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Une mère palestinienne à Gaza

Elle est là, debout au milieu des ruines. Son foulard est noir de cendres, ses bras vides. Le vent soulève un reste de rideau accroché à un pan de mur — c’était la cuisine, ou peut-être la chambre. Elle ne sait plus. Il ne reste rien pour nommer les pièces de la maison. La maison elle-même a été dissoute dans l’air, comme ses enfants.

Khémaïs Gharbi *

Autour d’elle, plus un cri, plus un appel, plus une main. Ils sont tous partis au paradis, à quelques semaines d’intervalle : ses parents, ses grands-parents, son mari, ses petits…

Un à un, emportés, étouffés, ensevelis. Et elle, seule survivante, seule témoin. Mais témoin de quoi, sinon d’un monde qui se défait sans honte ?

Et pourtant, elle ne quitte pas les lieux.

C’est encore un piège

Elle s’est hasardée une ou deux fois pour aller chercher de la nourriture, mais il y a eu trop de morts pour qu’elle puisse songer à y retourner. C’est encore un piège, se dit-elle, pour tenter de briser notre résistance.

Elle regarde les ruines, non comme on regarde un champ de guerre, mais comme on regarde une vieille photographie d’enfance. Chaque pierre retournée lui parle. Chaque fissure raconte une nuit d’hiver, un rire étouffé, un repas partagé debout faute de place.

Ce camp n’était pas une maison — mais c’était leur maison. Un entre-deux permanent entre deux bombardements.

Un foyer précaire, certes, mais tissé d’amour, d’attente, de résistance. Elle se souvient de la voix de sa mère chantant en pliant les couvertures. De la silhouette de son père traçant un carré de jardin au pied du mur pour jouer avec ses frères et sœurs. Des rires d’enfants jouant à cache-cache entre les citernes d’eau. Et même des jours de peur, où l’on s’abritait les uns contre les autres dans une pièce sans toit — ces jours-là réveillent en elle des sentiments d’amour et de solidarité.

Tout cela, oui, fait partie d’elle.

Et les ruines, aujourd’hui, ne lui sont pas étrangères : elles lui ressemblent.

C’est là que sa mémoire est enfouie. Pas dans les livres d’histoire, mais sous ces cailloux, dans ces creux où l’on a tenu, résisté, combattu les envahisseurs. C’est là, dans cette poussière que d’autres veulent encore bombarder, qu’habite son ADN, gravé à même la détresse. Pourquoi s’acharner encore sur des cailloux, sur des ruines ? se demande-t-elle. Veulent-ils venger leurs morts en tuant les nôtres trois, quatre fois de suite ?

Elle ne veut pas partir

Et maintenant, une rumeur circule : Ils n’arrêteront que si l’on quitte Gaza. Il faudra partir. Partir ? Quitter qui, quitter quoi ? Pour aller où ? Chercher de nouveaux camps ? De nouveaux cimetières ?

Mais comment quitter ce qui vous constitue ? Comment abandonner les restes de ses martyrs, les ombres de ses vivants, les traces de ses rêves effondrés ?

Elle ne veut pas partir. Pas parce qu’elle espère. Mais parce qu’elle appartient à ce monde de désolation. Elle appartient à ce lieu sans espoir, à cette terre meurtrie, à ces pierres brisées plusieurs fois par la folie des plus forts — ces cailloux qui lui parlent, qui lui disent qu’elle est chez elle, dans son pays.

Et quand elle regarde autour d’elle, c’est comme si elle s’adressait aux bourreaux du jour — ceux qui n’oseront jamais descendre de leurs bombardiers pour affronter les siens en face : «Ce que vous appelez ruines, c’est mon berceau, ma boussole, mon pays, mon histoire. C’est là que mon peuple a aimé, survécu, résisté. C’est là que mon âme demeurera.»

Son regard, désormais, n’est plus seulement celui d’une veuve, d’une mère, d’une orpheline. C’est le regard d’un peuple debout dans toute sa grandeur. Un regard qui dit non à l’effacement. Un regard qui retient tout ce que l’on voudrait détruire — par le souvenir et l’attachement.

Et voici que les cailloux sous ses pieds, souillés de sang, tachés de larmes, deviennent plus éclatants que les pierres précieuses. Car aucune richesse au monde ne renferme autant d’attachement, de fidélité aux ancêtres, d’honneur, de courage, de patriotisme — et de dignité.

Alors, après avoir fait lentement le tour des ruines de ce qui fut leur maison, elle revient sur ses pas. Elle choisit un gros caillou, parmi tant d’autres, et s’y assied, le dos droit, le regard fixe. Non pour pleurer, non pour fuir — mais pour veiller, comme on veille un sanctuaire, comme on protège une flamme fragile.

Elle ne partira pas.

Elle restera là, sentinelle muette, pour garder vivante la mémoire de sa condition de mère palestinienne.

* Ecrivain, traducteur.

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Le droit international est désormais une épée aux mains des puissants

Au cours de ce mois de juin 2025, quatre juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont été sanctionnées par les États‑Unis : gel de leurs avoirs, interdiction de voyager. Leur seul tort ? Avoir autorisé des enquêtes et ordonné des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu, pour crimes de guerre présumés — une simple application du droit international. Elles ont été punies pour avoir fait ce qu’un tribunal implanté en 2002, ratifié par 125 pays, est censé faire : juger les crimes contre l’humanité. (Ph. Les Nations unies sont de plus en plus marginalisées et impuissantes face aux diktats des puissances).

