On pourrait se demander si, derrière le rideau diplomatique, un marchandage discret ne serait pas en train de s’esquisser : un feu vert tacite donné à Israël pour écraser Gaza, en échange d’une reconnaissance implicite de l’occupation russe dans l’est — mais aussi dans le sud-est — de l’Ukraine. Bien sûr, aucune preuve tangible n’a encore fuité, aucun accord officiel n’a été signé sur ce papier glacé qu’on appelle le droit international. Mais entre les lignes, à l’ombre des sommets et des conférences de presse bien orchestrées, la logique d’un donnant-donnant pourrait bien dicter les décisions des puissants.
Israël, armé jusqu’aux dents, bénéficie d’un soutien inébranlable de la part de Washington, prêt à fermer les yeux sur la dévastation dans Gaza sous couvert de lutte antiterroriste. En parallèle, on voit Donald Trump et Vladimir Poutine échanger en Alaska, évoquant à demi-mot la possibilité d’un partage territorial en Ukraine. L’un écrase, l’autre grignote, et les grandes puissances regarderaient ailleurs, acceptant tacitement cette recomposition forcée des cartes.
On imagine volontiers que dans les coulisses du pouvoir, un genre de « deal » informel circulerait : vous, Israël, vous avez le champ libre à Gaza, et vous, Russie, vous conservez vos acquis dans l’est et le sud-est de l’Ukraine. Chacun y gagne, pourvu que les grands équilibres géopolitiques soient respectés. Ce serait un scénario cynique, mais pas invraisemblable, dans un monde où les droits des peuples s’effacent devant les intérêts stratégiques et économiques des superpuissances.
Cette hypothèse, évidemment, dénonce la faillite de la communauté internationale à imposer un minimum de justice et d’équité. Elle met en lumière le rôle ambigu, voire complice, des grandes démocraties qui préfèrent négocier à huis clos plutôt que de défendre clairement les principes qu’elles prétendent incarner. Dans ce théâtre d’ombres, les victimes, palestiniennes ou ukrainiennes, ne sont que des pions sacrifiés sur l’autel des arrangements secrets.
Alors oui, tout cela n’est que supposition, mais les faits et les coïncidences alimentent ce soupçon : la diplomatie du silence et du compromis ferait primer le pragmatisme froid sur la morale et la légalité. Et pendant que ces tractations invisibles se déroulent, la réalité sur le terrain s’écrit dans le sang et la douleur.
À nous, citoyens vigilants, de dénoncer ce jeu d’échecs cruel et de rappeler que derrière chaque transaction géopolitique, il y a des vies humaines, des espoirs brisés, et une urgence criante à redéfinir un ordre mondial plus juste.
Tous les spots de l’actualité sont braqués sur l’Ukraine. Tout le monde veut sauver Volodymyr Zelensky, dont une partie du pays est occupée par la Russie, alors que son ami israélien, Benjamin Netanyahu continue d’occuper Gaza et des pans entiers de Cisjordanie et de tuer en masse les Palestiniens… La mentalité coloniale occidentale a encore de beaux jours devant elle…
Abdelaziz Dahmani *
Ces derniers temps, toutes les lumières sont braquées sur la guerre d’Ukraine, et l’urgence de l’arrêter, pour empêcher un désastre, la chute de l’ami Zelensky, «Sauver le Soldat Zelensky» et empêcher Vladimir Poutine d’affirmer plus de puissance et prétention… Les dernières images des principaux dirigeants européens assis docilement, à la Maison Blanche, à Washington, comme dans une salle d’attente d’un médecin, avant qu’ils ne soient reçus, sont humiliantes, mais que ne feraient-ils pas, pour sauver le régime du président ukrainien, après avoir admis que ses anciennes prétentions d’adhérer à l’Otan et à l’Union européenne, et devenir le poste le plus avancé de l’Occident face à Poutine et sa Sainte Russie sont irréalisables…
Toutes ces chimères se sont en effet fracassées sur le mur de ka réalité, et il ne s’agit plus que de sauver Zelensky et son régime… Il faut dire que ce régime fait pièce d’une cohérence européenne, américaine et pro-israélienne.
C’était avant le 7 Octobre 2023… La paix israélo-américaine roulait sur un boulevard dégagé. La cause palestinienne oubliée et même l’Arabie Saoudite était presque prête à adhérer aux Accords d’Abraham. Zelensky n’est qu’un pion dans tout cela. Et lui, l’ancien acteur professionnel était prêt à ce jeu. BHL est même devenu l’un de ses mentors, et il le couvait de mille grâces. Souvenons-nous de ses exaltations de la Place Maidan… Et des affirmations de Zelensky sur la grande démocratie israélienne de… Netanyahu.
Mais voilà, et cela s’est énormément aggravé avec Gaza, devenu le plus grand cimetière du monde, après en avoir été la plus grande prison, avec ses assassinats en masse, vieux, femmes et enfants, par dizaines et dizaines de milliers, et destructions de crèches, écoles et hôpitaux sauvagement bombardés …
Et voilà Zelensky, l’Européen, le pro-israélien, le fidèle ami de Netanyahu, l’assassin, l’occupant, le colon, le tueur sans état d’âme, condamne l’occupation de territoires ukrainiens par la Russie de Poutine. Mais ne condamne pas l’occupation de territoires Palestiniens par Israël. De la même façon, il reconnaît à Israël le droit de défendre sa sécurité contre le Hamas en allant occuper Gaza, tout en reniant ce même droit à la Russie, laquelle n’acceptera jamais de voir les fusées de l’Otan installés en Ukraine et s’approcher ainsi dangereusement de Moscou ou de Saint-Pétersbourg, ex-Leningrad, ville d’élection de Poutine.
Trump, qui cherche à peaufiner sa vaniteuse gloire, veut trouver solution au drame ukrainien, sans désobliger… Poutine, et avant-hier, il l’a dit, ce règlement lui permettrait, peut-être, d’accéder au Paradis (sic !), comme il l’a déclaré à Fox News. Celui des chrétiens et des juifs, bien entendu.
Et les Palestiniens ? Quels Palestiniens ?
Regardez, la photo, ci-jointe… En janvier 2020, Zelensky, chemise blanche et cravate, kippa sur la tête, plein de dévotion, posant la main sur le Mur des Lamentations à Jérusalem. Il était venu, ce jour-là, pour exprimer son soutien et sa solidarité à Netanyahu, soutien et solidarité qu’il lui renouvelé en pleine occupation de Gaza et du génocide perpétré contre les Palestiniens… Et, en journalisme, une photo parle parfois mieux que dix mille mots.
Les humiliations que Trump ne cesse de faire subir aux Européens en négociant derrière leur dos, et à leurs dépens, avec la Russie, la Chine et l’Inde, c’est-à-dire avec ceux qui comptent, vont-elles réveiller l’Europe et l’inciter à accélérer sa construction politique pour ne plus être un appendice négligeable des politiques américaines ? (Les Etats-Unis et l’Union européenne : Quand le «grand» parle, les «petits» n’ont qu’à bien se tenir.)
Cherif Ferjani *
En adepte du néolibéralisme et de la révolution conservatrice, Trump mène une politique identitaire –America First, voire Only America ! – appliquant la conception politique du conservateur Carl Schmitt fondée sur l’opposition «ami/ennemi», les rapports de force et la loi du plus fort – ou de la jungle –, et nullement sur le droit, la délibération, la concertation rejetés comme entraves à l’exercice de la «souveraineté» de celui qui a le pouvoir.
L’Etat de droit, la démocratie, le respect des institutions sont balayés aussi bien au niveau de la politique intérieure que sur le plan des relations internationales.
Trump, depuis sa réélection, se comporte comme les cowboys qui ne tiennent compte que de ceux qui ont la force de se faire respecter et de rendre coup pour coup. On l’a vu, à titre d’exemple, aussi bien à travers sa politique douanière, concernant les taxes, que dans ses rencontres au sujet la guerre en Ukraine. Volodymyr Zelensky a été humilié ouvertement lors de sa première rencontre avec Trump, retransmise en direct, contrairement à Poutine pour qui le tapis rouge fut déroulé et avec qui l’échange se déroula à huis clos, pour ménager les susceptibilités des protagonistes.
Lors de la dernière réunion à la Maison Blanche avec Volodymyr Zelensky, à laquelle les dirigeants européens se sont invités pour ne pas laisser celui-ci tout seul face au cowboy, les entretiens étaient entrecoupés de coups de fil entre le patron de la Maison Blanche et le Maître du Kremlin, comme pour lui dire que tout se passait conformément à leurs accords en Alaska et que les «petits» ont été bien roulés dans la farine. Il en est de même pour les taxes : avec les puissants, Trump négocie et cherche des compromis; avec les «petits» – dont l’Europe paralysée par ses divisions, son incapacité à parler d’une seule voix, et sa difficulté à rompre les liens de soumission aux Etats-Unis – Trump passe en force et impose ses décisions.
L’Europe n’a pas compris que pour Trump et les isolationnistes américains de l’AFC (America First Comittee) qui l’ont porté au pouvoir, l’Occident ne veut rien dire, sinon un moyen pour imposer l’hégémonie des Etats-Unis à ceux qu’ils ont maintenus, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, dans la peur d’un Orient à géométrie variable, selon l’ennemi du moment.
Pour l’AFC inspirant la politique de Trump, l’Occident est devenu un fardeau pour les Etats-Unis qui ne leur apporte plus rien, ou pas autant qu’ils le souhaitent.
Les Européens n’ont pas encore compris que l’Occident, comme l’a bien montré Georges Corm (‘‘L’Europe et le mythe de l’Occident’’, Paris, La Découverte, 2009), n’est qu’un mythe battu en brèche par l’évolution du monde à l’ombre du triomphe de la mondialisation du néolibéralisme et de la révolution conservatrice. Seules les victimes de cette mondialisation, au Nord, dont l’Europe, et au Sud, croient encore en cette chimère. L’Europe a encore du mal à réaliser que ce mythe ne correspond plus à aucune réalité; c’est cette illusion qui la fait encore courir derrière les Etats-Unis, malgré toutes les humiliations qu’ils lui font subir, en croyant qu’ils peuvent la protéger dans le cadre d’un Otan qui n’a plus aucune raison d’être depuis la disparition du Pacte de Varsovie et l’implosion de l’Union Soviétique.
Les humiliations que Trump ne cesse de faire subir aux Européens en négociant derrière leur dos, et à leurs dépens, avec Poutine, la Chine et l’Inde, c’est-à-dire avec ceux qui comptent, vont-elles réveiller l’Europe et l’inciter à accélérer sa construction politique pour ne plus être un appendice négligeable des politiques américaines ? Pour cela, il faut beaucoup de conditions dont la première est de renoncer au dollar comme monnaie d’échange internationale à l’instar du choix des pays du Brics; car le dollar était le principal moyen de domination des Etats-Unis depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale et, surtout, depuis 1971, suite à la décision unilatérale de la Maison Blanche mettant fin à sa convertibilité en or, condition de son adoption comme monnaie internationale à Bretton Woods, en 1944. Les dirigeants qui continuent à se faire humilier par la Maison Blanche auront-ils le courage de prendre une telle décision ? Espérons-le, pour l’intérêt de leur pays et, surtout, pour renforcer la lutte contre l’hégémonisme et l’arrogance des Etats-Unis.
Créée en 1946 à l’époque coloniale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) s’est construite pour optimiser la rémunération des travailleurs, mais aussi pour saboter les entreprises coloniales, afin de chasser les colons. Les ancrages idéologiques de cette approche bicéphale n’ont pas totalement disparu aujourd’hui, 70 ans après l’indépendance.
Moktar Lamari *
Aujourd’hui encore, l’UGTT s’emploie à optimiser les salaires, de façon indifférente à l’état de l’économie, insouciante de la compétitivité des entreprises, et rétive qu’elle est aux impératifs de la productivité du travail.
Son (in)action a fait reculer le sens du travail, a détérioré le capital social et a renforcé les systèmes rentiers. Il faut comprendre le fonctionnement du «business model» de l’UGTT pour mesurer ses réels impacts sur le marché du travail en Tunisie. C’est ce qu’on propose ici, chiffres à l’appui.
Vampiriser les extrants, saccager les intrants
Quelques mois avant son décès cette année, l’économiste Houssine Dimassi a qualifié l’UGTT de vestige anarcho-féodal. Et il n’a pas tort lui qui connaît très bien le fonctionnement de l’UGTT pour avoir longtemps été l’un de ses conseillers économiques. Ce n’est pas rien, il faut en parler franchement, les yeux dans les yeux, et sans détours.
Le modèle d’affaire de l’UGTT est devenu avec le temps contreproductif, anachronique voire suicidaire pour l’économie tunisienne. Ce modèle n’arrivant plus à se ressourcer et à se moderniser pour suivre les évolutions et les changements dans la société et l’économie tunisienne.
