est en dollars, et la Réserve fédérale peut, en dernier ressort, « monétiser » cette dette — c’est-à-dire la racheter en créant de la monnaie. Ce mécanisme, certes inflationniste quand les tensions sur les capacités de production sont exacerbées et surchauffe, reste une forme de souveraineté.

 

La Tunisie, piégée par sa dépendance extérieure

La Tunisie, comme beaucoup d’économies émergentes, ne dispose pas de ce privilège. Plus d’un tiers de sa dette extérieure est libellée en devises étrangères, principalement en euros et en dollars. Or, le dinar ne bénéficie pas d’un statut international : la Banque centrale de Tunisie ne peut créer ni dollars ni euros pour rembourser ses engagements.

Le pays doit donc gagner ces devises, à travers les exportations, le tourisme, les transferts des Tunisiens à l’étranger, ou encore de nouveaux emprunts. Cette mécanique, fragile par nature, rend la Tunisie vulnérable aux chocs externes, à la hausse des taux mondiaux et à la dépréciation du dinar.

 

Le pays doit donc gagner ces devises, à travers les exportations, le tourisme, les transferts des Tunisiens à l’étranger ou encore de nouveaux emprunts.

 

 

Dette tunisienne

 

Lorsque les remboursements s’accumulent, l’État se retrouve acculé : réduire les dépenses, geler les recrutements, retarder les paiements, ou emprunter encore. C’est le cercle vicieux de la dette improductive, celle qui finance le fonctionnement de l’État plutôt que son développement.

Le tabou de la monétisation

Certains économistes tunisiens plaident pour un recours contrôlé à la création monétaire afin de financer les investissements publics, à l’image de ce que pratiquent les pays développés, dont notamment le Japon. Mais la Banque centrale de Tunisie, arc-boutée sur son indépendance, reste réticente. Son mandat, inspiré du modèle européen, privilégie la stabilité des prix à la croissance et à l’emploi.

Ce cadre, pertinent dans un environnement d’inflation chronique, devient cependant restrictif lorsque l’économie stagne. La peur de « l’inflation par la planche à billets » a conduit à une forme d’austérité monétaire qui étouffe l’investissement public et prive l’État d’un levier de relance. Dans un pays où le chômage dépasse 15 % et où les infrastructures se dégradent, la question mérite d’être reposée.

 

La Tunisie, qui envisage de faire son grand retour sur le marché financier international en 2026, se trouve paradoxalement dans une situation inverse : bien qu’elle dispose de sa propre monnaie, une part importante de sa dette est libellée en devises étrangères.

 

La leçon grecque et la leçon tunisienne

L’exemple de la Grèce en 2010 a montré qu’un pays peut perdre sa souveraineté monétaire même au sein d’une union puissante. Athènes, intégrée à la zone euro, ne pouvait plus monétiser sa dette : la Banque centrale européenne (BCE) détenait le monopole de la création monétaire. Elle a donc dû se plier à une austérité dictée par les créanciers.

La Tunisie, qui envisage de faire son grand retour sur le marché financier international en 2026, se trouve paradoxalement dans une situation inverse : bien qu’elle dispose de sa propre monnaie, une part importante de sa dette est libellée en devises étrangères. Elle n’est donc pas pleinement souveraine dans la gestion de sa dette, puisqu’elle dépend de ressources extérieures pour en assurer le service. Dans les deux cas, le constat demeure identique : sans maîtrise ni de la monnaie ni de la dette, il ne peut y avoir de véritable souveraineté économique.

 

Repenser la dette : substituer la confiance interne à la dépendance externe

Revenir aux fondamentaux, pour la Tunisie, signifie rompre avec la logique d’endettement externe systématique. Il s’agit de renforcer la dette en dinars, d’élargir le marché obligataire local, de mobiliser l’épargne nationale et de regagner la confiance des investisseurs locaux.

Un État qui inspire confiance à ses citoyens n’a pas besoin de s’endetter à l’étranger pour se financer. Cela suppose plus de transparence, une meilleure gouvernance budgétaire et une politique économique lisible.

