Khadija Taoufik Moalla *
Des demandes de visa, j’en ai fait plusieurs dizaines tout au long de ma carrière, pour toutes sortes de pays. Comme pour un grand nombre de voyageurs tunisiens, demander un visa ressemble plus à une épreuve d’endurance qu’à une formalité administrative. Ainsi, entre les files d’attente interminables, les formulaires à rallonge, les documents qu’on imprime trois fois “au cas où” et les frais parfois excessifs; l’expérience est souvent stressante, coûteuse en temps et en argent …. Bref, tout sauf une partie de plaisir.
Et pourtant… il existe une exception qui redonne foi en l’humanité administrative: l’ambassade de Chine en Tunisie. Hier matin, j’y ai vécu ce que je croyais impossible: un rendez-vous consulaire rapide, cordial, efficace… et gratuit.
L’expérience en question: comme d’habitude, j’avais rempli ma demande en ligne, joint seulement deux pièces: copie de mon passeport et l’invitation reçue. Par précaution (car l’habitude est tenace), j’avais quand même préparé un dossier complet avec tous les papiers que réclament habituellement les autres ambassades: relevés bancaires, attestation de travail, réservations d’hôtel, billets d’avion…
À mon arrivée, l’agent d’accueil (un Tunisien) me demande simplement mon passeport, lit ma demande sur son ordinateur, rédige un petit reçu… et me demande de revenir dans trois jours récupérer mon passeport et mon visa. Ébahie, je lui demande si je dois passer à la banque pour payer les frais. «Non», me répond-il simplement. Je suis sortie très étonnée… mais surtout enchantée.
Pourquoi cette expérience est exceptionnelle :
En y réfléchissant, j’ai compris que ce que j’ai vécu incarne plusieurs principes simples mais ô combien révolutionnaires dans l’univers kafkaïen des visas:
1. La présomption d’innocence: l’ambassade de Chine part du principe que la majorité des candidats au visa sont des voyageurs honnêtes. Statistiquement, elle n’a pas tort: selon l’Organisation mondiale du tourisme, moins de 1,5% des voyageurs ne respectent pas les conditions de leur visa. Autrement dit, 98,5% ne cherchent qu’à visiter un pays et rentrer chez eux.
Alors, pourquoi traiter tout le monde comme des fraudeurs potentiels?
2. Le bon sens écologique et le numérique: inutile de réimprimer des documents déjà envoyés en ligne. Résultat: des centaines de feuilles économisées par demande. À titre d’exemple, si chaque ambassade à Tunis demande en moyenne 10 pages imprimées par dossier et reçoit 20.000 demandes par an, c’est environ 200.000 feuilles de papier économisées par simple dématérialisation. Soit l’équivalent de 25 arbres épargnés.
3. Des coûts réduits (voire supprimés): là où certaines ambassades facturent des frais qui dépassent parfois les 150 à 200 € — sans compter les frais indirects — il semblerait que le consulat délivre certains visas gratuitement. Et même en cas de paiement, les montants (affichés sur leur site web) sont beaucoup plus raisonnables que la majorité des autres visas.
4. Pas de réservations fictives: beaucoup d’ambassades exigent des réservations d’hôtel et des billets d’avion avant même d’accorder le visa. Ce qui oblige souvent à acheter… pour annuler ensuite. En réalité, selon les agences de voyages, 80% des réservations fournies pour les demandes de visas sont annulées une fois le visa obtenu. L’ambassade de Chine, elle, sait que ces justificatifs ne prouvent rien du tout: elle préfère la logique et le respect du budget du voyageur.
5. Respect total des données personnelles: pas de relevé bancaire, pas d’attestation de travail dans ce cas précis. Juste les documents essentiels. Un respect rare alors que, dans le monde, 66% des ambassades exigent au minimum 3 mois de relevés bancaires avant d’accorder un visa.
Et les autres ambassades ?
Là est toute la question. Pourquoi cette procédure simple, rapide et humaine est-elle l’exception et non la règle? Pourquoi la Tunisie accepte-t-elle que tant d’ambassades prennent ses citoyens en otages en imposant des démarches lourdes, coûteuses et parfois humiliantes? Sans parler des intermédiaires privés qui obligent parfois les candidats à payer deux fois le prix du visa pour «service de dépôt».
Moralité:
Ces trois jours, j’ai pu déposer et retirer un visa chinois, valable un mois, en moins de 10 minutes en tout, avec un accueil souriant et sans humiliation. Comme quoi… c’est possible. Et si un jour toutes les ambassades adoptaient ce modèle, des milliers de voyageurs tunisiens gagneraient du temps, de l’argent, et surtout beaucoup de sérénité.
Paraphrasant Gandhi qui pense qu’: «On peut juger de la grandeur d’une nation et ses progrès moraux par la façon dont elle traite les animaux» ; je dirai qu’on devrait juger de la grandeur d’une ambassade et des progrès moraux de ses services consulaires à la manière dont elle traite ses demandeurs de visas.
En attendant, chapeau bas à l’ambassade de Chine, vous venez de prouver qu’une procédure administrative peut rimer avec efficacité, respect, dignité et simplicité.
K.T.M.
(*) Universitaire