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Kaouther Ben Hania en compétition à Venise avec « The Voice of Hind Rajab »

La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania entre en compétition officielle à la Mostra de Venise avec son nouveau long-métrage The Voice of Hind Rajab (La voix de Hind Rajab). Cette sélection confirme le rayonnement international de l’une des voix les plus singulières du cinéma arabe contemporain, quelques mois seulement après sa nomination aux Oscars pour Les Filles d’Olfa (Four Daughters).

Dans une déclaration bouleversante, Kaouther Ben Hania revient sur la genèse fulgurante de ce projet né d’un choc personnel. C’est en pleine campagne pour les Oscars, alors qu’elle s’apprêtait à tourner un film qu’elle préparait depuis dix ans, qu’un enregistrement audio va tout bouleverser. Lors d’une escale à l’aéroport de Los Angeles, elle entend la voix d’une fillette appelant à l’aide : « J’ai entendu un enregistrement de Hind Rajab qui suppliait qu’on vienne l’aider. J’ai immédiatement ressenti un mélange de tristesse accablante et d’impuissance. C’était physique, comme si le sol s’effondrait sous moi. Je ne pouvais pas continuer comme prévu. »

Hind Rajab, 6 ans, est une enfant palestinienne de Gaza. Le 29 janvier 2024, alors que sa famille tente de fuir les bombardements israéliens, leur voiture est prise pour cible. Hind est la seule survivante, cachée dans le véhicule avec les corps de ses proches. Elle appelle à l’aide via un téléphone portable. L’enregistrement de sa voix – devenu viral – capte en temps réel l’attente, la peur, la solitude. Malgré l’alerte lancée par le Croissant-Rouge, l’enfant ne sera jamais secourue. Elle est retrouvée morte quelques jours plus tard, avec les secouristes envoyés pour elle. La voiture qui les transportait avait reçu 355 balles.

The Voice of Hind Rajab

Profondément marquée par ce drame, la réalisatrice entre en contact avec la famille de Hind, avec les équipes du Croissant-Rouge, et obtient l’intégralité de l’audio original, soixante-dix minutes d’un enregistrement insoutenable. C’est à partir de ces voix réelles et de ces témoignages qu’elle décide de bâtir un film de fiction : The Voice of Hind Rajab.

Le film repose sur un dispositif minimaliste : un lieu unique, aucune image de violence, mais un hors-champ qui oppresse. Un choix assumé : « Les images violentes sont partout autour de nous : sur nos écrans, nos téléphones. Ce que je voulais montrer, c’est l’invisible – l’attente, la peur, le silence insupportable quand personne ne vient. »

Dans cette mise en scène de l’attente, du silence, de l’inaction face à l’urgence, Kaouther Ben Hania interroge ce que le cinéma peut encore dire, ce qu’il peut préserver face à l’accélération du temps médiatique. Pour elle, The Voice of Hind Rajab n’est pas seulement un film sur Gaza : « Cette histoire ne parle pas seulement de Gaza. Elle évoque un deuil universel. Le cinéma peut préserver une mémoire. Il peut résister à l’amnésie. Que la voix de Hind Rajab soit entendue. »

Produit par Nadim Cheikhrouha, Odessa Rae et James Wilson, le film a été soutenu par Totem Films pour les ventes internationales. Il a également bénéficié d’une subvention du Fonds de soutien à la création artistique et littéraire, relevant du ministère tunisien des Affaires culturelles.

Après La Belle et la Meute, L’Homme qui a vendu sa peau ou encore Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania continue d’explorer les failles du monde à travers des dispositifs singuliers. Avec The Voice of Hind Rajab, elle signe un film de résistance et de mémoire, où le cinéma devient à la fois écoute, hommage, et cri contre l’oubli.

Neïla Driss

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Cannes 2025 – « Woman and Child », le grand absent du palmarès

Pour la deuxième fois, Saeed Roustaee quitte le Festival de Cannes sans figurer au palmarès officiel, et cela demeure difficilement compréhensible. En 2022, son remarquable Leila et ses frères avait certes remporté le Prix FIPRESCI, mais n’avait reçu aucune récompense du jury officiel. Cette année, avec Woman and Child, le cinéaste iranien livre pourtant un nouveau film puissant, parfaitement maîtrisé, qui aurait largement mérité une reconnaissance à la hauteur de son audace et de sa profondeur.

Présenté en sélection officielle au 78ème Festival de Cannes, Woman and Child (Zan o Bacheh, en version originale) a immédiatement marqué les esprits lors de sa première au Grand Théâtre Lumière. Accueilli par une longue standing ovation, ce film bouleversant illustre avec force les tensions sociales et intimes qui agitent l’Iran d’aujourd’hui.

Saeed Roustaee, réalisateur iranien né en 1989 à Téhéran, s’est imposé comme l’un des cinéastes les plus pertinents de sa génération. Diplômé de l’Université Soore de Téhéran, il est connu pour ses œuvres incisives telles que Life and a Day (2016) et La Loi de Téhéran (2019), qui explorent les fractures sociales et les violences au sein de la société iranienne. Saeed Roustaee est aussi un artiste dont la liberté d’expression a été mise à rude épreuve. Son film Leila et ses frères (2022), présenté à Cannes sans l’aval des autorités iraniennes, lui a valu des démêlés judiciaires importants, avec une condamnation à six mois de prison avec sursis pour « propagande contre le régime ».

Woman and Child se concentre sur le parcours de Mahnaz, interprétée avec une intensité remarquable par Parinaz Izadyar, une infirmière veuve qui élève seule ses enfants dans le Téhéran contemporain, avec l’aide de sa mère chez laquelle elle vit. Alors qu’elle s’apprête à refaire sa vie avec Hamid, son fiancé joué par Payman Maadi, un drame familial survient : le fils de Mahnaz est renvoyé de l’école, et bientôt, un accident tragique vient bouleverser le fragile équilibre familial. Ce choc intime devient le révélateur de tensions plus larges, sociales et politiques, qui traversent la société iranienne.

Le synopsis pourrait sembler classique à première vue, mais c’est dans la manière dont Saeed Roustaee construit cette histoire qu’émerge toute la force du film. La narration est subtile, entre suspense et émotion brute, et jamais le réalisateur ne cède à la facilité. Le film déroute par ses nombreux retournements narratifs, ces twists qui bousculent notre compréhension des personnages et de leur réalité, tout en maintenant une tension dramatique jusqu’à la dernière minute. Cette construction complexe, digne d’un thriller psychologique, épouse brillamment la montée d’une tension sociale palpable dans l’Iran d’aujourd’hui.

L’une des grandes forces du film réside dans son portrait d’une femme iranienne contemporaine, confrontée à une société patriarcale et répressive. Mahnaz est une figure d’indépendance et de résistance, qui lutte pour sa liberté et celle de ses enfants. Mais son combat est aussi celui de toutes les femmes iraniennes, enfermées dans un système rigide où le poids des traditions misogynes, des lois et des normes religieuses, pèse lourdement. À travers elle, Saeed Roustaee donne une voix à une population qui souffre en silence, un cri étouffé mais vibrant. Ce portrait social est d’autant plus fort qu’il est porté par l’interprétation intense et juste de Parinaz Izadyar, saluée à l’unanimité par la critique. Beaucoup ont estimé qu’elle méritait haut la main le Prix de la meilleure interprétation féminine à Cannes, tant son jeu mêle vulnérabilité et force, douleur et rage contenue.

 

Cannes 2025 – Montée des marches pour l’équipe du film « Woman and child »

 

Mais cette œuvre sociale majeure n’a pas échappé à la polémique. Woman and Child a suscité une controverse avant même sa présentation à Cannes. L’Association des cinéastes iraniens indépendants (IIFMA) a accusé Saeed Roustaee de faire de la « propagande » pro-régime, en raison notamment de l’obtention d’un permis de tournage — perçu comme une marque de compromission — et de la représentation de femmes voilées, y compris dans des scènes se déroulant dans la sphère domestique. Selon l’IIFMA, cela constituerait une trahison du mouvement « Femme, Vie, Liberté », né après la mort de Mahsa Amini et qui a profondément bouleversé la société iranienne.

Roustaee a répliqué publiquement en expliquant que l’autorisation officielle n’était qu’une formalité administrative indispensable pour mener à bien le film féministe qu’il avait en tête. Il a revendiqué son œuvre comme relevant d’un « cinéma de résistance », affirmant que le film devait justement parler de l’émancipation féminine depuis l’intérieur du système, afin de pouvoir atteindre le public iranien.

Lors de la conférence de presse qui a suivi la projection, Roustaee a été interrogé sur la question de l’autocensure, notamment à la lumière de l’interdiction en Iran de son troisième film, Leila et ses frères. Il a répondu qu’il ne savait pas exactement si, dans son inconscient, il s’autocensurait. Âgé de 35 ans et vivant en Iran, il connaît bien son cinéma, qui s’inscrit dans la continuité du cinéma social iranien des 45 dernières années. Il ne sait pas jusqu’où il s’autocensure, si c’est le cas, mais il fait des films pour être vus par le public iranien dans les salles du pays. Il admet donc qu’il fait sûrement attention à certains aspects pour que cela soit possible.

