La Presse — Depuis l’époque aghlabide et jusqu’à nos jours, Kairouan a toujours réservé un accueil exceptionnel au Mouled qu’on fête le 12 Rabiî El Awal de chaque année lunaire (le 4 septembre pour cette année) et qu’on célèbre dignement, car il symbolise le passage des ténèbres à l’espoir. D’ailleurs, la ville de Kairouan a pu, pendant des siècles, véhiculer ces valeurs humaines héritées du Prophète Mohamed. En fait, Kairouan pendant le Mouled, c’est un centre monde. Il faut y avoir vécu l’événement pour se rendre compte de sa portée religieuse et sociale.
Celui qui visite la capitale de l’Islam en Ifriqiya avec ses lieux temporels et spirituels, perçoit peu à peu la ville et s’étonne de la sentir venir à lui, si vite, en images contrastées, en visions modernes et anciennes : tapis et guirlandes accrochés aux murs, rues illuminées jour et nuit, odeurs d’encens et d’eau de rose dans l’air, concours de lecture du Coran et de chants liturgiques dans les mosquées et spectacles culturels variés qui s’accordent à merveille avec la piété kairouanaise.
Bref, Kairouan pendant l’anniversaire du Prophète, c’est l’ambiance religieuse, c’est l’amour discret du monde et des êtres et c’est la mystérieuse et impondérable sensation donnée au visiteur.
En outre, on badigeonne tous les lieux de culte, les façades des maisons et des commerces et on prépare l’assida traditionnelle à base de farine, d’huile d’olive et de miel, l’assida au zgougou et de grandes quantités de makroudhs : makroudhs aux amandes, aux dattes, aux grains de sésame. Par ailleurs, des citoyens et des ONG profitent de la célébration du Mouled pour circoncire des enfants pauvres ou orphelins au mausolée de Sidi Sahbi, dans une ambiance très chaleureuse et émotive, où les youyous de joie se mêlent à l’odeur de l’encens, du harkous et du henné…
Par ailleus, on organise la conférence du Mouled avec la participation de chercheurs, d’académiciens tunisiens et étrangers et de hauts cadres du ministère des Affaires religieuses, de jurisconsultes et de personnalités politiques.
Pour cette année, les responsables régionaux ont déjà commencé une vaste campagne de propreté avec la collaboration des communes, et ce, dans les principaux quartiers de la ville.
Quant au programme, il sera multidisciplinaire avec l’organisation de manifestations religieuses, de concerts, d’expositions relatives à l’artisanat kairouanais, de chants soufis à la gloire du Prophète au mausolée Abou Zamaâ El Balawi, des soirées poétiques et des cérémonies de circoncision.
Le Mouled, il y a des décennies
Selon les témoignages que nous avons pu recueillir auprès de Si Abdelmajid Atallah, ancien directeur d’école et ancien imam de la mosquée du Barbier, et Si Mongi Rammah, ancien cadre au ministère de l’Education, le Mouled se fêtait, il y a plusieurs décennies et jusqu’aux années 60, dans une ambiance particulière : «La fête du Mouled durait une semaine.
A part les cérémonies religieuses qui se déroulaient dans les différentes mosquées et mausolées, les boutiques situées dans les souks des Haddadines, des Grablias, des Sakajines, des Attarines et d’Ennakatine étaient décorés de tapis, de matelas et de meubles que des citoyens bénévoles apportaient de chez eux. Ainsi, les étrangers pouvaient y être hébergés. Il y avait aussi dans ces souks, plusieurs estrades avec ameublement pour l’animation et l’accueil des troupes de Soulamiya, d’El Issaouia, de Sidi Bou Ali, de Sidi Abdessalem et de Sidi Belhassen.
Les visiteurs tunisiens et étrangers sentaient que sur ces lieux, la durée était tenue en suspens. Par ailleurs, les familles aisées et notamment celles de grands agriculteurs préparaient de grandes quantités de makroudhs et d’assida traditionnelle et les transportaient dans les mosquées d’Ezzitouna, d’El Bey, d’El Maâlak, d’Al Anssar, de Okba et du Barbier afin que les visiteurs puissent s’en régaler. A cette époque-là, le makroudh avait un autre goût, un autre sens.
Il était composé de semoule de blé dur, d’huile d’olive, d’écorce de cannelle, de pétales de fleurs de rosiers et de smen. Enfin et toujours à l’occasion du Mouled, des citoyens aisés en profitaient pour faire circoncire plusieurs enfants.
Parés de costumes traditionnels (jebba, Chechia, babouches, etc.) les jeunes garçons étaient conduits à dos de cheval au rythme des trompettes et des tambours jusqu’à la mosquée du Barbier. Juste au moment de la circoncision, de petites jares pleines de bonbons étaient brisées au sol pour distraire les enfants. Tout cela dans une ambiance festive et émotive…», nous ont-ils confié.
Une tradition qui reste jeune
Il va sans dire qu’à travers les années, les anciennes traditions des Kairouanais marquant la fête du Mouled se sont quelque peu estompées. Mais cela ne modifie en rien leur caractère fondamental. Pieux et attachés aux coutumes de leurs ancêtres. En effet, les Kairouanais ont parfaitement conscience des obligations agréables qu’entraîne la célébration de la naissance du Prophète, une fête religieuse par excellence.
Haïthem Blaïech, jeune dentiste et Ridha Khechine, étudiant en lettres anglaises, apprécient le Mouled pour son côté religieux, mais aussi pour son côté divertissant : «A part les manifestations religieuses qui ont lieu pendant le Mouled, il ne faut pas oublier que c’est une occasion pour nous les jeunes de revoir les cousins et les amis lointains.
Cela sans oublier le goût exceptionnel de l’assida traditionnelle, une de nos spécialités culinaires typiquement tunisienne servie en pareille festivité, ainsi que le makroudhs kairouanais qui est devenu depuis la nuit des temps l’expression d’un art, la manifestation d’un besoin social. Et bien que les crèmes desserts à base de zgougou très classique et coûteuse aient fait leur apparition il y a longtemps, l’assida traditionnelle est toujours demandée et garde une place intacte dans notre choix…», nous ont-ils déclaré.
Notons par ailleurs que la fête du Mouled a toujours été l’une occasion pour rediger des contrats de mariage et rendre visite aux futures mariées pour leur offrir le moussem. En outre, c’est une opportunité de booster la vie économique et sociale puisque tous les hôtels et les maisons d’hôtes de la ville affichent complet (l’année dernière, plus de 600.000 citoyens ont visité Kairouan pendant le Mouled), sans oublier les boutiques d’artisanat et les vieux souks qui grouillent de monde pendant plusieurs jours…