La Tunisie a franchi un palier dans son évaluation financière internationale mais cela ne veut pas dire pour autant que ses tourments économiques sont totalement dépassés. Le principal critère pris en compte par les agences de notation comme le savent économistes et experts en finances est la capacité des États à rembourser leurs dettes et jusque là, la Tunisie s’en est sortie haut la main, mais jusqu’à quand, aux dépens de qui et de quoi et par quels sacrifices ?
Le 12 septembre 2025, l’agence Fitch Ratings a relevé la note de crédit à long terme du pays, passant de « +CCC » à « B- », avec une perspective stable. Ce changement, salué par les milieux gouvernementaux, est présenté comme une reconnaissance des efforts de redressement économique. Mais derrière cette annonce, se cache une réalité plus complexe, et surtout des questions essentielles : quel est le public visé et qui cherche-t-on à convaincre ?
Lecture technique pour des indicateurs en amélioration
Comme l’ont bien expliqué les économistes Ridha Chkondali et Aram Belhadj, la révision de la note de CCC+ à B- marque une avancée mais beaucoup reste à faire car la capacité de rembourser les emprunts extérieurs ou comme l’explique M. Belhadj, “Le taux de croissance réalisé par une économie n’a que peu de sens face à la détérioration des indicateurs du commerce extérieur, du solde courant, de la montée de la pauvreté et de la répartition inéquitable des richesses”.
La révision de la note souveraine de la Tunisie repose sur des éléments macroéconomiques tangibles : réduction du déficit courant à 1,5 % du PIB en 2024, amélioration du solde des services et des transferts des expatriés, résilience des investissements directs étrangers malgré l’absence de financement sur les marchés depuis 2021 et la baisse progressive des besoins de financement du budget.
« Le taux de croissance réalisé par une économie n’a que peu de sens face à la détérioration des indicateurs du commerce extérieur, du solde courant, de la montée de la pauvreté et de la répartition inéquitable des richesses. » — Aram Belhadj
Pour l’agence de notation, ce sont des signaux encourageants qui traduisent une meilleure gestion des équilibres extérieurs, une capacité à maintenir les réserves en devises et une relative stabilité dans le service de la dette.
Fitch anticipe même une reprise des flux financiers extérieurs et une réduction des pressions sur les finances publiques à l’horizon 2027. Mais cette amélioration ne doit pas masquer les fragilités structurelles.
La Tunisie reste confrontée à :
- une dépendance aux fluctuations des prix des matières premières, notamment énergétiques ;
- un accès limité aux marchés financiers internationaux, faute de réformes structurelles profondes ;
- une dette publique qui reste élevée (83 % du PIB en 2025), malgré une légère baisse ;
- une structure budgétaire rigide, où les salaires, les intérêts et les subventions absorbent 93 % des recettes ;
- une absence de réforme du système de subvention, qui rend le budget vulnérable aux chocs externes ;
- un classement (rang 16) qui parle aux bailleurs, pas aux citoyens.
Les notations sont conçues pour que les investisseurs, les agences de financement et les institutions internationales puissent évaluer le risque pays. Elles évaluent la solvabilité de l’État, sa capacité à honorer ses engagements dans l’ignorance totale des réalités sociales et économiques vécues par les citoyens. Elles ne disent rien sur le chômage, la qualité des services publics ou le pouvoir d’achat.
Une stratégie économique à clarifier
Si le gouvernement considère cette amélioration comme un levier pour renouer avec le FMI ou les marchés internationaux, il doit l’assumer pleinement mais ça ne semble pas être le cas car la coupure des ponts avec le FMI est considérée comme un regain de souveraineté et une victoire sur l’aliénation aux bailleurs de fonds internationaux.
« La révision de la note de CCC+ à B- marque une avancée technique. Mais beaucoup reste à faire, car la capacité de rembourser les emprunts extérieurs ne garantit pas une amélioration réelle de la situation sociale et économique. »
Ceci alors que les conditions qui ont permis cette reclassification — maîtrise des dépenses, gel des recrutements, réduction des subventions — sont précisément celles exigées par les bailleurs. “Cette orientation entre en contradiction avec le discours officiel du Président de la République, qui rejette toute forme de dépendance au FMI. Ce paradoxe brouille la lisibilité de la stratégie économique nationale” estime M. Chkondali
Parler vrai, parler juste
La Tunisie a besoin de clarté. Si le discours est tourné vers l’extérieur, cette note est un succès. Mais si le gouvernement s’adresse aux Tunisiens, alors il doit répondre à leurs attentes concrètes : emploi, pouvoir d’achat, dignité sociale. Le classement Fitch est un outil, pas une finalité. Il ne deviendra un véritable levier de développement que s’il s’inscrit dans une vision cohérente, inclusive et centrée sur l’humain.
Amel Belhadj Ali
Chiffres clés
- 12 septembre 2025 — Fitch relève la note de la Tunisie de CCC+ à B-.
- 1,5 % du PIB — Déficit courant en 2024, en baisse.
- 83 % du PIB — Niveau de la dette publique en 2025.
- 93 % des recettes — Absorbés par salaires, intérêts et subventions.
- Rang 16 — Position de la Tunisie dans le classement Fitch.
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