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Changement climatique: Et si la menace devenait une opportunité ?

Face à l’accélération des dérèglements climatiques, la Tunisie se trouve confrontée à un double défi : atténuer les effets d’une crise environnementale déjà bien visible et saisir les opportunités économiques qu’elle peut engendrer. De nombreux experts et acteurs économiques, à l’instar de Faouzi Chokri, alertent sur les risques croissants, tout en soulignant les perspectives offertes par les énergies renouvelables, l’innovation agricole et le développement d’un tourisme résilient.

La Presse — Sous l’effet du changement climatique, la Tunisie voit se multiplier les menaces sur ses secteurs économiques clés. Faouzi Chokri, expert senior en développement durable et changement climatique, explique que «le changement climatique a déjà des effets visibles en Tunisie et risque d’amplifier ses impacts socio-économiques dans les années à venir», notamment sur plusieurs plans.

Il mentionne en particulier la sécurité alimentaire, affectée par la baisse des précipitations et la hausse des températures. Ces phénomènes fragilisant les cultures pluviales comme le blé et l’orge, réduisent les revenus des agriculteurs et des éleveurs, et accélèrent l’exode des jeunes ruraux, aggravant ainsi le déséquilibre entre régions rurales et urbaines.

Des impacts déjà visibles sur les secteurs clés

Faouzi Chokri souligne également les effets sur le tourisme, un secteur sensible à l’élévation du niveau de la mer, qui menace plages, infrastructures hôtelières et écosystèmes. Ce phénomène se manifeste par l’érosion côtière, la dégradation des paysages et la perte de biodiversité, notamment à Kerkennah et Djerba. «Ce sont autant de facteurs qui risquent de décourager les touristes, surtout en été», alerte-t-il. Concernant l’industrie et l’énergie, Chokri indique que le stress hydrique pèse lourdement sur les industries consommatrices d’eau, comme l’agro-alimentaire et le textile, tandis que la chaleur extrême nuit à la santé des travailleurs et accroît les coûts de climatisation. Ces impacts combinés entraînent une baisse de la production agricole, des recettes touristiques, une hausse des dépenses en santé, infrastructures et aides sociales, accentuant l’exode rural et poussant les jeunes vers les villes ou à l’étranger.La Tunisie, déjà confrontée à un stress hydrique structurel, subit une pression croissante sur ses ressources en eau. Faouzi Chokri révèle une réduction des pluies annuelles de-5 à-15 % selon les projections du Giec, ainsi qu’une hausse des températures moyennes pouvant atteindre +2,5°C à +4°C d’ici 2100. « Cela accélère l’évaporation des réservoirs, barrages et sols, et limite la recharge des nappes phréatiques », explique-t-il. Le changement climatique pourrait ainsi réduire la disponibilité en eau de 28 à 40 % d’ici 2050.

Il rappelle que la Tunisie, avec moins de 450 m³ d’eau douce par habitant et par an, est déjà en dessous du seuil de pénurie absolue fixé à 500 m³. L’élévation du niveau de la mer et le pompage excessif favorisent l’intrusion d’eau salée, dégradant la qualité de l’eau pour l’agriculture et la consommation. Ce phénomène est particulièrement préoccupant au Cap Bon, dans le Sahel, à Gabès et à Djerba.

L’agriculture menacée dans ses fondements

Les changements climatiques constituent un défi majeur pour l’agriculture tunisienne, car ils affectent la productivité, la durabilité et la résilience d’un secteur vital pour l’économie nationale. La hausse des températures accélère l’évaporation de l’eau et affecte la croissance des cultures sensibles à la chaleur, comme le blé et les légumes, ainsi que la productivité animale. La baisse et l’irrégularité des précipitations, surtout au centre et au sud, favorisent les sécheresses, perturbent les cycles agricoles et limitent la recharge des nappes.

