ZOOM – Tunisie – D’une reprise économique qui balbutie aux réalités structurelles : Le contexte (1/2)
Alors que l’économie mondiale ralentit, la Tunisie espérait amorcer un rebond post-crise. Mais les prémices de reprise économique s’essoufflent rapidement, rattrapées par la faiblesse de la demande interne, les tensions sociales, et l’absence de vision stratégique. Une économie à la croisée des chemins, dont la trajectoire semble toujours plus incertaine.
Un environnement international plombé… et contagieux
Les prévisions de l’INS pour la Tunisie – 1,6 % de croissance, 5,5 % d’inflation et 15,7 % de chômage en 2025 – traduisent une morosité généralisée. Ce ralentissement, loin d’être anecdotique pour la Tunisie, a des répercussions directes.
Une croissance nationale sans moteur réel
Alors que le gouvernement tunisien tente de projeter un discours rassurant, la réalité des chiffres et du terrain dessine une autre image : celle d’une économie qui peine à rebondir. Le taux de croissance reste inférieur aux 3,5 %, nécessaires pour absorber une démographie active croissante et un chômage endémique.
Contrairement aux pays émergeants dont la croissance repose encore sur une demande intérieure résiliente, la Tunisie voit sa consommation interne asphyxiée par la perte de pouvoir d’achat, l’inflation structurelle et la baisse de la confiance des ménages. L’absence de moteur endogène solide – que ce soit dans l’industrie, l’agriculture ou les services à haute valeur ajoutée – empêche toute dynamique vertueuse.
Consommation et pouvoir d’achat : un couple désaccordé
En Tunisie, la dynamique vigoureuse d’une consommation privée est inversée : la consommation est contrainte non pas par la prudence mais par la nécessité. L’inflation alimentaire et énergétique, conjuguée à l’érosion du dinar, réduit les marges de manœuvre des ménages.
Avec une inflation annuelle avoisinant les 5,7 %, les ménages tunisiens doivent arbitrer entre consommation essentielle et épargne de survie. La classe moyenne, traditionnellement moteur de la demande, s’appauvrit, tandis que les filets sociaux s’effritent. Dans ce contexte, la consommation ne peut jouer son rôle de levier de croissance.
Marché du travail : entre stagnation et exode
Avec un taux de chômage qui dépasse les 15 % de manière structurelle, avec des pics à plus de 35 % chez les jeunes diplômés, l’économie tunisienne ne crée pas assez d’emplois formels, et ceux qui existent se concentrent dans des secteurs à faible valeur ajoutée ou à forte précarité (textile, agriculture, petits services).
Le recours à l’émigration devient une réponse collective à l’absence d’avenir. La fuite des compétences s’accélère, touchant aussi bien les médecins, les ingénieurs que les ouvriers qualifiés. Ce phénomène affaiblit davantage le potentiel productif et accentue la crise du modèle éducatif tunisien, incapable d’insérer ses diplômés.
Des investissements au point mort, faute de vision
En Tunisie, le tissu productif s’est fragilisé et les investissements reculent. Le climat des affaires, déjà affaibli par l’instabilité politique, une bureaucratie paralysante, l’insécurité juridique et les tensions sociales, décourage aussi bien les investisseurs locaux qu’étrangers. Les projets publics s’enlisent faute de financement, les partenariats public-privé peinent à voir le jour et l’absence de coordination stratégique entre les régions accentue les disparités territoriales. Faute d’investissements ciblés et structurants, le pays laisse passer des opportunités majeures : transition numérique, montée en gamme industrielle et intégration dans les nouvelles chaînes de valeur mondiales.
Une politique économique en panne d’audace
Face à cette situation, la politique économique tunisienne reste enfermée dans une logique de court terme dictée par la gestion des urgences : salaires, subventions, service de la dette. Les négociations avec le FMI sont en panne, sans vision politique unifiée ni stratégie de sortie de crise. Le pays oscille entre austérité imposée et maintien d’un modèle de redistribution inefficace.
Le modèle économique post-2011, fondé sur l’endettement, la consommation importée et les transferts, atteint ses limites. La reprise ne peut se contenter de mesures d’ajustement budgétaire : elle doit passer par une refonte du modèle productif, la relance de la confiance entrepreneuriale, l’élargissement de la base fiscale et la remise en ordre des institutions économiques.
In fine, de la reprise à la stagnation durable ?
En somme, la reprise tunisienne reste embryonnaire, entravée par des fragilités internes et un contexte international défavorable. Si des efforts ponctuels sont réalisés dans certains secteurs, ils ne s’inscrivent pas dans une trajectoire cohérente de transformation économique.
La Tunisie risque ainsi de s’enliser dans une stagnation durable, marquée par un décrochage social et un repli politique. La relance passera nécessairement par un pacte de confiance entre les acteurs économiques, une politique publique ambitieuse et une réorientation stratégique vers la création de valeur et l’intégration régionale.
Sans cela, la reprise ne restera qu’un mot creux, balbutié à l’ombre d’une réalité de plus en plus difficile à maquiller.
À suivre : La STRATÉGIE (2/2) – Le PLF-2026 – entre volontarisme social, relance économique et contraintes budgétaires
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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