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Fin de la démocratie | Vers une gouvernance algorithmique ?

Depuis deux mille cinq cents ans, le mot démocratie incarne l’idéal politique par excellence. Héritée d’Athènes, elle fut pensée comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple — une définition que Lincoln a reprise à son compte en 1863. Mais à l’ère du numérique, les jeunes génies de la Silicon Valley, baignés dans la culture des data et des algorithmes prédictifs, remettent en cause cette conception. À leurs yeux, la démocratie représentative est lente, irrationnelle et inefficace face à des crises globales (écologiques, économiques, sanitaires) qui exigent des réponses rapides et fondées sur des données massives.

Zouhaïr Ben Amor *

L’idée d’une gouvernance algorithmique, bien que futuriste, est déjà présente dans les travaux de chercheurs tels que Shoshana Zuboff (The Age of Surveillance Capitalism, 2019) et Yuval Noah Harari (Homo Deus, 2015), qui envisagent un monde où la donnée devient un nouvel instrument de pouvoir. Cette «technocratie numérique» n’est plus une fiction, mais un horizon politique envisagé dans les laboratoires californiens, entre une réunion chez OpenAI et un colloque chez Palantir.

I. Le procès de la démocratie

Pour les jeunes ingénieurs de la Silicon Valley, la démocratie est malade. Les taux d’abstention records, la polarisation idéologique, la lenteur législative et la désinformation sur les réseaux sociaux en sont les symptômes les plus visibles. Le politologue Pierre Rosanvallon (La légitimité démocratique, 2008) avait déjà diagnostiqué cette crise de confiance, montrant comment la démocratie représentative s’érode sous le poids de la défiance et du populisme.

Ces nouveaux techno-réformateurs considèrent que la «voix du peuple» exprimée par le vote est obsolète face à la puissance des algorithmes capables de capter nos comportements en continu. Le philosophe Bernard Manin (Principes du gouvernement représentatif, 1995) rappelait pourtant que l’élection repose sur une confiance symbolique, non sur la pure rationalité. Or les Jeunots Génies veulent substituer à cette confiance une mesure permanente des désirs collectifs, comme s’il suffisait d’observer pour comprendre.

Leur critique n’est pas sans fondement : les scandales de corruption et la manipulation électorale (Cambridge Analytica, 2018) ont montré les limites d’un système vulnérable à la désinformation. Mais en voulant remplacer la délibération par la modélisation, ces ingénieurs risquent de réduire la politique à un problème d’optimisation mathématique, oubliant que, selon Hannah Arendt (La Condition de l’homme moderne, 1958), la politique est avant tout un espace d’action et de parole, non de calcul.

II. Une gouvernance par l’algorithme

Le projet des Jeunots Génies est clair : créer une gouvernance où l’intelligence artificielle (IA) remplace la représentation. Chaque citoyen serait un flux de données – ses achats, ses déplacements, ses interactions – analysé pour produire une image fidèle de la volonté collective. L’IA deviendrait un arbitre omniscient, garantissant la justice et l’efficacité.

Cette vision s’inscrit dans la logique du dataïsme décrite par Harari (Homo Deus, chap. 11) : la croyance selon laquelle les données représentent mieux la réalité que les récits humains. En s’appuyant sur des technologies comme la blockchain et l’apprentissage profond (deep learning), l’IA pourrait proposer des politiques fiscales, écologiques ou sanitaires « optimales », basées sur des indicateurs en temps réel.

Mais cette idée rejoint la cybernétique politique imaginée par Norbert Wiener dès 1948, où le contrôle des flux d’information remplace le débat humain. Evgeny Morozov (To Save Everything, Click Here, 2013) met pourtant en garde contre cette illusion du solutionnisme technologique : croire que la technologie peut résoudre les problèmes politiques en les dépolitisant.

Le danger est que cette IA devienne non plus un outil, mais un souverain algorithmique. Qui programmera ses valeurs ? Qui contrôlera ses priorités ? Comme l’a souligné Nick Bostrom (Superintelligence, 2014), une IA dotée d’un pouvoir de décision pourrait rapidement échapper au contrôle humain, transformant la gouvernance en une forme inédite de despotisme numérique.

III. Utopie ou dystopie ?

Le rêve d’une rationalité parfaite se heurte à la question du libre arbitre. Si la machine devine nos désirs avant nous, que devient la liberté ? L’éthique de l’IA, développée notamment par Luciano Floridi (The Ethics of Information, 2013), rappelle que toute donnée est une interprétation : elle n’est ni neutre ni objective. L’IA reproduit les biais de ses concepteurs (bias-in, bias-out).

L’élimination du débat public, de la contradiction et du conflit risquerait d’abolir ce qui fonde la démocratie : la pluralité. Jacques Rancière (La Mésentente, 1995) montre que la démocratie est précisément l’espace du désaccord, où la parole du peuple surgit contre l’ordre établi. La remplacer par un consensus algorithmique reviendrait à instaurer une police des comportements.

De plus, la gouvernance algorithmique pourrait accentuer les inégalités de pouvoir. Comme l’a démontré Cathy O’Neil (Weapons of Math Destruction, 2016), les algorithmes prétendument neutres renforcent souvent les discriminations qu’ils sont censés éliminer. L’utopie d’une justice automatisée vire ainsi à la dystopie technocratique.

IV. Vers un modèle hybride ?

Face à ces dérives potentielles, certains chercheurs envisagent une voie médiane : une démocratie augmentée par l’IA, mais non remplacée par elle. Ce modèle rejoint les réflexions d’Antoinette Rouvroy et Thomas Berns (Le gouvernement algorithmique et la politique des affects, 2013), selon lesquels l’IA peut contribuer à la décision publique, à condition que la transparence et la responsabilité soient assurées.

L’IA deviendrait alors un auxiliaire : elle simule les scénarios, aide à anticiper les crises, éclaire les citoyens. Les élus deviendraient des médiateurs entre le savoir algorithmique et la volonté populaire. Ce modèle rappelle le concept d’«intelligence collective» cher à Pierre Lévy (L’intelligence collective, 1994), où la technologie amplifie la réflexion humaine sans la remplacer.

Mais un tel projet exige une révolution éducative et éthique. Comme le souligne Timnit Gebru (2020), cofondatrice de Black in AI, sans diversité culturelle et contrôle citoyen, aucune IA ne peut prétendre servir l’humanité. L’éducation au raisonnement critique et à la donnée deviendra alors un pilier de la citoyenneté numérique.

Conclusion

Les Jeunots Génies ont raison sur un point : la démocratie athénienne, dans sa forme actuelle, ne suffit plus à gérer la complexité du monde. Cependant, vouloir substituer la machine à l’homme revient à oublier que la démocratie n’est pas une méthode de calcul, mais un projet moral. Claude Lefort (L’invention démocratique, 1981) rappelait que la démocratie repose sur un vide symbolique : nul ne détient le pouvoir en propre, il se négocie en permanence. Or, l’algorithme, en prétendant incarner la vérité, referme cet espace du vide et du débat.

Ainsi, entre l’idéalisme athénien et le pragmatisme algorithmique, la voie à inventer est celle d’une démocratie éclairée par la technologie, mais guidée par des valeurs humaines : liberté, pluralité, responsabilité. La question n’est pas de savoir si l’IA remplacera la démocratie, mais comment elle peut l’aider à se réinventer sans la trahir.

Bibliographie sélective :

  • Arendt, H. La Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1958.
  • Bostrom, N. Superintelligence: Paths, Dangers, Strategies, Oxford University Press, 2014.
  • Floridi, L. The Ethics of Information, Oxford University Press, 2013.
  • Harari, Y. N. Homo Deus, Albin Michel, 2017.
  • Lefort, C. L’invention démocratique, Fayard, 1981.
  • Manin, B. Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1995.
  • Morozov, E. To Save Everything, Click Here, PublicAffairs, 2013.
  • O’Neil, C. Weapons of Math Destruction, Crown, 2016.
  • Rancière, J. La Mésentente, Galilée, 1995.
  • Rosanvallon, P. La légitimité démocratique, Seuil, 2008.
  • Rouvroy, A. & Berns, T. Le gouvernement algorithmique et la politique des affects, Presses Universitaires de Namur, 2013.
  • Wiener, N. Cybernetics: Or Control and Communication in the Animal and the Machine, MIT Press, 1948.
  • Zuboff, S. The Age of Surveillance Capitalism, Profile Books, 2019.

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Gaza ou l’éternel retour des Palestiniens

La défense civile de Gaza a affirmé vendredi 10 octobre 2025 que près de 200 000 personnes étaient revenues dans le nord du territoire palestinien depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Fabuleux peuple palestinien, magnifique Gaza, qui plie mais ne rompt pas. Détruite, rasée, assassinée mais restée debout, digne et fière pour avoir tenu en échec l’ignoble machine de guerre du raciste et corrompu Benjamin Netanyahu, maître d’œuvre du génocide des Palestiniens.

Abdelaziz Dahmani

Heureux jour, le vendredi 10 octobre 2025, cessez-le-feu ou paix «provisoire» (car rien n’est durable ou définitif avec l’Etat d’Israël), le peuple palestinien, et notamment celui de Gaza, respire de bonheur, après 730 jours au cours desquels il a connu toutes les horribles facettes de l’enfer sur terre…

Admirables Palestiniens, exceptionnels, réduits à toutes les misères, exposés à tout instant à la faim, à la soif et à la mort, ils sont restés debout, réduits à la mendicité, sans toit, ni travail, ni de quoi manger, ni médecin pour se soigner, ni école pour les enfants…, mais debout et fiers. Même si les seuls chemins permis aux survivants sont ceux des cimetières collectifs, avec juste des numéros plantés dans le sable, pour désigner leurs morts.

