ECLAIRAGE – L’alliance Maroc-France face au prisme africain
Dans un contexte de recomposition accélérée des alliances internationales sur le continent africain, l’alliance entre le Maroc et la France suscite des perceptions contrastées au sein des pays africains. Ce tandem, historiquement enraciné dans une relation postcoloniale à multiples facettes, est aujourd’hui réinterprété à l’aune de nouvelles dynamiques régionales, d’une montée des souverainismes africains et d’un recul relatif de l’influence française au sud du Sahara.
Le partenariat entre Rabat et Paris repose sur des bases anciennes : une forte coopération économique, des intérêts sécuritaires communs au Sahel, et une proximité culturelle renforcée par la francophonie. Pourtant, les dernières années ont été marquées par une relative tension, avant une tentative de relance diplomatique. Ce « recalibrage » des relations a été perçu, dans plusieurs chancelleries africaines, comme une tentative française de se repositionner indirectement sur le continent à travers une puissance régionale stable et influente : le Maroc.
Ce choix suscite la méfiance dans certains cercles panafricanistes, notamment en Afrique de l’Ouest et centrale, où la France est souvent accusée d’ingérence et de néocolonialisme. L’idée d’un retour de l’influence française par procuration via le Maroc est interprétée, par certains acteurs, comme une stratégie d’enracinement par alliances intermédiaire.
Le Maroc, une puissance africaine… ?
La montée en puissance diplomatique et économique du Maroc en Afrique – notamment en Afrique subsaharienne – est indéniable. Depuis son retour au sein de l’Union africaine en 2017, Rabat mène une diplomatie proactive fondée sur des partenariats Sud-Sud, des investissements bancaires, agricoles et énergétiques, et une image d’État stable et réformiste. Dans ce cadre, son rapprochement avec la France est vu, par certains pays africains, comme une stratégie d’influence réciproque : Rabat tire profit de son rôle d’interface crédible avec l’Occident, tandis que Paris cherche à redéployer son agenda africain sous une forme plus indirecte.
Mais cette perception n’est pas partagée unanimement. Des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Gabon perçoivent positivement ce type de coopération triangulaire, y voyant une opportunité de bénéficier de relais d’investissements et de savoir-faire conjoints. À l’inverse, dans des États en rupture avec Paris – Mali, Burkina Faso, Niger – cette alliance est considérée comme suspecte, voire instrumentale à une reconquête d’influence sur les anciennes zones d’influence française.
Entre rivalités maghrébines et fractures continentales
Il faut aussi replacer cette alliance dans le contexte des rivalités régionales. L’Algérie, engagée dans une stratégie d’émancipation géopolitique et économique du giron occidental, voit d’un œil critique cette convergence franco-marocaine, perçue comme un affront à sa posture de non-alignement. Cette rivalité se projette sur l’ensemble du continent, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, où Alger tente aussi d’imposer ses réseaux diplomatiques et énergétiques.
Par ailleurs, l’émergence des puissances non-occidentales – Russie, Chine, Turquie, Iran – redessine les équilibres africains et pousse certains pays à adopter des postures de rejet vis-à-vis des anciennes puissances coloniales, y compris celles soupçonnées de leur servir de relais.
Entre méfiance, pragmatisme et recompositions silencieuses
L’alliance Maroc-France, dans sa dimension africaine, n’est ni unanimement saluée ni systématiquement rejetée. Elle est observée avec une lucidité stratégique croissante dans les capitales africaines. Pour certains, elle constitue un levier pragmatique de coopération Nord-Sud à travers un acteur africain légitime. Pour d’autres, elle s’apparente à une forme raffinée de néo-impérialisme.
Pour autant, cette perception dépend moins des intentions affichées que des bénéfices concrets perçus localement, et du degré de souveraineté réelle dont disposent les États africains pour orienter leur propre voie. Dans une Afrique en pleine affirmation géopolitique, l’heure est moins à l’alignement qu’à la diversification stratégique – un message que Rabat et Paris devront entendre s’ils veulent inscrire leur alliance dans une dynamique durablement acceptée sur le continent.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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