Aujourd’hui, les tensions sont à leur summum, la veille d’un coup de force de l’UGTT, pour une marche de protestation, le 21 août, et probablement une grève générale.
Pour schématiser et simplifier nos propos aux lecteurs, on peut dire que les processus de production (dans les entreprises publiques ou privées, dans le gouvernement ou dans les organisations à but non lucratif) fonctionnent en deux volets : celui des intrants (travail, capital, technologie, organisation) et celui des extrants (production, rentabilité, productivité, compétitivité). Le processus productif consiste à transformer les intrants en extrants, dans un contexte sociopolitique et technologique donné.
Les revendications syndicales de l’UGTT ont toujours ciblé et parfois aveuglément les augmentations de salaires des travailleurs, canalisant ses revendications sur les extrants des processus productifs, empêchant parfois les entreprises d’investir ou d’innover.
Rien n’est fait par contre par l’UGTT pour renforcer les entreprises et les intrants de la machine productive d’une économie et d’un tissu d’entreprises principalement tuniso-tunisiens. Les investisseurs étrangers restent prudents face au caractère anarchiste et aléatoire de la gouvernance de cette centrale syndicale.
Ce modèle d’affaires est désuet et ne fonctionne plus dans les pays et sociétés modernes d’aujourd’hui. Ce modèle pénalise l’économie, puisqu’il vampirise les extrants et sabote les intrants de l’économie dans son ensemble. Il détruit ainsi le capital social, affaiblit la compétitivité des entreprises et sabote les infrastructures physiques et humaines.
Les problèmes du recul de la productivité et de la dévalorisation du sens du travail sont au cœur de la faillite de ce modèle de fonctionnement, devenu ipso facto improductif et très dommageable à l’économie et à la croissance en Tunisie.
Depuis Ahmed Ben Salah, les différentes élites, équipes et directions à la tête de l’UGTT ont fermé les yeux sur la déperdition du sens du travail ainsi que sur le recul de la productivité du travail (et multifactorielle), de manière générale.
L’UGTT a tort de penser que la productivité ne relève pas de ses responsabilités globales, elle qui a fait des droits des travailleurs son fonds de commerce. Elle, qui est omniprésente dans la sphère politique, nationale et internationale. Devenant un méga-syndicat, presque un parti politique.
L’UGTT ne s’est pas intéressée non plus au potentiel productif de la population en âge actif (15-65 ans). Elle a occulté les aspirations et la vie misérable des centaines de milliers de jeunes en chômage, des femmes malmenées, abusées dans les champs agricoles de tous les territoires du pays. L’UGTT jette le bébé avec l’eau du bain, prétextant que cela ne relève pas de son mandat, ni de sa responsabilité sociétale.
Les chiffres sont têtus et la responsabilité de l’UGTT est irréfutable.
1- Dit simplement, pour les 3,7 millions d’actifs occupés dans l’ensemble des secteurs formels, les gains de productivité ont été proche de zéro durant les dernières années. La productivité du capital mis à leur disposition a aussi enregistré un léger recul durant la 2015-2024.
2- Selon plusieurs études, le Tunisien moyen occupé et rémunéré travaille en moyenne pas plus 5 heures par jour, au lieu de 7 à 8 heures. Un tiers de temps payé n’est pas travaillé, sérieusement du moins. Dans de nombreuses organisations gouvernementales, cette durée effectivement travaillée ne dépasse pas deux heures par jour.
3- La durée effective du travail ne dépasse pas une la moyenne annuelle de 1 350 heures payées. En France et en moyenne annuelle, les travailleurs font 1 680 heures pour les salariés à temps complet (données 2019), au Canada, 1890 heures par an (2022). La moyenne européenne est à 1846 heures, soit 40% de plus que la moyenne annuelle en Tunisie.
4- Un taux d’emploi insuffisant, puisque la proportion de personnes demandant un emploi parmi celles en âge de travailler (15-64 ans) est de 43% seulement. Le taux d’emploi mesure la capacité d’une économie à utiliser de manière efficace son capital humain. Ce taux est pratiquement la moitié de ce qui est observé dans les pays occidentaux. Dans les pays européens ce taux oscille entre 62 à 80%. Pour l’ensemble de l’Union européenne (UE), la moyenne est de 70%. Les Pays-Bas sont à 81%, le Japon à 79%, l’Allemagne à 77% de même que le Danemark et la Suède, le Royaume-Uni et le Canada à 75%, les Etats-Unis à 71%.
5- Trois femmes sur quatre en âge actif sont sans emploi. Deux millions de femmes sont sur le carreau, dépendantes de leur conjoint et enfants pour vivre décemment. Elles se font exploiter, maltraiter… L’UGTT ne fait rien, et laisse faire, ses dirigeants ne se prononcent pas sur le sujet. Ils ferment les yeux et occultent l’enjeu, et aucun écrit ne permet de saisir les positions syndicales au sujet du travail des femmes et des enfants.
6- L’UGTT ne se préoccupe pas non plus des travailleurs du secteur informel, qui sont pourtant très nombreux, opérant dans des activités pénibles, mal payées, sans cotisation sociale, sans couverture médicale en cas d’accident ou imprévu.
On sait que l’organisation syndicale est fortement discréditée par la corruption qui la gangrène à feu doux. On sait aussi que plusieurs de ses dirigeants croient encore à la lutte des classes, voire à l’anarchie créative. Mais, ce qu’on ne sait pas c’est que les élites syndicales des quarante dernières années ont été prévenues de l’impasse et de l’essoufflement du modèle en vigueur.
Pour l’histoire, et je sors de ma réserve pour révéler ici qu’un rapport à ce sujet a été soumis à la haute direction de l’UGTT en novembre 1990.
J’ai été associé, à tire de jeune professeur d’économie à l’université de Sousse, à une réflexion évaluative des impacts économiques de l’action de l’UGTT. Sous la direction du professeur à l’Enit, Mohamed Tahar Chebbi (décédé en juillet 2025), coordonnateur du Bureau d’études de l’UGTT, un groupe de travail restreint a été créé, constitué des professeurs Houssine Dimassi (décédé), Raouf Ridane (décédé), Abdjellil Bedoui, Chedly Ayari (décédé), Abdelfatah Ghorbel, Jameledine Ziadi… avec des invités occasionnels, tous des économistes. Une jeune journaliste du journal Echaab assistait aussi aux travaux et faisait la synthèse des contributions.
Nous avons travaillé pour plus de six mois, en se réunissant pendant un séjour bloqué de 2 jours par mois, dans un hôtel de Hammamet. Nous avons proposé, dans notre rapport écrit, un ajustement structurel des approches syndicales de l’UGTT. Cet ajustement se basait sur l’extension des mandats de l’UGTT à la valorisation du sens du travail, de l’extension de la durée du travail, de l’importance de la formation professionnelle, du renforcement de la productivité et de la compétitivité des entreprises publiques et privées.
Ce rapport, produit il y a 35 ans, a documenté les défis, et illustré avec des statistiques les dangers d’une action syndicale qui dénigre la valeur du travail, qui sacrifie la productivité et qui prône une rémunération paramétrique, mur-à-mur, sans indemnisation fondée sur la performance et le rendement. Ce rapport en papier a été tabletté, et probablement oublié avec le temps.
Nous avons démontré dans ce rapport que les augmentations salariales, si elles ne sont pas accompagnées par des gains de productivité finissent par devenir un fardeau destructeur pour des dizaines de milliers d’entreprises (surtout des PME) et des centaines de milliers d’emplois avec.
Peine perdue, rien de ce qui a été proposé n’a eu une suite, l’institution est restée prisonnière de son radicalisme d’antan et s’enfonçait de plus en plus dans le déni de la valeur du travail et de la productivité.
L’UGTT a préféré continuer dans son action dévastatrice sur les intrants des processus productifs (sabotage, blocage, démolition, casse, etc.) élargissant les ambitions de ses dirigeants privilégiés, pour progressivement étendre ses pouvoirs et l’implication dans les domaines politiques et partisans, tant avec Ben Ali qu’avec ses successeurs à l’ère post-2011.
Elle a pris du poids et accentué son pouvoir, de par son statut de monopole et omniprésent dans les régions, tous les secteurs et de mèche avec divers lobbyistes et groupes de pressions (médias notamment).
Un déni qui favorise l’optimisation des hausses salariales et donc de la ponction sur les extrants, négligeant les intrants et leur importance dans la création de la richesse collective incontournable pour le progrès et la prospérité du pays.
Faire le lien entre rémunération et productivité du travail
D’importants secteurs économiques ont ainsi été saccagés. Il suffit de voir le sens du travail dans les sociétés publiques, dont le transport. Les 600 000 ha de terres domaniales ont été mis en friche par ce syndicalisme anarchiste, féodal entre autres. L’UGTT refuse de faire un lien entre rémunération et productivité du travail.
Le plus gros dégât de l’action syndicale de l’UGTT a trait à la dégradation du capital social et du sens du travail de manière générale en Tunisie.
L’UGTT a besoin d’une révolution interne, elle a besoin d’une prise de conscience et d’un encadrement éthique anti-corruption, assortis d’un engagement pour la réhabilitation du sens du travail et de la productivité. C’est incontournable.
Avec plus de croissance, et de richesses créées, les salaires, le pouvoir d’achat des citoyens et l’accès à l’emploi ne peuvent que suivre, et évoluer vers la hausse, pas vers la baisse comme on le constate aujourd’hui.
La question qui se pose est la suivante : une telle révolution interne peut-elle être initiée de façon endogène et démocratique au sein de l’organisation, ou au contraire de façon exogène et top down. L’avenir nous le dira.
La Tunisie traverse une crise silencieuse où la désespérance des élites et l’incivilité quotidienne des citoyens se combinent pour façonner une culture de la laideur. Les architectes, intellectuels et autres acteurs culturels ont un rôle décisif pour transformer ce désordre latent en projet collectif. Ignorer cette dynamique, c’est laisser la société se réinventer par défaut, dans le désordre et la gabegie.(Ph. Cité Ennasr, à Tunis : Quand chacun fait comme il veut, c’est la société tout entière qui apprend à tolérer l’inacceptable.)
Ilyes Bellagha *
Nous ne savons plus où nous allons, mais nous continuons à marcher comme si tout était normal.
La bourgeoisie tunisienne, traditionnellement formée et privilégiée, exprime un désarroi profond. Architectes, cadres et intellectuels continuent de se projeter dans les cercles de pouvoir sans mettre à jour leurs méthodes, leurs pratiques ou leur rapport au travail. Le prestige académique et les titres ne suffisent plus.
Le travail devient précaire, mal reconnu, et souvent déconnecté des réalités sociales. Pendant ce temps, la population, elle-même en quête de repères, ne trouve ni sens ni reconnaissance dans ces élites déphasées.
Incivilité et normalisation des comportements
Quand chacun fait comme il veut, c’est la société tout entière qui apprend à tolérer l’inacceptable.
L’incivilité quotidienne n’est pas un simple problème moral : elle est le symptôme d’une société qui expérimente de nouvelles normes dans l’ombre des institutions défaillantes. Frustration, absence de projet collectif et détachement des élites transforment le quotidien en laboratoire social.
Ce qui était autrefois marginal devient progressivement toléré, visible, et, à terme, normalisé. La Tunisie ne subit plus seulement une politique défaillante : elle fabrique sa propre inculture par défaut, dans laquelle comportements et pratiques s’imposent plus vite que la loi.
L’architecte comme révélateur et acteur
Ce que je fais à une maison, je le fais à un corps. Ce que je fais à la société, je le fais à son avenir, dirait l’architecte qui, en tant qu’acteur culturel, occupe une place cruciale. Une formation élitiste et théorique ne suffit plus à légitimer un travail souvent précaire et mal valorisé. Ceux qui se limitent à la posture du prestige risquent d’alimenter le désordre latent.
À l’inverse, ceux qui réinventent leur rôle, adaptent leurs savoir-faire aux réalités locales et ouvrent le dialogue avec la population peuvent devenir des leviers de renaissance culturelle et civique. L’architecte peut alors transformer l’incivilité et la frustration en création et en projet collectif.
Vers un projet collectif
Ignorer cette dynamique, c’est laisser la société se réinventer par défaut. Et si rien n’est fait, la frustration, l’incivilité et la désespérance peuvent devenir la norme.
Le véritable défi pour les élites et pour l’architecte est de transformer cette énergie négative en un projet collectif tangible et intelligible. Avant que la culture émergente par défaut ne s’impose, il est urgent de reconstruire des repères communs et de réinventer le rôle de chacun dans la société tunisienne.
* Ancien président de l’Ordre des Architectes de Tunisie.
Les agressions contre les jeunes médecins sont en passe de devenir quotidiennes dans nos hôpitaux. Ces scènes, qui se répètent, ne représentent pas des cas isolés, elles constituent désormais un fléau social, qui doit nous interpeller, d’autant que ce sont souvent les jeunes médecins résidents qui en font les frais. De quoi les dégoûter de leur métier et de leur pays, et les inciter à émigrer.(Ph. Alors que nos médecins partent à l’étranger, allons-nous bientôt recourir à des médecins étrangers dans nos hôpitaux publics?)