Israël, devenu, encore plus raciste, plus sanguinaire, voulait réduire Gaza à rien, à la disparition même de l’Histoire, de son passé, de sa culture et de son identité. Cette ville millénaire, Israël voulait la réduire en poussière. Ce dessein, qui a germé dans la tête pourrie de Itamar Ben G’vir et autres monstres sionistes, n’a pu être réalisé… Car le peuple palestinien reste grand et admirable de courage, de dignité, d’honneur.

Ce peuple de Palestine et, surtout, de Gaza, réduit à presque à rien, n’a pas mis en échec seulement Israël. Il a mis en échec aussi les soutiens occidentaux de cet Etat factice et belliqueux qui sème la haine et la mort au Moyen-Orient depuis 1948. Ces soi-disant puissances occidentales qui croient avoir droit de vie et de mort sur le reste de l’humanité. Et à leur tête un Donald Trump plus déconcertant que jamais, qui, après avoir armé Israël et attisé la violence dans la bande de Gaza, se veut, aujourd’hui, maître de cérémonie d’une improbable paix. 

La déportation des Palestiniens est une «ligne rouge»

En réalité, c’est Trump que le peuple de Gaza a mis en échec. Rappelez-vous, les débiles déclarations du président américain, lors de son intronisation à la tête des États Unis, en janvier de cette année, lorsqu’il a formé le vœu de déporter les deux millions de Gazaouis vers l’Egypte et la Jordanie, de vider Gaza de sa population et d’y construire une Riviera sur la côte orientale de la Méditerranée, une sorte de club de riches, son jardin privé, son parcours de golf… Mais les Gazaouis lui ont résisté et n’ont pas abandonné leur terre, et là, il faudrait aussi rendre hommage à l’Egypte, qui a fait de la déportation des Palestiniens une «ligne rouge»

On ne le dira jamais assez, mais dans cette affaire de Gaza, c’est le fasciste Netanyahu qui a subi son plus grand échec politique en n’atteignant aucun de ses objectifs, malgré l’ampleur inégalée des massacres et des destructions infligés aux Palestiniens et à son propre peuple.

Souvenez-vous, après le drame du 7 octobre 2023, Netanyahu s’est donné pour mission de briser le Hamas en peu de temps et libérer aussi rapidement les otages israéliens. Que s’est passé ? Deux ans après, le Hamas est certes fortement secoué, affaibli, muselé, mais il n’a pas été battu et n’a pas rendu les armes. Et la résistance palestinienne, avec ou sans le Hamas, restera toujours debout.  

La leçon d’abnégation et de résilience du peuple palestinien

Avec les inhumaines destructions qu’il a provoquées, Israël s’est vengé d’une façon ignoble sur les Palestiniens, simples citoyens, assassinant plus de 20 000 bébés et enfants. Et par un retour de manivelle, il a rendu la cause de la libération de la Palestine visible dans le monde entier. Et a fait d’Israël un pays hors-la-loi, banni, haï et stigmatisé lors des innombrables et immenses manifestations propalestiniennes dans le monde entier et, surtout, dans les pays occidentaux, principaux alliés de l’Etat hébreu, où le drapeau palestinien n’a jamais été aussi visible dans les rues.

Certes, Gaza est détruite par la force brutale et la haine destructrice d’un Etat voyou, aujourd’hui mis au ban de l’humanité. Mais Gaza est toujours debout et son peuple, admirable de courage, donne une leçon d’abnégation et de résilience au reste du monde, y compris à nos régimes arabes, riches et moins riches, soumis à leurs maîtres occidentaux, repliés sur leurs médiocres problèmes internes et empêchant leurs peuples de respirer…

Un dernier mot : avant le 7 octobre 2023, la cause palestinienne était presque morte et enterrée… La voilà aujourd’hui plus vivante que jamais, malgré les malheurs et les destructions… Et c’est l’ignoble Netanyahu, aveuglément soutenu par les extrémistes juifs, qui met aujourd’hui l’existence d’Israël en danger, en tout cas dans la conscience des hommes justes !

* Journaliste.

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Baisse du taux d’inflation en Tunisie | Réalité ou mensonge d’Etat ?

A l’évidence et à l’écoute et à la lecture des différents médias, il y a une dichotomie ou un décalage entre les affirmations de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et du Gouvernement selon lesquelles l’inflation est en train de baisser de mois en mois en Tunisie et les affirmations contraires des ménagères et chefs de famille qui ont de plus en plus de difficultés à joindre les deux bouts et boucler leurs fins de mois. Qui croire et qu’en est-t-il vraiment ? Une réponse et un éclairage édifiant de la part d’un économiste universitaire et expert international.

Dr Sadok Zerelli

Lors de sa dernière audience accordée au Gouverneur de la BCT, le Président de la République s’est félicité de l’efficacité des choix économiques nationaux qui ont permis une baisse du taux d’inflation qui, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS), serait passé, en glissement annuel, de 5,6% en avril 2025, à 5,3% en juillet et à 5% en septembre. Ce faisant, le Président de la République occulte le prix très élevé payé par l’économie nationale sous forme de ralentissement des investissements et de croissance économique en raison du taux directeur très élevé (7,5%) qui est à la base de la politique monétaire très restrictive suivie par la BCT.

Plus grave encore, il ne fait pas doute que ces chiffres officiels de baisse de l’inflation que la BCT annonce chaque mois avec fierté et s’en attribue même les mérites, provoquent des rires jaunes chez les ménagères qui vont tous les jours au marché et reviennent avec un couffin de plus en plus vide pour le même budget de dépense et chez tous les Tunisiens qui ont de plus en plus des difficultés à joindre les deux bouts.

La question qui s’impose d’elle-même est la suivante : s’agit-il d’un signe réel d’une plus grande maîtrise des équilibres macroéconomiques ou d’un habillage politique destiné à rassurer une population épuisée par la cherté de la vie ? Autrement dit, s’agit-il d’une réalité économique et sociale ressentie et vécue par les Tunisiens ou d’un mensonge d’Etat habillé sous formes de statistiques officielles qui, sans mettre en cause l’honnêteté intellectuelle des fonctionnaires de l’INS qui les établissent ou les accuser de manipuler les chiffres, ne reflètent pas la réalité vécue par les citoyens ?

La réponse que je vais tenter dans cet article d’apporter à ces questions se veut objective et scientifique, loin de toute considération politique politicienne, en faveur ou contre qui que ce soit.

Y-a-t-il de quoi crier victoire et se féliciter ?

Malgré la baisse progressive du taux d’inflation, calculé par l’INS selon la même méthodologie, il n’en demeure pas moins qu’un taux d’inflation qui qui a atteint 5% au mois de septembre est trop élevé pour une économie dont le taux de croissance pour l’année 2025 est estimé à 1,9%, notamment par la Banque mondiale. Les lois économiques enseignent que le différentiel entre le taux de croissance économique dans un pays et le taux d’inflation annuel se traduit automatiquement par une baisse de la compétitivité nationale et donc par un plus grand déséquilibre de sa balance commerciale et de sa balance des paiements, une baisse de la parité de sa monnaie nationale, un plus grand endettement extérieur et une aggravation de ses déséquilibres macroéconomiques structurels.

Ce cercle vicieux s’aggrave lorsque les pays partenaires de son commerce extérieur enregistrent des taux d’inflation nettement plus faibles, comme c’est le cas actuellement dans les pays européens où le taux d’inflation moyen se situe à 2,4% par an.

En termes de comparaison internationales avec des pays de taille similaire et concurrents, lorsqu’on sait que le taux d’inflation au Maroc n’a pas dépassé 0,3% (août 2025), 1,68% en Jordanie (juillet 2025), 2,2% au Sénégal (août 2025) et que certains pays ont même réussi à éradiquer totalement l’inflation et enregistrent des taux d’inflation négatifs (déflation) tels que l’Algérie où celui-ci s’est élevé à -0,26% au mois de juillet 2025, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser et se féliciter pour avoir enregistré un taux d’inflation de 5% au mois de septembre.

Une autre raison pour ne pas crier victoire est qu’une baisse du taux d’inflation ne signifie nullement que les prix ont baissé comme pourrait l’interpréter l’opinion publique, mais signifie seulement que les prix ont continué à augmenter mais à un rythme plus lent que par le passé. Autrement dit, un tel résultat signifie que les prix continuent de grimper, mais moins vite qu’avant et il serait naïf de croire que cette baisse du taux d’inflation reflète une amélioration du quotidien des Tunisiens et encore moins de leur pouvoir d’achat.

D’autre part, il ne faudrait pas oublier qu’une bonne partie de la baisse de l’inflation enregistrée ces derniers mois n’est pas due à la politique monétaire restrictive suivie par la BCT, mais à une baisse du pouvoir d’achat et donc du niveau de vie, résultantes directes de l’augmentation passée des prix (9,3% en 2023, 7,1% en 2024), du blocage des salaires depuis 2022 et de la raréfaction des crédits bancaires, en raison du taux directeur très élevé fixé par la BCT (+7,5%) qui engendrent des taux débiteurs bancaires «d’enfer» de l’ordre de 12 à14%.

Enfin, last but not least, l’inflation réelle en Tunisie est probablement pour ne pas dire certainement supérieure aux taux officiels et ceci en raison de la méthodologie même utilisée par l’INS pour mesurer l’inflation en Tunisie.

Défaillances méthodologiques

L’inflation est un concept économique dont la définition est très simple : c’est l’augmentation des prix de tous les biens et services échangés dans une économie d’une période à une autre (année, trimestre, mois…).

Bien que sa définition soit claire, sa mesure nécessite la collecte d’une énorme masse d’informations et pose beaucoup de problèmes d’ordre méthodologique.  