Faouzi Chokri évoque également la dégradation des sols, liée à la salinisation due à l’irrigation excessive et à l’intrusion marine, ainsi qu’à l’érosion provoquée par l’aridité. Il ajoute que « les changements climatiques favorisent l’expansion des espèces nuisibles, comme la mouche méditerranéenne ou les criquets, engendrant un usage accru des pesticides, avec des coûts économiques et environnementaux importants». Parmi les effets directs : la baisse de la production céréalière, oléicole et arboricole, la vulnérabilité des petits exploitants, le risque pour la sécurité alimentaire, la balance commerciale, la perte de revenus agricoles, l’exode rural et l’aggravation des inégalités régionales. « Sans adaptation, l’agriculture tunisienne risque un déclin durable, avec des conséquences sociales, économiques et régionales majeures», prévient-il. Le tourisme, qui représente 7 % du PIB, génère de nombreux emplois et repose sur des atouts climatiques, culturels et naturels, est particulièrement vulnérable aux effets du dérèglement climatique. Parmi les principales menaces: l’élévation du niveau de la mer affectant les zones côtières touristiques, l’érosion des plages, le recul du littoral et les inondations d’hôtels : les vagues de chaleur récurrentes qui nuisent à l’attractivité estivale, notamment pour les touristes européens ; l’avancée du désert, la perte de biodiversité et la raréfaction des oasis, ce qui limite la fréquentation du sud tunisien.

Chokri souligne qu’« une transition vers un modèle de tourisme durable et résilient est indispensable pour préserver ce pilier économique».

Transformer la contrainte en opportunité

Si les changements climatiques représentent un défi de taille, ils peuvent aussi ouvrir des perspectives économiques à condition que la Tunisie anticipe, innove et adapte ses politiques. Parmi les opportunités identifiées figurent le développement des énergies renouvelables, grâce à l’ensoleillement élevé et au potentiel éolien, permettant à la Tunisie de devenir un acteur régional du solaire et d’exporter de l’électricité verte ; la transition vers une agriculture durable, l’accès aux financements climatiques, l’encouragement à l’innovation dans la gestion de l’eau, les technologies propres et l’adaptation agricole : ainsi que la valorisation d’un tourisme hors saison et éco-responsable, et le développement d’activités autour du recyclage et de la bioénergie. Pour Faouzi Chokri, «le changement climatique, à condition d’être affronté par des investissements verts, la formation des jeunes, l’innovation technologique et une gouvernance cohérente, peut devenir un levier de transformation pour repositionner l’économie tunisienne sur des bases durables et compétitives».

Tourisme en Tunisie : La face cachée des prix hôteliers

Alors que le tourisme tunisien tente de se relancer, une inégalité tarifaire persistante alimente le débat. Les Tunisiens paient-ils leurs séjours plus cher que les touristes étrangers ? Cette question, soulevée par l’expert-comptable Karim Amous, révèle une réalité économique dérangeante mais bien documentée.  À travers une analyse rigoureuse, Karim Amous propose de transformer cette injustice perçue en levier d’action économique et sociale.

La Presse —L’exemple de Fatma, enseignante à Sfax, est édifiant. Elle a réservé deux nuitées dans un hôtel cinq étoiles à Hammamet pour 1.913 dinars. À la réception, un couple allemand lui montre sa facture : même chambre, même période, mais à 312 euros par personne soit environ 1.060 dinars grâce à un forfait comprenant la formule «all inclusive».

Il s’agit d’un exemple parmi d’autres qui témoigne de la différence de prix pratiquée dans nos établissement hôteliers. Pour Karim Amous, expert-comptable, cette différence de prix est loin d’être une exception. D’après lui, cela s’explique par des logiques économiques bien précises. 

Il propose une lecture en trois couches, à la manière d’un audit financier : la première couche concerne la mécanique des tour-opérateurs (TO), «lorsqu’un TO allemand achète 10.000 nuitées à un hôtel, il bénéficie de tarifs négociés 40 à 60 % inférieurs aux prix publics. Ce n’est pas de la discrimination, mais une logique qui favorise certes un nombre plus élevé de nuitées vendues. À cela s’ajoute la mutualisation des coûts : un vol charter de 300 sièges revient, par passager, beaucoup moins cher qu’un vol régulier.

Même le « satisfait ou remboursé » n’est qu’une assurance représentant 2 % du prix du forfait, répartie sur des milliers de dossiers. Un Tunisien qui réserve seul ne peut accéder à ces économies d’échelle». 

