L’INS a annonce le 15 août une croissance de 3,2 % au deuxième trimestre 2025. Une demande portée par la demande interne et un rebond de l’investissement. Des chiffres rassurants si nous en faisions une lecture basique si ce n’est que l’économiste Hechmi Alaya, apporte dans le numéro 25 d’Ecoweek des éclairages qui inquiètent. Il y parle de l’effondrement de l’investissement productif, d’une marginalisation dans les flux d’IDE, du recul de la compétitivité numérique et de déséquilibres extérieurs persistants. “Les chiffres sont comme les gens. Si on les torture assez, on peut leur faire dire n’importe quoi.” Cette citation, attribuée à l’écrivain français Didier Hallépée en dit long sur notre capacité à interpréter des chiffres selon nos souhaits.
Un PIB en hausse, dopé par la demande interne d’après l’INS. le produit intérieur brut a progressé de 3,2 % en glissement annuel au deuxième tiers de 2025. Une performance qui semble témoigner d’un retour de la dynamique économique après des années de stagnation. Cette croissance est essentiellement tirée par la demande interne, dont le volume a augmenté de 3,3 %. L’INS met en avant la contribution des dépenses de consommation et surtout de la formation brute de capital fixe – autrement dit, l’investissement –, qui aurait joué un rôle moteur dans ce regain d’activité. La demande interne contribue ainsi à hauteur de +3,59 points au taux de croissance global. Pour le lecteur non averti, le message est limpide : les Tunisiens consomment davantage, les entreprises investissent, et la machine économique se remet en marche.
Mais cette lecture flatteuse occulte une réalité plus nuancée.
Commerce extérieur : une contribution négative
En parallèle, l’INS reconnaît que les échanges extérieurs ont amputé la croissance. Le commerce net de biens et services contribue négativement (-0,43 point) au PIB. Pourtant, les chiffres affichent une hausse des exportations (+9,6 %) légèrement supérieure à celle des importations (+8,9 %). Mais l’écart reste insuffisant pour rééquilibrer une balance commerciale structurellement déficitaire. En clair, la Tunisie continue de dépendre des importations pour alimenter sa demande intérieure, notamment en biens d’équipement, énergie et produits alimentaires, ce qui limite l’effet bénéfique de la croissance sur la souveraineté économique.
« Les chiffres sont comme les gens : si on les torture assez, on peut leur faire dire n’importe quoi. »
Des illusions statistiques : l’INS gomme les déséquilibres
La présentation de l’INS illustre une tendance récurrente du discours officiel : mettre en avant les chiffres conjoncturels positifs tout en minimisant les faiblesses structurelles.
En insistant sur l’accélération de la croissance et sur le rôle moteur de la demande interne, l’institution occulte des réalités préoccupantes :
- une croissance fragile, tirée davantage par la consommation que par une montée en gamme de l’appareil productif ;
- un commerce extérieur structurellement déficitaire ;
- une inflation qui recule très lentement. Le fait de passer de 5,4 de taux d’inflation au mois de juin à 5,3 au mois de juillet ne prouve pas la baisse de l’inflation en elle même mais plutôt le niveau d’augmentation des prix d’un mois à l’autre ;
- un investissement qui, derrière le rebond statistique, reste inférieur aux besoins du pays. C’est précisément ce que met en lumière Ecoweek, dans son numéro 25 de juin 2025.
Ecoweek démonte le mirage : un déficit d’investissement inquiétant
Pour le Think tank dirigé par Hechmi Alaya, les discours officiels relèvent d’une « utilisation mystificatrice de la statistique ». Loin de l’euphorie suggérée par les communiqués, la Tunisie souffre d’un déficit d’investissement chronique qui met en danger son avenir.
Entre 2010 et 2024, le pays aurait accumulé un manque à investir de plus de 72,5 milliards de dinars, dont 75 % rien qu’entre 2020 et 2024. Un recul qui s’explique par la chute du taux d’investissement, tombé en moyenne à 15,1 % du PIB sur 2020-2024, contre 26,3 % entre 1970 et 2010. Or, c’est précisément ce niveau élevé d’investissement qui avait permis à la Tunisie d’assurer une croissance soutenue de 4 à 5 % sur le long terme.
Actuellement avec un taux d’investissement inférieur à 20 %, le pays est condamné à des taux de croissance médiocres, insuffisants pour créer des emplois, réduire le chômage ou moderniser l’économie.