Ainsi, on distingue principalement deux indicateurs de mesure de l’inflation (il existe un troisième, appelé l’indice des prix de gros, mais qui est rarement utilisé) :

  • Le déflateur du PIB : il est égal au rapport du PIB d’un exercice estimé aux prix en vigueur durant cet exercice (prix courants) au PIB du même exercice estimé au prix d’une année de base (prix constants). La Comptabilité Nationale de chaque pays calcule systématiquement cet indice d’inflation globale et l’utilise pour déflater les agrégats économiques et les comparer d’une année à l’autre pour mesurer leur évolution réelle sans prise en compte de l’inflation. Il s’agit de loin du meilleur indicateur de mesure de l’inflation dans un pays, car il mesure l’évolution des prix de tous les produits et services, y compris des matières premières et produits semi-finis utilisés dans le processus de production. Comme tous les instituts statistiques du monde, l’INS calcule cet indice de l’inflation annuelle globale mais ne publie pas les résultats, probablement parce qu’ils sont plus défavorables pour le gouvernement que les résultats de la deuxième méthode de calcul de l’inflation
  • L’indice du coût de la vie : on l’appelle aussi «Indice des prix à la consommation» ou IPC. Méthodologiquement parlant, il est moins significatif de l’inflation réelle et globale dans une économie parce qu’il ne prend en compte que les biens et services consommés couramment par le ménage, à l’exclusion de ceux utilisés par les entreprises et les producteurs dans le processus de production. En plus, les prix sont pondérés par des poids souvent arbitraires qui ne reflètent pas toujours bien les comportements et les besoins de consommation réels.

En Tunisie, l’INS calcule l’IPC sur la base d’un panier de la ménagère qui est censé être représentatif de la consommation d’un ménage tunisien moyen. Ce panier comprend plus de 1200 produits et services répartis en 12 grands groupes, conformément à la classification internationale (Coicop).

Ci-dessous, pour information et culture générale des lecteur(ce)s, la répartition du panier de la ménagère utilisée par l’INS, afin qu’ils(elles) jugent d’eux (elles)-mêmes de son réalisme :

Il est évident à tout observateur qu’une telle structure de consommation ne reflète ni celle d’un ménage à faible revenu (qui consacre beaucoup plus que 28% de son revenu à la nourriture et à l’habitat), ni celle d’un ménage à haut revenu qui consacre beaucoup plus que 4% aux dépenses de loisirs et à la culture, ni même celle d’un ménage moyen qui consacre beaucoup plus que 2% de ses dépenses pour l’enseignement et l’éducation de ses enfants, surtout à l’ère où l’enseignement dans des écoles et universités privées est de plus en plus répandu en raison de la dégradation de l’enseignement public.

Dans tous les cas, le panier est censé représenter la structure de consommation d’un «ménage moyen» au sens statistique du terme, qui ne reflète pas exactement la consommation d’un ménage rural ou urbain, riche ou pauvre.

On relève également que le faible poids accordé aux dépenses d’alimentation (28% alors qu’elles dépassent en réalité 40% et même plus compte tenu de l’inflation cumulée durant ces dernières années) fait que la stabilité de certains produits subventionnés (pain, carburant, sucre, etc.) biaise le résultat final et engendre un taux d’inflation officiel plus faible que dans la réalité, et fausse ainsi la perception de l’inflation vécue.

Impact de l’inflation sur l’aggravation de la pauvreté

Bien que l’inflation soit un concept économique qui joue un rôle très important dans l’analyse des équilibres macroéconomiques dans un pays, son impact social n’est plus à démontrer.

En effet, une inflation persistante même si son rythme est en baisse ronge le pouvoir d’achat et creuse les inégalités sociales. Derrière les chiffres froids se cache une réalité brûlante : celle de millions de familles qui voient leurs revenus s’évaporer dans les marchés, les pharmacies et les factures du quotidien.

Plus grave encore, l’inflation impacte de façon inégale les différentes catégories sociales et régions du pays.

Ainsi, selon les données conjointes du ministère des Affaires sociales et de l’Unicef, le taux de pauvreté nationale est passée de 16,6% à 18,4%** entre 2021 et 2023. L’extrême pauvreté, elle, a légèrement augmenté, touchant désormais plus de 3% de la population. Et chez les enfants, le constat est alarmant : près d’un enfant sur trois vit aujourd’hui dans la pauvreté.

L’inflation agit comme un impôt déguisé sur les plus fragiles. Les salaires stagnent, les pensions de retraite n’évoluent pas, les aides sociales sont rares et souvent insuffisantes. Le coût de la vie grimpe plus vite que les revenus, poussant de nombreuses familles autrefois «classes moyennes» à glisser sous le seuil de pauvreté.

Dans les régions rurales du Centre-Ouest ou du Nord-Ouest, déjà marginalisées, le choc est encore plus rude : les revenus informels s’érodent, et les infrastructures sociales restent précaires.

Certes, la Tunisie dispose d’un système de protection sociale relativement étendu (75% des travailleurs sont couverts par le régime social de la CNRPS ou de la CNSS) mais mal adapté à l’inflation. Les transferts sociaux et les pensions de retraite ne sont pas indexés sur la hausse des prix, ce qui réduit chaque année le pouvoir d’achat de ses bénéficiaires, sans parler des familles vulnérables qui passent à travers les mailles du filet et ne bénéficient d’aucune couverture ou aide sociale.

Il n’est pas nécessaire d’être un économiste ou un statisticien pour constater et mesurer l’aggravation de la pauvreté générée par la spirale des prix : il suffit d’observer le nombre croissant de mendiants dans nos villes ou le nombre encore plus croissant des «barbacha», qui fouillent nos poubelles à la recherche de bouteilles en plastique vides pour les revendre, une profession qui n’existait pas il y a encore quelques années !

Ces hommes et ces femmes, quelquefois très âgés, quand ce ne sont pas des enfants, montrent que l’inflation n’est pas en Tunisie seulement un problème de chiffres faux ou justes, de méthodologies de calcul, de débats entre experts et de discours populistes, mais une crise de dignité humaine et de crédibilité même des politiques menées par le gouvernement, car elle remet en question le contrat social entre l’État et les citoyens. Quand un État préfère sauver son image plutôt que le quotidien de ses citoyens, il se déconnecte, et un État déconnecté finit toujours par s’effondrer sous le poids de sa propagande.

Conclusion

En réponse à la question posée par le titre de cet article, à savoir : «La baisse de l’inflation en Tunisie : une réalité ou un mensonge d’Etat ?», je laisse à chacun(e) des lecteurs(trices) le soin d’y répondre sur la base des développements et éclairages méthodologiques que j’espère avoir apportés dans cet article.

Ma réponse personnelle est sans équivoque : la baisse de l’inflation que reflète les chiffres officiels publiés par l’INS et repris par la BCT et le Gouvernement constitue bel et bien un mensonge d’Etat, mais un mensonge scientifique dans le sens de l’article que j’avais publié il y a quelques années dans Kapitalis (Les statistiques officielles sont une forme de mensonge scientifique) qui illustre la  fameuse phrase de l’économiste anglais J.-M. Keynes qui disait que «les statistiques sont une forme de mensonge scientifique».

Mais la meilleure conclusion serait peut-être de dire : qu’il y ait eu baisse réelle de l’inflation ou pas, que le Gouvernent mente ou pas, il n’en demeure pas moins que tant que la hausse des prix continuera à éroder le pouvoir d’achat de tous les Tunisiens et à appauvrir davantage les plus vulnérables d’entre eux, sans réponse adaptée de l’Etat, la Tunisie restera prise dans la spirale infernale des prix et équation injuste : celle d’un pays où l’on travaille de plus en plus pour vivre de moins en moins bien ou, pour être plus exact, de plus en plus mal.

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Quand l’école tunisienne n’a plus de souffle 

Le mal être des enseignants en Tunisie est le symptôme d’un déséquilibre collectif : une société qui glorifie le travail, mais oublie l’humain, qui continue d’exiger alors que le corps -et l’âme- n’ont plus rien à donner. Bref, une société qui épuise ses maîtres finit toujours par perdre ses élèves. 

Manel Albouchi *

Hier, j’ai reçu une enseignante. Elle s’est assise face à moi, les mains jointes, la voix tremblante, et m’a dit : «Je n’ai plus de souffle. Même mon mari me reproche d’enseigner aux enfants des autres et de ne plus avoir l’énergie d’enseigner aux miens.» 

Cette phrase, d’une simplicité bouleversante, résume l’état d’un pays : l’épuisement d’une vocation qui, faute d’écoute et de reconnaissance, s’essouffle. 

Une société qui continue d’exiger alors que le corps -et l’âme- n’ont plus rien à donner.  

Quand le feu qui s’éteint sous la craie 

Les classes sont surchargées, les niveaux hétérogènes, les moyens dérisoires. Une seule enseignante doit souvent gérer deux niveaux à la fois, improviser, combler les manques, apaiser les tensions. 

Le passage de 18 à 24 heures de travail pour certains n’est pas une simple réforme administrative : c’est une mutation du sens. On demande plus à ceux qui ont déjà tout donné. Et pendant que les salaires stagnent et les inégalités s’accentuent, ceux qui s’investissent le plus s’épuisent le plus. 

Dans le silence des classes, la craie se brise, le souffle aussi. Et quand l’enseignante rentre chez elle, il ne reste plus d’énergie pour aider ses propres enfants à apprendre, à parler, à rêver. 

L’anxiété ronge en silence 

Cette femme souffre d’anxiété d’adaptation. Son corps traduit ce que son esprit tente de contenir : la peur de ne pas y arriver, la culpabilité de ne pas suffire, la honte de ne plus aimer ce qu’elle faisait par passion. Son cœur bat vite, ses nuits sont courtes, sa respiration courte aussi. 