 

La dette n’est pas un mal en soi. Cependant elle devient une servitude lorsqu’elle se conjugue à la perte de maîtrise monétaire et à la dépendance extérieure.

 

À long terme, c’est cette souveraineté financière retrouvée qui permettra à la Tunisie de financer son développement sans se condamner à l’endettement perpétuel.

In fine, la dette n’est pas un mal en soi. Cependant elle devient une servitude lorsqu’elle se conjugue à la perte de maîtrise monétaire et à la dépendance extérieure. Le véritable « retour aux fondamentaux » pour la Tunisie ne réside pas dans la réduction comptable de la dette, mais dans la reconquête de son sens : financer la croissance et non la survie.

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain D’Economie Financière (IAEF-ONG)

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ECLAIRAGE – Banque centrale de Tunisie : entre discours de résilience et réalité des fragilités

À l’occasion des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, qui se sont tenues à Washington du 14 au 18 octobre 2025, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Fethi Zouhair Nouri, a livré un discours empreint d’optimisme, défendant une vision de stabilité fondée sur la « responsabilité nationale ». Les communiqués de la BCT du 16/18 octobre s’inscrivent dans une logique de valorisation du modèle tunisien de résilience, dans un contexte mondial instable et marqué par les incertitudes géopolitiques, les tensions inflationnistes et les pressions sur les marchés financiers.

 

Un discours de confiance et de cohérence

Devant ses pairs du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, d’Afghanistan et du Pakistan (MENAP), le gouverneur a souligné les efforts de la Tunisie pour maintenir ses équilibres fondamentaux et honorer ses engagements extérieurs, malgré les crises successives. Selon lui, la stabilité du dinar, la solidité du système bancaire et la relative constance des réserves en devises témoigneraient de la robustesse des politiques monétaires et budgétaires adoptées.

 

La BCT se félicite également d’une amélioration de la notation souveraine, d’une meilleure perception des investisseurs internationaux, et d’un retour progressif de la confiance.

 

M. Nouri a par ailleurs multiplié les rencontres bilatérales — avec le Fonds monétaire arabe, la Banque centrale des Comores et des investisseurs internationaux — pour renforcer la coopération financière régionale et promouvoir l’image d’une Tunisie « capable de se relever par ses propres moyens ».

 

Le message est clair : la stabilité ne peut être importée, elle se construit de manière endogène, à travers la discipline budgétaire, la cohérence des politiques publiques et la responsabilité institutionnelle.

 

Une stabilité encore fragile

Ce récit maîtrisé de résilience mérite toutefois d’être nuancé. Derrière la rhétorique de stabilité se cache une fragilité structurelle persistante. La stabilité du dinar, par exemple, repose moins sur la vigueur des exportations que sur une régulation stricte des changes et une compression des importations. De même, la relative solidité des réserves en devises tient davantage à la maîtrise des flux financiers qu’à un véritable redressement du solde courant.

 

La stabilité du dinar, par exemple, repose moins sur la vigueur des exportations que sur une régulation stricte des changes et une compression des importations. De même, la relative solidité des réserves en devises tient davantage à la maîtrise des flux financiers qu’à un véritable redressement du solde courant.

 

Quant à l’acquittement du service de la dette extérieure, s’il a permis d’éviter le défaut de paiement, il s’est effectué au prix d’une contraction des dépenses publiques et d’un report des investissements d’infrastructure. Cette stratégie, fondée sur la prudence monétaire et la discipline budgétaire, risque à terme d’alimenter une croissance molle, incapable d’absorber le chômage et de soutenir le tissu productif.

 

L’amélioration de la notation souveraine, souvent mise en avant, reste modeste. Les agences internationales reconnaissent des efforts de stabilisation, mais maintiennent la Tunisie sous surveillance en raison d’un endettement élevé, d’une inflation encore au-dessus de la cible et d’une faible croissance potentielle. En d’autres termes, la confiance reste à reconstruire sur des bases économiques plus solides.

 

Résilience ou dépendance maîtrisée ?

