D’aucuns diront que l’heure n’est pas à la fête alors que les gens à Gaza se font toujours tuer par attaques directes ou par l’immonde emploi de la famine comme arme de guerre.
Mais il ne s’agit pas ici de faire la fête, mais plutôt de continuer d’exister, malgré eux, malgré tout et de maintenir vive et vivante la mémoire d’un pays, de tout un peuple que l’on veut gommer et effacer à jamais.
C’est là que le rôle des chanteurs, des poètes et autres artistes prend tout son sens pour célébrer l’identité et la mémoire.
La Presse — Une affluence record, pour cette 59e édition du festival international de Carthage, a marqué la soirée du 5 août, celle du concert du jeune artiste Saint Levant, accueilli avec fougue et passion par ses fans et autres curieux venus très nombreux.
À seulement 23 ans, ce jeune auteur-compositeur-interprète s’est imposé avec un style unique, mêlant dans ses chansons le palestinien, le français et l’anglais, pour devenir l’une des voix les plus prometteuses de la scène musicale internationale et une figure prisée de la Génération Z. Son œuvre profondément personnelle, et résolument politique, aborde l’exil, les racines et l’identité. A travers chaque mot, chaque son, chaque image et chaque style vestimentaire, il raconte une histoire chargée de sens.
Sa bande de musiciens, collaborateurs et autres Djs l’ont précédé sur scène pour préparer son entrée en lançant l’emblématique chanson «Mawtini» (ma patrie), un poème écrit par le poète palestinien Ibrahim Touqan et composé par Mohamed Fleyfel.
Saint Levant,vêtu d’un maillot de l’équipe nationale tunisienne, foule la scène du théatre antique avec marche et salut militaire sous les vibrantes acclamations du public. Il entame son concert avec une petite compilation qui chante la Palestine avec sonorités et rythmes populaires réhaussés par les pas enracinés dans la terre de la dynamique danse Dabké que l’artiste a repris en leitmotiv, en frappant des pieds le sol tout au long du concert.
Marwan Abdelhamid (son vrai nom) a toujours revendiqué et mis en avant ses origines palestiniennes, mobilisant, depuis le génocide en cours à Gaza entamé depuis le 7 octobre 2023 par l’entité sioniste, toute son énergie artistique pour alerter l’opinion et éveiller les consciences sur la réalité de l’occupation israélienne. Il a même changé sa ligne éditoriale sur instagram en supprimant, entre autres, tous ses contenus qui pourraient faire de lui le crooner des débuts.

D’aucuns diront que l’heure n’est pas à la fête alors que les gens à Gaza se font toujours tuer par attaques directes ou par l’immonde emploi de la famine comme arme de guerre. Mais il ne s’agit pas ici de faire la fête, mais plutôt de continuer d’exister, malgré eux, malgré tout et de maintenir vive et vivante la mémoire d’un pays, de tout un peuple que l’on veut gommer et effacer à jamais. C’est là que le rôle des chanteurs, des poètes et autres artistes prend tout son sens pour célébrer l’identité et la mémoire.
Saint Levant est né à El Qods, pendant la deuxième Intifada et a grandi pendant dix ans à Gaza, à laquelle il a dédié son premier EP «From Gaza with Love». Lors des attaques sionistes de la ville en 2007, Marwan et sa famille ont été contraints de fuir en Jordanie, où il a passé le reste de sa jeunesse avant de s’installer à Los Angeles. Il connaît donc et, à l’instar de nombreux Palestiniens , le drame de l’exil forcé et le chante pour maintenir intacte l’histoire de son pays.
En février 2024, il dévoile son clip «Deira», tourné dans les paysages de Jordanie aux côtés du jeune rappeur gazaoui MC Abdul (15 ans). Cumulant plusieurs millions de vues, le clip rend hommage à Gaza à travers l’hôtel Deira — conçu et géré par son père, architecte et entrepreneur —, détruit par les frappes sionistes depuis le 7 octobre 2023.
Surplombant la mer à Al-Rimal, l’hôtel était autrefois l’une des plus belles structures de la ville et l’endroit où Marwan se sentait vraiment chez lui. L’artiste l’imagine comme un lieu de retour : une destination personnelle, un point de repère symbolisant une Palestine libre.
L’artiste s’est aussi engagé en dehors de la scène pour la défense de la culture et de l’héritage palestiniens. Il a créé en 2023 la Fondation 2048 (the 2048 Foundation), une association à but non lucratif dont l’objectif est de financer les projets culturels et artistiques palestiniens. Ce nom commémore le centenaire de la Nakba (la catastrophe) de 1948.