Mais ce qu’elle vit dépasse son histoire personnelle. C’est le symptôme d’un déséquilibre collectif : une société qui glorifie le travail, mais oublie l’humain. Et quand la mère souffre d’anxiété, elle la transmet -malgré elle- à ses enfants. Parce qu’un enfant ne retient pas ce qu’on lui dit : il absorbe ce qu’il ressent. 

Alors, quand la maîtresse tremble, c’est toute une génération qui apprend la peur avant la lecture. 

Le père absent, la mère s’épuise 

Sur le plan symbolique, cette crise traduit la disparition du père protecteur : l’État. Celui qui devait poser la Loi, garantir la mesure, apaiser les tensions. 

En son absence, c’est la mère -l’école, l’enseignante, la femme- qui compense, jusqu’à l’épuisement. Mais nul ne peut jouer tous les rôles à la fois sans perdre son souffle. Et quand la mère s’effondre, le foyer tremble. 

La récente grève des enseignants n’est donc pas une simple grève, c’est un cri adressé au Père symbolique : «Reviens nous donner la mesure. Reviens nous protéger.» Sauf que l’Etat, à vouloir tout gérer, s’en trouve lui aussi dépassé et à court de solutions.  

Quand le silence devient lourd 

L’épuisement des enseignants n’est pas un fait divers. C’est un fait de civilisation. Quand ceux qui transmettent la vie n’ont plus la force de la vivre, ce sont les enfants qui paient la facture. Eux ressentent la lassitude, l’irritabilité, le vide d’énergie. Et peu à peu, ils apprennent, eux aussi, à vivre dans la tension. 

L’école n’est plus un lieu d’élévation : elle devient un champ de survie. Mais une société qui épuise ses maîtres finit toujours par perdre ses élèves.  

Pour conclure cette chronique, quelques messages simples : on ne peut pas continuer à enseigner sans souffle, à aimer sans reconnaissance et à éduquer sans énergie vitale. 

La récente grève des enseignants aura été une respiration. Un moment pour se rappeler que l’école n’est pas un service, mais un espace sacré où se forge l’âme d’un peuple. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.  

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Gaza, théâtre de l’humanité, de la Nakba au Sumud  

«Rien de nouveau sous le soleil» : le communiqué de Hamas du 3 octobre 2025, en réponse au plan du président américain Donald Trump, illustre cette fatalité. Promesses, trêves, ruptures. Mais derrière les mots de politique et de diplomatie, c’est toute la condition humaine qui se joue à Gaza : deuil impossible, fraternité assassinée, langage épuisé. 

Manel Albouchi

Dans nos quartiers, le feuilleton commence toujours par la fenêtre du voisin : on observe, on commente, on s’indigne. À la télévision, ce sont les interminables feuilletons turcs où se rejouent les mêmes intrigues : une promesse, une trahison, une réconciliation manquée. 

Le 3 octobre 2025, c’est Gaza qui a livré son nouvel épisode : un communiqué de Hamas en réponse au plan de Donald Trump. Un texte qui dit à la fois «oui» et «non» : oui à la libération des otages, oui à une gestion technocratique de Gaza, mais non à toute imposition extérieure sur l’avenir du peuple palestinien. Une ouverture qui n’ouvre rien, une concession qui garde intact le fond du drame. 

Le texte a été accueilli avec prudence. Dans les rues de Gaza comme dans les capitales occidentales, chacun a retenu son souffle. Mais, au fond, tous savent que cette séquence n’est qu’un nouvel épisode d’un feuilleton que l’on connaît trop bien : annonce, espoir, rupture. 

Le monde rivé sur Gaza 

L’opinion publique mondiale a suivi ces derniers jours la Global Flottilla Sumoud, partie d’Espagne, d’Italie et de Tunisie pour briser symboliquement le blocus et acheminer une aide humanitaire. Les images des bateaux fragiles, porteurs d’un espoir disproportionné face à la puissance militaire israélienne, ont fait le tour du monde. 

Comme lors de chaque crise à Gaza, le globe entier a fixé ses yeux sur ce territoire minuscule, devenu le théâtre d’un drame planétaire. Le spectateur, fasciné et impuissant, s’indigne, commente, partage. Gaza n’est plus seulement une guerre locale : c’est un miroir où se reflète l’humanité – ou l’inhumanité – entière. 

De la Nakba de 1948 aux bombardements récents, Gaza condense tout le drame humain. Ici, le deuil est permanent, la fraternité est brisée, la médecine est impuissante, et les familles portent sur leurs visages la fatigue d’une perte sans fin. 

Chaque guerre a laissé les mêmes images : hôpitaux débordés, écoles détruites, enfants arrachés à la vie. Gaza est devenue le condensé d’une souffrance universelle, une scène où se rejouent sans cesse les mêmes rôles : victime, bourreau, sauveur, spectateur. 

La répétition sans fin 

Freud parlait de compulsion de répétition : la blessure traumatique qui revient inlassablement. Gaza est enfermée dans ce cercle : promesse, trêve, rupture, violence. 

La théorie des jeux (John Nash) montre que deux adversaires peuvent avoir tout intérêt à coopérer, mais qu’ils choisissent souvent la défiance par peur d’être trahis. 

C’est ce qu’on appelle un équilibre de Nash : chacun croit protéger son intérêt immédiat en refusant la coopération, mais le résultat final est pire pour les deux. 

Ici la logique est flagrante : 

– Israël, obsédé par la sécurité, choisit la force pour ne pas paraître faible. 

– Hamas, obsédé par la dignité et la survie, choisit la résistance armée pour ne pas être effacé. 

Résultat : tout le monde perd. Gaza perd des vies humaines et des générations traumatisées. Israël perd la paix intérieure et l’image publique qui lui garantissait jadis une soi-disant légitimité morale. 

Le langage épuisé 

Depuis Oslo (1993) jusqu’aux multiples conférences internationales, les mêmes formules reviennent : «cessez-le-feu», «trêve humanitaire», «solution à deux États». À force d’être répétées, elles se sont vidées de leur force. Le langage diplomatique recouvre l’indicible sans parvenir à le nommer. 

À Gaza, les mots sont devenus des coquilles vides, incapables de porter le poids de l’horreur. 

Et pourtant, au milieu des ruines, persiste un souffle. Ce souffle s’appelle Sumoud : la résilience. 

Il prend la forme d’une mère qui refait du pain dans une maison détruite. 

Il prend la voix d’un enfant qui retourne à l’école dans une salle éventrée. 

Il prend le visage d’un peuple qui, malgré tout, répète : «Nous existons.» 

Sumoud n’est pas un messie au sens religieux. C’est une force messianique silencieuse, collective, qui refuse l’effacement. Chaque humiliation la renforce. Chaque ruine la ravive. 

Du nouveau ? 

«Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera», dit encore l’Ecclésiaste. Gaza illustre cette vérité universelle. Le feuilleton continue, identique et insupportable. 

Mais Gaza n’est pas seulement répétition. Elle est aussi mémoire et avertissement. Elle rappelle que tant que l’Autre ne sera pas reconnu, l’histoire de Caïn et Abel se rejouera. 

Pour Edward Saïd, la Palestine n’est pas seulement une terre disputée, mais une question existentielle : un peuple qui réclame d’être reconnu dans son humanité. 

Et aucun conflit «intraitable» ne peut être résolu si l’on nie les besoins fondamentaux : l’identité, la sécurité, la reconnaissance de la souffrance. 

Tant que ces trois besoins resteront bafoués, Sumoud persistera, dans l’attente d’un scénario nouveau. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.  

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Quand un post Facebook devient un crime de parole  

Mercredi 1ᵉʳ octobre 2025, un tribunal à Nabeul a condamné à mort un homme sur la base des articles 67 et 72 du Code pénal et du décret-loi 54, qui criminalise la diffusion de fausses informations. Ses publications Facebook, critiquant le président de la république, ont été interprétées comme une atteinte à la sécurité de l’État. Cette condamnation dépasse le cadre d’un simple verdict judiciaire. Elle marque un tournant inquiétant : un mot transformé en crime capital.  

Manel Albouchi

Malgré que la Tunisie n’ait pas exécuté de peine capitale depuis 1991, le symbole suffit : il installe la peur comme mode de gouvernance. 

Père autoritaire et société fermée 

Une société qui condamne la critique agit comme un père autoritaire : tout désaccord est vécu comme une trahison. L’enfant qui questionne n’est plus reconnu comme sujet, mais perçu comme une menace pour l’ordre familial. Ici, le citoyen devient l’enfant qu’on punit pour avoir osé parler. 

La peine capitale révèle une logique archaïque : faire taire la voix dissidente en la sacrifiant. Mais la psychanalyse rappelle que le refoulé revient toujours. La parole interdite resurgira ailleurs, sous forme de colère, de désespoir ou de révolte.  

Le procès de la société  

Dans “La société ouverte et ses ennemis”, Karl Popper disait que toute démocratie est fragile. Elle ne survit que par sa capacité à accepter la critique et à corriger ses erreurs. Quand un État criminalise la parole, il n’affaiblit pas seulement un citoyen, il détruit son propre mécanisme d’évolution. 

La société fermée gouvernée par le mythe, la peur, le culte du chef, rejette la contestation comme une blessure narcissique. La société ouverte, au contraire, sait que la vérité est toujours provisoire et que seule la critique empêche la répétition tragique de l’histoire. 

Un destin tendu 

Ce procès n’est pas seulement celui d’un homme. Il révèle un pays qui hésite entre deux destins : celui d’une société fermée, dominée par la figure d’un Père autoritaire, ou celui d’une société ouverte, qui accepte la parole critique comme son souffle vital. 

