Le poème du dimanche │ ‘‘Le crépuscule de la liberté’’ d’Ossip Mandelstam
Poète, essayiste de langue russe, Ossip Mandelstam représente un esprit libre, critique, insoumis, intransigeant, jusqu’à subir les attaques des staliniens l’accusant d’idées contre-révolutionnaires.
Né à Varsovie en 1891, de parents lettons qui s’installent à Saint-Pétersbourg, Ossip se lie d’amitié avec Ana Akhmatova et Marina Testeaeva. Il compose en 1932 un épigramme contre Staline, «Le montagnard du Kremlin», poème virulent qui lui vaut les foudres du pouvoir soviétique. Arrêté, exilé et déporté dans un camp, il meurt en 1938.
Tahar Bekri
Célébrons, frères, le crépuscule de la liberté
La grande année crépusculaire.
Dans les eaux bouillantes de la nuit
Est plongée la pesante forêt de nasses
Tu te lèves sur de ténébreuses années
O soleil, juge, peuple !
Célébrons frères, le fatal fardeau
Qu’en pleurs le chef du peuple prend
Célébrons du pouvoir le ténébreux fardeau
Son joug intolérable
Qui a un coeur, ô temps ! celui-là doit entendre
Par le fond ton vaisseau
Les hirondelles captives
Nous avons formé des légions guerrières- et voici
Qu’on ne voit pas le soleil : toute la nature
Chuchote, s’agite, s’anime,
A travers les nasses – ce crépuscule épais –
On ne voit pas le soleil et la terre vogue
Eh bien quoi ! essayons ; un tour énorme et maladroit,
Un tour grinçant du gouvernail.
Vogue la terre, Hommes ayez courage d’homme !
Comme d’une charrue, divisant l’océan
Il nous en souviendra ; jusque dans le froid du léthé,
Que la terre nous a coûté dix ciels.
Moscou mai 1918
(Traduit du russe par François Kérel).
‘‘Tristia’’, 1922, Poésie/Gallimard
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