La deuxième couche concerne les silos réglementaires ; peu de gens le savent, mais les hôtels tunisiens paient une TVA réduite de 7 % sur les forfaits vendus aux TO étrangers, contre 19 % sur les réservations locales. Ce différentiel de 12 points constitue en réalité une subvention déguisée de l’Etat pour attirer les devises.

Le coût de revient d’une chambre est donc mécaniquement plus bas pour un touriste étranger que pour un client tunisien.  Quant à la troisième couche c’est l’effet miroir des plateformes; «lorsqu’un Tunisien réserve via une plateforme ou une agence locale, l’hôtel reverse entre 15 et 25 % de commission, ce qui se répercute directement sur le prix final.

Les TO, eux, négocient en direct avec les hôteliers à travers des contrats annuels, sans intermédiaire. En basse saison, lorsque le taux d’occupation chute à 30%, les établissements augmentent les tarifs locaux pour compenser, tandis que les TO bénéficient de tarifs fixés à l’année », fait savoir Amous.

Rééquilibrer la situation

L’expert-comptable souligne que trois indicateurs sont critiques. D’abord, le revenu moyen par chambre, ventilé entre clientèle locale et étrangère : si l’écart dépasse 35 %, une alerte doit être déclenchée. Ensuite, la part de la clientèle tunisienne dans l’occupation globale : en dessous de 15 %, le modèle économique devient vulnérable. Enfin, les commissions versées aux plateformes doivent être comparées aux coûts de gestion des contrats TO, souvent bien plus avantageux à long terme.

«Prenons l’exemple d’un hôtel situé à Hammamet sud, qui a réussi à réduire l’écart tarifaire à 15 % simplement en analysant ces indicateurs. En regroupant ses chambres invendues avec des agences de voyages tunisiennes, il a pu créer des mini-forfaits plus accessibles. Comparons avec le Maroc : la législation impose aux hôtels de réserver 20 % de leurs chambres aux nationaux, au même tarif que les TO.

Résultat : le taux de fréquentation locale y est deux fois plus élevé qu’en Tunisie. En Grèce, un fonds public garantit les «early bookings» nationaux: si vous réservez six mois à l’avance, l’Etat couvre 10 % du risque d’annulation. Une mesure simple et efficace pour soutenir le tourisme intérieur», précise Amous.

D’après cet expert, plusieurs solutions immédiates peuvent être envisagées. Premièrement, il faut créer un portail national «Diaspora Travel» : les deux millions de Tunisiens vivant à l’étranger pourraient y acheter des forfaits «vol + hôtel» aux conditions TO, sur présentation d’une preuve d’origine. Cela permettrait d’atteindre un volume critique.

Deuxièmement, transformer la frustration en levier d’action : «Exigeons la transparence », propose Amous. «Demandons aux hôtels : «Quel est votre tarif TO pour cette chambre ?». La pression citoyenne peut faire évoluer les pratiques», suggère l’expert-comptable.  Troisièmement, instaurer un crédit d’impôt incitatif: «Tout hôtel proposant des offres ‘‘équitables’’ avec un écart tarifaire inférieur ou égal à 20 % bénéficierait d’une réduction de 5 points de TVA», propose-t-il par ailleurs.

Selon les estimations de Karim Amous, avec 50 hôtels pilotes, on pourrait générer 200.000 nuitées tunisiennes supplémentaires en basse saison. 

Amous rappelle qu’en comptabilité, on dit souvent : « Les chiffres sont têtus ». Ignorer le marché local, c’est courir au-devant de graves difficultés en période de crise touristique. « Savez-vous que le pouvoir d’achat cumulé des classes moyennes tunisiennes représente 3,5 milliards de dinars par an pour les loisirs ? Soit 40 % du budget des touristes étrangers! », annonce-t-il.

Il faut comprendre que justice tarifaire et rentabilité ne sont pas incompatibles, elles sont au contraire complémentaires. Pour la première fois, cette polémique se transforme en équation solvable. Les solutions existent mais elles nécessitent, comme le dit Amous, « une alliance inédite entre consommateurs avertis, hôteliers visionnaires et Etat facilitateur». Il ne reste plus qu’à transformer cette analyse en action.

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