Si la BCT revendique une stabilité « endogène », la réalité montre que la Tunisie demeure fortement dépendante de l’appui extérieur. Les relations avec le FMI, la Banque mondiale et les bailleurs arabes conditionnent largement la trajectoire budgétaire du pays. La diversification des sources de financement, notamment via le Fonds monétaire arabe ou des partenariats Sud-Sud, reste encore à ses débuts.

 

Si la BCT revendique une stabilité « endogène », la réalité montre que la Tunisie demeure fortement dépendante de l’appui extérieur. Les relations avec le FMI, la Banque mondiale et les bailleurs arabes conditionnent largement la trajectoire budgétaire du pays.

 

La politique monétaire, prudente mais contrainte, cherche un équilibre difficile entre contrôle de l’inflation et soutien à l’activité économique. Le resserrement des taux a certes freiné la spirale inflationniste, mais au prix d’un crédit plus cher et d’un investissement privé en repli. Ce dilemme, typiquement tunisien, illustre la tension entre la stabilité financière à court terme et la croissance durable à moyen terme.

 

Transformer la stabilité défensive en croissance inclusive

Le message du Gouverneur s’inscrit dans une stratégie de restauration de la crédibilité internationale de la Tunisie. Toutefois, la véritable épreuve consiste désormais à transformer cette stabilité défensive en dynamique de croissance inclusive et durable.

 

La résilience tunisienne, souvent saluée, ne pourra être consolidée sans une relance effective des réformes structurelles : modernisation du système fiscal, amélioration du climat des affaires, intégration plus fine entre politiques monétaires et budgétaires, et surtout, redéfinition du rôle de l’État dans la régulation économique.

 

La résilience tunisienne, souvent saluée, ne pourra être consolidée sans une relance effective des réformes structurelles : modernisation du système fiscal, amélioration du climat des affaires, intégration plus fine entre politiques monétaires et budgétaires, et surtout, redéfinition du rôle de l’État dans la régulation économique.

 

Le mérite de la BCT est d’avoir tenu la barre dans la tempête. Mais pour que la Tunisie cesse de « naviguer à vue », il faudra que la stabilité monétaire s’accompagne d’un redressement productif, capable de générer de la richesse, de l’emploi et de la confiance sociale.

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain

D’Economie Financière (IAEF-ONG)

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ECLAIRAGE – Revue économique et financière au 17 octobre 2025 – Tunisie : respiration monétaire, mais vigilance externe

International : un environnement mondial encore instable (1)

La scène internationale demeure dominée par une forte incertitude géopolitique et monétaire. Entre les tensions persistantes au Moyen-Orient, la guerre en Ukraine et les hésitations des grandes Banques centrales face à la désinflation, les marchés financiers évoluent dans un climat de prudence.

La Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne temporisent : après deux ans de resserrement, elles marquent une pause pour évaluer les effets cumulatifs de la hausse des taux sur la croissance.

Dans ce contexte, les marchés émergents, dont la Tunisie, restent vulnérables aux mouvements de capitaux et aux fluctuations des prix de l’énergie. Les investisseurs privilégient la sécurité, provoquant une sélectivité accrue dans l’allocation de liquidités. Cette situation pèse sur le coût du refinancement externe des économies à faible marge budgétaire, mais profite à celles qui affichent une amélioration de leurs recettes en devises.

Pour Tunis, cette conjoncture mondiale agit comme un miroir : chaque hausse des entrées touristiques ou des transferts de la diaspora renforce la crédibilité externe du pays. Mais toute tension géopolitique ou correction de marché peut rapidement inverser cette dynamique fragile.

 

Des signaux mitigés dans les indicateurs monétaires et financiers (2)

Les données publiées le 17 octobre 2025 confirment une phase d’assouplissement monétaire mesuré. Le taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) se maintient à 7,5 %, contre 8 % un an plus tôt. Le taux du marché monétaire s’aligne à 7,49 %, traduisant une détente du coût du crédit. Cette orientation s’inscrit dans la continuité d’un reflux progressif de l’inflation, désormais proche de 5 %, mais reste prudente afin d’éviter un relâchement prématuré.