D’autres critiques ont rejoint ce débat, cette fois au sein même de la diaspora iranienne. Certains reprochent à Roustaee de ne pas montrer des femmes assez libres ou assez émancipées à l’écran, estimant qu’il reste trop prudent dans sa manière de les représenter. Alors que, dans la réalité iranienne, un nombre croissant de femmes choisissent de ne pas porter le voile dans la sphère publique, certains lui reprochent de montrer des personnages féminins voilés à la maison, ce qui pourrait être interprété comme une forme d’acceptation ou de normalisation d’une norme imposée. D’autres réalisateurs iraniens ont, ces dernières années, cherché à ne pas respecter cette règle : par exemple Mohammad Rasoulof a choisi, dans son film Le Diable n’existe pas (2020), de montrer des femmes non voilées dans la sphère privée ; ou plus récemment encore Jafar Panahi, dont on voit une femme non voilée y compris dans la rue dans son film Un simple accident. Roustaee, par son travail, navigue avec subtilité dans ces eaux troubles, ce qui ne peut que susciter débats et questionnements.

 

Cannes 2025 – Le réalisateur Saeed Roustaee, les acteurs Payman Maadi, Parinaz Izadyar et l’enfant Arshida Dorostkar

 

Sur le plan de la direction d’acteurs, le film brille aussi par la complicité entre Saeed Roustaee et Payman Maadi, acteur qu’il considère comme son « acteur fétiche ». Leur collaboration remonte à Life and a Day, et depuis, Maadi incarne souvent des personnages complexes, révélateurs des contradictions de la société iranienne. Dans Woman and Child, son interprétation de Hamid ajoute une couche supplémentaire à la tension dramatique, entre soutien et conflit familial.

L’écriture du film mérite également une mention spéciale. Le scénario, solidement construit, explore de manière subtile mais incisive les thèmes du deuil, de la justice, et de la condition des femmes. Ce qui fait la force du récit, c’est sa capacité à mêler un drame intime et une critique sociale profonde. La tension narrative est savamment orchestrée, chaque scène apportant son lot de révélations et de retournements, ce qui rend la progression du film captivante et parfois déconcertante. Selon moi, Woman and Child aurait mérité un prix du meilleur scénario à Cannes, tant ce travail d’écriture épouse parfaitement la complexité psychologique des personnages tout en reflétant la réalité sociale iranienne.

Le film est donc une œuvre qui témoigne d’un esprit rebelle profond, d’une volonté farouche de faire entendre une voix féminine dans un contexte où celle-ci est souvent réduite au silence. Woman and Child n’est pas seulement le portrait d’une femme isolée : c’est aussi un miroir de la société iranienne contemporaine, où traditions, religion, pouvoir patriarcal et aspirations individuelles s’entrechoquent douloureusement.

Mais au-delà de son sujet immédiat, Woman and Child interroge aussi, en filigrane, la notion même de responsabilité dans une société où les lignes d’autorité sont brouillées. Où commence l’autorité d’un parent ? Jusqu’où s’étend celle de l’État, de la tradition, ou même de la famille élargie ? En abordant la question de la justice et de la garde des enfants, Saeed Roustaee ouvre la voie à une réflexion plus large sur la manière dont les sociétés patriarcales organisent — ou désorganisent — les liens familiaux et sociaux. Dans un pays où la tutelle légale des enfants est encore majoritairement confiée aux hommes, qu’advient-il des femmes lorsqu’elles réclament, non pas un statut, mais un droit à la voix, à la colère, et à l’auto-détermination ?

Par ailleurs, Woman and Child pose en creux une question plus vaste : que peut encore le cinéma face à la censure, à l’oppression, ou à l’indifférence des institutions ? Jusqu’où un cinéaste peut-il résister tout en restant audible ? Jusqu’où peut-il aller pour défendre sa liberté d’expression et de création ? Faut-il aller jusqu’à quitter son pays, comme l’a fait Mohammad Rasoulof ? Faut-il braver la justice, comme l’a fait Jafar Panahi ? Ces interrogations, laissées en suspens, prolongent la portée du film bien au-delà de l’écran — et convoquent, pour les spectateurs comme pour les programmateurs, une réflexion urgente sur le rôle politique et symbolique de l’art.

Neïla Driss

 

 
 
 

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Cannes 2025 – « Sentimental Value », l’intime en héritage

Avec Sentimental Value, présenté cette année en compétition officielle au 78e Festival de Cannes, Joachim Trier revient là où il s’est imposé, film après film, comme l’un des cinéastes européens les plus sensibles et subtils de sa génération. Fidèle à la Croisette, le réalisateur norvégien avait bouleversé le public en 2021 avec Julie (en 12 chapitres) (The Worst Person in the World), qui avait valu à son actrice principale, Renate Reinsve, le prix d’interprétation féminine. Ce fut une révélation : l’éclosion d’un tandem artistique qui se prolonge et s’affirme aujourd’hui avec force dans ce nouveau film, troisième collaboration après Oslo, 31 août, Julie, et désormais Sentimental Value.

Joachim Trier signe ici une œuvre tout en finesse, une chronique familiale qui explore les strates invisibles du ressentiment, de l’héritage et de la transmission. Fidèle à sa manière, il mêle l’intime et l’universel avec une délicatesse rare. Il filme les familles comme d’autres filment les guerres : avec pudeur, mais sans jamais édulcorer la violence sourde des blessures.

L’histoire s’ouvre à Oslo, dans une maison au charme un peu désuet, très belle, mais marquée dès sa construction par un défaut minime et pourtant fondateur : une fissure dans les fondations, qui traverse les murs de tout un côté de l’édifice. Ce détail architectural, à peine signalé, devient immédiatement métaphorique. Il annonce le cœur du film : cette maison est le théâtre de l’histoire des Berg, une famille unie, mais rongée par les non-dits, les rancunes anciennes et les absences douloureuses. D’ailleurs, le film débute par quelques scènes retraçant l’histoire de cette famille dans cette maison, comme si l’espace lui-même conservait la mémoire des drames passés.

À la mort de la mère, deux sœurs se retrouvent : Nora, l’aînée, actrice hypersensible en proie au doute, et Agnes, plus posée, mère d’un jeune garçon. Leur père, Gustav, cinéaste célèbre mais longtemps absent, fait son retour à Oslo à cette occasion. Mais il ne revient pas seulement pour les funérailles. Il vient aussi pour proposer à sa fille Nora un rôle dans le film qu’il s’apprête à tourner, son premier depuis quinze ans. Ce geste, en apparence généreux, se teinte immédiatement d’ambiguïté : Gustav ne peut s’empêcher d’exprimer un mépris à peine voilé pour les choix artistiques de sa fille — notamment sa participation à une série télévisée — et trahit, dans chacune de ses attitudes, une incapacité chronique à manifester un amour paternel véritable. Le film s’installe alors dans cette tension : un père qui revient trop tard, une fille qui a cessé d’attendre, et une maison devenue le réceptacle d’une mémoire encombrée, saturée de ce qui n’a pas été dit.

Renate Reinsve, ici, est tout simplement magistrale. Dès la première séquence, où sa troupe de théâtre s’agite dans les coulisses pour la convaincre de monter sur scène, elle impose un personnage à la fois fragile, ancré, excessif, et d’une bouleversante vérité. Elle incarne une femme en déséquilibre, jamais tout à fait à sa place, que ce soit dans sa famille, dans sa carrière ou dans le monde. Elle ne cherche pas à séduire : elle explore. Elle se livre, entière, sans détour. Joachim Trier, comme toujours, sait filmer ses acteurs dans la nuance, mais avec elle, il y a quelque chose de plus : une complicité presque chorégraphique entre la mise en scène et l’interprétation. Renate Reinsve module chaque émotion dans une infinité de demi-teintes, elle porte le film avec une précision et une profondeur rares, sans jamais appuyer ses effets. Il devient difficile d’imaginer une autre actrice dans ce rôle tant elle semble l’habiter de l’intérieur, avec une sincérité organique.

Face à elle, Stellan Skarsgård est parfait dans le rôle du patriarche ambigu, à la fois distant et dominateur, parfois touchant dans sa maladresse, souvent insupportable dans sa suffisance. Son personnage est celui d’un homme qui n’a jamais su être père, mais qui continue à vouloir être metteur en scène, comme si ce statut pouvait tout excuser. Il parvient d’ailleurs à convaincre une actrice hollywoodienne, incarnée par Elle Fanning, de jouer dans son film. Une rencontre à Deauville, une admiration réciproque, et la magie semble opérer. Mais lorsque les répétitions commencent, dans la maison familiale, et que l’actrice s’attaque au rôle de la mère disparue, quelque chose résiste. La douleur réelle s’infiltre dans la fiction. Le passé refuse de se laisser dompter par la mise en scène.

Et peu à peu, la vérité se dévoile : pour que ce film-là puisse exister, il faudra que Nora l’incarne. Elle seule peut affronter cette mémoire, ce rôle, ce père. Elle seule peut rendre justice à ce que cette maison, ce deuil, cette histoire recèlent de blessures non guéries.

Avec Sentimental Value, Joachim Trier livre un film profondément mélancolique, mais traversé d’éclats d’humour discret. On y retrouve ses thèmes de prédilection — la famille, le deuil, la création, le lien père-fille — abordés avec un raffinement narratif encore plus épuré que dans ses œuvres précédentes. Il s’autorise même quelques touches de comédie absurde, dans certaines scènes, sans jamais rompre l’équilibre émotionnel du récit.

