ZOOM – Néoprotectionnisme – le miroir brisé de la mondialisation
Le protectionnisme d’aujourd’hui ne se contente pas de fermer les frontières : il redessine la carte du pouvoir mondial. Le texte soumis à notre réflexion, « Néoprotectionnisme ou néomercantilisme : où en sommes-nous exactement ? » prétend trancher un débat d’école : vivons-nous un retour du néomercantilisme ou l’essor d’un néoprotectionnisme décomplexé ? L’auteur penche résolument pour la seconde hypothèse, insistant sur le caractère défensif, populiste et conjoncturel des politiques commerciales actuelles. Mais à force d’opposer deux concepts comme s’ils étaient mutuellement exclusifs, il escamote la réalité : dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, le néoprotectionnisme est souvent le masque de manœuvres géoéconomiques qui, elles, relèvent bel et bien d’un néomercantilisme assumé.
Un faux dilemme conceptuel
La distinction théorique avancée– un néomercantilisme structuré, stratégique, coordonné, face à un néoprotectionnisme désordonné et électoraliste- repose sur une séparation nette qui, sur le terrain, s’efface. Les grandes puissances n’agissent pas uniquement dans l’urgence. Même lorsque leurs décisions semblent improvisées, elles s’inscrivent souvent dans des trajectoires de puissance plus longues.
La guerre commerciale de Trump avec la Chine n’a certes pas réduit le déficit américain, mais elle a solidifié une tendance stratégique bipartisane : contenir la montée en puissance industrielle chinoise. Et cela, qu’on le veuille ou non, a toutes les caractéristiques d’un néomercantilisme revu à l’ère populiste.
La guerre commerciale de Trump avec la Chine n’a certes pas réduit le déficit américain, mais elle a solidifié une tendance stratégique bipartisane : contenir la montée en puissance industrielle chinoise.
La crise de la COVID-19 : prétexte ou révélateur ?
Le texte présente la pandémie comme un simple accélérateur de réflexes souverainistes, sans y voir un instrument de recomposition économique. Or, relocaliser les chaînes d’approvisionnement stratégiques dans les secteurs médicaux, technologiques ou énergétiques ne se réduit pas à un geste défensif. C’est aussi un investissement dans une autonomie productive qui, à terme, sert de levier d’influence commerciale et politique.
L’Europe, avec ses programmes de semi-conducteurs ou de batteries, ne fait pas que se protéger : elle se positionne pour peser demain sur les normes et les marchés mondiaux. C’est là que l’analyse de l’article s’avère courte : il sous-estime la dimension de planification stratégique derrière ces mesures.
Or, relocaliser les chaînes d’approvisionnement stratégiques dans les secteurs médicaux, technologiques ou énergétiques ne se réduit pas à un geste défensif. C’est aussi un investissement dans une autonomie productive qui, à terme, sert de levier d’influence commerciale et politique.
Populisme économique : l’arbre qui cache la forêt
L’auteur insiste sur le rôle du populisme comme moteur principal du néoprotectionnisme. Certes, les slogans comme America First ou Make in India sont calibrés pour flatter l’électorat. Mais derrière la rhétorique, les appareils d’État, les groupes industriels et les lobbies dessinent des architectures économiques qui dépassent le cycle électoral. La défense d’industries clés, même sous un vernis populiste, s’inscrit dans une logique de rapport de force durable. Qualifier cela uniquement de « réactif » revient à prendre au pied de la lettre un discours politique conçu justement pour dissimuler ses véritables objectifs.
Et la Tunisie dans tout ça ?
L’article effleure la question des pays vulnérables mais sans en mesurer l’ampleur stratégique. Pour la Tunisie, la distinction entre néoprotectionnisme et néomercantilisme n’est pas un débat académique : c’est un problème de survie économique. Quand la Chine verrouille ses circuits de production pour consolider son pouvoir d’exportation, c’est du néomercantilisme pur. Quand les États-Unis imposent des barrières imprévisibles sur l’acier, c’est du néoprotectionnisme, certes, mais aux effets tout aussi destructeurs. Dans les deux cas, Tunis se retrouve face à un monde où les règles changent au gré des rapports de force, sans filet de sécurité multilatéral. Cela impose une stratégie nationale qui ne soit pas seulement défensive mais proactive : diversification des partenaires, montée en gamme des exportations, intégration sélective dans les chaînes de valeur et surtout capacité à produire localement dans les secteurs critiques.
L’article effleure la question des pays vulnérables mais sans en mesurer l’ampleur stratégique. Pour la Tunisie, la distinction entre néoprotectionnisme et néomercantilisme n’est pas un débat académique : c’est un problème de survie économique. Quand la Chine verrouille ses circuits de production pour consolider son pouvoir d’exportation, c’est du néomercantilisme pur. Quand les États-Unis imposent des barrières imprévisibles sur l’acier, c’est du néoprotectionnisme, certes, mais aux effets tout aussi destructeurs.
In fine, entre idéologie et rapport de force
En voulant trop nettement séparer néoprotectionnisme et néomercantilisme, l’auteur oublie que dans la réalité, les puissances pratiquent un cocktail des deux. Le protectionnisme défensif est souvent la porte d’entrée d’un mercantilisme offensif. La mondialisation actuelle ne connaît plus les murs clairs et les frontières nettes : elle avance par zones grises, où les discours populistes servent à légitimer des stratégies de puissance.
Pour les économies fragiles, l’enjeu n’est pas de savoir si les grandes puissances sont « réactives » ou « stratégiques », mais de comprendre qu’elles sont toujours opportunistes. Et face à cela, continuer de penser que la Tunisie peut naviguer à vue relève moins de la naïveté… que de l’aveuglement.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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