Commerce extérieur : la Tunisie peut-elle encore préserver son autonomie économique ?
Les chiffres publiés récemment par l’Institut National de la Statistique (INS) mettent en évidence des déséquilibres persistants dans les échanges commerciaux entre la Tunisie et plusieurs partenaires. Si certains déficits peuvent être justifiés par l’importation de produits stratégiques, d’autres soulèvent des interrogations sur la pertinence économique de ces flux.
Le déficit commercial tunisien s’est creusé de -13,5 milliards de dinars en un an, atteignant –16,7 milliards, avec un taux de couverture qui été de 73,5% contre 77,5% durant la même période en 2024 (chiffres à fin septembre 2025). Cette détérioration n’est pas due à une chute des exportations en valeur absolue — elles stagnent à 46,4 milliards de dinars — mais à une hausse continue des importations, désormais à 63,1 milliards (contre 60 milliards une année auparavant).
Comme le souligne l’économiste Ridha Chkoundali, ce déficit n’est pas seulement un indicateur macroéconomique : il menace la stabilité du dinar, fragilise les réserves en devises et contredit la politique d’autonomie économique affichée par le gouvernement. Il met aussi en lumière une dépendance énergétique structurelle à l’Algérie, notamment pour le gaz, qui représente à lui seul près de la moitié du déficit.
Pays avec déficit commercial élevé et faible valeur ajoutée locale
Plusieurs pays affichent un excédent d’importations sur les trois années, sans que les produits concernés soient nécessairement stratégiques ou absents du marché tunisien.
Les chiffres dans le tableau ci-joint, confirment le constat du Pr Aram Belhadj :
« Il est compréhensible d’avoir un déficit commercial important avec un pays si les produits importés sont nécessaires — voire stratégiques — pour notre économie. En revanche, il est inacceptable que ce déficit persiste avec des pays qui nous fournissent des biens déjà disponibles sur le marché local ou qui n’apportent aucune valeur ajoutée à notre économie. Le tableau publié par l’Institut National de la Statistique en est la preuve éclatante. »
Cas particulier de l’Algérie (hors gaz)
En excluant les produits gaziers, les importations algériennes atteignent 4,5 milliards en 2025, contre seulement 1,3 milliard d’exportations tunisiennes. Le déficit est donc de –3,2 milliards, ce qui interroge sur la nature des produits importés. Si le gaz est exclu, il reste à déterminer si les autres biens (produits agricoles, matériaux de construction, etc.) sont réellement indispensables ou s’ils concurrencent des filières locales.
Tout n’est pas sombre !
Cependant, tout n’est pas sombre : la hausse des importations de biens d’équipement et de matières premières pourrait signaler un redémarrage de l’investissement productif. De plus, l’excédent commercial avec la France, l’Allemagne et la Libye (7,6 milliards de dinars cumulés) constitue un rempart partiel contre l’aggravation du déficit global.
Enfin, le déficit commercial est presque structurel avec les pays des BRICS, ce qui en fait les principaux contributeurs à l’érosion des équilibres extérieurs tunisiens. Cela appelle à une relecture stratégique des partenariats commerciaux, en privilégiant les échanges équilibrés et à forte valeur ajoutée.
Pour la Tunisie, rééquilibrer les échanges commerciaux est une question non seulement de survie économique mais d’indépendance des décisions et postures politiques d’autant plus que la structure des échanges révélant une fragilité persistante du tissu productif national est contradictoire que les discours officiels exagérément volontaristes.
Les temps sont venus de freiner l’entrée de produits importés qui concurrencent inutilement les producteurs locaux, de mettre un terme aux importations superflues de biens que la Tunisie produit déjà et de lutter contre l’importation de produits redondants au regard de l’offre tunisienne.
L’État tunisien doit entreprendre une politique de redressement et de renforcement du tissu productif local, consolider les accords à haute valeur ajoutée et réviser les échanges non stratégiques.
Encore faut-il que les voix de la raison soient entendues et écoutées.
Amel Belhadj Ali
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