La démocratie, comme le psychisme, vit de la parole. Condamner un homme pour ses mots, c’est condamner le pays à l’étouffement. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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Que cache le «plan Trump-Blair-Kushner» pour Gaza ? 

La tribune ci-dessous analyse l’initiative de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui propose un plan pour l’après-guerre à Gaza. Ce «plan Trump-Blair-Kushner», présenté comme une solution technique et économique, sert en réalité de paravent politique pour un objectif plus large et plus controversé : la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, au détriment d’une résolution politique durable et juste du conflit israélo-palestinien. Et ce qui inquiète (et choque), ce ne sont pas les motivations d’Israël et des puissances occidentales qui les soutiennent, mais la prédisposition des Arabes à se laisser bercer d’illusions et rouler dans la farine.     

Naâmen Bouhamed *

I – Synthèse des éléments clés du «Plan Trump-Blair-Kushner»

1. Une approche économique et technocratique : le plan est centré sur un programme massif de reconstruction et de développement économique à Gaza, incluant des projets d’infrastructures, la création d’emplois et une aide internationale substantielle. Il est présenté comme un moyen de stabiliser le territoire et d’améliorer les conditions de vie des Palestiniens, objectifs nobles s’il en est, mais qui cachent des objectifs beaucoup moins avouables.

2. Un «gouvernement de compétences» (government of skills) : Blair propose la mise en place d’une administration palestinienne composée de technocrates et d’experts, plutôt que de représentants politiques. L’objectif affiché est de contourner le Hamas et l’Autorité Palestinienne, considérés comme corrompus ou inefficaces, pour assurer une gestion soi-disant «efficace» de la reconstruction. Il reste à savoir dans quel vivier on va puiser pour trouver les «compétences» en question. Et là, on peut compter sur la mauvaise foi des responsables occidentaux qui se sont toujours gourrés dans un pareil exercice, notamment en Afghanistan et en Iraq, où leurs choix étaient pour le moins malheureux.

3. Le rôle central de l’Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis, dont les bonnes dispositions à l’égard d’Israël et le mépris pour les intérêts des Palestiniens sont un secret de Polichinelle. Le plan prévoit un financement et une supervision majeurs des monarchies du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, en coordination avec les États-Unis et Israël.

II – Les points problématiques du «Plan Trump-Blair-Kushner»

Dans le «Plan Blair», il y a plusieurs points problématiques qui méritent d’être relevés et soulignés.

1. L’écran de fumée de la normalisation saoudo-israélienne : le véritable enjeu n’est pas Gaza mais la conclusion d’un pacte stratégique entre l’Arabie saoudite et Israël. Le plan pour Gaza servirait de «monnaie d’échange» ou de «monnaie de singe»  ou de «couverture morale» pour que Riyad puisse justifier une normalisation avec Israël auprès de sa propre opinion publique, qui y est fortement opposée, surtout après le génocide à Gaza, et ce sans avoir obtenu la moindre concession significative sur la création d’un État palestinien viable.

2. La dépolitisation du conflit : en se focalisant sur l’économie et la gouvernance technique, le plan évacue délibérément les questions politiques fondamentales : les frontières d’Israël, le statut de Jérusalem, le droit au retour des réfugiés palestiniens et, surtout, la souveraineté palestinienne. Il s’agirait de «gérer» la population de Gaza sans lui accorder d’autodétermination réelle.

3. La marginalisation de l’Autorité Palestinienne et du peuple palestinien : la proposition d’un «gouvernement de compétences» peut être interprétée comme une tentative de court-circuitage des institutions palestiniennes existantes et de division des Palestiniens. Ce modèle risquerait de créer une administration sans légitimité populaire, totalement dépendante de l’aide extérieure et du bon vouloir d’Israël et de ses soutiens dans la région.

4- La pérennisation du statu quo : en liant la «stabilité» à des projets économiques tout en maintenant le contrôle israélien sur les frontières, la sécurité et les ressources, le plan pourrait en réalité renforcer l’occupation israélienne et la fragmentation des territoires palestiniens, y compris, bien sûr, en cisjordanie, plutôt que d’y mettre fin.

Le «plan Trump-Blair-Kushner» est un vrai faux plan de paix et un vrai cheval de Troie. Sous des apparences pragmatiques et humanitaires, il cacherait une manœuvre géopolitique visant à sceller une alliance entre Israël et l’Arabie saoudite, aux dépens des droits nationaux du peuple palestinien. Il s’inscrirait dans une logique de gestion du conflit plutôt que de sa résolution, en favorisant une «paix» imposée par les grandes puissances au lieu d’une paix négociée et juste.

* Middle East Business Consultant, président de Alwen International.

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La jeunesse tunisienne entre tentations religieuses et horizons rationnels

La jeunesse tunisienne traverse une période charnière. Elle évolue dans un monde saturé de crises et d’incertitudes : guerres et génocides relayés en boucle par les médias, marasme économique généralisé, rumeurs persistantes d’un conflit planétaire, déficience énergétique mondiale, mais surtout, pour eux, une plaie ouverte qui saigne chaque jour : le chômage massif. Dans ce contexte, un dilemme majeur se pose : faut-il laisser cette jeunesse s’évanouir dans les bras de marchands d’illusions – religieux ou populistes – ou bien imaginer et proposer d’autres idéaux, fondés sur une dialectique rationnelle, qui puissent l’aider à se projeter dans l’avenir ?

Zouhaïr Ben Amor *

Le récent épisode du lycée d’Hammamet, où des lycéens ont obstinément tenu à effectuer la prière collective dans l’enceinte scolaire, doit être lu comme une alerte. Plus qu’un simple incident, il signale la montée d’une tension qui, si elle n’est pas comprise et accompagnée, pourrait dégénérer en une crise générationnelle profonde.

Nous nous proposons d’analyser ce phénomène en profondeur, en le replaçant dans son contexte tunisien et mondial, et en explorant les pistes possibles pour offrir à la jeunesse des horizons d’espérance, de rationalité et d’engagement.

I. La jeunesse tunisienne dans un monde en crise

1.1. L’impact du contexte mondial

La jeunesse tunisienne est une caisse de résonance des événements planétaires. Le génocide en Palestine, les guerres en Ukraine et ailleurs, l’instabilité en Afrique, sont autant de drames qui nourrissent son imaginaire et son sentiment d’injustice. Les jeunes ne vivent plus dans un horizon limité à leur quartier ou leur ville : les réseaux sociaux leur offrent une connexion permanente à la douleur universelle.

Cette surabondance d’images et d’informations, souvent brutes et violentes, façonne une génération hypersensible aux injustices, mais aussi vulnérable aux discours radicaux qui prétendent leur donner un sens.

1.2. Le chômage, plaie ouverte

Le chômage reste le problème le plus tangible et le plus immédiat. Avec des taux dépassant 30 % chez les diplômés, beaucoup de jeunes vivent un quotidien de frustrations. Le diplôme ne garantit plus l’emploi, et l’effort scolaire n’ouvre pas les portes espérées. Dans cette situation, l’horizon se bouche, et l’imaginaire de la migration, légale ou clandestine, devient l’ultime échappatoire.

L’absence de perspectives nourrit une colère sourde, qui peut se transformer en résignation religieuse ou en radicalisation.

1.3. Le déficit d’énergie et la menace climatique

Au chômage s’ajoute une autre angoisse : celle de la crise énergétique et écologique. Coupures d’électricité, rareté de l’eau, pollution des plages et insécurité alimentaire renforcent le sentiment d’un monde qui se délite. La jeunesse vit au présent dans un environnement qu’elle perçoit comme menacé, sans confiance en la capacité des dirigeants à redresser la barre.

II. L’attrait des «marchands religieux» : une explication nécessaire

2.1. Religion et refuge psychologique

Dans des sociétés en crise, la religion joue souvent le rôle de refuge. Elle offre un cadre simple et totalisant, qui donne un sens immédiat à l’existence. Pour des jeunes désorientés, prier ensemble dans un lycée n’est pas seulement un acte de foi : c’est un geste identitaire, une affirmation d’appartenance, un exutoire collectif face à l’incertitude.

L’incident d’Hammamet illustre cette quête : les élèves ne revendiquent pas seulement le droit à la prière, ils expriment le besoin d’un repère stable dans un monde instable.

2.2. La faiblesse du discours laïque et rationnel

Face à cela, le discours rationnel et laïque peine à séduire. Trop abstrait, trop éloigné des réalités quotidiennes, il n’offre pas l’émotion immédiate que procure le religieux. Dans un pays où l’État peine à incarner la justice sociale, où l’école ne garantit plus la mobilité, et où la politique inspire méfiance, les voix rationalistes sont perçues comme froides ou impuissantes.

C’est dans cette brèche que s’engouffrent les marchands religieux, proposant des certitudes là où la République hésite.

2.3. Le risque d’une crise générationnelle

Si cette tendance s’amplifie, la société tunisienne pourrait basculer vers une fracture durable : une génération convaincue que la religion doit occuper l’espace public, et une autre – plus âgée, héritière du modernisme bourguibien – attachée à la séparation entre le religieux et l’institutionnel. Ce clivage pourrait cristalliser un conflit culturel et politique explosif.

III. Imaginer de nouveaux idéaux pour la jeunesse

3.1. La quête d’un projet collectif

Ce dont la jeunesse a besoin, ce n’est pas seulement d’emplois, mais aussi d’un récit collectif qui donne sens à son existence. Dans les années 1960 et 1970, l’idéologie du développement national, l’ascenseur scolaire et l’État-nation fournissaient un horizon. Aujourd’hui, cet horizon s’est effondré.

Recréer un projet collectif – écologique, technologique, culturel – devient vital pour empêcher que la jeunesse ne se réfugie uniquement dans le religieux.

