‘’Comment la Chine écrit son histoire’’ | Délégitimer le récit fondateur chinois, un premier jalon vers la guerre
On aura beau dire de la Chine, en particulier de ses ambitions maritimes et de la pression exercée sur les nations riveraines en Mer de Chine du Sud, et qui n’a rien de nouveau, elle n’a jamais imposé à ses partenaires dans le monde, contrairement aux Occidentaux, de normes juridiques ou politiques particulières masquant des motivations inavouées. Et en ce sens, elle constitue une alternative précieuse pour tous ceux qui pensent que la Mondialisation ne saurait constituer le prétexte commode à l’aliénation de la souveraineté au moins nominale des nations.
Dr Mounir Hanablia *
Ce livre soulève d’abord une question. Qu’est-ce, être Chinois? Si on s’en réfère à l’Histoire, c’est appartenir à l’ethnie Hane, en habitant le pays limité au nord par le fleuve jaune et qui est traversé au sud par le Yang Tsé. C’est obéir à une administration composée de lettrés admis dans leurs charges sur concours et chargée d’appliquer les normes juridiques, éthiques, esthétiques, sociales, tirées de l’enseignement de Confucius; au nom de l’autorité d’un empereur nommé fils du ciel, auquel tout autre pouvoir politique lui doit dès lors hommage, par le biais d’un tribut. Cette organisation de l’État en découlant en a assuré la pérennité, malgré la conquête du pays par des peuplades étrangères qualifiées de barbares, en règle nomades pastorales issues des steppes, qui l’ont conservée afin de l’utiliser à leur profit.
Processus d’unification
L’influence étrangère a donc toujours été présente, pas toujours issue d’un droit de conquête, dont la plus remarquable a été l’implantation et l’assimilation du Bouddhisme, issu de l’Inde, qui a profondément imprégné l’âme chinoise sur le plan mystique, les normes sociales étant issues de l’enseignement de Confucius.
Mais ce processus d’unification n’a pas été inné, et en dehors de l’époque impériale proprement dite, autochtone ou barbare, le pays a souvent été divisé en royaumes rivaux en lutte les uns contre les autres, comme par exemple du temps des Yuan mongols au nord et des Song han au Sud. Mais c’est sous les Mandchous, des barbares selon les normes chinoises, venus des steppes du nord au confins de la Sibérie et qui ont renversé la dynastie nationale Ming en 1644, que la Chine a acquis la plus grande partie des territoires en sa possession à l’époque moderne, le Xinjiang, le Tibet, et la Mongolie, habités par des populations non chinoises, même si sous la pression russe, elle a perdu la Mongolie Extérieure et une partie de la Mandchourie.
Le paradoxe chinois
Il ne faut pas oublier que la dynastie mandchoue vers 1750 a résolu définitivement la question du danger turco-mongol venu de la steppe en exterminant les Dzoungars, un peuple pourtant bouddhiste, grâce à l’usage de canons et d’armes à feu.
Pour la première fois de l’Histoire, le fils du Ciel, empereur auto-proclamé de Chine même s’il n’était pas Han, lui-même d’origine nomade, avait pris la mesure de son monde d’origine au bénéfice du sédentaire qui était son sujet.
Le paradoxe chinois est que plus des deux-tiers du territoire de l’actuelle République Populaire de Chine est habité par des nationalités originelles turco-mongoles et tibétaines, qualifiées de minoritaires par les Hans, qui ne représentent pas plus de 10% de la population.
La question contemporaine des Ouïghours, tout comme celle du Tibet, démontre l’étendue du caractère conflictuel de la situation engendrée par la politique de sinisation forcée suivie par les communistes à Pékin, ainsi que l’installation de migrants issus de l’ethnie majoritaire parmi les populations de la périphérie, et qui ne peut être assimilée qu’à une colonisation.
En 1911, lors de la chute de la dynastie mandchoue, les nationalistes républicains chinois, autrement dit Hans, conduits par le Dr Sun Yat Sen, ne se sont pourtant pas fait faute de revendiquer la souveraineté sur ces territoires pourtant conquis par ceux qu’ils ont supplantés.
Le nœud interne
Les communistes au départ adeptes d’une structure fédérative avec droit de sécession sur le modèle soviétique (on a vu ce qu’il en a été sous Staline) se sont rangés, une fois au pouvoir, derrière les sirènes du chauvinisme Han.
Afin de clore le chapitre de ce que l’on nommera le nœud interne de la question chinoise, on évoquera le cas de Taïwan considéré par beaucoup comme potentiellement générateur d’une conflagration mondiale puisque, abstraction faite de sa prééminence dans la production mondiale des semi-conducteurs, l’île, soutenue par une Amérique belliciste aveugle face au précédent constitué par la crise de Cuba, est de plus en plus tentée de suivre la voie de l’autodétermination, malgré la menace d’une guerre dévastatrice avec la Chine continentale. Il importe peu que Taïwan, à l’origine habitée par des Austronésiens aborigènes qui ne représentent plus aujourd’hui que 5% de la population, ne soit entrée dans l’orbite politique chinoise que vers 1680, soit après l’arrivée des Portugais et Hollandais , et que les habitants y aient été largement influencés par l’occupation japonaise entre 1890 et 1945 au point de leur faire apparaître comme des sauvages incultes les deux millions de réfugiés en provenance du continent fuyant les armées communistes.
