Dès l’aube, la file s’étire devant le port de Sfax. Voitures entassées pare-chocs contre pare-chocs, familles impatientes, commerçants chargés de marchandises et touristes curieux attendent leur tour pour embarquer.
Le ferry, seule passerelle vers l’archipel de Kerkennah, avale lentement passagers et véhicules, souvent bien au-delà de sa capacité officielle.
À bord, le voyage d’une heure et quart ressemble déjà à une traversée hors du temps : brise marine, cris des mouettes et conversations mêlées composent l’avant-goût d’un séjour où la lenteur est reine.
En été, la plupart des passagers ne sont pas des insulaires mais des visiteurs venus des quatre coins du pays.
Attirés par la réputation de l’archipel, ils bravent l’attente et la chaleur pour goûter à un autre rythme de vie.
À Kerkennah, le vacancier ne cherche ni le luxe tapageur ni les foules animées, mais le calme d’une île hors du temps, où la mer dicte encore la cadence des journées.
Si l’archipel attire chaque été des milliers de visiteurs en quête de calme, son secteur touristique reste loin de refléter ses richesses.
Réunis, mercredi, avec une équipe de l’agence TAP, pour présenter les difficultés auxquelles fait face le tourisme à Kerkennah, les acteurs locaux se sont accordés à conclure que l’île souffre d’un retard de développement depuis plus de 70 ans, malgré un patrimoine naturel, culturel et immatériel exceptionnel.
Selon Mahmoud Chelghaf, membre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), « Kerkennah, qui vit essentiellement de la pêche et du tourisme, n’a pas connu un progrès significatif depuis les années 60 ».
Chelghaf a, dans ce sens, déploré l’état des infrastructures, la faiblesse du transport maritime et terrestre.
« La réhabilitation des infrastructures, le renforcement du transport maritime, terrestre et aérien, et surtout la protection de l’environnement contre l’érosion marine sont, aujourd’hui, des conditions sine qua non pour le développement touristique », a-t-il dit.
Il a, par ailleurs, souligné que l’annonce du ministre du Tourisme, lors de sa dernière visite à Sfax et Kerkennah, de faire de 2026 l’“année de Kerkennah” constitue « un signe positif », à condition, dit-il, « de poser de vraies bases pour en faire une réalité ».
Les hôteliers, en première ligne, dressent, à leur tour, un constat amer.
En effet, pour Jamel Ben Saïda, hôtelier et secrétaire général de la Fédération des hôtels, « depuis l’indépendance, aucun projet majeur n’a été réalisé pour Kerkennah », malgré son potentiel unique.
Il a ajouté que plusieurs hôtels ont fermé leurs portes et que d’autres ne survivent que grâce à la présence d’une société pétrolière locale.
Le constat est confirmé par les chiffres : la capacité d’accueil est passée de 1 051 lits en 1980 à seulement 465 aujourd’hui.
Malgré ses défis, Kerkennah conserve un attrait indéniable : l’archipel demeure la troisième destination touristique de Tunisie, preuve que son charme et son authenticité continuent de séduire les visiteurs en quête de calme et de paysages préservés.