3.2. La science et la rationalité comme nouvelles croyances

Il ne s’agit pas d’opposer frontalement la religion à la science, mais d’offrir aux jeunes une dialectique rationnelle capable de répondre à leurs angoisses. Par exemple, les idéaux liés à la transition écologique, aux nouvelles technologies, à l’intelligence artificielle, ou encore à la justice sociale, peuvent fournir des horizons d’engagement.

La jeunesse tunisienne pourrait trouver dans la recherche scientifique, l’innovation entrepreneuriale ou la protection de l’environnement des idéaux aussi puissants que les discours religieux, à condition que ces projets soient portés avec conviction et soutenus par l’État.

3.3. La culture comme arme contre le désespoir

La culture, l’art, le sport peuvent également jouer un rôle essentiel. Chaque fois qu’un jeune peint, écrit, compose ou joue au basket, il crée du sens, il affirme son existence. Mais ces espaces sont encore trop marginalisés dans les politiques publiques. Investir massivement dans les maisons de jeunes, les bibliothèques, les clubs culturels, c’est donner à la jeunesse un autre lieu d’appartenance que la mosquée ou la rue.

IV. L’école au cœur de la bataille

4.1. L’école comme miroir de la société

Ce qui s’est passé au lycée d’Hammamet n’est pas un simple accident. L’école est le lieu où se concentrent toutes les tensions sociales : chômage des diplômés, perte de confiance dans le système, crise de l’autorité, montée des identités religieuses.

Si l’école cède, c’est toute la République qui cède.

4.2. Réhabiliter l’autorité pédagogique

L’école doit réaffirmer son rôle : transmettre un savoir critique, former des citoyens, ouvrir à l’universel. Cela ne signifie pas nier la dimension spirituelle des jeunes, mais refuser que l’espace scolaire devienne un lieu de pratiques religieuses collectives. La laïcité doit y être ferme mais juste : laisser chacun libre de croire, mais protéger l’école comme espace commun.

4.3. Repenser les contenus et les méthodes

Il est urgent de repenser les contenus pédagogiques pour les rendre plus connectés aux préoccupations actuelles : écologie, citoyenneté numérique, philosophie de la science. Les jeunes ne doivent pas se contenter de réciter des leçons : ils doivent apprendre à questionner, à débattre, à douter. C’est ainsi qu’ils construiront une dialectique rationnelle solide.

V. De la crise au projet : quelles pistes pour l’avenir ?

5.1. Politiques publiques et gouvernance

Les décideurs doivent comprendre que la jeunesse ne peut être abandonnée à elle-même. Le chômage, l’exclusion et la marginalisation sociale créent un vide que les idéologies extrémistes remplissent immédiatement. Des politiques actives d’emploi, de formation et de soutien à l’innovation sont nécessaires.

Mais au-delà de l’économie, c’est un nouveau pacte social qu’il faut inventer.

5.2. Vers un idéal écologique et social

La lutte contre le changement climatique, la valorisation des énergies renouvelables, la protection du littoral et de l’eau peuvent constituer des idéaux mobilisateurs. De même, un engagement pour plus de justice sociale, de solidarité avec les plus fragiles, peut donner à la jeunesse tunisienne un rôle historique.

5.3. Construire un récit national renouvelé

La Tunisie a besoin de renouer avec un récit mobilisateur. Ce récit doit s’appuyer sur l’héritage bourguibien, mais l’actualiser aux enjeux d’aujourd’hui. La jeunesse a besoin de croire que son pays peut redevenir un laboratoire démocratique, culturel et social pour tout le monde arabe.

Pour conclure

La jeunesse tunisienne est à la croisée des chemins. Confrontée à un monde en crise et à un pays qui peine à lui offrir des perspectives, elle oscille entre le refuge religieux et la recherche d’idéaux rationnels. L’incident du lycée d’Hammamet doit être lu comme un signal d’alarme : si rien n’est fait, la fracture risque de s’approfondir jusqu’à devenir une crise générationnelle.

Mais l’histoire reste ouverte. À condition de repenser l’école, de soutenir la culture, de créer des emplois et surtout de proposer un récit collectif mobilisateur, la Tunisie peut transformer cette angoisse en force. La jeunesse n’attend pas des sermons ni des interdits : elle attend un projet. C’est là le défi majeur de notre époque.

* Universitaire

Bibliographie :

  • Abderrahman, M. (2020). Jeunesse et religion en Tunisie contemporaine. Tunis : Cérès Éditions.
  • Bourdieu, P. (1978). La reproduction. Paris : Éditions de Minuit.
  • Camau, M. & Geisser, V. (2003). Le syndrome autoritaire en Tunisie. Paris : Presses de Sciences Po.
  • Chouikha, L. & Gobe, E. (2015). Jeunesse tunisienne et engagement postrévolutionnaire. Tunis : IRMC.
  • Hobsbawm, E. (1996). L’âge des extrêmes. Paris : Complexe.
  • Lamchichi, A. (2011). Islam et politique au Maghreb. Paris : L’Harmattan.
  • Mahfoudh, S. (2021). École, laïcité et religion en Tunisie : défis contemporains. Tunis : Sud Éditions.
  • Norris, P. & Inglehart, R. (2011). Sacred and Secular: Religion and Politics Worldwide. Cambridge University Press.
  • Said, E. (1979). Orientalism. New York : Vintage.
  • Tozy, M. (1999). Monarchie et islam politique au Maroc. Paris : Presses de Sciences Po.

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Le Darfour agonise dans le silence  

Alors que les yeux du monde sont fixés sur Gaza, un autre drame se déroule dans une indifférence glaciale : El Fasher, au Darfour, assiégée depuis presque deux ans par les Forces de soutien rapide. Plus d’un million de civils encerclés, privés de nourriture, d’eau, de soins. Une ville où les enfants meurent de faim, où les mosquées deviennent des cibles de drones, où l’humanité se dissout dans le silence. 

Manel Albouchi

Pendant ce temps, les Nations unies vaccinent en urgence contre le choléra. Une ironie tragique : sauver d’une main, laisser mourir de l’autre. Ce paradoxe illustre la schizophrénie de notre époque. 

À première vue, ce n’est qu’une tragédie «lointaine». Or, elle n’a jamais été aussi proche. Car beaucoup des réfugiés du Darfour sont en Tunisie, à El Amra, Jebeniana et Sfax, en attente d’émigration vers l’Europe. Mais comme les feuilles d’un même arbre, nous sommes reliés. Quand un incendie se déclare dans une branche, toutes les feuilles finissent par le sentir, même celles qui se croient à l’abri. L’anxiété se propage, la peur de la mort s’installe, et les attaques de panique frappent ceux qui pensaient être protégés. 

L’indifférence complice 

Quand des populations entières meurent et que les chancelleries se contentent de communiqués, l’ordre mondial se démasque. Les vies n’ont pas le même poids selon l’endroit où elles s’éteignent. Le silence face au Soudan préfigure les silences de demain. Et ce silence, ici, on le connaît. Car pendant que les foules ont les yeux rivés sur les guerres d’ailleurs ou même sur un match de football, les gouvernements en profitent pour détourner l’attention et imposer des choix qui étranglent le quotidien. La guerre là-bas devient une diversion ici. La souffrance des peuples sert de rideau derrière lequel se négocient nos propres asphyxies. 

Le siège là-bas, ici, partout  

Comme cette ville soudanaise encerclée, nous vivons nos propres encerclements, invisibles mais réels. 

Un siège économique : une jeunesse enfermée dans le chômage, rêvant de partir par la mer. 

Un siège politique : un peuple prisonnier des blocages et des promesses creuses. 

Un siège psychologique : un quotidien où l’espoir se raréfie, où l’impuissance colonise l’imaginaire collectif. 

Le siècle de l’indifférence 

Affamer des villes. Bombarder des hôpitaux. Détruire des mosquées. Tuer des enfants. L’humanité vit aujourd’hui un siège : entourée de murs d’indifférence, privée de la circulation de l’amour et de la solidarité. 

El Fasher n’est pas seulement une ville du Soudan. Elle devient comme Gaza symbole universel de l’âme humaine assiégée par ses propres démons.  

Nous, citoyens et citoyennes, ne pouvons pas rester spectateurs car chaque silence est une complicité. Relayer, témoigner, exiger que la vie humaine reste sacrée voilà notre responsabilité. 

Car ce qui brûle ailleurs brûle déjà en nous. Et si nous laissons l’arbre s’embraser, aucune feuille, même la plus lointaine, ne sera épargnée.

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L’unité de l’histoire tunisienne

Il est des phrases qui traversent les siècles comme des coups de tonnerre. L’une d’elles résonne encore aujourd’hui : «Carthago delenda est» — Carthage doit être détruite. Le sénateur Caton l’Ancien la répétait inlassablement à Rome, jusqu’à ce que la grande rivale fût rayée de la carte. On raconte qu’il ajoutait parfois : «Il ne faut pas laisser deux pierres ensemble.» Ce mot d’ordre de ruine totale ne visait pas seulement une cité, mais une mémoire, une civilisation, un destin collectif.

Khémaïs Gharbi *

Deux mille ans plus tard, le mécanisme est toujours là, sous d’autres habits. L’obsession de détruire, de séparer, de dissoudre ce qui tient debout ensemble, demeure une tentation politique universelle. Depuis le printemps arabe, le monde arabe en général et la Tunisie en particulier l’ont appris à leurs dépens : l’histoire y est systématiquement morcelée, fragmentée, recomposée pour opposer les uns aux autres. C’est une logique de marteau : frapper, fendre, disperser. Amazighs contre Arabes. Berbères contre musulmans. Progressistes contre conservateurs. Laïques contre islamistes. Et vice et versa. Tout ce qui pourrait unir deux pierres, deux idées, deux communautés, deux mémoires, se voit attaqué.

