La République, débats et des hauts
La République tunisienne n’est pas malade, loin de là, elle vit plutôt une mutation, car le modèle choisi par les pères fondateurs dont le grand Bourguiba a montré ses limites, un certain Janvier 2011. Il fallait le réformer bien avant, mais les réformateurs manquaient cruellement à l’époque, et continuent à manquer sévèrement.
Pourtant, ce qu’on nous propose avec la dernière Constitution, avec le Parlement à deux chambres et un président qui a constitutionnellement tous les pouvoirs, se veut une réponse à la question que le pays n’a cessé de se poser depuis l’indépendance : comment représenter le peuple tunisien, cette mosaïque d’ethnies, de religions, de madhaheb – doctrines juridiques islamiques -, de partis politiques, de congrégations et confréries, de tribus – berbères et arabes -, de clans, que l’histoire a sculpté durant des siècles, et que les nationalistes patriotes de l’Indépendance ont voulu transformer en Etat-Nation, ce qui s’est avéré une tâche extrêmement difficile jusqu’à apparaître comme impossible ? Jusqu’à maintenant, vu les grandes divergences qui existent au sein des élites et de la population, on peut conclure qu’on n’a pas encore « une certaine idée de la République » qui nous unit et nous unifie.
Nous sommes donc un Etat-Nation en cours de formation, mais que l’instabilité géopolitique régionale et internationale menace sérieusement.
Une certaine idée de la République
L’idée de la République est relativement nouvelle en Tunisie et date de la fin de la première Constituante. Rappelons que cette Constituante a été élue démocratiquement par le peuple tunisien, mais dans le but d’asseoir une monarchie constitutionnelle, avec un bey (Lamine) à sa tête, mais un Premier ministre (Bourguiba) qui a l’essentiel des pouvoirs. Pendant toute la période de la lutte pour l’indépendance, du moins depuis la création du Néo-destour, la question de transformer l’Etat en République n’a jamais été débattue, et même que les nationalistes avaient participé avant l’Indépendance à des gouvernements dont les Premiers ministres étaient nommés par sa majesté le Bey (gouvernement Chnik par exemple) et un des leaders, Salah Ben Yussef était ministre du Bey.
C’est dire combien la question de la fondation de la République était loin d’être une priorité des destouriens, l’Indépendance même partielle dite interne était la priorité absolue et fut obtenue en 1955, un an avant l’Indépendance totale. Et même que c’est autour de cette question que le destour fut scindé en deux branches rivales puis ennemies.
Il n’y a donc jamais eu avant la Constituante un débat au sein du mouvement national, et le seul débat qui a eu lieu au sein de la Constituante, à majorité bourguibiste, et des fervents défenseurs de ce modèle politique apparurent comme Ahmed Ben Salah, le président de la Constituante Jallouli Farès, et d’autres ténors du parti destourien.
Le 25 juillet 1957, la République fut proclamée et on destitua le dernier des beys.
Dans la presse, aucun débat sérieux n’a jamais eu lieu, pour la simple raison que Bourguiba et son équipe étaient tellement populaires à ce moment que l’idée de contrer ce projet aurait été suicidaire. Même les partisans du vieux destour de Thaalbi ou les communistes n’avaient pas osé attaquer Bourguiba sur ce point, étant eux-mêmes républicains, en plus de la faiblesse congénitale des beys, surtout que c’est l’un de leurs ancêtres, Sadoc Bey, qui avait signé l’accord du Protectorat du Bardo, et puis celui de La Marsa, ce qui était perçu comme une trahison.
C’est donc la vision bourguibienne de la République qui s’était imposée et qui avait comme projet l’établissement d’un Etat national, souverain indépendant mais dont la religion est l’Islam et l’arabe sa langue officielle. L’objectif stratégique des fondateurs de la République était de faire de la Tunisie un pays moderne, prospère qui « rejoindrait le peloton des pays évolués et civilisés », rekb el hadhara comme le répétait Bourguiba très souvent à l’adresse du peuple.
