Le détroit des startups: la Tunisie entre deux continents
Par Alberto Onetti – Chairman, Mind the Bridge
La Tunisie ne viendrait pas forcément en premier lieu à l’esprit quand on pense aux puissances africaines de l’innovation. Et pourtant, ce pays du Maghreb est en train de se tailler une place de choix parmi les écosystèmes tech les plus prometteurs du continent, tout en jouant un rôle de passerelle stratégique entre l’Afrique et l’Europe.
Alors que des marchés plus matures, comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria ou le Kenya, occupent le devant de la scène, la Tunisie progresse discrètement mais sûrement. Son écosystème de startups a connu une belle croissance ces dernières années, soutenu par un réseau dense d’universités, de centres de recherche et de technopôles, ainsi que par l’engagement affirmé de l’État en faveur de l’entrepreneuriat et de la transformation numérique.
Ce virage ne date pas d’hier. Dès les années 2000, le pays a investi dans des infrastructures d’innovation, telles que des incubateurs d’entreprises ou des technopôles. En 2018, l’adoption du Startup Act marquait un tournant en instaurant des avantages fiscaux, un soutien au financement et un cadre juridique adapté aux jeunes pousses innovantes. Des dispositifs plus récents, comme le Startup Act 2.0, le plan Digital Tunisia 2025 ou encore le lancement de la Terna Innovation Zone Tunisia, en partenariat avec le cabinet international de conseil en Innovation Mind the Bridge, témoignent d’une volonté claire de bâtir une économie de l’innovation ouverte sur le monde.
Si l’on regarde les statistiques de l’écosystème actuel, les chiffres sont encourageants. La Tunisie compte aujourd’hui plus de 1 450 startups et 17 scaleups (source: Mind the Bridge, Tech ScaleupTunisia 2025 Report). À l’échelle régionale, c’est une statistique remarquable: la Tunisie se positionne devant les pays voisins, comme le Maroc ou l’Algérie, et à peu de distance de l’Égypte. Des réussites comme InstaDeep, une start-up spécialisée dans l’intelligence artificielle rachetée par BioNTech après une levée de fonds de plus de 100 millions de dollars, ou encore des pépites émergentes comme Kumulus Water, Be Wireless Solutions (BWS), Asteroidea, NextAV, ou Kamioun, montrent que l’impact mondial est bel et bien à portée de main.
Ce qui distingue la Tunisie, c’est son ambition non seulement de faire émerger des startups, mais surtout de les faire grandir. Et c’est là que le défi se pose. L’écosystème fourmille de projets early-stage et de talents, mais la dynamique se ralentit souvent au moment de l’internationalisation.
Pourtant, le pays consacre 0,4% de son PIB à l’innovation — deux fois plus que le Maroc et quatre fois plus que l’Algérie. Si cet engagement s’accompagne d’un meilleur accès aux capitaux internationaux et à des partenariats stratégiques, la Tunisie pourrait devenir le pilier de l’innovation en Afrique du Nord-Ouest, avec une vocation naturelle à faire le lien entre deux continents.
Au moment où le paysage technologique africain s’accélère, la Tunisie nous rappelle que l’efficacité ne se mesure pas uniquement à la taille. La vision, les politiques publiques et la coopération internationale sont sans doute les véritables moteurs de l’innovation.
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Alberto Onetti
Alberto Onetti est Chairman de Mind the Bridge et professeur à l’Université de l’Insubrie. Entrepreneur en série, il a fondé trois startups au cours de sa carrière, dont Funambol, l’une des cinq scaleups italiennes ayant levé le plus de capitaux. Il est reconnu comme l’un des principaux experts internationaux en open innovation et possède une solide expérience dans la conception et la gestion de projets d’innovation ouverte — venture client, venture building, intrapreneuriat, corporate venture capital — auprès de grandes entreprises multinationales. Il intervient également en tant que conseiller et formateur sur ces sujets. Onetti publie régulièrement des contributions dans plusieurs médias internationaux spécialisés.
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