Diviser pour régner

Le monde actuel est gouverné moins par le droit que par la force. Les maîtres de ce temps l’ont compris : pour asseoir leur puissance, ils doivent briser ce qui donne cohésion aux peuples. Lorsque l’unité apparaît, ils cherchent la fissure. Lorsque des différences s’apaisent dans la coexistence, ils les réactivent. Lorsque la mémoire collective s’accorde sur un récit commun, ils exhument d’anciennes querelles, sollicitent des archéologues, des historiens ou des polémistes professionnels pour faire réapparaître vainqueurs et vaincus, dominants et dominés.

On creuse, on fouille, on gratte la pierre de l’histoire jusqu’à retrouver la trace d’une blessure. Et, au lieu de panser la cicatrice, on la rouvre. On invente des récits séparés, des mémoires concurrentes, des identités en opposition. Ce qui avait été fondu dans un seul moule est à nouveau brisé en fragments.

Un peuple façonné par le mélange

Or la Tunisie, plus qu’aucun autre pays du Maghreb, s’est constituée dans ce creuset. Berbères, Puniques, Romains, Byzantins, Vandales, Arabes, Andalous, Juifs, Turcs, Italiens, Grecs, Maltais, Espagnols, Français : tous ont laissé leur empreinte. Mais cette diversité ne s’est pas traduite par des histoires parallèles. Elle s’est intégrée dans un récit unique, celui d’un peuple tunisien qui a traversé les siècles en partageant le pire et le meilleur.

Chaque communauté, chaque vague migratoire, a contribué à façonner le tissu social. Des solidarités se sont agrégées, des résistances communes ont surgi, des rêves collectifs se sont réalisés. La Tunisie moderne n’est pas le résultat d’une juxtaposition de communautés, mais d’une fusion. Ce n’est pas un archipel de mémoires séparées, mais un continent de mémoire partagée.

La réduire à des morceaux, à des appartenances rivales, à des mémoires exclusives, c’est trahir la vérité même de son histoire.

La mémoire commune

Quand Caton voulait détruire Carthage, il visait une puissance concurrente. Quand les puissants d’aujourd’hui cherchent à fragmenter nos récits, ils visent notre mémoire commune. Car une mémoire unifiée donne une conscience de soi, et une conscience de soi donne une force politique. La fragiliser, c’est fragiliser la souveraineté, l’indépendance et la dignité d’un peuple.

Cette entreprise prend parfois un visage séduisant : l’éloge de la diversité. Mais au lieu de célébrer ce qui nous enrichit, on insiste sur ce qui nous sépare. On fait miroiter des «identités» étanches, figées, mortifères; on réécrit des mémoires comme des chapitres isolés, et l’on finit par dresser les uns contre les autres ceux qui avaient appris à vivre ensemble durant des siècles.

La diversité est constitutive de la Tunisie. Mais elle n’a jamais signifié l’éparpillement. Elle fut un ciment, non une poudre explosive. La rendre destructrice, c’est une manipulation.

Ce que signifie l’unité

Prendre la défense de l’unité ne veut pas dire nier la pluralité. L’unité n’est pas l’uniformité. Elle est la reconnaissance d’un destin commun, au-delà des différences de culture, de langue, de confession. Elle est le socle sur lequel chacun peut affirmer sa singularité sans craindre l’exclusion.

Dire que les Tunisiens sont un seul peuple, ce n’est pas effacer ses composantes, mais rappeler que celles-ci se sont amalgamées au fil des siècles dans une histoire partagée. Dire que la mémoire tunisienne est une, ce n’est pas ignorer ses nuances, mais refuser qu’on les instrumentalise pour opposer frères et sœurs d’un même pays.

Une mémoire partagée

Face à cette politique de la destruction, il nous faut opposer une politique de la mémoire partagée. Elle commence par l’éducation : apprendre aux jeunes générations que l’histoire n’est pas une série de querelles mais une construction commune. Elle passe par la culture : musées, expositions, littérature, cinéma doivent rappeler la richesse des croisements. Elle exige aussi des lieux de mémoire où l’on raconte non pas des «histoires parallèles», mais l’histoire commune.

Et surtout, elle suppose une parole civique forte : ne pas céder à la tentation de diviser pour régner, mais au contraire réaffirmer que notre destin est un et que nous n’avons rien à gagner à jouer les fragments.

Garder les pierres ensemble

Lorsque l’on se promène dans nos médinas, on voit des murs bâtis de pierres anciennes, reprises d’époques différentes, ajustées les unes aux autres. Romains, Byzantins, Arabes, Ottomans : les matériaux se mêlent, mais l’édifice tient. C’est l’image même de notre histoire.

Les puissants d’hier voulaient que Carthage ne garde pas deux pierres ensemble. Les pays prédateurs d’aujourd’hui voudraient que la Tunisie ne garde pas deux mémoires unies. À nous de refuser cette logique. À nous de rappeler que notre peuple n’est pas une poussière d’identités, mais une nation façonnée par le temps, par la douleur et par la joie.

Ne vantons pas les mosaïques, ne faisons pas l’éloge du cosmopolitisme. Ne brisons pas nos pierres. Assemblons-les, encore et toujours. C’est le seul moyen de résister à la politique de la destruction, et de préparer un avenir où la diversité demeure un ciment d’unité, et non une arme de fragmentation.

* Ecrivain, traducteur.

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La nouvelle lutte des classes entre élites et populistes

Dans notre monde actuel, la lutte des classes ne disparaît pas, elle se transforme. Si Marx voyait l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat, notre époque connaît une fracture nouvelle : entre une élite académique qui produit des questionnements complexes et un peuple qui, dans sa quête de réponses immédiates, bascule vers le populisme.

Zouhaïr Ben Amor *

Lorsque Karl Marx et Friedrich Engels publiaient en 1848 le ‘‘Manifeste du Parti communiste’’, ils posaient une thèse devenue centrale pour comprendre l’histoire : «L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes». Cette affirmation, fondée sur le conflit entre bourgeoisie et prolétariat, a profondément marqué la pensée politique et sociale du XIXe et du XXe siècle. Mais au XXIe siècle, alors que les grandes révolutions industrielles et ouvrières se sont estompées dans les sociétés occidentales, un autre clivage émerge, plus subtil, mais non moins décisif.

Il s’agit d’une nouvelle «lutte des classes» : non plus seulement économique, mais cognitive et culturelle. D’un côté, une élite académique, constituée de chercheurs, d’intellectuels, d’experts et de technocrates, élabore des questionnements complexes, nourris de références théoriques, de concepts abstraits et de raisonnements systématiques. De l’autre, une base populaire qui, se sentant exclue de ces débats, répond par des solutions simples, accessibles, souvent populistes, et qui trouvent un écho immédiat dans la vie quotidienne.

Cette fracture n’est pas anodine. Elle nourrit des tensions politiques majeures, alimente la méfiance envers les élites et favorise l’émergence de partis qui s’affichent comme les porte-voix du «peuple réel» face à des institutions jugées éloignées des préoccupations concrètes.

Nous nous proposons d’explorer cette mutation contemporaine de la lutte des classes, en mobilisant des arguments théoriques et empiriques issus de la philosophie, de la sociologie et des sciences politiques.

I. Héritage théorique de la lutte des classes

La notion de lutte des classes, telle que formulée par Marx, repose sur un rapport de domination économique. La bourgeoisie, détentrice des moyens de production, impose sa logique au prolétariat, qui ne possède que sa force de travail. Cette opposition structurelle devait, selon Marx, déboucher sur une révolution et l’instauration d’une société sans classes (Marx & Engels, 1848).

Au XXe siècle, la théorie s’est enrichie et transformée. Antonio Gramsci, dans ses ‘‘Cahiers de prison’’ (1971), a insisté sur l’importance de l’idéologie et de l’hégémonie culturelle. Selon lui, la domination de la bourgeoisie ne s’exerçait pas seulement par l’économie, mais aussi par la capacité à imposer une vision du monde, des valeurs et des normes sociales. La lutte des classes devenait alors aussi une lutte pour le sens.

Aujourd’hui, certains penseurs considèrent que le terrain de la lutte s’est déplacé. Si les inégalités économiques persistent, elles se doublent désormais d’inégalités cognitives et culturelles. Les fractures sociales se lisent dans l’accès à l’éducation, à l’information, aux ressources symboliques.

Pierre Bourdieu, dans ‘‘La distinction’’ (1984), avait déjà montré que la culture est un marqueur de classe, et que les élites se distinguent par un goût cultivé qui exclut les classes populaires.

Ce déplacement amène à reformuler la lutte des classes : elle oppose désormais non seulement des intérêts matériels, mais aussi des régimes de savoir.

II. La classe académique et ses questionnements

La «classe académique» peut être définie comme l’ensemble des acteurs qui produisent, diffusent et contrôlent le savoir : professeurs, chercheurs, intellectuels, experts techniques, hauts fonctionnaires. Leur rôle, dans une société moderne, est essentiel : ils formulent des problématiques complexes, construisent des modèles explicatifs, orientent les politiques publiques par leurs diagnostics.

Cependant, leur rapport au savoir est marqué par une forte abstraction. Habermas, dans ‘‘Théorie de l’agir communicationnel’’ (1981), souligne l’importance du langage rationnel et argumentatif pour structurer le débat démocratique. Mais ce langage, trop technique, trop codifié, échappe souvent au grand public. Les élites académiques s’expriment dans des revues spécialisées, des conférences internationales, des comités restreints, produisant une distance avec la population.

