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Tribune : L’accès à la justice fiscale en Tunisie

Le contribuable tunisien n’est souvent pas consulté lorsqu’il s’agit d’augmenter les taux d’impôt ou d’élargir leur champ d’application. Même à l’occasion du débat parlementaire, l’avis de celui-ci reste généralement sans véritable impact. D’un autre côté, les pouvoirs de l’administration fiscale sont élargis sans que la question de l’équilibre du système ne soit posée.

Doter les contribuables de garanties suffisantes pour les protéger contre les excès et les erreurs de l’administration fiscale constitue l’essence même d’un système juste et équitable. La justice, en tant que mécanisme de contrôle et de protection, est l’une de ces garanties fondamentales. Y accéder n’est pas un privilège, mais bien un droit humain inaliénable consacré par les engagements internationaux de la Tunisie et la Constitution.

La Tunisie a, en effet, ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantissant le droit à un procès équitable, affirmant le droit à un recours effectif devant une juridiction compétente.

Ces engagements trouvent également un prolongement dans le droit interne. La Constitution tunisienne de 2014, puis celle de 2022 ont affirmé avec force que la justice est indépendante et garante des droits et libertés. L’article 124 de la Constitution actuelle énonce explicitement le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, tandis que l’article 117 érige l’indépendance de la justice en principe fondamental. Selon les textes, la Tunisie semble ainsi offrir un cadre solide garantissant l’accès à la justice fiscale.

Ecarts entre engagements et pratique… 

Pourtant, dans la pratique, les écarts sont criants. L’adoption du Code des droits et procédures fiscaux avait constitué une avancée majeure dans la reconnaissance des droits des contribuables, mais depuis, le système fiscal tunisien s’est compliqué, rendant le parcours du justiciable encore plus difficile.

Le contentieux fiscal est confié à des juges de fond majoritairement issus du droit privé, non formés à examiner la légitimité d’actes administratifs comme les arrêtés de taxation. Leur tendance à éviter de statuer sur les contestations relatives à la motivation des arrêtés précités prive la justice fiscale d’une partie essentielle de son efficacité. À cela s’ajoute le défaut de spécialisation.

Les juges non formés aux subtilités d’une matière technique sont incapables d’offrir aux contribuables toutes les garanties d’un procès équitable. Aussi, les mutations fréquentes aggravent la situation. Les magistrats expérimentés sont rapidement affectés à d’autres fonctions, obligeant les justiciables à supporter les coûts du recours presque systématique aux expertises judiciaires, qui finissent par dicter l’issue des litiges.

Le contentieux du recouvrement : un risque immédiat pour les entreprises 

Le contentieux du recouvrement illustre encore mieux ces dysfonctionnements. Les actions de recouvrement, basées sur un titre exécutoire tel qu’un état de liquidation, impactent rapidement la situation financière des contribuables. Ceux-ci se retrouvent face à un code de la comptabilité publique vétuste et à l’absence de recours efficaces contre les abus.

Plus grave, ce contentieux n’est pas couvert par le double degré de juridiction, privant ainsi le contribuable d’une protection fondamentale. En référé, les juges civils, peu accoutumés à la matière fiscale et confrontés à des données techniques complexes, peinent à trancher en faveur des justiciables.

Le référé fiscal : une protection vitale mais inaccessible

Dans ce contexte, le référé fiscal pourrait jouer un rôle vital. Il permettrait de protéger rapidement une entreprise contre des mesures de recouvrement susceptibles d’avoir des conséquences irréversibles. Néanmoins, en Tunisie, son accès est limité !

Pour obtenir le sursis à exécution d’un arrêté de taxation d’office, le contribuable doit, dans un délai de 60 jours, soit fournir une caution bancaire équivalente à 15 % du principal, soit payer 10 % du principal contesté. Cette exigence, lourde pour des entreprises déjà fragilisées, prive souvent ces dernières de toute possibilité de défense rapide.

De surcroît, la suspension ,qui est limitée à une seule année à compter de la notification de l’arrêté, ne couvre pas les retenues à la source, immédiatement recouvrables même lorsqu’elles sont contestées. En 2014, lors des assises nationales, la société civile est parvenue avec beaucoup de difficulté à inscrire parmi les dispositions de la réforme fiscale la création d’un référé fiscal autonome capable de suspendre l’exécution d’un arrêté manifestement démesuré ou de protéger les contribuables incapables de fournir une caution bancaire.

Ce référé permettrait également de traiter les recours contre les actions de recouvrement et saisies abusives. Mais malgré son utilité, le ministère des Finances, qui domine l’initiative législative à travers les lois de finances, tarde à appliquer cette disposition.

Conclusion : une justice fiscale pour les solvables

Un accès effectif à la justice fiscale ne protège pas seulement les contribuables, il contribue à rétablir l’équilibre du système fiscal, en encadrant les pratiques de l’administration et en limitant les décisions arbitraires qui peuvent générer des distorsions et favoriser la corruption. 

Ainsi, le référé fiscal, censé être un instrument de justice rapide et protectrice, demeure une promesse non tenue, laissant les contribuables exposés à des mesures de recouvrement parfois irréversibles. Sans réforme réelle, l’accès à la justice fiscale en Tunisie reste une justice destinée aux seuls solvables et demeure une promesse théorique pour tous les autres qui en ont le plus besoin.

 

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

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