Raouf Chatty *
Samedi dernier, un jeune médecin résident en orthopédie et traumatologie a été violemment agressé ** dans un hôpital public à Sfax dans le cadre de son travail par un patient exigeant d’être soigné en priorité.
Ce grave forfait doit être condamné sans réserve. J’exprime mon entière solidarité avec la victime et avec les médecins et autres personnels de la santé dans nos hôpitaux publics dans des conditions souvent difficiles. J’appelle aussi les autorités publiques compétentes à se pencher sérieusement sur la situation des médecins dans les hôpitaux publics. Car il y a feu en la demeure et elles doivent prendre les devants et sévir contre les auteurs d’actes d’agression et de vandalisme.
Les agressions contre les jeunes médecins sont en passe de devenir quotidiennes dans nos hôpitaux. Il y a quelques semaines, un groupe d’individus déchainé avait attaqué un hôpital public à Kairouan, fracassant tout sur leur passage, terrorisant patients et personnels et occasionnant des pertes en matériel médical, évaluées à des centaines de milliers de dinars. Ces scènes, qui se répètent de manière régulière, ne représentent pas des cas isolés, elles constituent désormais un fléau social, qui doit nous interpeller.
Ce sont souvent les jeunes médecins résidents qui font les frais de ces agressions, alors qu’ils n’ont aucune responsabilité dans les conditions qui ont rendu ces agressions possibles. Ils en sont très affectés sur le plan psychique. Certains en viennent même à honnir le jour ils ont opté pour des études en médecine et consenti un investissement lourd en travail, efforts et en sacrifices.
Le médecin victime de l’agression à Sfax.
Des conditions extrêmement difficiles
Ces médecins exercent leur profession dans des conditions extrêmement difficiles, voire très dures. Les hôpitaux manquent cruellement de ressources humaines, de moyens techniques et d’équipements médicaux. Ces quinze dernières années, la situation a beaucoup empiré dans les hôpitaux publics, suite à la démission des autorités administratives et à la montée des syndicats qui imposent désormais leur loi.
En effet, de nouvelles pratiques ont vu le jour dans les hôpitaux. L’autorité des médecins chefs de services s’est effritée. Le personnel paramédical fort de son nombre et de son ancienneté a occupé le terrain et fait désormais la loi dans les hôpitaux. Ils sont devenus quasiment intouchables. Cette situation a généré beaucoup d’abus et de dépassements. Aussi ne se passe-t-il pas une semaine sans que l’on entende parler des brimades et des misères que ces jeunes médecins subissent dans le cadre de leur travail. Maillon faible de la chaîne, ils sont entre le marteau et l’enclume, pris en tenailles entre l’autorité du chef de service dont ils dépendent pour la validation de leur cursus de stage et celle, non moins réelle, des agents paramédicaux qui font la pluie et le beau temps. Ces derniers travaillent à leur guise et sont souvent réticents à satisfaire les demandes des jeunes médecins qu’ils sont censés servir.
Beaucoup de ces jeunes médecins souffrent de ce calvaire durant la période de résidanat qui, pour certaines spécialités médicales et chirurgicales, dure entre quatre et cinq ans répartis en dix semestres dans les hôpitaux de la République. Exploités et baladés, la suite de leur carrière dépend du bon vouloir de leur patron, voire parfois de l’humeur générale régnant dans l’établissement où ils opèrent.
Beaucoup de jeunes médecins se plaignent du manque d’encadrement dans certains services. D’autres ont peur de voir leur patron refuser de valider leur stage de formation, ce qui revient à les priver de candidature à l’examen national de spécialité en médecine. L’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM) a d’ailleurs souvent soulevé ces problèmes.
De quoi vous dégoûter de la médecine
Les jeunes médecins parlent aussi souvent du stress qu’ils endurent dans les hôpitaux publics et qui n’est pas contrebalancé par un salaire décent, de bonnes conditions de travail ou un statut social, et ce au terme d’un cursus médical de onze ans, six ans d’études de médecine souvent très pénibles après un baccalauréat scientifique mention très bien et cinq ans de résidanat dans les hôpitaux dans des conditions pitoyables.
Dans ces conditions, il ne faut pas faire la politique de l’autruche et jouer aux vierges effarouchées, en voyant ces jeunes médecins faire leurs valises et quitter le pays à la recherche de meilleures perspectives de carrière à l’étranger. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit souvent d’un aller sans retour. Ce qui constitue une perte pour eux, pour leurs parents et pour leur pays, qui a beaucoup investi dans leur formation.
L’honnêteté exige de compatir avec ces jeunes médecins ainsi contraints à l’exil, de se pencher sur leur situation et de remédier aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans l’exercice de leur métier, au risque de voir bientôt les bacheliers brillants se détourner des études de médecine et laisser cette filière dévalorisée aux médiocres. Ce qui ne manquera pas de rejaillir négativement sur l’image de notre médecine et de nos médecins qui, jusqu’ici, sont généralement appréciés dans les pays étrangers où la plupart réussissent très bien.
* Ancien ambassadeur.
** Cela s’est passé à l’hôpital universitaire Habib Bourguiba à Sfax: un patient blessé à la main a agressé un médecin résident en lui assénant un coup sur la tête, lui faisant perdre conscience. Le jeune praticien a dû passer une nuit à l’hôpital, alors que l‘agresseura été laissé en liberté par la police, au prétexte qu’il était blessé lui-même.
L’auteur de ce texte se présente comme «payeur de taxe insatisfait» et ce sont des millions de Tunisiennes et de Tunisiens dans son cas, contribuables honnêtes, qui se plaignent de la médiocrité des services publics, s’ils existent, et de la gabegie générale régnant dans le pays du fait d’une administration souvent aux abonnés absents.(Ph. Les agents de la municipalité de Carthage sont occupés à libérer la Palestine. Ils n’ont pas le temps pour s’occuper du ramassage des ordures et autres corvées).
Abdelwaheb Jebri *
Pendant 23 ans, j’ai payé mes taxes municipales avec rigueur et loyauté, convaincu que c’était là le fondement du contrat social : je contribue, la commune me sert. Mais aujourd’hui, je ne peux que constater l’échec total de ce pacte. Carthage, ma ville, est devenue le symbole d’une administration absente, d’une gestion défaillante, et d’un mépris institutionnalisé envers ses citoyens.
Tout a commencé par une demande simple : obtenir un numéro pour ma maison. Une formalité, pensais-je. Ce fut en réalité le début d’un parcours kafkaïen. Des semaines de démarches, des portes closes, des rendez-vous fantômes, des responsables invisibles. Chaque interaction avec la municipalité est une épreuve, chaque silence un affront.
Une cacophonie numérique
Excédés par cette inertie, les citoyens ont fini par attribuer eux-mêmes des numéros à leurs maisons, de façon arbitraire, sans ordre ni logique, dans le seul but d’avoir une adresse postale permettant aux facteurs de livrer leur courrier. Le résultat est aussi absurde que révélateur : dans une même rue, on trouve des maisons portant des numéros à deux chiffres précédant des numéros à un chiffre, ou l’inverse. Une cacophonie numérique qui illustre le désengagement total de l’administration et le bricolage citoyen devenu nécessité.
Ma maison, pourtant bien réelle et solidement bâtie, semble souffrir d’un mal étrange : l’invisibilité municipale. Elle donne fièrement sur deux rues — l’Avenue Hedi Chaker, grande et fréquentée, et la rue Hassen ibn Noômen, paisiblement aménagée depuis 2002 — mais elle n’a pas de numéro. Et pourtant, malgré cette double exposition, elle reste officiellement introuvable. Ni numéro à l’avant, ni numéro à l’arrière. Rien. Un exploit bureaucratique qui défie les lois de la géolocalisation. Comme si elle avait été construite dans une dimension parallèle où l’administration n’a pas encore posé le pied.
Devant cette énigme bureaucratique, j’ai dû me résoudre à une solution aussi inventive qu’improbable : emprunter l’adresse de ma belle-famille pour recevoir mon courrier. Oui, ma maison est là, mais elle vit sous l’identité d’une autre. Une sorte de témoin protégé du système postal. On pourrait presque croire que c’est une stratégie de discrétion, sauf que même les facteurs hésitent entre rire et pleurer.
C’est une situation qui ferait un excellent sketch, si elle ne révélait pas si crûment le naufrage du service public. Car dans un État censé servir ses citoyens, devoir faire appel à sa belle-famille pour exister sur une enveloppe, c’est tout sauf banal.
Et pendant que je me bats pour un droit élémentaire, la ville se délite. Les ordures s’amoncellent, les sacs éventrés jonchent les trottoirs. Le soir, l’obscurité règne : les réverbères sont morts, et l’insécurité s’installe. Carthage n’est plus qu’une ombre d’elle-même, abandonnée par ceux qui devraient la servir.
A quoi bon payer des taxes ?
Alors je pose la question : à quoi bon payer des taxes quand les services sont inexistants ? Pourquoi continuer à financer une institution qui nous ignore, qui nous méprise, qui nous abandonne ?
Ma décision est claire : je suspends le paiement de mes taxes municipales. Ce n’est ni un caprice, ni une provocation. C’est un acte de résistance. Un signal d’alarme. Car la patience des citoyens a des limites, et la loyauté ne peut être unilatérale.
Je m’adresse aujourd’hui à vous, Monsieur le Président : Carthage mérite mieux. Elle mérite une administration digne, des services fonctionnels, une écoute réelle. Il est temps de secouer cette inertie, de réveiller les consciences, de remettre le citoyen au cœur de l’action publique.
Le contrat social doit être rétabli. Et cela commence par le respect
Des demandes de visa, j’en ai fait plusieurs dizaines tout au long de ma carrière, pour toutes sortes de pays. Comme pour un grand nombre de voyageurs tunisiens, demander un visa ressemble plus à une épreuve d’endurance qu’à une formalité administrative. Ainsi, entre les files d’attente interminables, les formulaires à rallonge, les documents qu’on imprime trois fois “au cas où” et les frais parfois excessifs; l’expérience est souvent stressante, coûteuse en temps et en argent …. Bref, tout sauf une partie de plaisir.
Et pourtant… il existe une exception qui redonne foi en l’humanité administrative: l’ambassade de Chine en Tunisie. Hier matin, j’y ai vécu ce que je croyais impossible: un rendez-vous consulaire rapide, cordial, efficace… et gratuit.
L’expérience en question: comme d’habitude, j’avais rempli ma demande en ligne, joint seulement deux pièces: copie de mon passeport et l’invitation reçue. Par précaution (car l’habitude est tenace), j’avais quand même préparé un dossier complet avec tous les papiers que réclament habituellement les autres ambassades: relevés bancaires, attestation de travail, réservations d’hôtel, billets d’avion…
À mon arrivée, l’agent d’accueil (un Tunisien) me demande simplement mon passeport, lit ma demande sur son ordinateur, rédige un petit reçu… et me demande de revenir dans trois jours récupérer mon passeport et mon visa. Ébahie, je lui demande si je dois passer à la banque pour payer les frais. «Non», me répond-il simplement. Je suis sortie très étonnée… mais surtout enchantée.
Pourquoi cette expérience est exceptionnelle :
En y réfléchissant, j’ai compris que ce que j’ai vécu incarne plusieurs principes simples mais ô combien révolutionnaires dans l’univers kafkaïen des visas:
1. La présomption d’innocence: l’ambassade de Chine part du principe que la majorité des candidats au visa sont des voyageurs honnêtes. Statistiquement, elle n’a pas tort: selon l’Organisation mondiale du tourisme, moins de 1,5% des voyageurs ne respectent pas les conditions de leur visa. Autrement dit, 98,5% ne cherchent qu’à visiter un pays et rentrer chez eux.
Alors, pourquoi traiter tout le monde comme des fraudeurs potentiels?
2. Le bon sens écologique et le numérique: inutile de réimprimer des documents déjà envoyés en ligne. Résultat: des centaines de feuilles économisées par demande. À titre d’exemple, si chaque ambassade à Tunis demande en moyenne 10 pages imprimées par dossier et reçoit 20.000 demandes par an, c’est environ 200.000 feuilles de papier économisées par simple dématérialisation. Soit l’équivalent de 25 arbres épargnés.
3. Des coûts réduits (voire supprimés): là où certaines ambassades facturent des frais qui dépassent parfois les 150 à 200 € — sans compter les frais indirects — il semblerait que le consulat délivre certains visas gratuitement. Et même en cas de paiement, les montants (affichés sur leur site web) sont beaucoup plus raisonnables que la majorité des autres visas.