Cette distance s’accroît à mesure que les enjeux deviennent globaux et complexes : dérèglement climatique, intelligence artificielle, gouvernance économique mondiale, bioéthique. Ces thèmes exigent une compréhension interdisciplinaire, mais laissent une partie du public dans l’impression d’un discours hors-sol.

Le fossé se traduit aussi par un langage distinctif. Comme l’explique Bourdieu, le capital culturel des élites se manifeste dans l’usage d’un vocabulaire spécifique, difficilement accessible aux classes populaires. Or, cette barrière symbolique alimente un sentiment d’exclusion et d’incompréhension.

III. La réponse populiste et la superficialité assumée

Face à ces questionnements complexes, le populisme apparaît comme une stratégie discursive et politique qui simplifie radicalement la réalité. Ernesto Laclau, dans ‘‘La raison populiste’’ (2005), définit le populisme comme une logique qui oppose le «peuple» au «pouvoir», en construisant une identité collective contre une élite accusée de confiscation.

Le populisme ne se cache pas d’être superficiel. Au contraire, il revendique un langage clair, accessible, direct. Les slogans remplacent les argumentaires, les solutions immédiates supplantent les analyses structurelles. Cette superficialité est en réalité un instrument d’efficacité politique : elle donne le sentiment de redonner la parole au peuple.

Ainsi, sur des sujets aussi complexes que l’immigration, la mondialisation ou la transition écologique, le populisme offre des réponses terre à terre : fermer les frontières, protéger l’économie nationale, rejeter les accords internationaux. Là où les élites déploient des centaines de pages de rapports, le populisme condense en une phrase : «On va reprendre le contrôle» (Brexit).

Cette dynamique n’est pas nouvelle. Déjà dans l’histoire, des figures comme Juan Perón en Argentine ou plus récemment Hugo Chávez au Venezuela ont incarné cette logique. Mais l’ère numérique et les réseaux sociaux amplifient considérablement cette tendance, donnant au populisme une caisse de résonance mondiale (Mudde & Kaltwasser, 2017).

IV. L’émergence de partis politiques populistes

La fracture entre élites académiques et masses populaires a trouvé une traduction institutionnelle : l’essor de partis populistes.

En Europe, le Mouvement 5 Étoiles en Italie s’est construit sur la dénonciation des élites politiques et technocratiques, en prônant la démocratie directe. En France, le Rassemblement National mobilise un discours qui simplifie les enjeux migratoires et sécuritaires en réponses immédiates et radicales.

En Amérique latine, le populisme a pris des formes variées : le péronisme en Argentine, le chavisme au Venezuela, ou encore le bolsonarisme au Brésil ont mis en avant un discours de rupture avec les élites et d’identification au peuple.

Ces tendances s’installent dans le paysage, car elles incarnent une alternative crédible pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans le langage académique des élites. Elles tirent leur force de leur capacité à traduire les aspirations populaires en propositions simples, même si celles-ci sont souvent irréalistes ou réductrices (Taggart, 2000 ; Rosanvallon, 2020).

V. Entre élites et masses : une fracture politique et cognitive

Cette fracture est d’abord une fracture de langage. Les élites s’expriment dans un code scientifique, normatif, institutionnel. Les masses populaires préfèrent le langage émotionnel, narratif, imagé. Cette asymétrie rend le dialogue difficile.

C’est aussi une fracture médiatique. Les élites s’appuient sur des publications spécialisées, des institutions internationales. Le peuple utilise Facebook, TikTok, WhatsApp, où circulent rumeurs, slogans et récits simplifiés.

Enfin, c’est une fracture politique. L’incapacité des élites à vulgariser leurs analyses conduit à un rejet croissant des experts, accusés de technocratie. La pandémie de Covid-19 a illustré cette défiance : entre discours scientifiques évolutifs et scepticisme populaire, le fossé s’est creusé.

Comme le note Pierre Rosanvallon (‘‘Le siècle du populisme’’, 2020), nous vivons un moment où la démocratie représentative est contestée non seulement pour ses résultats, mais pour sa manière même de produire du sens politique.

VI. Vers une réconciliation possible ?

Face à cette fracture, la question est de savoir s’il est possible de réconcilier élites et masses.

La première piste est la médiation. Des intellectuels publics, des vulgarisateurs, des journalistes pédagogues peuvent jouer le rôle d’intermédiaires, traduisant les analyses académiques en termes compréhensibles. L’histoire a montré l’importance de ces figures, de Jean Jaurès à Edgar Morin, capables de penser la complexité tout en restant accessibles.

La deuxième piste est l’éducation démocratique. John Dewey, dans ‘‘Democracy and Education’’ (1916), insistait sur l’importance de former des citoyens capables de comprendre les enjeux de leur temps. Cela suppose une école qui ne se limite pas à transmettre des savoirs, mais qui développe la pensée critique et l’autonomie intellectuelle.

Enfin, la troisième piste est l’écoute. Les élites doivent aussi reconnaître que les aspirations populaires, même exprimées de manière simpliste, traduisent des angoisses réelles. Amartya Sen (‘‘Development as Freedom’’, 1999) rappelle que le développement n’est pas seulement économique, mais aussi la capacité des individus à participer aux choix qui les concernent.

La réconciliation passe donc par un double mouvement : vulgarisation des élites et responsabilisation des masses.

La lutte des classes ne disparaît pas, elle se transforme. Si Marx voyait l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat, notre époque connaît une fracture nouvelle : entre une élite académique qui produit des questionnements complexes et un peuple qui, dans sa quête de réponses immédiates, bascule vers le populisme.

Cette tension est source de dangers, car elle alimente la méfiance, polarise la société et fragilise la démocratie. Mais elle est aussi une opportunité : celle de repenser la médiation entre savoir et vécu, entre théorie et expérience, entre élites et masses.

À l’heure où la démocratie traverse une crise mondiale, la question n’est pas de savoir si cette lutte des classes peut être résolue, mais comment elle peut être transformée en dialogue. Car c’est seulement en réconciliant savoir et vécu, réflexion et expérience, que nous pourrons construire une société capable de répondre aux défis du XXIe siècle.

Références bibliographiques principales :

Taggart, P. (2000). Populism. Buckingham : Open University Press.

Bourdieu, P. (1984). La distinction. Paris : Minuit.

Dewey, J. (1916). Democracy and Education. New York : Macmillan.

Gramsci, A. (1971). Cahiers de prison. Paris : Gallimard.

Habermas, J. (1981). Théorie de l’agir communicationnel. Paris : Fayard.

Laclau, E. (2005). La raison populiste. Paris : Seuil.

Marx, K. & Engels, F. (1848). Manifeste du Parti communiste. Londres.

Mudde, C. & Kaltwasser, C. (2017). Populism: A Very Short Introduction. Oxford University Press.

Norris, P. & Inglehart, R. (2019). Cultural Backlash. Cambridge University Press.

Rosanvallon, P. (2020). Le siècle du populisme. Paris : Seuil.

Sen, A. (1999). Development as Freedom. Oxford University Press.

Sloterdijk, P. (2010). Colère et temps. Paris : Fayard.

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Tribune: Gaza pour Israël, l’est de l’Ukraine pour la Russie ? Un duel tacite entre grandes puissances

On pourrait se demander si, derrière le rideau diplomatique, un marchandage discret ne serait pas en train de s’esquisser : un feu vert tacite donné à Israël pour écraser Gaza, en échange d’une reconnaissance implicite de l’occupation russe dans l’est — mais aussi dans le sud-est — de l’Ukraine. Bien sûr, aucune preuve tangible n’a encore fuité, aucun accord officiel n’a été signé sur ce papier glacé qu’on appelle le droit international. Mais entre les lignes, à l’ombre des sommets et des conférences de presse bien orchestrées, la logique d’un donnant-donnant pourrait bien dicter les décisions des puissants.

Israël, armé jusqu’aux dents, bénéficie d’un soutien inébranlable de la part de Washington, prêt à fermer les yeux sur la dévastation dans Gaza sous couvert de lutte antiterroriste. En parallèle, on voit Donald Trump et Vladimir Poutine échanger en Alaska, évoquant à demi-mot la possibilité d’un partage territorial en Ukraine. L’un écrase, l’autre grignote, et les grandes puissances regarderaient ailleurs, acceptant tacitement cette recomposition forcée des cartes.

On imagine volontiers que dans les coulisses du pouvoir, un genre de « deal » informel circulerait : vous, Israël, vous avez le champ libre à Gaza, et vous, Russie, vous conservez vos acquis dans l’est et le sud-est de l’Ukraine. Chacun y gagne, pourvu que les grands équilibres géopolitiques soient respectés. Ce serait un scénario cynique, mais pas invraisemblable, dans un monde où les droits des peuples s’effacent devant les intérêts stratégiques et économiques des superpuissances.

Cette hypothèse, évidemment, dénonce la faillite de la communauté internationale à imposer un minimum de justice et d’équité. Elle met en lumière le rôle ambigu, voire complice, des grandes démocraties qui préfèrent négocier à huis clos plutôt que de défendre clairement les principes qu’elles prétendent incarner. Dans ce théâtre d’ombres, les victimes, palestiniennes ou ukrainiennes, ne sont que des pions sacrifiés sur l’autel des arrangements secrets.

Alors oui, tout cela n’est que supposition, mais les faits et les coïncidences alimentent ce soupçon : la diplomatie du silence et du compromis ferait primer le pragmatisme froid sur la morale et la légalité. Et pendant que ces tractations invisibles se déroulent, la réalité sur le terrain s’écrit dans le sang et la douleur.

À nous, citoyens vigilants, de dénoncer ce jeu d’échecs cruel et de rappeler que derrière chaque transaction géopolitique, il y a des vies humaines, des espoirs brisés, et une urgence criante à redéfinir un ordre mondial plus juste.

Par Issa Ben Hmida

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