Le film prend toute sa dimension dans sa dernière partie, lorsque Gustav, enfin, filme. Un tournage, une caméra qui s’allume, une scène qui se rejoue dans la lumière du présent. C’est là que Trier, sans recours à aucun pathos, parvient à émouvoir profondément. Le cinéma devient réparation, ou du moins tentative de réparation. Il ne s’agit pas de réécrire le passé, mais d’en faire quelque chose. D’en extraire, peut-être, une valeur sentimentale.

Future Palme d’or ? Ou Prix de meilleure interprétation féminine ?

Neïla Driss

 

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Cannes 2025 : « La Vie après Siham », l’intime en héritage

Avec « La Vie après Siham », présenté à Cannes 2025 dans la sélection de l’ACID, le réalisateur franco-égyptien Namir Abdel Messeeh livre un documentaire d’une rare intensité émotionnelle. Ce film autobiographique, à la fois journal de deuil, enquête familiale et geste cinématographique profondément personnel, confirme la singularité de son auteur, déjà salué pour le très beau « La Vierge, les Coptes et moi » en 2011, un film qui mêlait documentaire et reconstitution, et qui avait remporté le Tanit d’argent documentaire aux Journées Cinématographiques de Carthage en 2012.

Né à Paris en 1974 dans une famille copte égyptienne, formé à la FEMIS, Namir Abdel Messeeh a toujours inscrit son œuvre dans une exploration des identités multiples, entre France et Égypte, entre croyances héritées et regard critique. Dans La Vie après Siham, il poursuit cette quête intime en revenant sur une promesse faite à sa mère avant sa mort : raconter son histoire. Le film devient ainsi non seulement un portrait d’outre-tombe, mais aussi un acte de fidélité, de réparation et de transmission.

Une promesse comme point de départ

Le film s’ouvre sur une perte : celle de la mère, Siham, figure centrale du récit, disparue avant le père, Waguih. Huit ans plus tard, celui-ci meurt à son tour, et le réalisateur, leur fils, se retrouve seul face à un double deuil. Plus encore, il est confronté à une mission qu’il s’est lui-même assignée : raconter leur histoire, et par extension, la sienne.

Ce qui rend la tâche plus complexe, c’est que Namir Abdel Messeeh est un documentariste habitué à capter le réel sans toujours solliciter le consentement de ceux qu’il filme. Or, cette fois-ci, c’est sa propre intimité qu’il doit explorer. Il ne s’agit plus seulement d’observer, mais d’interroger, de ressentir, de se confronter aux silences familiaux, aux récits divergents, aux souvenirs lacunaires. Et surtout, de se livrer.

 

 

Un collage émotionnel et sensoriel

La mise en forme de cette quête intime prend une structure fragmentaire, qui épouse la nature même du souvenir. La Vie après Siham est un film kaléidoscopique qui mêle archives familiales, tournages contemporains, séquences en super 8 et extraits de vieux films égyptiens, notamment ceux de Youssef Chahine, figure tutélaire qui plane sur le film comme un double artistique. Le résultat est un collage visuel et émotionnel, où chaque image convoque une mémoire, une absence ou un écho.

La caméra s’attarde sur les gestes du père, sur les objets laissés par la mère, sur les lieux où elle a vécu. Elle filme aussi les hésitations du cinéaste lui-même, ses doutes, ses maladresses, sa douleur. On le voit interroger, se souvenir, parfois tourner en rond. Le film ne cache rien de ces moments de perte de contrôle, et c’est dans cette sincérité même qu’il trouve sa force.

La mémoire comme champ de bataille

L’une des dimensions les plus passionnantes du film réside dans son rapport à la vérité. En commençant par « la version officielle » de l’histoire familiale, telle qu’elle est racontée dans les réunions, Namir Abdel Messeeh découvre peu à peu que les récits de sa mère et de son père se contredisent, que certains événements ont été tus ou embellis, que la mémoire est un territoire mouvant, instable. Le documentaire devient alors enquête, mais une enquête sans résolution définitive : le réel est multiple, et chaque version a sa légitimité.

Cette confrontation avec les récits parentaux donne au film une dimension presque psychanalytique. Il ne s’agit plus seulement de rendre hommage aux morts, mais de comprendre ce qu’ils nous ont légué, consciemment ou non. Et ce legs est ambivalent : il contient de l’amour, bien sûr, mais aussi des contradictions, des non-dits, des blessures.

La quête d’un lieu d’appartenance

Si le film se déploie entre la France et l’Égypte, c’est parce que l’histoire familiale elle-même est traversée par l’exil. Les parents ont quitté leur pays d’origine, mais n’y ont jamais vraiment renoncé. Et le fils, né en France, navigue entre deux cultures, deux langues, deux manières d’être au monde.

La Vie après Siham interroge ainsi la notion de « pays natal » : est-ce une terre, une langue, une mémoire ? Le film ne donne pas de réponse tranchée, mais il montre avec acuité combien le sentiment d’appartenance peut être en même temps flou et important pour les enfants de l’immigration. À travers les photos, les chants, les films, c’est tout un pan d’histoire commune entre l’Égypte et la diaspora copte en France qui affleure, en creux.

La dimension politique du film est d’ailleurs présente, mais toujours en arrière-plan. Il n’y a pas de discours militant, mais une attention constante à ce que signifie « être arabe », « être égyptien », « être français », quand ces identités sont vécues au croisement de plusieurs mémoires.

 

 

Une catharsis par le cinéma

Plus qu’un film de deuil, La Vie après Siham est un film de transformation. Il ne cherche pas à fixer le passé, mais à l’interroger, à en faire émerger un sens, parfois douloureux, parfois salvateur. La promesse faite à la mère devient ainsi une forme de contrat moral, que le réalisateur honore avec délicatesse, sans pathos, mais avec une sensibilité à fleur de peau.

Comme dans ses précédents films, Namir Abdel Messeeh n’a pas peur de l’autodérision, du doute, de l’imperfection. Il filme sa propre vulnérabilité avec une honnêteté rare. Et c’est cette vulnérabilité, pleinement assumée, qui touche et qui reste.

Le cinéma, pour lui, est un lieu d’élaboration du réel, un outil pour dire l’indicible, pour réparer les brèches intimes, pour faire le deuil — non pas en oubliant, mais en transformant l’absence en mémoire active. C’est aussi, peut-être, une façon de devenir père à son tour, en transmettant ce qu’on a reçu, ou ce qu’on a tenté de comprendre.

 

 

Un accueil chaleureux et une reconnaissance internationale

La projection du film à Cannes a réuni l’ensemble de l’équipe, y compris les producteurs égyptiens, dans une ambiance d’appréciation sincère et d’enthousiasme partagé, tant du public que des critiques. Ce succès s’inscrit dans une trajectoire déjà marquée par une reconnaissance importante en Égypte et dans le monde arabe.

La Vie après Siham a reçu en 2021 deux prix des sponsors du Cairo Film Connection, ART et Ergo, en soutien à de nouvelles voix cinématographiques dans le monde arabe. Cette aide a permis la production de ce documentaire remarquable qui a su capter l’attention des festivaliers cannois. Ce soutien institutionnel souligne l’importance de plateformes telles que le Cairo Film Connection dans l’accompagnement des projets ambitieux de la région.

Mohamed Sayed Abdel Rahim, responsable des Cairo Industry Days au Festival International du Film du Caire, a exprimé sa grande satisfaction quant à l’accueil chaleureux réservé au film lors de sa première : « Nous sommes extrêmement fiers de voir l’un des projets du Cairo Film Connection connaître un tel succès international et une telle reconnaissance dans un festival aussi prestigieux que Cannes. Cette réussite illustre l’importance du soutien aux jeunes talents arabes et met en lumière le rôle catalyseur du Cairo Film Connection pour les projets cinématographiques ambitieux. »

Cette réussite illustre également le rôle grandissant du Festival International du Film du Caire et de sa plateforme industrie dans le développement du cinéma arabe, en offrant à ses talents une visibilité sur les scènes internationales et en renforçant la présence des créateurs égyptiens et arabes dans les grands forums mondiaux.

Neïla Driss

 

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Cannes 2025 – « Un simple accident », un film de colère et d’humanité

Présenté en compétition officielle au 78e Festival de Cannes, « Un simple accident » a bouleversé la Croisette. La projection s’est achevée sous une standing ovation longue et chaleureuse, l’une des plus émouvantes de cette édition. Ce film puissant, tendu, traversé par une rage sourde et une humanité bouleversante, pourrait bien figurer parmi les favoris pour la Palme d’Or.

Son auteur, Jafar Panahi, n’est pas un inconnu sur la scène cannoise. Réalisateur majeur du cinéma iranien, il y a remporté la Caméra d’or en 1995 pour Le Ballon blanc (Quinzaine des réalisateurs), le prix du Jury Un Certain regard pour Sang et Or en 2003, et son film Trois visages y a décroché le prix du scénario en 2018. Mais depuis plus de dix ans, son nom est aussi synonyme de résistance. Résistance à un régime qui a tenté de le réduire au silence, en lui interdisant de filmer, de voyager, ou de s’exprimer publiquement. Cela ne l’a jamais empêché de continuer à faire du cinéma, souvent en cachette, souvent avec des moyens de fortune, mais toujours avec cette nécessité vitale d’interroger son époque, sa société, et les souffrances de son peuple.

Un simple accident, comme nombre de ses précédents films, a été réalisé sans autorisation de tournage délivrée par la République islamique et les actrices du film ne portent pas toutes le hidjab, une transgression passible de lourdes peines en Iran.