A l’extérieur du nœud, le premier cercle de la périphérie de la Chine, est constitué par la Corée, un pays imprégné des us et coutumes chinoises au point d’en adopter l’écriture, et qui a toujours accepté sa condition de vassal de son grand voisin en payant le tribut exigé.
Le second cercle inclut les Etats qui, quoique dans une large mesure sinisés par l’organisation administrative, l’étiquette de la cour et l’écriture, ont toujours été farouchement soucieux de faire respecter leur souveraineté, y compris les armes à la main. Le Japon, et surtout le Vietnam, un pays devenu indépendant après mille ans d’occupation chinoise, en sont les exemples les plus achevés.
Il reste dans la psyché chinoise le traumatisme issu des statuts d’exterritorialité judiciaire des ressortissants d’origine européenne et américaine, des traités inégaux, des concessions internationales, des cessions à bail de territoires, et des guerres d’agression, dont les plus scandaleuses furent celles de l’opium visant à rééquilibrer la balance commerciale déficitaire avec la Chine de l’Angleterre à son bénéfice.
Si le pouvoir chinois actuel en prend prétexte pour marquer sa solidarité avec tous les peuples victimes des colonisateurs impérialistes de la manière que l’on sait, afin de s’assurer d’avantages commerciaux et stratégiques, cela ne signifie nullement que les Occidentaux et les Japonais n’aient laissé que des bons souvenirs en Asie.
Le supposé pacifisme chinois
La Chine, en s’asseyant à la table des vainqueurs au terme du second conflit mondial, n’a certes pas vu ses frontières, tracées de la manière que l’on sait, remises en question, preuve s’il en est du peu de cas fait du sort des minorités du pays par les Puissances. Cela n’efface pas pour autant les traités inégaux, symboles évidents de l’hypothèque de la souveraineté, et l’usage fait de la question dans les luttes internes pour le Pouvoir, n’en diminue pas pour autant la réalité ni l’importance.
Au terme de la lecture de ce livre, le supposé pacifisme chinois exprimé par les échanges commerciaux le long d’une mythique Route de la Soie, et l’expansion de la Chine à l’intérieur des frontières nécessaires à son épanouissement et à l’aspiration à l’unité de ses peuples, selon les thèses soutenues par le gouvernement de Pékin, en auront pris certes un coup chez tous ceux qui auraient pu entretenir quelque illusion sur le sujet.
L’auteur semble dire qu’à tout prendre, mieux vaut encore le bon vieil impérialisme occidental, dont la marche vers le progrès, contrairement au Grand bond en avant chinois, n’aura pas fait 40 millions de morts, du moins dans ses propres populations.
Dans le contexte de confrontation globale entre la Chine et les Etats Unis, de l’occultation du droit international, ainsi que de la montée des xénophobies et de la résurgence des guerres de conquête et d’extermination coloniales, les déconstructions des récits antagonistes n’étonnent plus du moment que les seules nations légitimes demeureront occidentales, souvent contre toute évidence.
Par exemple, on peut faire sienne la vision partagée par les Nazis d’une France dont seraient détachées la Bourgogne et la Bretagne victimes de l’expansionnisme des Francs, ces occupants de la Gaule venus de Germanie. Ou d’une Angleterre dont l’irrédentisme irlandais continue de s’opposer aux envahisseurs saxons qui seraient confinés au seul Wessex pour ne pas être expulsés, et où les descendants de Danois et de Norvégiens disposeraient du droit à l’autodétermination sur toute la côte orientale de l’île. Ou des Etats Unis d’Amérique et du Canada dont les colons seraient fixés à la côte Est, le reste du territoire revenant à ses habitants d’origine, les Indiens, n’eût été leur extermination par la variole, seul exemple réussi de guerre bactériologique.
Mais on aura beau dire de la Chine, en particulier de ses ambitions maritimes et de la pression exercée sur les nations riveraines en Mer de Chine du Sud, et qui n’a rien de nouveau, elle n’a jamais imposé à ses partenaires dans le monde, contrairement aux Occidentaux, de normes juridiques ou politiques particulières masquant des motivations inavouées. Et en ce sens, elle constitue une alternative précieuse pour tous ceux qui pensent que la Mondialisation ne saurait constituer le prétexte commode à l’aliénation de la souveraineté au moins nominale des nations.
* Médecin de libre pratique.
‘‘Comment la Chine écrit son histoire. L’invention d’un destin mondial’’ de Victor Louzon, éditions Tallandier, 21 août 2025, 224 pages.
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