« Derrière le rebond statistique, l’investissement reste dramatiquement en dessous des besoins du pays. »
Investissements directs étrangers : la Tunisie, lanterne rouge de l’Afrique du Nord
Autre constat sévère : les investissements directs étrangers (IDE). En 2024, la Tunisie a engrangé 936 millions de dollars, en hausse de 21,2 % par rapport à 2023. Un chiffre que l’INS et certains médias officiels présentent comme un signe de reprise. Mais Ecoweek rappelle que cette performance est ridiculement faible rapportée à l’ensemble des flux d’IDE en Afrique du Nord : à peine 1,8 %, le plus bas niveau depuis 25 ans. À titre de comparaison, l’Égypte a capté 92 % de ces flux, le Maroc 3,2 % et l’Algérie 2,8 %. Au niveau continental, la Tunisie n’a attiré que 1 % des IDE reçus par l’Afrique, se plaçant derrière une vingtaine de pays, y compris des économies réputées instables.
Pire, la Tunisie est quasiment absente des rapports internationaux de benchmarking utilisés par les investisseurs : Business Ready de la Banque mondiale, Africa Attractiveness Report d’Ernst & Young, ou encore le FDI Confidence Index de Kearney. La marginalisation est telle que le pays apparaît comme un « trou noir » sur la mappemonde des investisseurs étrangers, selon Ecoweek.
Compétitivité numérique et attractivité : la chute !
Alors que les IDE dans l’économie digitale ont presque triplé au niveau international entre 2020 et 2024, la Tunisie est restée à l’écart. L’économie numérique est pourtant un moteur incontournable de la croissance mondiale. Avec une part mondiale inférieure à 0,06 %, la Tunisie ne figure tout simplement pas dans les pays susceptibles de bénéficier de cette révolution. Un facteur aggravant : le retard abyssal dans le déploiement de la fibre optique.
L’étude WBBA-Omdia 2024, révèle un retard persistant par rapport aux pays voisins malgré des améliorations dans le haut débit fixe. Bien que l’Afrique du Nord ait connu une accélération du déploiement de la fibre, la Tunisie reste en retrait, particulièrement par rapport au Maroc et à l’Égypte même si des efforts sont déployés pour moderniser l’infrastructure. En d’autres termes, aucune stratégie de digitalisation crédible n’est possible dans ces conditions.
« La Tunisie n’attire plus que 1 % des IDE africains, loin derrière ses voisins. »
Un avenir menacé par le court-termisme
Le contraste entre le discours officiel et l’analyse indépendante illustre une tendance inquiétante : gouverner par la communication et les statistiques partielles, au lieu d’affronter les défis structurels.
L’INS met en avant une croissance de 3,2 % pour rassurer l’opinion et les bailleurs, mais Ecoweek rappelle que cette croissance est insuffisante pour absorber le chômage et que c’est une croissance qui repose sur la consommation et l’endettement et non sur un regain productif.
L’investissement, clé de tout développement durable ne satisfait pas au potentiel du site Tunisie. Un pays, estime Hechmi Alaya, qui est sorti de la compétition régionale et mondiale dans l’attraction des capitaux et des compétences.
Pour terminer, nous ne pouvons pas ne pas relever qu’l’INS et Ecoweek racontent deux histoires différentes sur une même économie. Le premier vante une embellie passagère, le deuxième décrit une dégradation structurelle profonde.
« Croissance conjoncturelle ou mirage statistique ? L’économie tunisienne joue son avenir.»
A supposer que la vérité se situe entre les deux, il est urgent que les décideurs tunisiens arrêtent ces espèces de réflexes devenus structurels, cette fuite en avant et le déni d’une réalité économique peu reluisante aggravée par la promulgation de lois antiéconomiques et affrontent les véritables défis : rétablir un climat propice à l’investissement, moderniser l’appareil productif, rattraper le retard numérique et restaurer la confiance des investisseurs. Faute de quoi, la croissance annoncée aujourd’hui ne sera qu’un mirage de plus dans le désert économique tunisien.
Et puis une question déterminante : combien de temps encore la Tunisie pourra-t-elle masquer ses faiblesses derrière des statistiques conjoncturelles ?
Amel Belhadj Ali
Chiffres clés
- 3,2 % — Taux de croissance du PIB au 2e trimestre 2025 (INS)
- 72,5 Mds TND — Montant du déficit d’investissement accumulé entre 2010 et 2024
- 15,1 % — Taux moyen d’investissement 2020-2024, contre 26,3 % entre 1970 et 2010
- 936 M USD — IDE reçus en 2024, soit seulement 1,8 % des flux en Afrique du Nord
- 0,06 % — Part de la Tunisie dans l’économie numérique mondiale.
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