Jafar Panahi a payé cher son insoumission : arrestations, assignation à résidence, interdiction de travail, et plusieurs peines de prison. Il est sorti récemment d’une incarcération de sept mois, mais lors de la présentation cannoise, il a tenu à rappeler que nombre de ses confrères et consœurs, en particulier les actrices, sont toujours emprisonnés ou réduits au silence, uniquement pour avoir défendu la liberté, la justice, ou simplement la vérité.

Sur scène, le cinéaste a dédié la projection de son film aux cinéastes iraniens, et plus particulièrement aux actrices « qui ne peuvent plus travailler parce qu’elles ont participé au mouvement de libération des femmes et contre le port obligatoire du voile ». Visiblement ému, il a évoqué sa propre détention, l’impossibilité de travailler librement en Iran, et la douleur de voir ses camarades dispersés dans le monde, souvent en exil, arrachés à leurs terres, mais continuant malgré tout à faire des films. Il a conclu avec cet espoir tenace : « Un jour, nous pourrons rentrer chez nous et filmer à nouveau dans notre pays. »

 

 

Dans Un simple accident, tout part d’un fait banal, presque anodin. Un père, sa fille, et une mère enceinte sont en voiture, la nuit. Soudain, ils heurtent et blessent un chien. La fillette reproche à son père de ne pas avoir freiné. Il se défend, dit que l’animal s’est jeté sous la voiture et que la route n’était pas éclairée. Une scène d’apparence ordinaire, mais qui contient déjà tous les éléments qui vont faire basculer le film dans un drame psychologique intense.

La voiture tombe en panne peu après. Est-ce à cause du choc ? On ne le saura jamais vraiment. Un homme tente de les aider, un autre les observe et commence à suivre la famille, discrètement. Le lendemain, cet homme enlève le père. Il s’apprête à le tuer, mais hésite. Est-il sûr de son identité ? Est-ce bien lui, cet ancien geôlier, cet homme qui l’a torturé en prison ? La question le hante. Il décide de le garder captif le temps de vérifier. Il fait alors appel à d’autres anciens prisonniers, eux aussi victimes du même bourreau, pour essayer de le reconnaitre.

Chacun apporte son témoignage. Il y a celui qui veut oublier, tourner la page, recommencer sa vie, celui qui réclame vengeance immédiate, celle qui ne parvient pas à surmonter les séquelles physiques et psychologiques de la torture… Le film avance par couches successives, chaque voix apportant une nuance, une douleur différente. Jusqu’à un face-à-face final entre le prisonnier et son ravisseur. La vérité éclatera-t-elle ? Ou est-ce simplement une autre projection de la mémoire brisée de ces hommes et femmes broyés par l’appareil répressif d’un État qui nie les libertés les plus fondamentales ?

Un simple accident n’est pas un film à suspense au sens classique du terme, même s’il en emprunte certains ressorts. C’est avant tout une réflexion sur la mémoire, la justice, la vengeance, et la possibilité (ou l’impossibilité) de la réconciliation. Jafar Panahi y tisse une métaphore lucide de la société iranienne, traumatisée par des décennies de répression. À travers les figures de ses personnages — l’enfant innocente, le père embarrassé, la mère silencieuse, les anciens prisonniers tiraillés entre oubli et revanche —, il déploie un tissu de récits individuels qui, mis bout à bout, forment une fresque collective de la douleur iranienne.

 

 

La mise en scène, sobre et tendue, accentue ce sentiment d’étouffement. Les plans serrés, les jeux d’ombre et de lumière, les silences, les cris, tout concourt à créer une atmosphère de doute permanent. Est-ce lui ? Est-ce le bon ? Peut-on croire sa mémoire ? Peut-on faire justice avec si peu de certitudes ? A-t-on le droit de se faire justice soi-même ? Et si on tue, ne devient-on pas comme ce bourreau?  Ce n’est pas la réponse qui importe, mais le chemin que chacun emprunte. Et au fil du film, les divers personnages évoluent.

Le film interroge aussi ce que signifie être un être humain face à la machine de l’État. Il oppose, de manière presque documentaire, les survivants et les bourreaux, les victimes et les complices, les résistants et les zélateurs. Il n’y a pas de manichéisme dans Un simple accident, mais une complexité morale vertigineuse. Chacun est confronté à ses choix, à ses douleurs, à son passé. Chacun essaie de comprendre ce qui lui est arrivé, et ce qu’il doit faire à présent.

Avec ce film, Jafar Panahi confirme qu’il est l’un des grands cinéastes du présent. Malgré les interdictions, les arrestations, les exils forcés, il continue à faire entendre la voix de ceux qu’on empêche de parler. Un simple accident est peut-être son œuvre la plus politique, et paradoxalement la plus humaine. Il nous rappelle que derrière les slogans, les lois et les censures, il y a des vies. Des existences abîmées, mais debout. Des hommes et des femmes qui, envers et contre tout, continuent à croire à la dignité.

À Cannes, ce cri a trouvé un écho. Le public du Grand Théâtre Lumière, debout, a longuement applaudi ce retour en grâce. Une Palme d’Or serait une reconnaissance éclatante, mais le film a déjà accompli bien davantage : il a touché les consciences. Avec une bouleversante simplicité.

Neïla Driss

 

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Cannes 2025 – Aisha Can’t Fly Away, autopsie d’une servitude

En compétition dans la section Un Certain Regard de la 78ème édition du Festival de Cannes, Aisha Can’t Fly Away marque l’entrée très attendue du réalisateur égyptien Morad Mostafa dans le long métrage. Si son nom n’est pas inconnu à Cannes – plusieurs de ses courts métrages y ont circulé, notamment What We Don’t Know About Mariam (2021) ou encore I Promise You Paradise présenté à la Semaine de la Critique en 2023, où il a remporté le Rail d’Or  – c’est la première fois que Mostafa est sélectionné dans l’une des sections officielles du festival, avec un film qui confirme l’univers âpre et socialement engagé qu’il explore depuis ses débuts.

La première du film a eu lieu aujourd’hui. Sur scène, Morad Mostafa a tenu à remercier ses producteurs, son équipe, ses parents, ainsi que le cinéma égyptien, qu’il considère comme la matrice de son parcours. « C’est grâce au cinéma égyptien que je suis devenu réalisateur », a-t-il déclaré avec émotion. « Je suis fier de représenter l’Égypte avec mon film » a-t-il ajouté. Depuis la sélection du film Clash en 2016, aucun film égyptien n’avait fait partie de la sélection officielle.

 

 

Dans Aisha Can’t Fly Away, la caméra suit le parcours d’une jeune soudanaise, installée au Caire. Aisha, interprétée avec une grande sobriété par Buliana Simona, travaille dans une sorte d’agence de placement d’aides-soignantes et ménagères. Elle intervient chez des particuliers, souvent seuls et malades, où elle effectue des tâches ingrates : ménage, soins, assistance quotidienne. Ses journées sont répétitives, épuisantes, rythmées par de longs trajets en minibus et en métro. Le soir venu, elle regagne le quartier délabré où elle habite, dominé par un gang de voyous qui impose sa loi entre violence, trafic de drogue et racket. Le chef du gang lui offre un toit, mais à une condition : qu’elle l’aide au cambriolage des appartements où elle travaille. Aisha tente de résister, mais finit par céder, faute d’alternative.

Le film dresse un portrait sans fard de la précarité des femmes migrantes dans les grandes villes, victimes d’une exploitation silencieuse et d’une violence banalisée. La trajectoire de Aisha, prise dans l’engrenage d’un système oppressif, rappelle celle de l’héroïne de Plumes, le film égyptien d’Omar El Zohairy présenté à Cannes en 2021. Même univers d’aliénation et de misère : un environnement sale, vétuste, bruyant, sans échappatoire, et présence d’un volatile.

Une autruche apparaît dès les premières scènes. Elle rôde dans les lieux que fréquente Aisha : devant chez elle, chez le vieil homme malade dont elle s’occupe, au restaurant où travaille son ami. L’oiseau revient, silencieux, insistant, comme un double, un présage. Peu à peu, Aisha se transforme. Une étrange éruption cutanée apparaît sur son ventre, puis s’étend. Elle ne semble pas souffrir, mais son corps change, comme s’il absorbait, sous la peau, toute la violence accumulée. Et l’autruche, cet oiseau incapable de voler, devient l’allégorie parfaite d’Aisha : clouée au sol, incapable de s’élever, prisonnière d’un monde où chaque tentative d’émancipation est réprimée.

Tout, dans le film, renforce cette sensation d’étouffement : les couleurs ternes des vêtements de l’héroïne – gris, noir, brun –, l’insalubrité des lieux, la monotonie des repas (toujours les mêmes spaghettis à la sauce tomate), les gestes répétitifs. Aisha ne rit qu’une seule fois, lors d’une visite chez des amies où elle mange enfin un autre plat. Ce moment fugace contraste violemment avec le reste du récit. Même ses rares moments de réconfort – les repas offerts par son ami restaurateur, lui-même exploité – semblent englués dans la fatalité.

 

 

La scène la plus glaçante du film survient lorsque Aisha, harcelée par un client, demande à son patron de la retirer de la mission. Ce dernier refuse, banalise l’agression, et l’oblige à continuer. Aisha finit par céder à l’homme, contrainte de lui faire une fellation. À partir de là, la métamorphose s’accélère. Le corps de Aisha devient le terrain d’une mutation inexorable, métaphore d’une soumission qui s’inscrit dans la chair.

