Banque postale en Tunisie : solution aux inégalités régionales ou nouvelle utopie ?

Cela parait étonnant et pourtant c’est vrai. En cette période où de nombreux « économistes ultralibéraux » ne voient que l’issue de la privatisation pour résoudre les difficultés des entreprises publiques, d’autres parties dont des bailleurs de Fonds estiment qu’il y a un besoin réel de créer de nouvelles entreprises publiques. Objectif : satisfaire les besoins urgents d’importants pans de la société tunisienne en produits et services que l’Etat et les privés n’ont pas pu assurer, jusqu’à ce jour.
Une entreprise publique est particulièrement recommandée. Il s’agit de la création d’une Banque postale, un projet en stand-by depuis des années. Actuellement le projet de loi portant création de cet établissement financier est relancé. Il est soumis, depuis juillet 2025, au parlement sur l’initiative d’un groupe de députés.
Concrètement, fort de plus 1200 bureaux postaux répartis sur tout le territoire du pays, de 4 millions de détenteurs de comptes d’épargne représentant 25% de l’épargne du pays et de 2 millions de comptes courants, le projet de Banque postale a toutes les chances de réussir.
Ce type de banque, inspiré d’expertises réussies dans des pays développés comme la France, l’Italie et le Japon, se propose de fournir des services de proximité aux communautés enclavées, c’est-à-dire dans les contrées où les banques classiques ne sont pas présentes…
La Banque postale va jouer sur le levier de la proximité pour fournir un service qu’elle n’offre pas, à ce jour, à savoir l’octroi de crédits. Elle va permettre à d’importants pans de la population et des entreprises localisés à l’intérieur du pays d’accéder à des financements appropriés pour lancer leurs projets. C’est en quelque sorte une banque inclusive.
Les bailleurs de fonds soutiennent la création de la banque postale
Cette banque bénéficie du soutien du gouvernement tunisien (a l’exceptions du ministère des finances, de la BCT…) et des bailleurs de fonds. Ces derniers se sont constamment préoccupés des difficultés que rencontrent, à l’intérieur du pays, simples citoyens, PME-micro entreprises, régions et secteurs, pour accéder à un financement bancaire.
C’est d’ailleurs, en prévision de la création de cette banque que l’Union européenne a mis à la disposition de la Poste tunisienne, depuis 2016, un don d’un million d’euros. Ce financement est dédié au cofinancement de plans d’action visant la promotion des différents métiers de la Poste et l’amélioration de leur management.
Pour sa part, la BERD (Banque européenne de reconstruction et du développement) appuie le projet de création de cette nouvelle banque publique parce qu’il répond, d’après les déclarations de ses responsables à Tunis, à un véritable besoin : celui de faire accéder d’importants pans de régions et de secteurs non bancables à des financements bancaires.
Au mois de novembre 2024, les députés ont vivement critiqué, lors d’une séance parlementaire, le ministère des technologies et de la communication, pour les retards liés à la mise en œuvre de la Banque Postale, perçue comme une « revendication populaire ».
Les banques de la place craignent la Banque postale
Selon nos informations, cette initiative serait freinée par des blocages au niveau de plusieurs parties : ministère des Finances, Banque centrale, Conseil bancaire et financier (CBF), organisme professionnel qui regroupe les banques et les établissements financiers….et des sociétés de micro crédits qui accordent des crédits au taux d’intérêt variant entre 20 et 40% .
Effectivement, les banques de la place et les sociétés de microfinance qui sont très actives dans les quartiers populaires voient d’un mauvais œil l’arrivée de ce nouvel établissement financier public qui, par l’effet de l’avantage dont il jouit en matière de proximité et d’implantation sur tout le territoire du pays, constituerait une sérieuse concurrence…
D’après le député Mohamed Zied Maher représentant des initiateurs de la proposition parlementaire, « cette banque postale pourrait introduire une dynamique de concurrence sur le marché financier tunisien. Il considère qu’il est temps que les banques traditionnelles s’adressent davantage aux investisseurs et s’engagent avec eux sur la question du risque, condition nécessaire selon lui à une véritable renaissance financière et économique du pays ».
Quant à nous, nous pensons qu’au regard de la tendance fâcheuse de la BCT à trainer des pieds avant de promulguer le projet de loi sur « l’inclusion financière », l’initiative des députés d’accélérer le débat sur la création de la Banque postale ne peut être que saluée.
Néanmoins, nous nous empressons de formuler cette crainte de voir, en l’absence d’institutions de contrôle solides, la future Banque postale tomber, par l’effet du mauvais choix des hommes et des politiques, dans le piège de la mauvaise gouvernance dont souffre actuellement l’écrasante majorité des banques publiques de la place.
Abou SARRA
EN BREF
- La Tunisie relance le projet de Banque postale, longtemps en attente.
- Objectif : offrir des crédits et services financiers aux citoyens et PME exclus du système bancaire.
- Avec son réseau de 1 200 bureaux postaux et 4 millions d’épargnants, la Poste dispose d’atouts uniques.
- Le projet bénéficie du soutien de l’UE et de la BERD, mais se heurte à l’opposition du ministère des Finances, et de la BCT.
- Enjeu majeur : réussir la gouvernance pour éviter les dérives des banques publiques.
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