Le débat organisé par l’ATUGE lors du Tunisia Global Forum 2025 dans le cadre du panel « Diaspora : Y a-t-il du sens à investir en Tunisie ? » a permis de dresser un panorama complet des enjeux liés à l’investissement en Tunisie. Les échanges ont révélé une réalité complexe, où les défis structurels coexistent avec des opportunités porteuses de transformation économique. Détails.
Avec près de deux millions de Tunisiens résidents à l’étranger (TRE), dont une large majorité concentrée en Europe et particulièrement en France, la diaspora représente un levier économique majeur. Sa contribution actuelle, estimée à 6,6 % du PIB national, repose essentiellement sur des transferts financiers.
Cependant, comme l’a souligné Emna Kharouf, ancienne présidente de l’ATUGE Tunisie, l’enjeu réside dans la transformation de ces flux en investissements productifs et durables. Les motivations des expatriés tunisiens sont doubles : d’un côté, les départs sont souvent dictés par des raisons économiques, avec la recherche de meilleures rémunérations; de l’autre, les retours sont fréquemment motivés par des considérations familiales ou par l’envie d’entreprendre dans le pays d’origine.
Myriam Maatoug, directrice générale de Dar Oomi, a illustré ce phénomène par son parcours personnel. Après quarante-deux ans passés en France, elle a choisi de revenir en Tunisie pour créer un établissement touristique haut de gamme à Zarzis, combinant savoir-faire international et authenticité locale. Son témoignage met en lumière l’émergence d’une nouvelle génération d’investisseurs issus de la diaspora, qui allie attachement culturel et rigueur économique. Elle estime que de plus en plus de Tunisiens expatriés envisagent un retour, porteurs de projets innovants et désireux de contribuer au développement de leur pays.
Les secteurs porteurs : entre tradition et innovation
L’analyse des secteurs économiques révèle plusieurs niches à fort potentiel. L’agriculture, bien que traditionnelle, reste un domaine clé pour de nombreux investisseurs. Notamment ceux de la diaspora, qui y voient un moyen de renouer avec leurs racines tout en participant au développement rural. Sofiene Haj Taïeb, président de LFIS Capital, a partagé son expérience dans ce domaine, soulignant l’importance de moderniser les pratiques pour améliorer la productivité et la compétitivité à l’export.
Le secteur des énergies renouvelables, et plus particulièrement le photovoltaïque, a également été identifié comme un axe stratégique. La Tunisie bénéficie d’un ensoleillement parmi les plus élevés au monde. Ce qui en fait un terrain propice aux investissements dans les énergies vertes. Sofiene Haj Taïeb a expliqué comment son fonds avait collaboré avec des partenaires norvégiens et locaux pour développer des centrales solaires destinées aux entreprises tunisiennes. Réduisant ainsi leur dépendance aux énergies fossiles et leur coût énergétique.
Enfin, la technologie et l’innovation occupent une place croissante dans le paysage économique tunisien. Walid Sultan Midani, fondateur de Bravvo, a partagé son parcours entrepreneurial, passant du gaming à la gamification de la formation professionnelle. Il a souligné l’avantage du marché tunisien comme terrain de validation pour des solutions innovantes. Tout en reconnaissant les défis liés au scaling et à l’accès aux financements en devises.
Le rôle des institutions : faciliter, financer et accompagner
Les interventions des représentants institutionnels ont permis de mieux comprendre les mécanismes mis en place pour soutenir l’investissement. Jean-Luc Revereault, représentant de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), a insisté sur l’importance des infrastructures de base, telles que l’électricité, l’eau et le numérique, pour créer un environnement propice aux affaires. Il a également évoqué les programmes de financement destinés aux PME, ainsi que l’accompagnement technique pour les aider à exporter vers l’Europe.
De son côté, Namia Ayadi, présidente de la Tunisia Investment Authority (TIA), a détaillé les mesures prises pour simplifier les procédures d’investissement. La TIA, conçue comme un guichet unique, offre un accompagnement personnalisé aux investisseurs, depuis la recherche de foncier jusqu’à l’obtention des autorisations nécessaires. Elle a également mis en avant les incitations destinées aux projets d’intérêt national, définis comme ceux créant plus de 200 emplois qualifiés ou nécessitant un investissement minimal de 50 millions de dinars. Elle précise que 70 % des investissements déclarés proviennent de Tunisiens. Ce qui témoigne d’une confiance persistante dans le potentiel du pays.
Les défis persistants : bureaucratie, change et compétitivité
Malgré ces avancées, les participants ont unanimement reconnu l’existence d’obstacles majeurs. La bureaucratie, bien que moins pesante qu’auparavant, reste un frein pour de nombreux entrepreneurs. En effet, les procédures administratives complexes et la lenteur des décisions peuvent décourager les investisseurs, notamment étrangers.
En outre, la réglementation des changes constitue un autre point noir. Ainsi, les restrictions sur les transferts de devises compliquent la gestion des entreprises tournées vers l’exportation ou nécessitant des importations de matières premières. Plusieurs intervenants ont d’ailleurs appelé à une libéralisation progressive de ce cadre, afin de faciliter les transactions internationales.
Enfin, la question de la compétitivité a été abordée. Si la Tunisie dispose d’une main-d’œuvre qualifiée et relativement compétitive en termes de coûts, la productivité reste inférieure à celle de certains pays concurrents. Les investisseurs ont donc souligné la nécessité de renforcer la formation professionnelle et d’encourager l’innovation pour améliorer la compétitivité globale de l’économie.
Un avenir à construire ensemble
Le panel a clairement démontré que l’investissement en Tunisie relève à la fois de la rationalité économique et de l’engagement personnel. Les défis sont réels, mais les opportunités le sont tout autant. Comme l’a résumé Walid Sultan Midani, « sur le papier, investir en Tunisie n’a pas toujours du sens, mais sur le terrain, avec les bonnes personnes et les bons partenariats, cela fonctionne ».
Pour transformer l’essai, plusieurs pistes ont été évoquées : simplifier davantage les procédures administratives; mobiliser plus efficacement les capitaux de la diaspora; et renforcer les secteurs innovants. La Tunisie dispose des atouts nécessaires pour attirer les investisseurs, mais elle doit continuer à améliorer son environnement des affaires pour concrétiser pleinement son potentiel.
Au-delà des chiffres et des analyses, c’est peut-être l’attachement profond des Tunisiens à leur pays, qu’ils vivent à l’étranger ou sur place, qui constitue le meilleur gage de confiance pour l’avenir. Comme l’a si bien exprimé Myriam Maatoug, « le bonheur est ici, avec toute la dureté du contexte, mais c’est ici que se trouve notre avenir ».
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