Certains spectateurs ont néanmoins reproché au film ses scènes les plus crues, notamment une séquence où Aisha, dans un moment de bascule, se transforme en cannibale et dévore littéralement son patron. Cette scène, violente et frontale, a suscité des réactions vives : plusieurs personnes avaient d’ailleurs quitté la salle à ce moment-là. Mais sincèrement, pourquoi pas ? À travers ces excès de violence, il est possible que le réalisateur ait voulu exprimer à quel point la situation d’Aisha est horrible, à quel point elle souffre, à quel point elle enrage et a parfois des envies de revanche. Ce recours à l’extrême n’est sans doute pas gratuit : il traduit une souffrance insoutenable, devenue monstrueuse, qui ne peut plus être contenue.

On pourrait également reprocher à Aisha Can’t Fly Away une certaine lenteur, voire quelques longueurs. Certaines scènes répétitives auraient gagné à être resserrées. Mais cette durée un peu excessive participe peut-être aussi à l’effet d’enfermement que le film cherche à transmettre : le temps, pour Aisha, ne semble jamais passer, et sa vie s’étire comme une prison sans fin. Ce léger excès de durée n’entame pas la force du film, mais aurait mérité d’être réajusté pour en renforcer encore l’impact.

Ce premier long métrage de Morad Mostafa, aussi éprouvant que maîtrisé, impressionne par la précision de sa mise en scène, la rigueur de son propos, la direction d’actrice sobre. L’approche quasi-documentaire du Caire et de ses quartiers pauvres ne souffre d’aucune exagération : la ville est filmée telle qu’elle est, crue, sans filtre. Et pourtant, le réalisme cède peu à peu la place à un onirisme discret, inquiétant, où le corps de Aisha devient la scène même du récit. Le film s’inscrit ainsi dans une lignée de récits de transformation où l’imaginaire sert à dire l’indicible, en assumant parfois une radicalité formelle, mais toujours au service du propos.

Avec Aisha Can’t Fly Away, Morad Mostafa signe un premier long métrage poignant, qui prolonge son travail sur les invisibles, les marginalisés, les opprimés. Dans ce conte social teinté de fantastique, il donne une voix – et un corps – à celles qu’on refuse de voir. Et même si Aisha ne peut pas voler, elle nous entraîne avec elle dans sa chute, lente, silencieuse, bouleversante.

Il est à noter que Aisha can’t fly away est coproduit par les tunisiennes Dorra Bouchouche et Lina Chaabane.

Neïla Driss

 
 

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Cannes 2025 – L’Égypte remporte le prix du meilleur design de pavillon

Le samedi 17 mai 2025, au cœur du Village International du Marché du Film de Cannes, l’Égypte s’est distinguée en remportant le Prix du Meilleur Pavillon, décerné à l’issue de la quatrième édition des Pavilion Design Awards. Ce prix, de plus en plus convoité, vient couronner les efforts conjoints de plusieurs institutions cinématographiques égyptiennes, saluant leur capacité à transformer un espace éphémère en un véritable foyer de culture, d’histoire et d’innovation cinématographique.

Conçu comme un espace de rencontre et de rayonnement, le Pavillon égyptien a su séduire le jury par sa vision claire et ambitieuse. La distinction reçue — qui célèbre à la fois l’esthétique, la programmation et la dynamique de l’accueil — a été attribuée par un jury composé de Yi Chou, membre du programme Cannes Makers 2024, Elaine Guerini, critique de cinéma brésilienne, et Leticia Godinho, directrice adjointe du département business de Series Mania. Ensemble, elles ont visité 19 pavillons représentant une mosaïque de pays et d’institutions – du Maroc à l’Estonie, de la Tunisie à l’Institut Français – avant de désigner l’Égypte comme lauréate de cette édition 2025.

 

 

Une scénographie pensée comme un manifeste culturel

La réussite du pavillon tient à la force de sa scénographie, conçue et imaginée par Shereen Farghal, fondatrice et directrice de JY Studios. Au cœur de cette installation, l’exposition « Seven Egyptian Cities That Embraced Cinema (Sept villes égyptiennes qui ont embrassé le cinéma) » retraçait avec poésie et précision les liens étroits entre le septième art et l’urbanité égyptienne. Ce parcours offrait aux visiteurs un regard singulier sur la manière dont les villes égyptiennes ont porté, accueilli et façonné la cinématographie nationale au fil des décennies.

Mais au-delà de l’élégance esthétique et de l’inspiration historique, c’est l’ingéniosité fonctionnelle du pavillon qui a particulièrement retenu l’attention du jury. Le communiqué du Marché du Film souligne la présence d’une petite salle de projection intégrée au dispositif, pensée pour « raconter l’histoire du cinéma égyptien et affirmer sa place actuelle dans l’industrie ». Ce subtil « équilibre entre héritage et actualité » a incarné, selon les membres du jury, l’esprit même du prix : distinguer les pavillons qui ne sont pas de simples vitrines, mais de véritables plateformes vivantes de dialogue et de création.

Une organisation collective au service d’une ambition commune

Le Pavillon égyptien est né d’une collaboration étroite entre trois institutions majeures : le Festival International du Film du Caire, représenté par son président, l’acteur Hussein Fahmy, le Festival du film d’El Gouna, mené par Amr Mansi (directeur exéLeur coordination exemplaire a permis de donner corps à une vision partagée : offrir une expérience immersive qui dépasse le cadre promotionnel pour s’inscrire dans une dynamique de coopération professionnelle à long terme.

Dans une déclaration enthousiaste, Hussein Fahmy a salué cette reconnaissance en soulignant la cohérence d’un projet pensé dès le départ comme un lieu de rencontre entre le local et l’international. « Ce prix confirme l’excellence du Pavillon égyptien au Marché du Film », a-t-il affirmé, rappelant que « chaque activité, chaque interaction a été conçue pour valoriser la diversité des capacités cinématographiques de l’Égypte et favoriser des partenariats concrets avec les professionnels du monde entier ».

 

 

Des activités professionnelles stratégiques

Tout au long des neuf jours du Marché du Film, le Pavillon égyptien a accueilli une programmation dense et ciblée, incluant conférences, ateliers et présentations. Ces événements ont visé à renforcer les opportunités de coopération dans la région, à inciter les tournages internationaux à choisir l’Égypte comme destination, mais aussi à mettre en avant les talents émergents et confirmés du pays. L’espace a ainsi agi comme un levier de développement pour l’industrie cinématographique locale, en s’ancrant pleinement dans les logiques de réseautage du Marché.

Cette démarche stratégique s’inscrit dans une volonté affirmée de repositionner l’Égypte comme hub régional et international de la production cinématographique, tirant parti de son riche patrimoine, de ses ressources humaines et de ses infrastructures de tournage.

Une reconnaissance qui dépasse les frontières

Ce prix vient non seulement célébrer le Pavillon en tant que tel, mais aussi consacrer l’élan collectif d’un écosystème qui, depuis plusieurs années, multiplie les initiatives pour faire rayonner le cinéma égyptien au-delà de ses frontières. Pour Shereen Farghal, lauréate indirecte de cette distinction grâce à son travail de conception, l’émotion est palpable : « Cette reconnaissance reflète les efforts considérables de toute la communauté cinématographique égyptienne. Elle n’aurait pas été possible sans le soutien de nos partenaires et sans l’engagement des talents qui ont contribué au projet ».

C’est aussi cette synergie entre institutions publiques, festivals indépendants, artistes et professionnels qui confère à la démarche toute sa légitimité et sa singularité. À une époque où la diplomatie culturelle passe de plus en plus par les dispositifs événementiels, l’exemple du Pavillon égyptien 2025 pourrait faire école, en montrant qu’un stand, aussi éphémère soit-il, peut cristalliser de grandes ambitions nationales.

 

 

Vers une nouvelle ère de visibilité pour le cinéma égyptien ?

Le succès du Pavillon égyptien à Cannes s’inscrit dans un contexte de renouveau pour le cinéma du pays, qui cherche à reconquérir une place de premier plan dans le paysage cinématographique international. Cette récompense, loin d’être symbolique, pourrait servir de tremplin à de nouveaux projets, à des partenariats renforcés et à une plus grande circulation des œuvres égyptiennes dans les festivals et marchés du monde entier.

Elle invite aussi à réfléchir à la manière dont un pays peut se raconter à travers le prisme du cinéma, et comment l’architecture événementielle — lorsqu’elle est pensée avec cohérence — devient un vecteur puissant de narration nationale. En misant sur un récit à la fois ancré dans l’histoire et tourné vers l’avenir, l’Égypte a su séduire, émouvoir et convaincre, tout en affirmant sa volonté de jouer un rôle actif sur la scène cinématographique mondiale.

Dans un Marché du Film où les pavillons rivalisent de créativité pour capter l’attention, le triomphe de l’Égypte résonne comme un appel à l’excellence et à la vision partagée. Plus qu’un prix, c’est une invitation lancée au monde du cinéma : celle de (re)découvrir un pays dont le passé, le présent et l’avenir cinématographiques se conjuguent avec audace.

