Face à un contexte économique tendu et à des finances publiques sous pression, le Projet de loi de finances 2026 soulève plus d’interrogations que d’espoirs/réponses. Hausse des dépenses, pression fiscale accrue, mesures salariales inédites : le texte, présenté comme porteur d’équité et de relance, peine à convaincre par sa cohérence et sa vision à long terme.
Dans l’entretien ci-dessous, Omar Besbes, expert-comptable associé au cabinet United Advisers, décrypte les forces et les faiblesses d’un budget jugé ambitieux dans ses intentions mais contraint dans ses moyens.
Quelle est votre évaluation globale du Projet de loi de finances (PLF) 2026 ?
Ce projet illustre les tensions entre un État qui cherche à préserver son rôle social et une économie réelle qui manque de souffle. Le Projet de loi de finances 2026 a été déposé dans les délais, le 14 octobre, avec un léger ajustement pour anticiper le jour férié du 15. Il se distingue par une hausse des dépenses publiques de près de 5 % par rapport à celui de l’année précédente et par l’introduction d’une mesure financière importante permettant à la Banque centrale d’accorder un crédit au budget de l’État à hauteur de 11 milliards de dinars.
Le texte affiche des ambitions sociales, une volonté de modernisation et de renforcement de l’équité fiscale, mais ces intentions se heurtent à un contexte économique très contraint. L’élaboration de la loi a été dictée par des défis majeurs : endettement élevé, marges limitées pour recourir à des emprunts extérieurs et pression croissante sur les ressources publiques. C’est pourquoi le recours répété à un financement direct par la Banque centrale, mesure qui illustre à la fois l’urgence budgétaire et la recherche de solutions internes.
La croissance prévue pour 2026, bien que non mentionnée officiellement, est estimée par la Banque mondiale et le FMI à environ 2 %, un niveau inférieur à la moyenne mondiale attendue de près de 3 %, illustrant un décalage de phase économique de la Tunisie.
Que reprocheriez au PLF 2026
La critique principale du projet réside dans l’absence de stratégie et de vision économique claire. Aucune feuille de route de développement ne se dégage des dispositions législatives, malgré l’annonce dans l’introduction de ce projet de loi faisant état d’un alignement de ses mesures avec les grands axes de la stratégie 2026-2030 en cours de préparation.
Cette opacité est renforcée par l’absence inédite d’exposé des motifs, document qui, jusqu’ici, accompagnait chaque loi de finances pour expliquer le contexte, la vision et les objectifs, article par article. Cette omission prive le texte de ses justifications et renforce les interrogations sur sa cohérence, la stratégie économique qui le sous-tend et l’intention du législateur.
Cette opacité est renforcée par l’absence inédite d’exposé des motifs, document qui, jusqu’ici, accompagnait chaque loi de finances pour expliquer le contexte, la vision et les objectifs, article par article. Cette omission prive le texte de ses justifications et renforce les interrogations sur sa cohérence, la stratégie économique qui le sous-tend et l’intention du législateur. Face à ce manque de vision et de transparence, le projet a suscité de vives contestations, notamment parmi les députés de la Commission des finances chargée de son examen avant la séance plénière.
Contrairement aux précédents PLF, celui de 2026 prévoit une augmentation des salaires dans les secteurs public et privé. Comment évaluez-vous cette mesure et quel pourrait en être l’impact sur les entreprises, en particulier les PME ?
Le PLF 2026 se distingue par une mesure inédite : une augmentation des salaires imposée directement par décret plutôt que par les négociations traditionnelles entre partenaires sociaux. Habituellement, les ajustements salariaux résultent d’accords entre syndicats et organisations patronales dans le privé, ou entre syndicats et ministères de tutelle dans le public.
Intégrer une telle disposition dans une loi de finances est exceptionnel, puisque ce type de texte se concentre généralement sur les mesures fiscales et budgétaires.
Cette augmentation ne prendra effet qu’après la publication du décret gouvernemental, dont les modalités restent à définir, et il est probable qu’elle soit indexée sur l’inflation de l’année précédente. Cette mesure, probablement motivée par des considérations sociales et politiques, vise à compenser l’érosion du pouvoir d’achat accumulée depuis plusieurs années.
Cette augmentation ne prendra effet qu’après la publication du décret gouvernemental, dont les modalités restent à définir, et il est probable qu’elle soit indexée sur l’inflation de l’année précédente.
Cependant, dans le contexte économique actuel, marqué par une faible croissance, une stagnation économique et des difficultés prononcées pour les PME, cette revalorisation unilatérale pourrait peser lourdement sur la rentabilité des entreprises. Les sociétés aux marges déjà serrées pourraient voir leurs capacités financières réduites, compromettant leur développement.
Paradoxalement, cette mesure pourrait contrecarrer l’objectif affiché de stimuler l’emploi et l’investissement, certaines entreprises pouvant même être contraintes de réduire leurs effectifs pour maintenir leur viabilité.
Ainsi, si le PLF 2026 traduit une volonté de soutenir le pouvoir d’achat des salariés, il comporte des risques significatifs pour les entreprises, particulièrement pour les PME, et pourrait produire des effets inverses sur l’emploi et la croissance économique.
Le PLF 2026 prévoit une prise en charge par l’État des cotisations patronales à la CNSS pour les entreprises recrutant des diplômés de l’enseignement supérieur. Pensez-vous que cette mesure pourra inciter les entreprises à recruter davantage ?