4. Pas de réservations fictives: beaucoup d’ambassades exigent des réservations d’hôtel et des billets d’avion avant même d’accorder le visa. Ce qui oblige souvent à acheter… pour annuler ensuite. En réalité, selon les agences de voyages, 80% des réservations fournies pour les demandes de visas sont annulées une fois le visa obtenu. L’ambassade de Chine, elle, sait que ces justificatifs ne prouvent rien du tout: elle préfère la logique et le respect du budget du voyageur.
5. Respect total des données personnelles: pas de relevé bancaire, pas d’attestation de travail dans ce cas précis. Juste les documents essentiels. Un respect rare alors que, dans le monde, 66% des ambassades exigent au minimum 3 mois de relevés bancaires avant d’accorder un visa.
Et les autres ambassades ?
Là est toute la question. Pourquoi cette procédure simple, rapide et humaine est-elle l’exception et non la règle? Pourquoi la Tunisie accepte-t-elle que tant d’ambassades prennent ses citoyens en otages en imposant des démarches lourdes, coûteuses et parfois humiliantes? Sans parler des intermédiaires privés qui obligent parfois les candidats à payer deux fois le prix du visa pour «service de dépôt».
Moralité:
Ces trois jours, j’ai pu déposer et retirer un visa chinois, valable un mois, en moins de 10 minutes en tout, avec un accueil souriant et sans humiliation. Comme quoi… c’est possible. Et si un jour toutes les ambassades adoptaient ce modèle, des milliers de voyageurs tunisiens gagneraient du temps, de l’argent, et surtout beaucoup de sérénité.
Paraphrasant Gandhi qui pense qu’: «On peut juger de la grandeur d’une nation et ses progrès moraux par la façon dont elle traite les animaux» ; je dirai qu’on devrait juger de la grandeur d’une ambassade et des progrès moraux de ses services consulaires à la manière dont elle traite ses demandeurs de visas.
En attendant, chapeau bas à l’ambassade de Chine, vous venez de prouver qu’une procédure administrative peut rimer avec efficacité, respect, dignité et simplicité.
L’exacerbation de la crise en Europe et la marginalisation internationale de son premier partenaire économique ne manqueront pas d’avoir des retombées négatives sur une Tunisie qui connaît depuis une quinzaine d’années une conjoncture difficile et peine à se relancer.
Elyes Kasri *
Le sommet américano-russe du 16 août 2025 en Alaska a été accueilli par moultes gesticulations euro-otaniennes prétendument pour soutenir un président ukrainien ayant dépassé son mandat et qui est reconnu par de nombreux observateurs comme un pion de l’Otan doublé d’un despote et d’un corrompu de haut vol.
Les préparatifs de la réunion de Washington censée être bipartite Trump-Zelensky et les tentatives puériles d’incrustation de l’Europe pour y participer et tenir la main au satrape ukrainien en dépit de la réticence de la Maison Blanche, révèlent l’inadéquation de l’Europe avec le nouvel ordre mondial qui a du mal à surmonter la bipolarité russo-américaine de la guerre froide en dépit des prétentions d’autres puissances émergentes mais qui ne peuvent cacher leur statut encore secondaire dans le conflit russo-ukrainien qui a cumulé sur le terrain les attributs d’un conflit élargi à l’Otan, l’Europe et l’Asie.
Vanité et hypocrisie
Les déclarations du président français Macron et de la présidente de la commission européenne Von Der Leyen à la veille du sommet de Washington avec les dirigeants européens et ukrainien face au président américain montrent s’il le fallait encore une fois la vanité et l’hypocrisie de l’Europe dont les leaders ne cessent de crier sur les toits leur attachement inébranlable au respect du droit international et l’interdiction morale et légale de toute légitimation de l’acquisition de territoires par la force et autres professions de foi qui ne semblent pas s’appliquer à Israël en dépit des preuves accablantes du génocide palestinien et de son mépris flagrant du droit international et de toute morale humaine.
En plus de sa faillite morale, démasquée à Gaza avec ce que beaucoup considèrent comme une complicité dans un génocide confirmé par la Cour Internationale de Justice, l’Europe est désormais confrontée à sa marginalisation internationale et aux nombreux indices de son insignifiance géostratégique.
Exacerbation de la crise
Le problème que cela pose à la Tunisie, c’est qu’il s’agit d’un voisin proche (la capitale la plus proche de Tunis étant européenne en l’occurrence Rome) et son principal partenaire économique et destination migratoire qui en plus de sa marginalisation géostratégique s’enferre dans une logique belliciste qui dépasse ses moyens militaires et économiques.
Il est indéniable que l’exacerbation de la crise européenne ou pire une guerre européenne généralisée ne manqueront pas d’avoir des retombées négatives et même tragiques sur une Tunisie qui connaît depuis une quinzaine d’années une conjoncture difficile qui a considérablement exacerbé sa vulnérabilité à toute dégradation supplémentaire de son environnement international.
Le ministère du Commerce et du Développement des exportations a lancé, jeudi 14 août 2025, une campagne de contrôle des climatiseurs individuels sur tout le territoire tunisien. Des équipes mixtes, regroupant des agents du commerce, de la douane, de l’intérieur et de l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (ANME) se rendent dans les divers circuits de distribution pour vérifier la conformité des appareils exposés aux conditions techniques exigées, interdire leur commercialisation et lutter contre le marché parallèle.
Elyes Kasri *
Il est à espérer que la campagne menée contre la contrebande des climatiseurs ira jusqu’au bout pour démanteler les nombreux réseaux qui commercialisent des produits soit importés illégalement à travers des circuits opaques qui n’offrent aucune garantie au client soit des climatiseurs carrément contrefaits avec en prime la prétention qu’il s’agit de modèles Inverter pour soutirer quelques centaines de dinars de plus à un consommateur livré à lui-même.
Outre les marchés connus de la contrebande dans la capitale et d’autres villes tunisiennes, il serait utile de passer en revue systématiquement les sites électroniques de vente de climatiseurs qui ont pour devise, dans leur écrasante majorité, l’arnaque et une absence totale de garantie et de service après-vente.
Avec le réchauffement climatique, le climatiseur tend à devenir un équipement électroménager indispensable pour les familles.
La multitude d’escrocs dans ce domaine expose le père de famille en Tunisie à la perte de précieuses économies pour se retrouver sans recours avec une ferraille inutile et sans valeur.
Un numéro vert devrait être mis à la disposition du public pour que des vérifications puissent être faites sur l’authenticité de certains prétendus revendeurs agréés ou des modèles en voie d’0être vendus à des consommateurs démunis d’informations et de bons conseils avant et après l’achat.
Alors que la saison de l’arnaque au climatiseur contrefait ou de contrebande touche à sa fin, un numéro vert consacré à ce produit avec un accès et un suivi suffisants seraient de nature à crédibiliser cette campagne et l’inscrire dans la durée dans l’intérêt de la bourse du consommateur et de la relation de confiance entre l’Etat et le citoyen.
Le taux de chômage des diplômés en Tunisie a atteint 23,5% au premier trimestre de 2025, selon l’Institut national de la statistique. Ce problème touche particulièrement les femmes, avec un taux de chômage de 30,7% contre 13,6% pour les hommes. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, notamment le déséquilibre entre les formations proposées et les besoins du marché du travail, ainsi que des difficultés d’insertion professionnelle pour les jeunes diplômés. Le diagnostic ainsi fait, et depuis belle lurette, comment se fait-il que l’on n’arrive pas à trouver et à mettre en route les solutions requises pour que notre université produise le moins de «déchet» possible (qu’on nous excuse ce mot) et que le marché du travail trouve les compétences dont il a réellement besoin ?
Raouf Chatty *
L’année universitaire 2025-2026 approche à vive allure. Des dizaines de milliers d’étudiants s’apprêtent à entrer pour la première fois à l’université ou de regagner les bancs des écoles supérieures et des facultés.
Pour eux et pour leurs parents, une période d’angoisse commence, qui concerne les études à entreprendre, leur utilité réelle, la valeur des diplômes les sanctionnant et leurs perspectives sur le marché de l’emploi.
Cette inquiétude est en rapport direct avec les gros investissements en temps, en argent et en efforts que les étudiants (et, derrière eux, leurs parents) vont investir pour s’installer dans cette nouvelle vie universitaire, dont souvent ils ignoraient tout jusque-là.
L’épreuve décisive de l’orientation
A ce niveau, il est fondamental de voir le ministère de l’Enseignement supérieur et ses antennes à travers le pays agir et se faire utilement présent et visible pour rassurer les étudiants et leurs parents et les aider à faire face avec le moins de difficultés possibles à cette épreuve décisive pour leur avenir. La tutelle doit comprendre que son rôle ne s’arrête pas à l’orientation universitaire des bacheliers. Elle sait très bien que des milliers parmi ces derniers vont se retrouver dans des branches à très faible taux d’employabilité et risquent, au terme de leurs études, de renforcer les rangs des diplômés chômeurs.
C’est dans cette optique que le ministère de l’Enseignement supérieur doit percevoir sa mission et définir son rôle. Certes, la question est très douloureuse. Elle le sera beaucoup moins pour lui, pour ces étudiants, leurs parents et pour la communauté nationale, si le ministère affronte aujourd’hui les choses en face. Il est très bien placé pour connaître les possibilités en termes d’emploi de chaque branche. A l’aune de cette donne, il lui incombe de s’atteler à la tâche. Il pourrait désigner des aiguilleurs dans chaque établissement d’enseignement supérieur, en coordination avec l’administration, pour contacter les étudiants et les éclairer sur tous les enjeux, l’objectif étant de les responsabiliser et de ne pas les laisser trimer pendant des années pour se retrouver dans un marché de l’emploi où ils n’ont pas de place. En agissant de la sorte, le ministère ne se met pas en porte-à-faux par rapport à sa mission. Au contraire, il rend un service important à cette communauté de jeunes étudiants désemparés.
Des chômeurs de luxe
Les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle pourront ensemble aider les étudiants à se recycler parallèlement à leurs études supérieures dans des centres de formation qui pourront leur apprendre les métiers de demain (dans les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, etc.), des métiers à fort taux d’employabilité dont l’économie nationale et le marché de l’emploi à l’étranger ont besoin aujourd’hui et auront besoin demain dans le contexte de la révolution technologique en cours.
C’est certes une tâche difficile, mais utile, nécessaire et faisable. L’intérêt national l’exige, tant il est vrai que les entreprises tunisiennes ne cessent, depuis des années voire des décennies, de se plaindre du fait qu’elles ne trouvent pas sur le marché de l’emploi les profils professionnels dont elles ont concrètement besoin pour mener leurs activités. Ce constat a été fait depuis longtemps, pourquoi rien n’a été fait jusque-là pour combler ce fossé et faire en sorte que l’université cesse de produire des chômeurs de luxe?
D’un point de vue statistique, la France est le pays occidental où on a tué le plus de Maghrébins et la tendance persiste. Au quotidien, le racisme suprémaciste blanc et néocolonial se traduit par «la négation» de l’existence même des non-blancs, dont les Arabes, pas assez blancs, font partie. Ce sont des stratégies d’effacement social qui, poussées à l’extrême, peuvent aller jusqu’à l’élimination physique.
Mahmoud Gabsi *
Le 31 mai 2025, un coiffeur tunisien de 46 ans, a été tué de cinq balles dans un attentat raciste à Puget-sur-Argens, dans le Var, au sud-est de la France, et un autre homme a été blessé. Fait inédit, le Parquet national antiterroriste (Pnat) s’est saisi de l’affaire et une enquête préliminaire pour «assassinat et tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, commis en raison de la race ou la religion», a été ouverte.
Dans plusieurs vidéos tournées avant et après son passage à l’acte, postées sur Facebook et révélées par ‘‘Libération’’ et ‘‘Le Monde’’, l’auteur présumé, Christophe Belgembe, 53 ans, revendique effectivement son geste au nom d’une idéologie d’extrême droite, affiche une volonté de médiatisation et appelle à la violence. Il y fait également référence à des leaders d’extrême droite raciste comme Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et Jordan Bardella, avant d’enjoindre à son auditoire : «Votez bien la prochaine fois.»
Des chiffres alarmants : en 2024, la police et la gendarmerie françaises ont enregistré 9 400 crimes et délits «à caractère raciste», soit une hausse annuelle de 11 %, nettement moins importante que celle observée en 2023 (+ 30 %). À ces crimes et délits enregistrés, s’ajoutent près de 7 000 contraventions pour les mêmes motifs, en augmentation de 6 % par rapport à 2023.
Toujours d’après le ministère de l’Intérieur français, moins de 3 % des personnes victimes d’atteintes «à caractère raciste» réalisent une démarche auprès des services de sécurité. Un peu plus de 1 million de personnes de 18 ans et plus vivant en France métropolitaine déclarent avoir été victimes d’au moins une atteinte «à caractère raciste» en 2022.