Neïla Driss

 

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Cannes 2025 – « Once Upon a Time in Gaza », la fable tragique et lumineuse des frères Nasser

Dix ans après avoir foulé le tapis rouge de Cannes avec leur premier long métrage « Dégradé », présenté à la Semaine de la Critique, les frères jumeaux palestiniens Arab et Tarzan Nasser sont de retour sur la Croisette avec « Once Upon a Time in Gaza ». Un film d’une intensité rare, entre humour noir, réalisme cru et tragédie historique, porté par un souffle de révolte et de poésie. Présenté dans la section Un Certain Regard, le film a été ovationné à Cannes, confirmant l’empreinte singulière des deux cinéastes dans le paysage du cinéma palestinien et mondial.

Ancrée en 2007, l’intrigue de Once Upon a Time in Gaza se déroule au moment charnière de l’arrivée au pouvoir du Hamas, dans une bande de Gaza déjà asphyxiée par un blocus israélien de plus en plus sévère. C’est dans ce huis clos étouffant, saturé de pénuries, de funérailles, et de bombardements réguliers, que les deux frères tissent l’histoire d’une improbable amitié entre Yahya, jeune étudiant effacé, et Osama, dealer au cœur tendre qui tient une échoppe de falafels. Ensemble, ils montent un petit trafic de drogue caché dans les pains pitas, jusqu’à ce qu’un policier corrompu ne vienne tout bouleverser.

 

 

Mais Once Upon a Time in Gaza n’est pas seulement le récit d’un trafic de rue dans un territoire assiégé. C’est un film-miroir, un récit gigogne qui bascule soudain dans l’absurde quand Yahya est recruté pour tenir le rôle principal dans un film de propagande produit par le ministère de la Culture. Intitulé The Rebel, ce « premier film d’action à Gaza » devient alors un théâtre de l’absurde : Yahya ne sait pas jouer, les figurants palestiniens rechignent à incarner les soldats israéliens, et faute de budget, les comédiens tournent avec de vraies armes, parfois chargées. Le grotesque flirte alors avec le danger, dans un humour féroce qui ne masque jamais totalement la gravité du propos.

Cette mise en abyme renforce la portée politique du film. Car dans le scénario que Yahya est censé incarner, on découvre un autre Yahya, chef de la résistance, dont l’histoire et les répliques semblent répondre, aujourd’hui, aux discours occidentaux qui accusent systématiquement les résistants palestiniens de terrorisme. Impossible de ne pas penser à Yahya Sinwar, leader du Hamas, dont le prénom – coïncidence ? – est aussi celui du protagoniste. Ce jeu de doubles, entre fiction et réalité, entre les récits qu’on impose et ceux qu’on efface, donne toute sa profondeur au film.

 

 

Le choix de 2007 comme point de départ n’est pas anodin. C’est l’année du « tournant brutal », comme le décrit Arab Nasser. L’année de l’isolement total, de la punition collective, et du début d’une longue descente vers la destruction. Les scènes de la vie quotidienne à Gaza – les files d’attente absurdes pour obtenir un visa de sortie, les coupures de gaz, la séparation d’avec la Cisjordanie – résonnent cruellement avec l’actualité. À travers le parcours de Yahya, refusé à chaque tentative de quitter Gaza, par des refus arbitraires des autorités israéliennes, c’est toute une jeunesse enfermée dans une prison à ciel ouvert qui est dépeinte avec une infinie tendresse.

Le film, entièrement tourné en Jordanie, a été écrit et mis en scène avant le 7 octobre. Mais le réel a fini par le rattraper, et les frères Nasser ont choisi, avec pudeur, d’y intégrer quelques ajustements au montage. Ainsi, le film s’ouvre désormais sur un extrait de discours de Donald Trump, vantant le potentiel touristique de Gaza, qu’il imagine en riviera du Moyen-Orient. L’ironie tragique de ces mots donne le ton d’un film où les rêves les plus fous se heurtent aux murs les plus hauts.

Cette fable politique à l’humour grinçant est portée par un duo d’acteurs remarquables, qui donnent chair à des personnages en quête de dignité. Le film oscille entre burlesque et tragédie, entre western moderne et théâtre de l’opprimé. Il donne à voir des héros en creux, pétris de contradictions, ballottés entre fierté, instinct de survie et quête de reconnaissance.

Mais Once Upon a Time in Gaza ne se contente pas de dénoncer. Il raconte aussi, avec émotion, l’acharnement à vivre malgré tout. Cette force de vie traverse le film, dans les regards, les dialogues, les silences. Dans cette amitié entre Yahya et Osama, dans les rêves de cinéma qui surgissent au cœur du désastre, dans l’humour qui désamorce l’horreur, il y a quelque chose d’universel, une pulsation humaine que la guerre ne parvient pas à étouffer.

 

 

 

Après la projection, les frères Nasser sont apparus émus devant le public cannois. Et dans un geste fort, l’un d’eux a brandi son bébé dans ses bras. Fierté paternelle, certes, mais aussi symbole puissant de continuité et de résistance. À l’heure où leur famille subit les ravages de la guerre à Gaza, ce geste était tout sauf anodin. Il portait en lui l’affirmation que malgré la destruction, la vie continue, et que les générations futures sont là, vivantes, debout, prêtes à témoigner.

« Un jour, le génocide prendra fin », a lancé l’un des deux frères devant la salle. « Et les récits que l’on entendra seront une honte pour l’humanité. » Once Upon a Time in Gaza est l’un de ces récits-là. Un récit qui refuse la simplification, qui déjoue les catégories imposées, qui refuse de faire le tri entre drame et comédie, entre propagande et fiction, entre victime et héros. C’est un film sur le droit de raconter, sur la mémoire, sur le refus de l’effacement. C’est un acte de cinéma, mais surtout un acte de survie.

Neïla Driss

 

 

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Cannes 2025 – Le cinéma palestinien sous les projecteurs

C’est dans le cadre du Marché du Film du Festival de Cannes qu’a eu lieu une table ronde d’une intense charge émotionnelle : « Le cinéma palestinien sous les projecteurs ». Organisé par le Centre du Cinéma Arabe en collaboration avec le Palestine Film Institute, ce panel a mis à l’honneur une cinématographie en lutte, façonnée par l’exil, l’oppression et une quête permanente de mémoire. À travers les récits des intervenant·e·s, s’est dessiné un cinéma de résistance, mais aussi d’une richesse esthétique et narrative encore trop peu connue du grand public.

 

La modération était assurée par Melanie Goodfellow, correspondante internationale senior pour Deadline, qui a orchestré les échanges entre des figures majeures du paysage cinématographique palestinien. Dans la salle, on remarquait la présence de nombreux visages occidentaux — un contraste notable avec l’assistance majoritairement arabe du panel consacré la veille au cinéma égyptien. Un signe sans doute de l’écho international croissant que suscite la Palestine aujourd’hui, dans un contexte mondial marqué par une attention renouvelée à sa cause.

 

 

 

La productrice et réalisatrice May Odeh a ouvert les échanges par un témoignage saisissant sur les entraves physiques et bureaucratiques à la création cinématographique. « Si je voulais tourner un film avec des réalisateurs comme Elia Suleiman ou Hany Abu-Assad, qui ont la nationalité israélienne, je ne le pourrais pas, car je ne suis pas libre de mes mouvements à l’intérieur d’Israël », explique-t-elle. Productrice du film 200 mètres, qui traite justement des restrictions de circulation, elle décrit un quotidien de contrôles, d’autorisations arbitraires, de routes interdites. « J’ai des amis originaires de certaines régions de la Palestine que je ne peux voir qu’à l’étranger. » Et ce type de récit n’est pas isolé : elle évoque aussi le cas de la réalisatrice Najwa Najjar, qui avait dû attendre un mois en Jordanie pour obtenir le visa permettant à l’acteur principal de son film Eyes of a Thief de participer au tournage.

 

 

Cette entrave à la mobilité et à la création, Cherien Dabis l’a vécue de manière plus intime. Réalisatrice et actrice américano-palestinienne, elle raconte son premier voyage en Palestine, à l’âge de 14 ans. « J’ai grandi dans l’Ohio, aux États-Unis. On m’a toujours dit que j’étais palestinienne, mais tout cela restait abstrait. Quand nous sommes allés en famille en Palestine, avec ma petite sœur qui n’avait que deux ou trois ans, j’ai vu mon père, un homme digne, se faire humilier au point d’en rougir de honte. C’était un moment fondateur. » Elle évoque la découverte brutale d’une réalité dont elle connaissait les contours, mais qu’elle n’avait jamais vécue. « Mon cousin a été tué alors que j’avais cinq ans. On en parlait à la maison, mais là, j’ai vu la Palestine. J’ai compris ce qu’était la Nakba. J’ai compris que l’histoire de ma famille était une histoire de dépossession. »

 

 

Rakan Mayasi, lui, n’a jamais pu mettre les pieds en Palestine. Né et élevé en Jordanie, formé au Liban, il explique comment son cinéma est né d’une frustration, d’un vide identitaire. « C’est en réalisant Bonboné que j’ai vraiment commencé à comprendre les difficultés de faire des films palestiniens. Je voulais faire jouer Salah Bakri, mais il n’a même pas pu se rendre au Liban. La logistique, les visas, les refus, les interdictions… tout est un combat. Et c’est une lutte perpétuelle pour trouver des solutions. »

 

 

Le cinéaste Rashid Masharawi, présent lui aussi, a raconté une trajectoire marquée par la volonté de filmer envers et contre tout. Né dans un camp de réfugiés à Gaza, il n’a jamais cessé de documenter la vie quotidienne sous occupation, avec des moyens réduits mais une urgence vitale de témoignage. Il évoque notamment son dernier film, From Ground Zero, tourné dans des conditions extrêmes et pourtant parvenu jusqu’aux portes des Oscars 2025, en étant shortlisté dans la catégorie du meilleur documentaire. À travers ce film d’anthologie, des Gazaouis racontent leur quotidien dans les premiers jours de la guerre, avec une caméra comme seule arme, pour documenter l’indicible et porter la voix d’un peuple oublié. « Être sur la shortlist des Oscars, c’est important non pas pour moi, mais pour la Palestine. Cela signifie que notre voix commence, enfin, à être entendue. »

Pour lui, le cinéma palestinien est encore trop souvent dans la réaction plutôt que dans l’action. Or, leur patrimoine culturel est très riche, et les Palestiniens devraient œuvrer à le faire connaître, à faire entendre leur narratif.