Effectivement. Il convient cependant de préciser que cette mesure concerne uniquement les diplômés de l’enseignement supérieur recrutés à partir du 1ᵉʳ janvier 2026. Elle ne s’applique donc pas aux salariés déjà en poste à cette date, ce qui implique que la prise en charge des cotisations patronales ne peut en aucun cas compenser, pour les entreprises, les augmentations salariales obligatoires prévues par le PLF 2026.
Pour les nouvelles recrues, le dispositif prévoit une prise en charge des cotisations patronales à la CNSS sur cinq années, selon un barème dégressif : 100 % la première année, 80 % la deuxième, 60 % la troisième, 40 % la quatrième et 20 % la cinquième.
Cette mesure constitue une incitation significative pour les entreprises, en réduisant le coût de l’embauche et en leur permettant de proposer des rémunérations conformes aux attentes des salariés, tout en respectant leur budget. Elle offre ainsi une marge de manœuvre appréciable et favorise la décision de recrutement.
Pour les nouvelles recrues, le dispositif prévoit une prise en charge des cotisations patronales à la CNSS sur cinq années, selon un barème dégressif : 100 % la première année, 80 % la deuxième, 60 % la troisième, 40 % la quatrième et 20 % la cinquième.
Cependant, l’effet de cette mesure reste conditionné à plusieurs facteurs. Tout d’abord, une entreprise doit disposer d’une activité suffisamment stable et d’une situation financière saine pour engager de nouvelles recrues. Cela implique un contexte de croissance et d’investissement, éléments pour lesquels la Loi de Finances 2026 n’apporte que peu de mesures incitatives.
Ensuite, l’efficacité de ce dispositif dépendra de la simplicité de la procédure d’éligibilité et de la qualité de sa communication. Une mise en œuvre complexe ou mal connue risquerait de limiter considérablement le taux d’adoption, comme l’a montré l’expérience des dispositifs similaires dans les années précédentes.
Par ailleurs, il est regrettable que les titulaires de BTP et de BTS ne soient pas concernés, alors que le taux de chômage reste élevé parmi ces techniciens et techniciens supérieurs. L’extension de cette mesure à cette catégorie aurait permis de maximiser son impact sur le marché de l’emploi.
En conclusion, cette mesure est clairement orientée positivement et constitue un levier pour encourager le recrutement de diplômés de l’enseignement supérieur. Néanmoins, son efficacité dépendra d’une conjoncture économique favorable pour les entreprises, de la clarté et de la simplicité de sa mise en œuvre, ainsi que d’une communication efficace. Sans ces conditions, son potentiel de stimulation de l’emploi risque de rester limité.
La pression fiscale du PLF 2026 représente-t-elle une hausse par rapport à celle de 2025 ?
L’un des rares points positifs de cette Loi de Finances réside dans sa stabilité réglementaire : elle ne modifie pas les fondamentaux de la réglementation fiscale, contrairement aux deux exercices précédents où les taux d’imposition et les bases fiscales avaient été profondément modifiés.
Cependant, le PLF 2026 prévoit une augmentation des recettes fiscales de 5 %, cette hausse dépasse largement la croissance attendue pour 2026, estimée à environ 2 %. En pratique, cette augmentation ne se traduira pas par un prélèvement sur la croissance économique, mais par un renforcement de la pression fiscale sur les contribuables, notamment sur les PME.
Si quelques mesures incitatives sont prévues, comme la prise en charge des cotisations patronales ou les dispositifs favorisant la transition énergétique et la mobilité durable, l’essentiel du projet de loi vise à accroître les recettes fiscales.
Si quelques mesures incitatives sont prévues, comme la prise en charge des cotisations patronales ou les dispositifs favorisant la transition énergétique et la mobilité durable, l’essentiel du projet de loi vise à accroître les recettes fiscales.
En effet, de nombreuses mesures illustrent cette hausse de la pression fiscale. Le taux de la Contribution Sociale de Solidarité (CSS), qui devait revenir à 1 % en 2026 après des taux temporaires de 3 et 4 % ces dernières années, restera élevé pour encore trois ans. Une contribution supplémentaire de 4 % est également instaurée pour les banques, qui paieront à partir de 2026 40 % d’impôt sur les sociétés, plus 4 % de CSS et 4 % de contribution à la Caisse de Solidarité Sociale, soit un taux effectif de 48 %.
D’autres mesures et taxes parafiscales sont également prévues, telles que les droits de timbre sur les factures des grandes surfaces ou le prélèvement sur la facture de location des voitures de tourisme. Dans l’ensemble, la majorité des dispositions de ce PLF renforcent la pression fiscale sans offrir de véritable incitation à l’investissement et sans mesures significatives pour soutenir les entreprises, qu’il s’agisse des PME ou des acteurs économiques de taille moyenne ou importante.
Mot de la fin
En définitive, le PLF 2026 exprime davantage des ambitions politiques que des réformes économiques. Il traduit la volonté affichée du gouvernement de renforcer l’équité sociale, de simplifier les mesures et de moderniser l’action publique, tout en s’inscrivant dans un cadre de développement 2026-2030. Mais ces intentions ne s’accompagnent pas de mesures concrètes capables de relancer l’investissement ou de stimuler la croissance. En l’état, il s’agit d’un budget de continuité plutôt que de transformation.
En définitive, le PLF 2026 exprime davantage des ambitions politiques que des réformes économiques. Il traduit la volonté affichée du gouvernement de renforcer l’équité sociale, de simplifier les mesures et de moderniser l’action publique, tout en s’inscrivant dans un cadre de développement 2026-2030. Mais ces intentions ne s’accompagnent pas de mesures concrètes capables de relancer l’investissement ou de stimuler la croissance.
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