Violence diffuse qui s’enracine dans le passé
Cette violence diffuse ne vient pas ex-nihilo. La France coloniale tuait les militants nationalistes. ‘‘Ici on noie les Algériens : 17 octobre 1961’’ est un documentaire français réalisé par Yasmina Adi, sorti en 2011, évoque cette page sombre de l’histoire française. Suite à une manifestation pacifique d’Algériens pro FLN et sous les ordres du préfet de police Maurice Papon, les forces de l’ordre ont tiré sur les manifestants faisant, selon les chiffres avancés à l’époque, entre 80 et 200 morts.
Mais l’événement le plus significatif de la politique néocoloniale s’est déroulé en 1973, révélant un conflit ethnique et religieux qui ne disait pas son nom. Une tuerie de masse a eu lieu pendant l’été et l’automne lors d’une vague de meurtres et de violences racistes envers des immigrés maghrébins. Ils ont été perpétrés principalement dans la région marseillaise. Une cinquantaine d’Algériens ont été assassinés, dont 17 dans Marseille. Le journal ‘‘L’humanité’’ a parlé du racisme qui tue en série.
Les crimes et les agressions racistes étaient alors commis dans un contexte de tensions et sur fond de grande rancœur héritée de la guerre d’Algérie. Ils ont presque tous été classés sans suite après des enquêtes bâclées. L’Organisation de l’armée secrète (OAS), organisation terroriste clandestine française d’extrême droite, et des éléments de la police seraient les auteurs de ces massacres. La sociologue Rachida Brahim en a parlé dans son ouvrage ‘‘La race tue deux fois. Une histoire des crimes racistes en France’’ (1970-2000).
Il existe une loi du silence (la fameuse omerta de la mafia) autour de l’assassinat des Arabes. Le sociologue se doit de l’aborder : la ratonnade, la chasse à l’homme, la noyade dans les rivières, la traque nocturne en voiture, le tir à la carabine à partir du balcon et les tirs aveugles sur les terrasses de café sont les méthodes les plus utilisées.
De nombreux Maghrébins ont été ainsi assassinés. Le Maghreb entier en est concerné, car quelle famille maghrébine n’a pas un de ses membres en France ?
Le village de Puget-sur-Argens dans le Var où le Tunisien Hichem Miraoui a été assassiné compte une population de 9500 habitants. Les résultats lors des dernières élections y étaient conformes à la tendance nationale. Le vote d’extrême droite a été très fort au second tour de l’élection présidentielle de 2002. Depuis 2014, dans toutes les élections, le village a voté pour l’extrême droite nationaliste, identitaire, réactionnaire et raciste, que ce soit aux scrutins départementaux, régionaux, législatifs, européens ou présidentiels.
L’extrême droite domine la région Paca : le département du Var et des Alpes maritimes en sont des fiefs historiques. Contrairement au sud-ouest qui a une longue tradition de vote à gauche, le sud-est a toujours été à droite. Nice et Toulon sont les fers de lance de l’extrême droite xénophobe dans la région.
Toulon a été l’une des premières villes qui a élu un maire issu du Front national de Jean-Marie Le Pen en 1995. A cette période, Marignane, Orange et Vitrolles ont aussi basculé. Les quatre villes sont toutes situées au sud du pays.
Racisme d’atmosphère dans le sud-est
La Provence-Alpes-Côte d’Azur compte 5 081 101 habitants en 2019. 10% de la région Paca sont étrangers. Ils sont 560 000. 50 % d’entre eux sont Africains, un tiers Européens (notamment Italiens, Espagnols et Portugais). On est très loin de l’idéologie de l’invasion et du grand remplacement qui sont relayés par l’influenceur Eric Zemmour.
Le sud du pays est la région où les rapatriés français chrétiens du Maghreb dits «pieds noirs» sont nombreux. On y trouve aussi des Maghrébins juifs qui ont quitté l’Afrique du Nord avant, pendant et après les indépendances. Dans son ensemble, la population des régions méridionales compte un grand nombre d’immigrés des deux rives de la Méditerranée.
«En 1999, 7,7 % des habitants de Puget-sur-Argens étaient étrangers. Parmi cette population étrangère permanente, 2,1 % étaient originaires de Tunisie, 1,5 % d’Italie, 1,4 % d’Algérie, 0,8 % du Maroc et 0,5 % d’Espagne et du Portugal.» (Insee). Ainsi, les Tunisiens représentent la première communauté étrangère du village où le crime raciste de mai eut lieu.
Nice et Toulon sont dans la moyenne nationale qui tourne autour de 10 %. Ces deux villes comptent une forte population tunisienne. Nice compte 10 300 tunisiens. A Toulon ils sont 3 486. Dans ces deux villes, les Tunisiens représentent là encore la première communauté étrangère.
Un million de Tunisiens vivent en France, ce qui fait qu’un Français sur 60 est Tunisien. C’est peu, mais ce n’est pas rien non plus. Sur 68 millions de Français, 10% sont musulmans.
Réactions de la société civile et des autorités
La sœur de Hichem Miraoui a réclamé justice pour son frère, en racontant à l’AFP qu’il parlait à sa famille au téléphone au moment où il a été criblé de cinq balles.
Le 8 juin, plus de 2000 personnes ont participé aux deux marches blanches organisées à Marseille, puis à Puget-sur-Argens.
Plusieurs associations et syndicats ont appelé à se joindre à la marche à Marseille où des députés de la France insoumise (LFI), Manuel Bompard et Sébastien Delogu, ont été présents.
Par ailleurs, la famille de la victime a été reçue par le préfet du Var.
Les déclarations politiques se sont succédées : Jean-Luc Mélenchon : «un meurtre raciste infâme». L’avocat de la famille du Tunisien, citée par ‘‘La Croix’’, a expliqué : «Nous mènerons le combat jusqu’au bout pour que toutes les responsabilités soient tirées, jusqu’au plus haut sommet de l’État, parce que ce racisme d’atmosphère, ce qui a visé Hichem, c’est un racisme, c’est une islamophobie, c’est une xénophobie».
Les crimes de voisinage de l’ultra-droite
Cet acte de violence politique a démontré une réalité : le racisme idéologique des voisins tue. La victime était un citoyen ordinaire qui faisait l’unanimité dans son village. Il était inconnu des services de police. Suite aux problèmes répétés de voisinage, le gérant du salon de coiffure qui l’employait envisageait de déménager.
D’après ‘‘Philosophie magasine’’, le meurtre raciste du Tunisien révèle l’émergence d’un terrorisme de proximité qui n’est plus réservé au djihadisme. Par ailleurs, ce crime n’est pas un acte isolé. Selon ‘‘Le Monde’’, le 1er juin s’est ouvert le procès de membres du groupe d’ultra-droite AFO («Actions des forces opérationnelles») qui préparait des attentats racistes, le meurtre du coiffeur tunisien illustre aussi le rapport en miroir qu’entretiennent le djihadisme et le populisme d’extrême droite.
«Le Parquet national antiterroriste (PNAT) a déjoué depuis 2017 des projets d’attentats. Il s’agit en revanche du premier assassinat – en lien avec cette idéologie à être traité comme un attentat terroriste par la justice(…) Le PNAT relève qu’il avait diffusé avant sa virée meurtrière une vidéo sur Facebook dans laquelle il lançait : «Français (…) réveillez-vous, allez les chercher là où ils sont», et annonçait son intention de dire «stop aux islamiques» et de faire «un petit carton déjà rien qu’en sortant de chez lui».
Le jour de l’attaque, l’assassin a ouvert le feu à plusieurs reprises depuis son pick-up, tuant Hichem Miraoui. Puis il s’est dirigé vers le domicile d’Akif B., avant d’y tirer de nouveau. Grièvement blessé à la main, Akif B s’est enfui, poursuivi par le suspect.
La nouveauté réside dans le fait que le meurtrier connaissait son voisin qui ne lui a pas fait de mal. Il a froidement préparé son acte et il l’a reconnu lors de son arrestation par les agents de l’ordre.
Hichem est une victime de l’histoire, de la géographie et des idéologies de la haine banalisée. En émigrant, il pensait améliorer sa condition sociale, mais il a subi le pire des sorts. Il a été foudroyé par une mort injuste qu’il n’aurait jamais pu imaginer. Pour son entourage, le choc est immense, car en Tunisie le lien avec le voisin est primordial et les voisins sont solidaires. Il existe toute une mythologie qui sacralise le voisin.
Ce drame démontre deux tendances :
1 – Ce sont les gens du peuple qui s’entretuent sans justification et il est inacceptable qu’ils tombent dans le piège des idéologues. La victime perd la vie et le coupable se retrouve entre quatre murs pour longtemps. Or ils devaient vivre dans la paix et la fraternité, mais la haine raciste est aveugle, sourde et muette.
2 – Les vrais coupables sont les chroniqueurs et les faux intellectuels qui propagent les idées violentes. Protégés, ils bénéficient des honneurs politiques et médiatiques. Les théoriciens du grand remplacement et du conflit de civilisations vivent dans l’opulence et reçoivent les honneurs dans les médias et parfois dans les salons de la République.
Parmi les centaines de prédicateurs de la haine, on compte un grand nombre de sionistes extrémistes ainsi que des influenceurs proches de l’extrême droite. Les médias de masse leur sont ouverts 24 heures sur 24 heures.
D’un point de vue statistique, la France est le pays occidental où on a tué le plus de Maghrébins et la tendance persiste.
Au quotidien, le racisme suprémaciste blanc et néocolonial se traduit par «la négation» de l’existence même des non blancs. Les Arabes en font partie. Ce sont des stratégies d’effacement social qui, poussées à l’extrême, peuvent aller jusqu’à l’élimination physique.
Les violences racistes sont intermittentes, mais c’est leur constance qui doit inquiéter. Faire de sorte que l’Arabe ne se sente jamais chez lui, tel est le projet. Nul répit n’est accordé à l’étranger non blanc minoritaire et il importe de le maintenir sous la pression menaçante de la majorité blanche judéo-chrétienne.
Cette logique a sa propagande qui use d’une sémantique spécifique. Le discours ayant toujours précédé l’acte, les termes sont bien choisis et constamment modifiés. Le langage populaire a toujours inventé des dénominations péjoratives : sale arabe, bougnoule, bicot, melon… Les médias et les intellectuels de salon ont d’autres qualificatifs, toutes aussi hostiles qu’ambigües : minorités visibles, gens de couleur, individus typés, exotiques, gens du Sud, populations des quartiers, la France des banlieues, la France périphérique, les quartiers difficiles, les zones sensibles…
Et depuis peu, le conflit entre les bien-pensants et les exclus de tous bords s’accentuant, on parle ouvertement de territoires perdus de la république, de zones de non droit, d’une France en sécession ou en sédition, de cités interdites…
Dans le fond, il s’agit de toute une logorrhée bien française qui est conçue pour ne pas voir la réalité. Il ne faut surtout pas appeler les choses par leur nom. Or les banlieues sont les territoires de l’exclusion et de l’injustice. Un tiers des Français y vit et les étrangers y sont minoritaires. Construites pour être inaccessibles, sans emplois et sans loisirs, c’est le lieu où tous les démunis se retrouvent, indépendamment de leur couleur et de leur religion.
Selon Euronews, un rapport de la fondation Bertelsmann montre que dans cinq pays, environ un cinquième des personnes interrogées ne veulent pas vivre en voisinage avec des musulmans. A la question «souhaiteriez-vous ces groupes de personnes comme voisins ou cela n’a-t-il pas d’importance pour vous», un peu moins de 20% des personnes interrogées en Allemagne, Autriche, Suisse, France et Royaume-Uni répondent non au groupe des musulmans.
Médiapart, un média indépendant, évoque des mécanismes d’«invisibilisation» toujours à l’œuvre aujourd’hui.
Très attendu, le classement international Shanghai ranking des top 1000 universités au monde a été dévoilé le 15 août 2025. Ne cherchez pas la Tunisie, elle est disqualifiée, recalée, pas citée, même pas dans les remerciements… La Tunisie n’y est pas, absolument aucune université tunisienne ne figure dans le tableau d’excellence. Zéro ! Une disqualification qui ne dérange pas l’establishment et personne n’en parle. C’est gravissime, c’est pathétique et voilà pourquoi !
Moktar Lamari *
L’agence Tap, les médias de Tunis et autres agences liées aux affaires universitaires en Tunisie ont fait un black-out total, ils s’intéressent plutôt aux classements de la Fifa, pour les équipes de football ou encore du nombre de billets vendus pour les spectacles de Nabiha Karaouli ou Cheb Mami.
Face à la débâcle des performances universitaires tunisiennes, le gouvernement ne pipe pas mot, ne communique pas et il ne s’inquiète pas, alors que les parents et les nouveaux bacheliers veulent choisir leur établissement universitaire et orientation disciplinaire. La rentrée est dans quatre semaines.
Pendant des heures et des heures, nos médias commentent tous les jours les classements des équipes de football, le recul ou l’avancement de Ons Jabeur avec les classements internationaux, avec intérêt et fort audimat, mais quand il est question de classements des universités et universitaires tunisiens, silence radio.