«Je chante l’exil (la ghorba), mais ce soir je ne me sens pas du tout dépaysé parmi vous. Je me sens comme dans mon pays. Regardez-moi ce public!», lance dans sa langue natale Saint Levant, très ému devant un Carthage noir, ou plutôt étincelant de monde — sur des sonorités pop algériennes qui constitue une des influences de son nouvel album «Love Letters».
Un projet porté par des titres aux sons hybrides à l’instar du Raï et autres rythmes plus anciens du funk des années 1980, et qui embrasse la pluralité de son propre héritage culturel lui qui est d’une mère franco-algérienne et d’un père serbo-palestinien.
Un beau désordre
«Je n’ai pas la carrière de Nancy Ajram, la mienne a démarré il y a seulement trois ans, mais je promets de vous offrir un beau concert», annonce l’artiste qui avait assisté, le 2 août dernier, à la prestation de la chanteuse libanaise, une occasion pour lui de vivre l’ambiance du festival et d’établir un premier contact avec son public.
Un public qui lui a exprimé lors de son concert beaucoup d’amour, que l’artiste a tenu à lui rendre dans la limite de ce que son répertoire pouvait lui permettre en proposant un programme fait de ses morceaux les plus emblématiques dans une ambiance et une mise en scène très décontractée où l’on décèle des références populaires palestiniennes et maghrébines.
Et une partie de DJ set avec une mixtape très hétéroclite combinant des bouts de tubes tunisiens comme «Sidi Mansour», de la dabka palestinienne, du Shakira, de la détonante darbouka orientale… Une manière de revisiter des morceaux populaires qui ont marqué la mémoire collective arabe et de rendre hommage à une arabité qu’il revendique haut et fort dans un beau désordre, accompagné par sa bande d’amis et collaborateurs qui ont fait vibrer et enflammé la scène et, par effet de vague, les gradins de Carthage!

Marwan, très reconnaissant, a rendu hommage à son public et à la Tunisie en brandissant du haut de la scène le drapeau national et en leur adressant un touchant message d’amour à travers la chanson «Athada Al Alem» de Saber Rebai.
Grand hic de la soirée et pas le moindre, la sonorisation qui a malheureusement fait défaut gâchant par moments ses chansons qui déjà condensent des effets sonores et autre Auto-Tune (un logiciel qui corrige la hauteur (tonalité) d’une voix ou d’un instrument, le plus souvent pour lisser les imperfections et rendre les notes plus justes.).
Cela a occulté quelquefois sa voix au profit des enregistrements sonores . On a eu droit aussi à quelques petites coupures de son et autres grésillements et craquement de baffles. Des problèmes que l’on n’a pas rencontré dans d’autres concerts lors de cette édition de Carthage et qui ont fini par gâcher quelques passages du concert.
Le son, et spécialement pour ce concert, aurait dû être le plus net possible car les nouvelles chansons de l’artiste regorgent déjà d’effets sonores et sans ces conditions l’on peut facilement tomber dans la cacophonie. Les jeunes de la génération Z debout et jusqu’au bout, faisant fi de ces désagréments, ont accompagné, ravis et conquis, l’artiste et sa bande en chantant en chœur, en sautant, en dansant et en clamant une Palestine libre du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée!
Au centre de la scène arabe
Cette identité musicale unique qui combine musiques arabes, R&B et hip-hop, Saint Levant la rehausse avec différentes collaborations avec des figures de la scène artistique arabe. Il se plaît à rassembler de nombreux artistes et parvient avec la combinaison de leurs univers à créer de nouvelles figures, de nouvelles esthétiques.
Il a travaillé entre autres avec le DJ et fashion designer cairote Xander Ghost avec lequel il s’est produit au Caire, avec Lyna Zerrouki, jeune réalisatrice franco-algérienne qui a réalisé deux de ses clips et notre Ratchopper national Aka Souhayl Guesmi avec lequel il a signé son morceau trend «Kalamantina» et qui était présent ce soir-là sur la scène de Carthage. Producteur, DJ et compositeur, ce dernier a collaboré avec des rappeurs comme Ghali, Castro, ALA , 4LFA et bien d’autres.
D’ailleurs c’est «Kalamantina» qui a cloturé le dynamique concert de Saint Levant, chantée en chœur avec un public plus que conquis malgré les quelques points faibles et maladresses qu’on peut expliquer peut-être par un manque de maturité par rapport ce genre de scène, car un Carthage bondé peut être très intimidant.