 

 

La chercheuse et curatrice Rasha Salti a apporté, quant à elle, une perspective historique et esthétique, rappelant que le cinéma palestinien s’est construit dans la marge, souvent en dehors des normes classiques. « Les colons ont toujours voulu imposer un récit aux colonisés. Toujours — que ce soient les Anglais aux Indiens, ou d’autres — le cinéma palestinien, pour se débarrasser de ces règles, a dû inventer ses propres formes, casser les cadres. »
Elle revient également sur la manière dont les premiers films réalisés en Palestine, notamment par les Européens, ont contribué à forger une image biaisée. « Dès l’époque des frères Lumière, face à cette terre sacrée qu’est Jérusalem, les films montraient une terre vide, sacrée, déconnectée de la réalité. On n’y voyait jamais les écoles, les hôpitaux, les marchés, la vie réelle. Ils servaient à nourrir un fantasme orientaliste. »

Bien que toutes les histoires racontées par les Palestiniens soient dramatiques, ceux-ci ont su les décliner sous des formes très diverses. « Certains films sont drôles, d’autres poétiques… » En tant que programmatrice, elle évoque les réactions du public à New York, souvent surpris par la qualité artistique de ces œuvres. « Ce sont des films sophistiqués, profonds, qui suscitent des débats très riches. Il faut aussi apprendre à parler avec ceux qui ne sont pas d’accord, qui sont choqués, en colère. »

Elle insiste également sur l’importance de montrer ces films dans les camps de réfugiés, notamment au Liban. « Les spectateurs veulent revoir les villes qu’ils ont quittées et où ils n’ont plus le droit de retourner. Ils veulent aussi découvrir d’autres films arabes, car ils n’ont pas la possibilité de voyager. Le cinéma devient une forme d’évasion, mais aussi de transmission. »

Rasha Salti conclut en rappelant la place centrale de la poésie dans le cinéma palestinien. Les symboles y sont omniprésents : les oliviers, les clés, les maisons abandonnées… Autant de figures récurrentes d’un imaginaire bâti sur la perte, mais aussi sur la persistance.

En filigrane de ce panel dense, c’est toute une géopolitique de l’image qui s’est dessinée. Le cinéma palestinien, loin d’être cantonné à un rôle de témoignage, affirme aujourd’hui une voix esthétique forte, inventive, capable de toucher des publics divers… à condition qu’on lui ouvre enfin les portes.

Neïla Driss

 

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Cannes 2025 : Cent ans après, Chaplin illumine la Croisette

C’est un moment d’histoire qu’a vécu la Croisette. Un siècle après sa première projection en 1925, « La Ruée vers l’or (The Gold Rush) » de Charlie Chaplin est revenu sur grand écran dans une version restaurée, présentée en avant-première mondiale dans le cadre prestigieux de la section Cannes Classics du Festival de Cannes. La projection exceptionnelle s’est tenue en pré-ouverture, ce mardi 13 mai 2025 à 15h, dans la salle Debussy.

Une salle comble pour une œuvre centenaire

Fait assez étonnant pour un film aussi ancien, disponible en ligne depuis longtemps, la salle était archicomble. Un public de tous âges, mêlant passionnés et curieux, s’était donné rendez-vous pour assister à la renaissance d’un monument du cinéma mondial. Thierry Frémaux est monté sur scène pour présenter la séance, entouré de plusieurs invités de marque : Gian Luca Farinelli, directeur de la Fondazione Cineteca di Bologna, Arnold Lozano, directeur de Roy Export SAS, ainsi que deux descendants de Charlie Chaplin, une petite-fille et un petit-fils du cinéaste.

Avant la projection, Thierry Frémaux a rappelé l’importance de cet événement et a donné la parole à ses invités.

La petite-fille a salué le public avec émotion, évoquant la fierté que son grand-père aurait ressentie en voyant ce film célébré cent ans plus tard à Cannes. Son frère, Charles Spencer Chaplin, a quant à lui rappelé l’ampleur de la production de La Ruée vers l’or — la plus importante de son grand-père à ce jour — en évoquant les décors spectaculaires construits à l’époque, devenus une véritable attraction touristique : des montagnes, des tonnes de neige… en réalité, des tonnes de farine ! Il a également exprimé son émotion devant une salle comble réunie pour ce moment unique.

Une restauration minutieuse et mondiale

Arnold Lozano a lui aussi pris la parole : « J’ai la grande chance et le grand honneur de gérer les films et les archives de la famille Chaplin, au nom de la famille Chaplin. Merci d’être là. Cent ans de La Ruée vers l’or, cent ans de Charlot, et le Festival de Cannes nous donne une belle visibilité. Nous allons pouvoir partager l’art de Chaplin avec le plus grand nombre. Comme Spencer le disait, Chaplin avait construit des décors en Californie, avec du sel et de la farine. Mais il avait d’abord commencé à tourner dans les montagnes de la Sierra Nevada, où il faisait bien trop froid. Il a finalement choisi de retourner dans ses studios pour terminer le film. Avec cette restauration 4K, vous allez pouvoir faire la différence entre la vraie neige et la fausse. Merci… et vive Charlot ! ». Puis il a ajouté : « Près d’un an et demi de travail acharné ont été nécessaires pour aboutir à cette restauration, qui sera projetée dans près de 70 pays à partir du 26 juin 2025, date exacte de la première projection de 1925. Plus de 500 salles dans le monde participeront ainsi à cet hommage planétaire ».

 

 

Un film toujours aussi actuel

Gian Luca Farinelli a, quant à lui, tenu à souligner à quel point ce film restait pertinent aujourd’hui : « C’est un film qui a 100 ans, mais qui parle encore d’aujourd’hui. Il parle de cupidité, du désir d’argent… c’est aussi un film sur le présent. Il a eu deux vies : la première lors de sa sortie en 1925, et une seconde quand en 1942 Chaplin a remonté une version sonorisée, dans laquelle il a coupé, changé des choses, et même jeté certains morceaux du film». Il a poursuivi en revenant sur le processus de restauration :« En 1993, une première restauration de la version de 1925 a été tentée, mais c’était très compliqué car Chaplin avait fait disparaître toutes les copies d’origine. Il n’en restait aucune, ni aux États-Unis, ni ailleurs dans le monde. Nous avons donc mené une enquête minutieuse, en consultant de nombreuses archives. Nous avons retrouvé des fragments ici et là : à New York, à Londres, en Catalogne, et même grâce à un collectionneur japonais… c’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui. »

Préserver et transmettre les chefs-d’œuvre

Thierry Frémaux, quant à lui, a demandé à la salle combien de spectateurs avaient déjà vu le film. À sa grande surprise, ils étaient très nombreux à ne l’avoir jamais vu. Ce constat en dit long sur la disparition progressive de ces œuvres pourtant fondatrices dans la mémoire collective. Et c’est justement pour cela que des sections comme Cannes Classics existent. C’est aussi la mission des cinémathèques et des festivals consacrés au patrimoine : préserver et transmettre les films qui façonnent notre héritage cinématographique.

 

 

Un choc émotionnel sur grand écran

Pour ma part, cette projection a été profondément émouvante. Bien sûr, je connaissais le film, que j’ai vu plusieurs fois à la télévision lorsque j’étais enfant. Mais le revoir ainsi, sur grand écran, dans une version restaurée, m’a bouleversée. J’y ai retrouvé les émotions de l’enfance, tout en découvrant, avec mon regard adulte, à quel point ce film demeure pertinent. Il ne vieillit pas, parce qu’il parle de l’humain : la cupidité, l’amour, l’amitié… des sentiments intemporels.

Un siècle plus tard, les émotions humaines, elles, n’ont pas changé. Ce film pourrait être tourné aujourd’hui, tant il reste universel. Même le métier de journaliste, toujours à la recherche de l’histoire qui fera vendre, y est déjà dépeint avec acuité.

L’émotion a envahi la salle dès les premières images. Le public a ri, frémi, applaudi à plusieurs reprises pendant la projection. L’humour burlesque, la précision du rythme comique, la beauté des images et l’émotion du récit ont opéré immédiatement. L’enthousiasme ne s’est pas démenti jusqu’à la fin.

Parmi les séquences emblématiques, on retrouvait bien sûr celle du repas de chaussures, mais aussi celle, restée dans toutes les mémoires, de la « danse des petits pains » : une scène comique d’une précision chorégraphique stupéfiante, souvent imitée, jamais égalée.