Indicateur d’un décrochage systémique
Ici se confirment le sous-développement et la pauvreté intellectuelle d’une large frange des élites et institutions universitaires. Et pour cause : zéro université tunisienne dans ce palmarès de l’excellence de la recherche et de l’innovation.
Dans d’autres pays, on aurait demandé la démission du ministre en charge de la gouvernance des universités et de la recherche scientifique. Mais pas en Tunisie, c’est plutôt «normal», une normalité toute relative et distinctive de cette déchéance de la recherche, 15 ans après la Révolte du Jasmin.
Bourguiba a mis en place un système universitaire d’élite et d’avant-garde, rien à voir avec ceux de l’Algérie, du Maroc ou du reste des pays africains. Il a tenu à ce que des universitaires internationaux viennent enrichir et fertiliser la recherche scientifique en Tunisie. Il a mis les moyens, motivé et ciblé le mérite et l’excellence dans le recrutement et l’avancement.
Mais, aujourd’hui, c’est comme si un tremblement de terre a secoué le système universitaire tunisien et les valeurs liées. On ironise au sujet des universités tunisiennes depuis qu’un doctorant en physique à l’Université de Sfax a «démontré» que la terre est plate et pas ronde, sous plusieurs directions de professeurs islamistes en 2014.
On ne s’inquiète pas de la médiocrité et on ne met pas en question la valeur des formations et les compétences des élites, dont les diplômes sont estampés par les universités tunisiennes (s’ils ne sont pas bidouillés), toutes disciplines confondues, et générations comprises.
Pour se démarquer, quelques centaines de Tunisiens diplômés des grandes écoles de France, regardent d’en haut et avec un brin de supériorité leurs homologues diplômés en Tunisie. Ces diplômés dans les dit-on grandes écoles françaises ne sont pas mieux lotis dans ce dernier classement de Shanghai 2025.
Seulement 3 grandes écoles françaises sur une trentaine au total figurent dans le top des 1000 meilleures universités au monde, c’est dire que ces grandes écoles ne valent pas grand-chose comparées à leurs homologues américaines, canadiennes, allemandes, anglaises ou chinoises. Malgré leurs moyens et propagandes liés, ces écoles et ces membres de l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge) françaises ne s’en sortent pas glorieux, et l’arbre se reconnaît à ses fruits.
Les trois grandes écoles françaises qui figurent dans ce palmarès sont l’Institut Polytechnique (entre les 200e et 300e), l’École normale supérieure de Lyon ou l’INSAE de Toulouse (600e-700e), aucune autre «grande école française» ne figure dans le palmarès.
La France avec 65 millions d’habitants arrive à mettre seulement 27 de ses institutions universitaires dans ce palmarès, et souvent dans la queue du peloton. Le Canada, avec 38 millions d’habitants fait mieux, avec 28 universités largement mieux placées que leurs homologues françaises. L’Italie arrive avec 47 universités dans le top 1000, l’Angleterre avec 67, la Chine et les États-Unis avec des centaines.
On sait que bon an mal an, deux à trois milliers de jeunes tunisiens font saigner les économies de leur famille pour aller faire des études universitaires en France. Mais, le retour sur investissement n’est pas à la hauteur des attentes. La France dégringole dans les domaines scientifiques de pointe pour des choix politiques peu judicieux et elle décroche, son système universitaire s’essouffle grandement.
Il faut faire quelque chose. Notre avenir et principalement celui de nos enfants est en jeu, compromis par ce laisser-aller.
Arrêtons de nous leurrer, et retroussons les manches pour travailler et exiger des performances de nos universitaires. Il faut des dossiers de publications étoffés, compétitifs pour mériter le statut d’universitaire, sans quoi un doctorat ne vaut rien, absolument rien.
Un doctorat sans publication est périmé en quatre à cinq ans, un docteur ne vaut plus rien si sa thèse n’est pas transformée en articles scientifiques publiés dans des revues cotées et jugées par un comité de pairs (à l’aveugle).
Vous l’avez compris, aucune université tunisienne ne figure dans les 1000 meilleures universités du monde. On aurait attendu au moins 2 ou 3 universités dans ce classement, pour respecter notre poids relatif dans la population ou l’économie mondiales. Il n’en fut rien.
Et dire qu’on veut libérer la Palestine
Ce fiasco n’a rien à voir avec Israël, ou l’impérialisme mondial, ou toute autre théorie complotiste, les universitaires tunisiens ne publient pas assez et ne font quasiment pas de recherche scientifique de qualité.
De par le monde, un professeur universitaire doit publier au moins 3 à 4 articles par an dans des revues scientifiques sérieuses et jugées par les pairs, en plus des enseignements et encadrements. Pas en Tunisie : c’est simplement décevant et inquiétant. Les payeurs de taxes doivent avoir pour leur argent.
On fait semblant d’être chercheur, ou universitaire, et on se plait dans cette ambiance marquée par la médiocrité plutôt que par le mérite et l’excellence.
Ce résultat est sans appel, grave et honteux. On doit faire quelque chose pour changer cette courbe tendancielle dans la médiocrité et la déchéance. Le gouvernement doit décréter l’état d’urgence en matière de formation et recherche universitaires.
On ne peut pas se hisser dans le rang des nations technologiques et prospères sans d’excellentes universités et de sérieux universitaires, prolifiques et innovants.
Israël, un petit pays de 5 millions d’habitants, a une dizaine d’universités dans ce classement prestigieux. Tous les pays du Maghreb, soit plus de 100 millions d’âmes, en ont une seule, celle de Hassen II à Casablanca.
Le retard ne se rattrape pas, et ceux qui excellent vont avancer encore plus vite que les suiveurs, les râleurs et branleurs. Ces derniers finissent par décrocher à terme.
À ce rythme, Israël va pouvoir étendre son pouvoir et peut-être son occupation des territoires d’une large partie de ces pays arriérés sur le plan de la recherche scientifique et technologique dans le monde arabe.
La métaphore du Rabbin Nessim
La supériorité de l’État israélien et des juifs de manière générale en science et technologie est culturelle et civilisationnelle. Le maire d’une ville tunisienne, dénommé Amar (1921-1984) me racontait que lorsqu’il avait 7 ans dans son village natal rural, il y avait une dizaine de familles de confession juive. Ces familles se plaignaient au Rabbin Nessim pour dire que leurs enfants se font battre et se font voler par les enfants des familles arabes.
Nasim répondait sagement «1- je vais parler à vos enfants pour les réconforter et les motiver et les soigner par mes prières, mais le plus important, 2- envoyez vos enfants dans les meilleures écoles et meilleures universités, et vous verrez on prendra la revanche, les Arabes ne sont pas de gros bosseurs…».
Et ceci explique cela, plusieurs de ces enfants juifs nés en Tunisie sont devenus des chercheurs de calibre mondial, des pilotes d’avions F35, des récipiendaires de prix Nobel, des investisseurs et propriétaires de multinationales. Pas les Tunisiens de souche «arabo-berbère», pour eux c’est encore le système d’«inchallah», l’école et l’université c’est nécessaire, mais pas, avec des perceptions de perte du temps, quand ils évoquent la pandémie du chômage des diplômés.
Demain commence aujourd’hui
Pour résumer, le système universitaire tunisien a besoin d’une révolution propre à lui, pour bannir le mandarinat, la médiocrité et surtout le système D, connu en Tunisie par le système du piston…
Pour figurer dans les rankings, il faut mettre les moyens et du cœur. De l’argent et beaucoup de travail et d’organisation dans le montage de projets de recherche novateurs, impliquant des partenaires internationaux et mettant au cœur de leur programmation les étudiants doctorants et maitrisards.
Des projets de recherche différents de ceux cofinancés par la coopération française ou allemande, des vrais projets de recherche à la frontière des nouvelles technologies. La diaspora tunisienne opérant dans les universités canadiennes peut apporter son expertise, et beaucoup de moyens financiers, scientifiques et logistiques (réseautage) pour publier plus, innover, breveter, et diffuser.
Le président Kaïs Saïed, qui affiche un engagement sérieux pour remettre le système éducatif et scientifique à niveau, a du pain sur la planche. Il ne peut pas tout faire, c’est plus fort que lui. Il faut beaucoup plus que des discours et des promesses.
C’est aux universitaires, aux collègues et professeurs opérant dans ces tours d’ivoire fermées de prendre conscience de leur fragilité, incompétence et incohérence. La Tunisie mérite mieux de ses universités et de ses élites universitaires. Nos enfants et les futures générations ne doivent pas être pénalisés par la décrépitude des infrastructures, physiques et humaines, du système universitaire actuel.
Le Maghreb continue de piétiner, alors qu’il doit logiquement aujourd’hui figurer au top des priorités stratégiques et diplomatiques des pays de la région, lesquels font face à des défis internes et externes majeurs. Et semblent étrangement se complaire dans cet immobilisme qui leur coûte, ainsi qu’à leurs peuples, plusieurs points de croissance annuellement. Jusqu’à quand la Tunisie va-t-elle continuer à subir cette situation de blocage régional qui lui coûte sans doute davantage qu’à ses voisins qui, eux, assument finalement les conséquences de leurs propres choix et décisions ?
Raouf Chatty *
La sécurité globale des pays membres de l’Union du Maghreb arabe (Uma) est en bonne partie tributaire de leur capacité de s’entendre, de coopérer et d’avancer ensemble main dans la main. La région est à un tournant de son histoire contemporaine. Elle vit sous haute tension. Elle se meut dans un espace très mouvant. Le terrorisme islamiste guette. La pression de l’immigration clandestine des Subsahariens ne décélère pas. Les convoitises étrangères sont vives. Cette situation pourrait perdurer pendant les prochaines années.
La sécurité, la stabilité et le développement des pays de la région sont intimement liées à l’évolution intérieure qu’elle connaitra, à l’assimilation des changements extérieurs, aux choix politiques de ses dirigeants, à leurs dispositions sincères de coopérer au-delà des divisions destructives, pour bâtir un Maghreb pacifié et culturellement apaisé, loin de toutes velléités hégémoniques d’où qu’elles proviennent. Compte doit être également tenu des changements actuels et futurs dans les environnements subsaharien, sud-méditerranéen et sud-européen du Maghreb.
La région dispose d’un potentiel humain, naturel et économique conséquent capable, s’il est bien exploité, de l’aider à relever ses défis et à garantir un développement harmonieux et durable pour ses peuples.
L’évolution de la région est également liée à la volonté de ses dirigeants et de ses peuples, à leur capacité et disposition à comprendre les enjeux, à surmonter les difficultés et les différends qui les divisent, tout comme à leur capacité de connaître leurs véritables intérêts et de coopérer d’une manière étroite et lucide, afin de construire ensemble et sans arrière-pensées la prospérité économique et la stabilité sociale dans leurs pays respectifs, sans lesquelles il n’y aura ni stabilité durable ni démocratie viable. La réalisation d’un tel objectif permettra à la région d’accéder à un statut supérieur au plan international et de lui garantir sûrement force, crédibilité et respect.
Cependant, force est de souligner que la construction du Maghreb est aujourd’hui loin des esprits des dirigeants maghrébins. La région est dominée par une ambiance de rivalité et d’animosité. L’ascension de l’Algérie est mal comprise. Elle est perçue par certains analystes politiques comme un pays expansionniste. La coopération étroite entre le Maroc et Israël inquiète vivement. Elle est perçue par Alger comme un affront à sa sécurité nationale. Cela aggrave la méfiance entre les peuples et les dirigeants de la région et les met dans l’incapacité de surmonter leurs divisions, éloignant chaque jour la région un peu plus de la réalisation de ces objectifs, quand bien même ses dirigeants respectifs affirment chacun qu’ils travaillent pour favoriser le développement de la région et pour répondre aux attentes de ses peuples et de leur assurer la place qu’ils méritent au plan international.
Quant à l’Union du Maghreb Arabe (Uma) qui est censée œuvrer pour le rapprochement des peuples maghrébins et favoriser la complémentarité entre leurs pays, elle est depuis quatre décades complètement paralysée. Elle est tout juste une bureaucratie muette, un corps sans âme, complètement absente sur la scène maghrébine et internationale. Une mise en berne acceptée implicitement par ses États membres.
Les dissensions entre les pays du Maghreb entravent tout changement et leur laissent peu de chances pour aller de l’avant. L’Algérie et le Maroc continuent de se jeter réciproquement la responsabilité de cette impasse sur fond de positions diamétralement opposées sur le sort du Sahara occidental. Le Maroc en réclame la souveraineté tandis que l’Algérie est favorable à l’autodétermination de ce qu’elle appelle le Peuple Sahraoui. Depuis l’effondrement du régime de Kadhafi, la situation en Libye continue de baigner dans le désordre et l’anarchie, deux gouvernements se disputent la légitimité dans le pays, qui continue de sombrer, victime des groupes et milices armées aux intérêts divergents. La Mauritanie regarde vers les puissances occidentales, lorgne Israël et les États-Unis d’Amérique et réclame son africanité.