Les dissidences et les divisions au sein du Néo-destour, aussi bien lors de la crise yousséfiste que pendant la période socialiste de Ben Saleh, ou avec la mouvance libérale d’Ahmed Mestiri, ainsi que les multiples confrontations avec l’UGTT, elle-même fondée et dirigée par des destouriens (Habib Achour), n’ont jamais entamé l’unité de toutes ces composantes sur la question de la République.
République au couleur des gouvernants
Les autres courants idéologiques, comme les marxistes, les nationalistes arabes (baathistes, nassériens, khaddafistes) et les islamistes, défendaient d’autres visions de la République, qui ne tournaient pas autour de l’Etat-nation tunisienne. La gauche communiste et marxiste a pourtant évolué vers l’adoption du modèle bourguibien de la République, mais en y incluant la dimension démocratique et les droits fondamentaux politiques de l’homme. Quant aux islamistes dont ceux d’Ennahdha, ils n’ont jamais accepté l’idée d’une République moderniste, qui sépare la religion de la politique, car, faisant partie de la galaxie transnationale des Frères musulmans, ils avaient pour objectif l’instauration d’un califat, comme celui instaurée plus tard par Daech au moyen orient. Lors de leur passage au pouvoir, ils n’ont cessé tout le temps de vouloir imposer l’application de la chariaa, vue et corrigée par leurs maîtres penseurs orientaux pour la plupart et poussé pour transformer, par le bas et en s’y infiltrant, la République tunisienne pour la faire muter en République Islamique, selon le modèle iranien. Ils ont failli y arriver à travers une pseudo-démocratie parlementariste, si ce n’était le coup de force du 25 Juillet 2021, où le Président de la République Kaïs Saïed avait mis fin à ce projet dangereux,en abolissant le système politique imposé par Ennahdha.
Depuis un nouveau projet de la République, a progressivement pris la place des deux anciens projets, bourguibien et islamiste, pour donner naissance à une République qui prétends représenter le peuple entier, bien que les taux de participations aux différentes élections n’aient jamais pu dépasser les 11% des inscrits sur les listes électorales, ce qui confirme la non adhésion massive des tunisiens à ce projet.Mais il continue à régir la vie de l’Etat et de ses institutions.Mais les tunisiens n’adhèrent plus aussi bien au projet de ce qu’on a appelé la seconde république illustrée pleinement par la Constitution de 2014 initiée et soufflé par le fameux Feltmen qui avait d’ailleurs imposé celle de l’Irak après l’invasion américaine de ce pays. Rejet manifestée par une grande partie du peuple tunisien, et surtout le 25 Juillet 2021, le jour, alors que se préparait le virage radical la nuit même du jour anniversaire de la première République.
Curieusement ce 25 juillet devient l’anniversaire de plusieurs évènements qui ont marqué l’histoire tunisienne contemporaine. Fondation, de la première république, fondation de ce qu’on peut appeler la troisième république, assassinat de l’opposant aux islamistes, Mohammed Brahmi, décès de Béji Caied Essebsi, ce qui pousse les tunisiens à attendre un évènement majeur d’ordre politique, chaque 25 Juillet. Celui de cette année semble déroger à cette règle. Car non seulement il semble redevenir un jour Ferrié comme les autres, mais l’absence de toute festivité et de toute manifestation politique d’envergure prouve que ce jour n’a plus la même symbolique qu’avant. Les tentatives de certains groupes de l’opposition de l’utiliser pour narguer le pouvoir, confirment cette approche, dont la seule explication est qu’il a été vidé de sa charge symbolique. Les températures très élevées qui l’ont accompagné ont fait le reste.
Pourque ce jour retrouve son sens, il n’y’a qu’un seul moyen, qui consiste à relancer le débat sur le sens de la République et sur un projet d’unité nationale désespérément perdue.
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