La liquidité bancaire témoigne d’un ajustement équilibré : le volume global du refinancement s’établit à 11 498 MDT, en légère baisse, tandis que les opérations d’open market reculent à 3 885 MDT, soit une diminution de plus de 4 000 MDT par rapport à la référence de 2024. Ce recul traduit un moindre recours des banques aux instruments d’injection de liquidité.

En parallèle, la facilité permanente de dépôt s’élève à -1 297 MDT, tandis que la facilité de prêt atteint 1 120 MDT, illustrant une gestion fine de la trésorerie interbancaire et un équilibre fragile entre excédents et besoins ponctuels de liquidité.

Sur le plan budgétaire, le solde du compte courant du Trésor recule nettement à 952,9 MDT, contre 1 558,6 MDT à la même période de 2024. Ce déficit témoigne de tensions de trésorerie persistantes qui pourraient nécessiter de nouveaux ajustements ou émissions de Bons du Trésor à court terme. À ce titre, l’encours des Bons du Trésor Assimilables (BTA) progresse à 28 607 MDT, signe d’un financement budgétaire accru par voie interne.

Des fondamentaux externes globalement soutenus

Sur le front extérieur, les avoirs nets en devises de la BCT demeurent solides à 24 578 MDT, équivalant à 105 jours d’importation. Ce niveau, bien qu’en léger repli de quatre jours par rapport à 2024, reste rassurant.

Deux facteurs clés soutiennent ce coussin : les recettes touristiques cumulées, en hausse à 6 514 MDT, et les revenus du travail cumulés, qui atteignent 6 769 MDT, confirmant la vitalité de la diaspora tunisienne.

Le service de la dette extérieure, de son côté, recule à 10 817 MDT, contre plus de 12 000 MDT en 2024, traduisant un rééchelonnement maîtrisé des paiements et une meilleure gestion des flux sortants.

Côté changes, le dinar tunisien se montre relativement stable : 2,93 TND pour un dollar et 3,42 TND pour un euro. Cette stabilité résulte autant des interventions ciblées de la BCT que d’un contexte de devises plus équilibré, même si la dépendance vis-à-vis des recettes touristiques et des transferts demeure forte.

 

Perspectives : prudence à court terme, consolidation à moyen terme

À court terme, la détente monétaire et la vigueur des recettes en devises offrent un répit bienvenu à la conjoncture tunisienne. La stabilité du dinar et la baisse du taux directeur créent un environnement propice à la relance du crédit et à une reprise modérée de l’investissement.

Toutefois, la dégradation du solde du Trésor et la baisse des avoirs extérieurs appellent à une vigilance renforcée : tout choc externe ou retard de financement pourrait rapidement fragiliser l’équilibre retrouvé.

À moyen terme, la Tunisie dispose d’un levier réel si elle parvient à combiner discipline budgétaire, soutien ciblé à la production exportatrice et amélioration du climat des affaires. La priorité demeure la stabilisation des finances publiques et la consolidation des réserves, conditions essentielles pour réduire la prime de risque, attirer l’investissement et restaurer une croissance durable.

In fine, la Tunisie entre dans une phase de respiration monétaire bienvenue, mais fragile. Les signaux d’apaisement sur les taux et la liquidité bancaire ne peuvent produire leurs effets durables que si la politique budgétaire et la politique extérieure convergent vers une stratégie cohérente de stabilisation et de confiance.

 

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Références :

(1) Sources principales consultées pour le contexte international : World Bank MENAAP (7 oct. 2025), données prix Brent / marché pétrolier (10 oct. 2025), minutes Fed / prises de position récentes, analyses Reuters sur la réaction des marchés aux tensions régionales. (Banque Mondiale)

(2) (*) https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/indicateurs.jsp

(**) https://www.ins.tn/

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain D’Economie Financière (IAEF-ONG)

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ECLAIRAGES – Pourquoi exiger de la Tunisie ce que d’autres pays ne feraient jamais?

Pour saisir toute l’ampleur de la question de savoir pourquoi exiger de la Tunisie ce que d’autres pays ne feraient jamais, il faut la replacer dans une comparaison raisonnée avec d’autres économies, en rapportant les données aux proportions tunisiennes.