Pour ne rien arranger, l’Algérie et le Maroc mènent une course à l’armement. Ces deux pays connaissent par ailleurs une explosion démographique sans précédent. Ensemble, leurs populations avoisinent aujourd’hui soixante-dix millions. Ils font face à des difficultés politiques et sociales majeures. Les ressentiments entre les deux peuples frères sont de plus en plus exacerbés. Les relations entre Alger et Rabat sont tendues. Le Maroc est plus que jamais en phase avec les puissances occidentales, notamment avec les États-Unis et la France et renforce ses relations avec Israël, qui est aujourd’hui bien présent au Royaume chérifien.
La Tunisie piétine. Elle connaît des difficultés multiples sur tous les plans. Impactée par les turbulences et l’instabilité dans la région, elle en est la première victime. Elle est également touchée par les difficultés qui frappent l’Union Européenne, son principal partenaire.
Par ailleurs, le pays est embourbé dans une lutte sans merci contre la corruption. Il fait face à l’immigration clandestine des Subsahariens. Et a encore beaucoup de chemin à faire pour venir à bout de ses problèmes internes, politiques, économiques et sociaux.
Dans cet environnement difficile, complexe et mouvant, la politique étrangère de la Tunisie devient de plus en plus tributaire des circonstances. Le pays a depuis quelques années amorcé un rapprochement étroit avec l’Algérie. Ses relations avec le Maroc s’en sont bien ressenties.
Des observateurs soutiennent que cette politique est déséquilibrée et prive le pays d’une neutralité active qui lui avait par le passé permis de jouer la médiation et préserver sa souveraineté contre les ingérences extérieures d’où qu’elles émanent.
Dans ce contexte, il devient aujourd’hui urgent pour l’Etat tunisien de revisiter sa politique en direction des pays maghrébins sur la base d’une analyse objective et lucide des réalités globales des pays de la région et des défis internes et externes auxquels ils font face, loin des discours triomphalistes de certains de leurs dirigeants.
Pour la Tunisie, il s’agit en l’occurrence de faire le bilan de la situation maghrébine telle qu’elle se présente et non telle que certains veulent la présenter, de mettre en place une politique extérieure forte en direction de ses voisins, qui soit coordonnée, cohérente et équilibrée, une politique qui tient compte des traditions diplomatiques de bon voisinage, tout comme du passé commun des pays maghrébins, et bien entendu des intérêts nationaux et de l’avenir du pays.
La souveraineté ne signifie nullement l’isolement ou la neutralité. Cet intérêt pour tous les pays maghrébins sans exception sera de nature à assurer à notre pays l’équilibre dont il a besoin, à conforter les assises de sa souveraineté et à lui permettre de jouer son rôle d’avant-garde dans la région, rôle qui avait toujours caractérisé sa politique extérieure et lui avait apporté des dividendes appréciables.
Le Président de la République, principal responsable de la diplomatie, pourrait le cas échéant actionner dans ce sens l’Institut tunisien d’études stratégiques (Ites), le ministère des Affaires étrangères et certains de nos anciens ministres des Affaires étrangères pour lui soumettre des propositions très utiles en la matière. Dans tous les cas, il ya vraiment urgence.
On reconnaît la petitesse d’un homme à la façon dont il traite ceux qui sont à sa merci. Et la petitesse d’Itamar Ben-Gvir et des autres membres du cabinet extrémiste au pouvoir actuellement en Israël a toujours trouvé des occasions pour se révéler de la manière la plus abjecte qui soit. Et pas seulement à Gaza.
Khémaïs Gharbi *
Il est des images qui, plus que des discours, révèlent l’âme d’un pouvoir. Celle qui circule depuis hier, jeudi 14 août 2025, dans les informations en est un exemple glaçant. On y voit Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la Sécurité nationale, entrer de force dans la cellule nue, sans lit, où croupit depuis plus de vingt-deux ans le militant palestinien Marwan Barghouti. Sans respect, sans pudeur, il franchit le dernier rempart qui restait à cet homme brisé : son intimité. Face à lui, un prisonnier de 66 ans, amaigri, voûté, méconnaissable, qui en paraît quatre-vingt-dix. Un corps chétif, un silence qui pèse plus que mille paroles. Et, pour toute «visite officielle», des menaces extrêmes pour les Palestiniens. Vidéo.
L’ignominie la plus abjecte
Quelle gloire peut-on tirer d’une telle scène ? Quel prestige espère-t-on à humilier un vieillard, enfermé depuis un quart de siècle, loin des siens, privé d’air et de lumière ? Ce geste ne témoigne ni de force ni de courage; il incarne l’ignominie la plus abjecte.
Car Marwan Barghouti n’est pas un prisonnier ordinaire. Surnommé le «Mandela palestinien», il fut arraché à la liberté le 15 avril 2002, en pleine seconde Intifada, jugé lors d’un procès inique, et condamné à cinq peines de prison à perpétuité pour «terrorisme». Depuis, il passe de geôle en geôle : Megiddo, Ofer, Ayalon… Toujours sous un régime d’isolement et de sévices, souvent battu, parfois laissé sans soins. À Ayalon, il vit dans une cellule sans lit ni fenêtre, où le jour et la nuit se confondent.
Et pourtant, cet homme continue de faire peur. Même derrière les barreaux, il est réélu député, il inspire l’unité palestinienne, il défend la solution des deux États dans les frontières de 1967. En 2017, il lança avec des centaines de codétenus une grève de la faim pour réclamer des droits élémentaires; il obtint quelques améliorations. Mais pour ses geôliers, il demeure une menace : celle de l’espoir.
Le dernier jour de l’occupation
Ce que montre la vidéo, ce n’est pas la puissance d’un État, mais la peur d’un homme libre enchaîné. On ne maltraite pas ainsi un vieillard par bravoure : on le fait par crainte de ce qu’il représente. Et ce qu’il représente, c’est la possibilité d’un autre avenir, celui où la paix viendrait clore l’occupation.
En 2015, depuis la cellule 28 de la prison de Hadarim, Barghouti écrivait : «Le dernier jour de l’occupation sera le premier jour de paix.»
Aujourd’hui, ce message résonne plus fort que jamais. Les humiliations, les menaces, les murs, tout cela s’effacera un jour. Et il restera, dans la mémoire collective, que certains ont choisi la dignité, et d’autres la bassesse.
Si les jeunes filles tunisiennes sont de plus en plus scolarisées et diplômées avec excellence, l’accès au marché du travail est encore difficile d’accès pour les femmes en âge actif. Les réalités sont têtues et les chiffres très parlants.
Moktar Lamari *
Seulement une femme sur quatre (16-64 ans) est occupée dans les activités formelles en Tunisie. Pour les femmes, les droits économiques sont loin des attentes et des aspirations légitimes. En décalage avec la modernité et l’égalité des chances, Regardons les chiffres…
Une sur quatre, les trois autres sont invisibles dans les discours traitant de l’emploi ou du chômage en Tunisie. Comme si quand on n’en parle pas, on évite de verbaliser le problème. On occulte le vrai problème dans les médias, dans les débats publics, et dans les cercles des élus.
Angle mort des débats publics
75% des Tunisiennes en âge actif sont exclues du marché économique officiel. Elles ne travaillent pas et rien n’est fait pour les intégrer dans le système économique. On ne les considère même pas dans les effectifs des chômeurs, considérant qu’une grande proportion d’entre elles n’est pas à la recherche d’emploi.
Les dégâts ne s’arrêtent pas là. Pratiquement 7 femmes sur 10, en Tunisie, n’ont pas de compte bancaire. La raison est simple : elles n’ont pas de travail formel et de salaire régulier, et dans certains cas, on verse l’éventuel revenu ou épargne dans le compte du conjoint. Celles-ci ne peuvent pas contracter des prêts pour lancer leur projet, et s’émanciper par le travail et l’investissement.
Des chiffres terribles et qui font froid au dos. Et les leaders et élites de l’establishment se plaisent avec, en s’auto-félicitant et en faisant les discours et la propagande liée, en fonction des gouvernements et des contextes politiques ayant marqué ces années post-2011.
Dans l’inconscient collectif, les femmes sont mieux à la maison à s’occuper des enfants et de la cuisine, dans une «complémentarité avec l’homme», comme ont tenté de l’imposer dans la constitution de 2014 les idéologues de l’islam politique en Tunisie, sous la gouverne du Cheikh Rached Ghannouchi.
Les autres partis ou gouvernements de l’après-2011 ont fermé les yeux sur les contraintes et les entraves qui verrouillent le marché du travail formel pour les femmes.
On peut évoquer des raisons sociologiques, idéologiques ou même morales pour forcer la femme à ne pas revendiquer un travail salarié, comme l’homme, en parfaite égalité.
En revanche, le règne des hommes est sans appel. Trois hommes sur quatre sont occupés dans le marché du travail (75%). Ils sont dominants et font valoir une masculinité orientale et souvent misogyne, et pas toujours ouverte à l’émancipation totale des femmes. Et cette injustice paraît normale pour nos élites, nos économistes du sérail en Tunisie. Par fatalisme, machisme, ou par intérêt personnel.
Les femmes sont plus nombreuses
Passer de 25% à 75% de taux d’emploi formel pour les Tunisiennes constitue un objectif prioritaire. Une revendication légitime que personne ne peut réfuter aujourd’hui.
La réalisation d’un tel objectif requiert une révolution économique. Une révolution dans les mentalités et les esprits. Et tout indique qu’on est loin de cela, très loin aujourd’hui, dans le contexte de la crise économique qui plombe le pouvoir d’achat et qui ruine les ambitions de la gent féminine en Tunisie.
La population féminine est statistiquement parlant supérieure à celle masculine. La majorité de la population tunisienne est féminine, et la différence entre les deux «sexes» est de l’ordre de 300 000 et converge rapidement vers un demi-million, en faveur des femmes.
Les Tunisiennes vivent plus longtemps (4 ans de différence avec l’homme), parce qu’elles prennent soins d’elles-mêmes, de leurs enfants. Elles fument moins, elles sont plus prudentes, plus «responsables» et plus respectueuses des règles prudentielles.
Contrairement aux hommes, elles coûtent moins cher en dépenses de santé et de taxes payées par les contribuables, pour le secteur de la santé.
Impliquer et employer, d’une façon ou d’une autre, deux millions de femmes (16-64 ans) créerait un saut de la richesse nationale mesurée par le PIB d’au moins 15%.
La femme détient donc les clefs de la relance économique, si on fait tout le nécessaire pour cela. Leur emploi boostera la croissance, comblera les déficits des caisses de solidarité sociale et de retraite et procurera plus de revenu pour la formation du capital social en Tunisie.
Il faudra donc plus d’investissements, des taux d’intérêts abordables, une bureaucratie moins vorace et moins corrompue. Il faut une vraie politique économique, mais pas de «stratégie» démagogique sans dents, sans colonne vertébrale… et sans moyens budgétaires.
Il faut aussi un changement drastique dans les mentalités des hommes, soit les pères, les frères, les fils et conjoints ou petits-amis.
Le principal handicap de l’implication économique de la femme dans l’économie est celui lié à la mentalité rétrograde et conservatrice qui caractérise une large majorité des Tunisiens.
La moitié de l’homme
L’autre handicap économique réside dans l’accès au patrimoine. Les femmes, déjà défavorisées dans l’accès à l’emploi, le sont aussi dans le partage de l’héritage et donc dans la transmission de la richesse et du patrimoine.
La femme hérite la moitié de la part qui revient à son frère, et cette règle qui date de plus 14 siècles est sacrée, canonisée dans le livre sacré.
Cela doit changer, et le plus vite serait le mieux. L’histoire va dans ce sens et on peut l’expliquer et le justifier dans le contexte. Il faut repenser les interprétations et moderniser les lectures des fondamentaux historiques et religieux.
Ce biais et ces injustices se traduisent aussi dans les niveaux de rémunération des femmes employées. Elles sont payées moins que leurs collègues hommes en moyenne, et elles sont moins présentes dans les postes de commandement et de direction.
Les chiffres sont encore plus criants à cet égard. Les symboles aussi, vestimentaires et pas seulement.
A l’occasion de la célébration de la fête nationale de la femme, ce mercredi 13 août 2025, le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), une Ong tunisienne basée à Paris, a publié le communiqué suivant où il exige, notamment, la libération de toutes les femmes détenues politiques. (Ph. Des femmes manifestent pour l’égalité à Tunis).
Chaque 13 août, une date hautement symbolique revient dans la mémoire collective de l’État tunisien et du mouvement féministe indépendant. Depuis 1956, ce jour marque une étape décisive dans le processus de libération des femmes tunisiennes et a consacré des acquis législatifs pionniers à l’échelle de la région.