 

 

Une œuvre pionnière dès sa création

Lorsque Chaplin entame le tournage de The Gold Rush en 1924, il est déjà une star planétaire. Il a fondé sa propre société de production, United Artists, aux côtés de Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D. W. Griffith, afin de produire ses films en toute indépendance. Il cherche à aller au-delà du burlesque pur pour explorer des tonalités plus ambitieuses, et La Ruée vers l’or en est une parfaite illustration.

Inspiré par la véritable ruée vers l’or du Klondike, à la fin du XIXe siècle, et par des photographies poignantes de migrants bloqués dans la neige, Chaplin imagine un récit à la fois comique et tragique, poétique et brutal. Il tourne dans des conditions particulièrement exigeantes, mêlant des scènes en studio à des extérieurs spectaculaires reconstitués à Truckee, en Californie. À sa sortie en 1925, le film est un triomphe critique et public, et confirme Chaplin dans son statut d’auteur à part entière.

1942 : une version sonorisée supervisée par Chaplin

Avec l’arrivée du cinéma parlant, Chaplin résiste longtemps avant d’accepter l’usage des dialogues. En 1942, il décide de remonter La Ruée vers l’or pour une ressortie en salles. Il en raccourcit la durée (de 96 à 72 minutes), compose une nouvelle musique et enregistre lui-même la voix off. Cette version plus fluide deviendra pendant des décennies la référence, notamment pour la télévision.

Un long parcours de restauration

Dès les années 1980, la Cineteca di Bologna, avec la Chaplin Estate et d’autres institutions, engage un immense chantier de restauration des films de Chaplin. La Ruée vers l’or fait l’objet de nombreuses tentatives pour reconstituer la version originale de 1925. Mais comme Chaplin avait détruit les séquences supprimées, la tâche s’avérait particulièrement ardue.

La version présentée cette année à Cannes est le fruit d’un patient travail d’enquête et de collaboration entre plusieurs cinémathèques à travers le monde. Elle redonne au film sa durée originale (1h28), son montage, et sa splendeur visuelle retrouvée grâce à une restauration 4K de très haute qualité.

Présenté par Roy Export SAS, avec le soutien de mk2, le film a bénéficié d’une restauration 4K conduite par la Fondazione Cineteca di Bologna au sein de son laboratoire L’Immagine Ritrovata. Ce travail s’est appuyé sur des éléments recréés par Photoplay Productions, ainsi que sur des matériaux rares et précieux fournis par de grandes institutions telles que le BFI National Archive, Blackhawk Films, la Collection Lobster Films, Das Bundesarchiv, la Filmoteca de Catalunya, le George Eastman Museum et le Museum of Modern Art (MoMA).

Un centenaire fêté en majesté

Présenter La Ruée vers l’or à Cannes, cent ans après sa sortie, dans une version restaurée, est bien plus qu’un hommage : c’est une célébration vivante de ce que le cinéma a de plus intemporel. Un rappel que les chefs-d’œuvre, aussi anciens soient-ils, continuent de parler aux cœurs d’aujourd’hui.

Neïla Driss

 
 
 

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Festival Cinétoile 2025 à Nabeul : art, cinéma et rencontres internationales sous les étoiles

Le festival international du court métrage Cinétoile revient dans une huitième édition du 24 au 29 août 2025. Ce nouveau rendez-vous cinématographique se déroulera au site archéologique Néapolis, au fort de Hammamet et au Centre culturel Néapolis à Nabeul (Cap Bon).

En attendant d’annoncer sa programmation, le festival a dévoilé l’affiche officielle signée par l’artiste Shawki Boukef, une identité visuelle, où l’art et le symbole se rencontrent. Sur fond d’horizon marin constellé d’étoiles, une mouette au regard vif, parée de coquillages, domine les vagues comme une sentinelle du large. Entre l’écume et la lumière, l’oiseau devient métaphore du cinéma tout court : libre, audacieux, prêt à s’élancer vers d’autres rivages. Les marches rouges qui se perdent dans la mer évoquent l’ascension vers l’écran, porte ouverte sur des récits venus du monde entier, invitant à un voyage cinématographique où chaque court métrage est une étoile nouvelle dans le firmament de Cinétoile.

Organisé par la délégation régionale aux affaires culturelles de Nabeul, avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image (CNCI), de l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle (Amvppc) et de la municipalité de Nabeul, le festival rassemble chaque année des cinéphiles, des réalisateurs, des producteurs et des critiques du monde entier, créant ainsi un espace de rencontre et d’échange autour du cinéma.

Depuis sa création en 2017, le festival “Cinétoile” s’est imposé comme un événement culturel offrant dans la région une sélection de films et d’activités variées autour du cinéma. Le surnom “Cinéma sous les étoiles” prend tout son sens avec des projections nocturnes en plein air qui invitent le public à vivre le cinéma autrement, sous le ciel étoilé.

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FIFAK 2025 : une nouvelle date pour l’édition placée sous le slogan “Free Palestine

Le comité directeur de la 38ème édition du Festival international du film amateur de Kelibia (FIFAK) a annoncé, sur la page officielle du festival, le report de l’édition 2025, initialement prévue du 16 au 23 août, à une nouvelle période allant du 23 au 30 août.

Cette décision intervient, explique la même source, après une étude approfondie des conditions d’organisation. Le comité a mentionné avoir rencontré plusieurs difficultés d’ordre matériel et logistique, nécessitant un réajustement du calendrier afin de garantir les meilleures conditions pour le succès du festival et la mise en œuvre optimale de sa programmation, placée cette année sous le slogan “Free Palestine”.

Le comité directeur du FIFAK a, d’autre part, souligné que ce report permettrait de proposer une édition digne de l’histoire et de la réputation du festival qui s’emploie à poursuivre son soutien à la création cinématographique engagée.

Considéré comme la plus ancienne rencontre de jeunes cinéastes, d’associations tunisiennes de cinéma, d’étudiants et de professionnels, le FIFAK est, au fil des années, devenu un haut lieu de découverte artistique et un véritable tremplin pour de nombreux cinéastes et techniciens.

Après l’édition 2024, qui a célébré le 60ème anniversaire du festival sous le slogan “Save Gaza”, le prochain rendez-vous portera l’emblème “Free Palestine”, illustré par un visuel poignant et épuré, annonçant une édition engagée et solidaire, dans la continuité de l’esthétique que le FIFAK cultive depuis sa création en 1964.

Organisé par la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA), avec le soutien du ministère des affaires culturelles et du Centre national du cinéma et de l’image (CNCI), et en collaboration avec la municipalité de Kélibia (Cap Bon), le festival accueille chaque année des cinéastes amateurs et étudiants en cinéma pour présenter leurs dernières créations (principalement des courts-métrages), échanger leurs expériences avec leurs homologues internationaux et rencontrer des professionnels du secteur.

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Cinéma tunisien : Plongée dans les coulisses des films de Ala Eddine Slim

“Dans les coulisses des films de Ala Eddine Slim” est le thème d’un atelier d’analyse filmique qui sera organisé par l’association Sentiers, du 20 au 23 août 2025, au Centre culturel Rid’Arts de Menzel Témime, en présence du cinéaste et animé par le critique Tahar Chikhaoui.

Destiné aux étudiants en cinéma, aux animateurs de ciné-clubs et/ou d’initiatives cinématographiques, l’atelier est mené en partenariat avec Archipels Images, HAKKA Distribution, le Centre culturel Rid’Arts et avec le soutien de l’AFAC – The Arab Fund for Arts and Culture – et de l’Institut français de Tunisie (IFT).

Au programme figurent des projections-débats ouvertes au public et des séances d’analyse filmique autour des films “L’Automne” (court métrage, 2007), “The Last of Us” (long métrage, 2016), “Journal d’un homme important” et “Journal d’une femme importante” (deux essais vidéo courts, 2010-2011), “Agora” (long métrage, 2024), “Le Stade” (court métrage, 2010), “Tlamess” (long métrage, 2019) ainsi qu’une projection-débat du film “Babylon”, long métrage, coréalisé avec Ismael et Youssef Chebbi (2012).

Ala Eddine Slim figure, selon Tahar Chikhaoui, non seulement parmi les plus éminents cinéastes tunisiens de sa génération, mais son importance dépasse largement les frontières de son pays. Le réalisateur, ajoute-t-il, ne fait pas partie de cette catégorie de cinéastes qui participent, à juste titre, à la fabrication de leur propre renommée. Il appartient à cette autre catégorie d’auteurs, moins nombreux en général, qui, même s’ils sont conscients de la valeur de leur apport, n’éprouvent pas le besoin de la relayer auprès du public ou des institutions. La nature même de la création telle qu’il la pratique est rétive à l’ostentation. Il ne s’agit pourtant pas d’un minimalisme ou d’une épure formelle qui rendrait l’œuvre abstraite et empêcherait, comme cela a été le cas pour certains auteurs à l’œuvre inaccessible, la reconnaissance critique et festivalière d’impacter l’opinion et les institutions. Au contraire, dans chacun de ses films, on retrouve une audace esthétique et thématique remarquable, encline à la polémique, voire à la provocation. Le soin saisissant apporté à la photographie et l’étonnante tournure dramaturgique n’empêchent pas une rétention fondamentale. Autant de raisons d’entrer dans les coulisses d’une oeuvre qui n’a pas encore livré tous ses secrets…

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