Imaginons, par exemple, que les États-Unis décident de réduire drastiquement leurs dépenses publiques et d’augmenter les impôts afin de combler un déficit de plusieurs centaines de milliards de dollars.

Logiquement, une telle austérité plongerait l’économie dans la récession, ferait exploser le chômage et nécessiterait encore plus d’efforts financiers pour rétablir l’équilibre budgétaire.

L’indignation des citoyens américains serait immédiate et massive. La population tunisienne, confrontée à une rigueur imposée par l’extérieur et qui semble parfois démesurée, vit aujourd’hui un sentiment analogue de frustration et d’impuissance.

La comparaison a ses limites, certes. Les États-Unis ne pourraient jamais imposer de tels sacrifices à leurs citoyens. Les exemples sont nombreux : face aux crises budgétaires, le gouvernement américain privilégie toujours le compromis; même lorsque les divergences partisanes sont extrêmes. Tout en limitant la réduction des dépenses à des montants proportionnellement modestes.

Tunisie-Grèce vs Etats-Unis

En Tunisie, comme en Grèce, la situation est différente : ce n’est pas le gouvernement tunisien qui décide seul de l’ampleur de la rigueur; mais des institutions internationales, technocratiques, qui imposent des mesures parfois déconnectées de la réalité économique et sociale du pays.

Pourtant, l’expérience grecque démontre qu’un gouvernement soutenu par sa population conserve une marge de manœuvre réelle. Opposés à 80 % à l’aggravation de l’austérité, les Grecs avaient réussi à contraindre leur gouvernement à renégocier certaines conditions avec le FMI, retardant l’application complète d’un plan de rigueur initialement dicté de l’extérieur.

Une dynamique similaire pourrait exister en Tunisie : l’opinion publique, consciente de l’impact social de mesures drastiques, pourrait peser sur les décisions gouvernementales et sur la capacité du pays à négocier des aménagements avec ses créanciers.

L’un des points clés est celui du service de la dette. Aujourd’hui, la Tunisie consacre une part considérable de ses ressources à rembourser intérêts et échéances. Une charge qui pèse sur tout plan de relance économique. Est-il humain ou réaliste de demander à un pays, dont l’économie est déjà fragile, de supporter des taux d’intérêt équivalents à ceux exigés dans d’autres contextes? La simple suspension temporaire des paiements d’intérêts pourrait libérer des liquidités essentielles pour financer l’investissement, stimuler la croissance et soutenir l’emploi.

L’intérêt des créanciers internationaux avant ceux des citoyens

Pourtant, comme l’expérience grecque le montre, les créanciers internationaux – et certains acteurs européens – privilégient avant tout la protection de leurs banques et de leurs portefeuilles, au détriment des citoyens et de l’économie réelle.

Cette approche révèle un déséquilibre fondamental dans la gestion des crises de la dette : elle privilégie les créanciers au détriment des populations. Les responsables internationaux doivent donc repenser leur approche, en considérant non seulement les risques financiers, mais aussi les conséquences sociales et économiques.

En Tunisie, les citoyens ont déjà payé un lourd tribut : compressions salariales, hausse du coût de la vie, pressions fiscales et baisse des services publics. Il est urgent que ces réalités soient intégrées dans toute discussion sur les réformes économiques et l’austérité.

Impératif d’une vision équilibrée…

In fine, la Tunisie, comme la Grèce, dispose de marges de manœuvre pour négocier et protéger ses citoyens. Imposer une rigueur absolue et immédiate revient à épuiser l’économie, freiner toute relance et creuser les inégalités.

Les autorités et institutions internationales doivent donc adopter une vision plus équilibrée : soutenir la solvabilité de l’État tout en préservant la capacité de la Tunisie à investir, créer de l’emploi et garantir une stabilité sociale.

Une politique qui ignore cette dimension humaine et économique risque non seulement de freiner le redressement, mais aussi de générer une instabilité durable, coûteuse pour tous.

 

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* Dr. Tahar EL ALMI,

Economiste-Economètre.

Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,

Psd-Fondateur de l’Institut Africain d’Economie Financière (IAEF-ONG)

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