Cependant, la lutte des femmes tunisiennes ne commence pas le 13 août 1956 : elle s’inscrit dans un combat pluriséculaire. Les Tunisiennes ont connu toutes les formes de répression et d’oppression — juridique, légale, coloniale et dictatoriale — et elles ont toujours été en première ligne face à l’injustice, de la Kahina à Aroua la Kairouanaise, des militantes du début de la renaissance nationale aux pionnières du mouvement féministe moderne.
Luttes des Tunisiennes
À l’époque de la colonisation française, les Tunisiennes ont pris part à la résistance, armée et pacifique, et se sont trouvées aux côtés des hommes sur les lignes de front. Parmi elles : Gladys Adda, Bachira Ben Mrad, Nabiha Ben Miled, Chérifa Messaadi, Gilda Khiari, et bien d’autres qui ont contribué à fonder le mouvement féministe national.
Même lorsque Habib Bourguiba a tenté de monopoliser la direction de la cause des femmes, se proclamant «père spirituel» de la femme tunisienne et gardien de sa liberté, les féministes n’ont jamais cessé de mener un combat autonome.
Certes, la promulgation du Code du Statut Personnel au lendemain de l’indépendance a été un événement social et historique sans précédent, mais Bourguiba l’a considéré comme un aboutissement définitif et a refusé toute évolution ou critique de sa politique. Sous son règne, la célébration du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, était interdite ; seul le 13 août était reconnu. Mais dans les années 1970, les féministes l’ont défié en fondant le «Club du 8 mars» dans l’espace Tahar Haddad, sous l’impulsion de Jalila Hafsia, affirmant que chaque jour est un jour de lutte et que la femme tunisienne est maîtresse de son destin et de ses choix.
La conscience féministe indépendante a toujours reconnu les acquis tout en luttant pour les préserver et les renforcer, dans la conviction que l’égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes est un droit indivisible, et que les droits des femmes font partie intégrante de l’ensemble des droits humains.
La révolution tunisienne a suscité de grands espoirs quant au renforcement des acquis républicains et à la poursuite d’un chemin irréversible vers l’égalité entre citoyennes et citoyens, dans le cadre de la construction d’une nouvelle société démocratique, et ce malgré un contexte général souvent défavorable. Cette période a vu des débats approfondis, notamment après la publication du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe).
Grâce aux luttes des Tunisiennes et à la détermination du mouvement féministe, devenu aujourd’hui plus diversifié, d’importantes avancées législatives ont été obtenues jusqu’à la fin de la législature 2014-2019.
Un recul alarmant
Cependant, ces dernières années ont révélé un recul alarmant : non seulement l’État s’est désengagé de la cause des femmes, mais l’absence de volonté politique est devenue un obstacle à toute avancée vers l’égalité réelle, alors que les menaces contre les droits et les libertés se sont aggravées.
Ce recul se traduit par la diminution du nombre de députées au parlement, l’abandon du principe de parité dans les listes électorales, le recul de la présence des femmes dans les postes de décision, et l’utilisation de l’image de la femme à des fins purement symboliques pour redorer l’image du régime, à travers la nomination d’une cheffe de gouvernement ou de responsables à des postes sensibles sans véritables prérogatives, en les réduisant à des «marionnettes muettes» plutôt qu’à des actrices du pouvoir politique.
Le recul se manifeste aussi par la disparition de la parité dans les médias et dans de nombreux espaces publics.
Plus grave encore, le pouvoir actuel marginalise et réprime directement les femmes actives dans la vie publique. De nombreuses personnalités politiques et militantes des droits humains se trouvent aujourd’hui en prison ou confrontées à des procédures judiciaires complexes, en raison de leurs positions ou de leurs activités : Bochra Belhaj Hmida, Sihem Ben Sedrine, Abir Moussi, Chaima Issa, Sonia Dahmani, Saadia Mosbeh, Chadha Belhaj Mbarek, Chérifa Riahi, Siwar Bargaoui, Leila Kallel, et bien d’autres encore. Elles sont impliquées dans des affaires fabriquées de toutes pièces ou soumises à des procédures judiciaires interminables qui les empêchent de gérer leurs affaires ou de poursuivre leurs activités, dans un climat qui reproduit les pires méthodes d’exclusion politique.
Depuis les années 1970, jamais un nombre aussi important de figures féminines militantes n’avait subi un tel niveau de répression qu’aujourd’hui : les prisons tunisiennes abritent désormais le plus grand groupe de femmes politiques et militantes des droits humains, tandis que celles qui sont encore en liberté font face à des poursuites judiciaires marathons en raison de leurs opinions ou de leurs activités associatives ou politiques.
Pire encore : les discours misogynes qui s’attaquent au Code du statut personnel et aux acquis républicains n’ont jamais semblé aussi «libérés» de toute contrainte, alors que les voix féministes se retrouvent de plus en plus marginalisées, voire réduites au silence par la répression.
Au sein du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), nous avons toujours soutenu toutes les femmes, sans distinction ni discrimination. Nous considérons que la défense des femmes fait partie intégrante des principes fondateurs de notre association. Nous ne faisons aucune différence entre elles en fonction de leur orientation idéologique ou de leurs positions politiques : notre désaccord avec certaines ne nous empêche pas de leur témoigner notre solidarité lorsqu’elles sont victimes d’oppression ou de répression. Ce principe a toujours guidé notre action, avant, pendant et après la révolution, et nous avons été parmi les premiers à défendre les femmes persécutées et à mettre leurs causes en avant.
En cette occasion, nous mettons en garde contre l’ampleur du recul des droits des femmes en Tunisie et contre les pratiques qui visent à maltraiter les femmes et leurs familles, en particulier les mères, épouses et filles de prisonniers et prisonnières politiques.
Nous renouons avec les méthodes du régime Ben Ali : non seulement le pouvoir punit la personne détenue pour ses positions, mais il inflige aussi un double fardeau à sa famille, en interdisant les visites, en exerçant un harcèlement constant, et en transférant les détenus d’une prison à l’autre pour épuiser leurs proches.
Rejeter la tutelle politique
Le 13 août n’est pas seulement une commémoration historique : c’est un jour pour renouveler l’engagement en faveur de l’égalité réelle, pour rejeter la tutelle politique sur la cause des femmes, et pour affronter toutes les formes de répression et de dictature qui visent les Tunisiennes, en défendant leur dignité, leurs droits et, à travers elles, la liberté de toute la société.
À cette occasion, nous exigeons en premier lieu et de toute urgence la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les prisonnières politiques et militantes des droits humains, l’arrêt des poursuites judiciaires fabriquées contre elles, et la garantie de leur droit à la liberté d’expression et à l’engagement politique et associatif sans restriction ni intimidation.
Nous demandons également de créer les conditions pour le retour de toutes celles qui ont été contraintes à l’exil ou qui ont dû quitter le pays par crainte de la répression, en assurant leur sécurité, leur dignité et leur droit à une participation pleine à la vie publique.
Réhabiliter ces femmes et rendre justice à toute militante ayant payé le prix de ses positions est une étape essentielle pour bâtir une Tunisie libre, démocratique et juste pour toutes ses citoyennes et tous ses citoyens.
Les acquis ne se donnent pas, ils se conquièrent par la lutte. Liberté, dignité et égalité pleine et effective pour toutes les femmes, partout dans le monde.
Quels qu’en soient les arguments et prétextes, nul, de bonne foi, ne peut nier que la diplomatie tunisienne a connu de meilleurs jours. Le pays donnant l’impression de flottement et même pire, d’une épave en perdition dans une mer de plus en plus houleuse.(Ph. Siège du ministère des Affaires étrangères à Tunis).
Elyes Kasri *
Le statut et l’intensité des relations internationales d’un pays donné se mesurent à l’aune de la portée et du niveau des contacts et délibérations avec les puissances étrangères qui comptent et des résultats engrangés pour la paix et la sécurité internationales et, de préférence, les intérêts nationaux.
Alors que notre voisinage immédiat vit sur 360 degrés un état d’effervescence aux conséquences aussi incertaines que menaçantes, il est légitime de se poser des questions sur le positionnement de la Tunisie et sa perception des menaces et des opportunités dans un environnement fluide, opaque et non dénué d’incertitudes.
Certains, à tort ou à raison, ne peuvent se défaire de l’impression de flottement et même pire, peut être avec un brin d’excès, d’une épave en perdition dans une mer de plus en plus houleuse.
Pas de place pour les faibles
Quels qu’en soient les arguments et prétextes, nul, de bonne foi, ne peut nier que la diplomatie tunisienne a connu de meilleurs jours. Certains pessimistes vont jusqu’à penser qu’elle est devenue méconnaissable et inaudible.
Les intérêts supérieurs et les impératifs de survie et de prospérité de la Tunisie nécessitent une révision en profondeur du positionnement et du rôle international du pays car si celui qui n’avance pas recule, en relations internationales et à travers l’histoire de l’humanité, il n’y pas de place pour les faibles ou les marginaux.
Et si en physique la nature a horreur du vide, les relations internationales n’ont pas de place ni d’avenir pour ceux qui n’ont pas de boussole ni la détermination et l’énergie requises pour tenir le cap.
La Tunisie, qui célèbre aujourd’hui, 13 août, la fête nationale de la femme, date de la promulgation du Code du statut personnel en 1956, est elle-même une femme blessée, malmenée, étouffée, mais toujours debout. Elle porte sur elle les stigmates d’une histoire tourmentée, faite de promesses trahies et de luttes tenaces.
Manel Albouchi
Aujourd’hui, le président Kaïs Saïed incarne ce partenaire exigeant, autoritaire. Il veut reconstruire ce corps fragile à sa manière : verticalement, sans compromis. En face, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) se pose comme une mère-patronne, protectrice mais parfois suffocante, revendiquant son droit de regard et sa mémoire.
Sur cette scène, pouvoir et contre-pouvoir s’affrontent dans une chorégraphie à la fois prévisible et déroutante. Les discours s’enchaînent, les positions se durcissent. Mais derrière la façade politique se joue un théâtre psychique profond.
Michel Foucault nous a appris que le pouvoir ne se limite pas aux institutions visibles : il se glisse dans les gestes, les mots, les silences, jusque dans les mécanismes qui façonnent notre perception du réel. Ce qui se joue ici dépasse les simples enjeux syndicaux : c’est une lutte pour la maîtrise des esprits et du récit national.
Dissonance cognitive collective
Psychologiquement, le pays vit une dissonance cognitive collective : les discours exaltent la souveraineté, mais les pratiques en réduisent la portée. Le peuple oscille entre résignation apprise – l’habitude de subir – et élans d’affirmation, fugaces mais puissants.
La peur qui prédomine est une peur internalisée : un outil de gouvernement qui maintient le citoyen dans une vigilance anxieuse, où toute revendication semble risquée et toute opposition, sanctionnable.
Pourtant, comme dans tout rapport de domination, des fissures apparaissent : un discours improvisé qui dévie du script; une manifestation qui dépasse les prévisions; un mot qui échappe au contrôle. Ces fissures, accumulées, fragilisent les murs les plus solides.
La question n’est plus : qui aura raison, l’UGTT ou le président mais : comment ce bras-de-fer reconfigure-t-il notre psyché collective ?
Le pouvoir n’est pas un duel binaire. C’est un champ mouvant où se négocient les limites de l’autorité et de la résistance.
Dans ce duel, la Tunisie est à la fois le champ de bataille et la combattante. Elle n’a pas besoin d’un protecteur de plus, mais d’un espace où sa voix ne soit pas capturée, où ses blessures ne soient pas instrumentalisées, et où son désir de liberté ne soit pas réinterprété par d’autres.
Un malaise collectif
Quant au citoyen, il oscille entre transfert et désillusion. Il projette sur ses leaders l’image du père protecteur ou de l’amant passionné, mais se heurte à la froideur d’un pouvoir qui ne s’offre pas. Cette dynamique rappelle certaines pathologies relationnelles : aimer une figure tout en percevant sa toxicité, espérer sa protection tout en subissant ses manipulations.
Ce malaise collectif se traduit par des troubles anxieux généralisés et un syndrome post-traumatique latent. La nation devient cette femme blessée qui, malgré ses plaies, continue d’espérer un geste tendre. Mais à force d’attendre, elle apprend à survivre seule, à se redresser, à nommer l’abus.
La santé mentale d’un leader ne peut être dissociée de celle du peuple qu’il gouverne. Un pays mené par des figures instables glisse vers une normopathie, où la pathologie s’intègre à la norme, où la violence et le mensonge deviennent le quotidien accepté.
L’urgence est donc de restituer au citoyen ses outils critiques – psychologiques et politiques – pour sortir du rôle de victime consentante. Car un peuple qui comprend les mécanismes du pouvoir devient un peuple qui choisit. Et non un peuple qui subit.
Alors la Tunisie pourrait bien finir par se redresser non pas pour séduire ou se soumettre, mais pour marcher debout, maîtresse de son propre récit.