Khemais Gharbi *

À vingt ans, j’adorais le mot «droit international». Il brillait dans ma tête comme une étoile fixe, un rempart invisible contre les horreurs du passé. J’y voyais une conscience supérieure, née des cendres des guerres, une promesse faite à l’humanité tout entière : plus jamais cela. Le monde, croyais-je, s’était doté d’un langage commun, impartial, sacré. Au-dessus des intérêts, au-dessus des armes.

Mais à quatre-vingts ans, ce même mot me paraît usé, affadi, comme un drapeau qu’on hisse à moitié, ou qu’on range selon la météo.

Le droit international n’est plus cette boussole morale que je rêvais adolescent. Il est devenu l’ombre portée du pouvoir : clair quand il sert les forts, flou quand il dérange, absent quand il condamne les alliés.

À 80 ans, on n’a plus besoin de longues démonstrations. Il suffit d’observer. J’ai vu, au fil des années, ce mot prononcé avec solennité dans certains débats — jusqu’à dix-sept fois dans une seule émission évoquant l’Ukraine ou l’Iran. Et j’ai vu, dans les mêmes studios, le silence peser sur Gaza, où le droit semble avoir déserté les ruines, les enfants amputés, les files d’attente mitraillées. Une seule fois, ce mot sacré y fut murmuré. Une seule fois. Comme une gêne.

Et quand un tribunal, fût-il international, ose rappeler la règle… il est sanctionné.

Ironie récente, amère vérité

Au cours de ce mois de juin 2025, quatre juges de la Cour pénale internationale ont été sanctionnées par les États‑Unis : gel de leurs avoirs, interdiction de voyager. Leur seul tort ? Avoir autorisé des enquêtes et ordonné des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu, pour crimes de guerre présumés — une simple application du droit international. Elles ont été punies pour avoir fait ce qu’un tribunal implanté en 2002, ratifié par 125 pays, est censé faire : juger les crimes contre l’humanité.

Les juges sanctionnées par Washington — Solomy Balungi Bossa, Luz del Carmen Ibáñez Carranza, Reine Alapini‑Gansou, Beti Hohler — n’ont enfreint aucune règle, sauf celle que la puissance veut préserver. Washington a dénoncé leurs décisions comme «illégitimes» et menaçantes pour la «souveraineté» américaine et israélienne.

À qui le droit appartient-il ?

C’est là que mon regard de vieil homme se fige. Le droit international, tel qu’on le voit s’appliquer aujourd’hui, n’est ni un droit, ni vraiment international. C’est un décor. Une mise en scène. Une épée qu’on prête à certains, qu’on retire à d’autres. Une illusion de justice quand elle est commode; un silence assourdissant quand elle dérange.

À vingt ans, j’aurais crié. Aujourd’hui, j’écris. Non pas par résignation, mais par lucidité. Car ce n’est pas le droit lui-même que je renie, mais l’usage inégal qu’on en fait. Il faudrait le rendre à son peuple, à sa source, à ses victimes. Il faudrait oser le nommer quand il protège les faibles, non quand il justifie les forts.

Le droit international n’est pas perdu. Il est juste pris en otage.

Mais les mots, eux, demeurent. Et tant que des juges auront le courage de dire la vérité — même au prix de leur liberté — il restera une flamme quelque part.

Et le regard d’un vieil homme pour l’entretenir.

Ecrivain et traducteur.

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Face à la famine qui tue à Gaza, une diplomatie lâche et ronronnante

Face à la dégradation dramatique de la situation à Gaza – sur le plan humanitaire, sanitaire, sécuritaire et moral – certains pays européens, dont la France, ainsi que le secrétaire général des Nations unies, semblent s’être réfugiés dans le confort grammatical du futur simple. (Ph. A Gaza, les affamés se font tirer dessus par l’armée israélienne).

Khemais Gharbi *

Le présent de l’indicatif, pourtant temps de l’action concrète et urgente, a disparu de leur vocabulaire. Il a été remplacé par des promesses lointaines : «Nous allons reconnaître l’État de Palestine»; «Nous allons organiser une conférence»; «Nous allons œuvrer pour un cessez-le-feu»; «Nous allons améliorer l’acheminement de l’aide humanitaire.»

Cette conjugaison de l’attente est accompagnée d’un appauvrissement sémantique. Les mots qui condamnent ont été gommés. On ne «dénonce» plus. On ne «condamne» plus. On «déplore», on «regrette», on «s’inquiète», on «exprime une émotion».

Le futur simple contre la faim immédiate

Ainsi, face à une famine organisée, à des civils affamés abattus en file indienne, le langage diplomatique préfère l’élégance molle des euphémismes à la clarté courageuse des accusations.

Le ministre français Jean-Noël Barrot a déclaré récemment que la France, tout comme l’Europe, était «prête à contribuer à garantir une distribution sécurisée de la nourriture à Gaza», sans en préciser ni les modalités ni le calendrier. Il reconnaît néanmoins la gravité de la situation : des centaines de Palestiniens sont tombés, fauchés par les balles de l’armée israélienne alors qu’ils tentaient de récupérer un sac de farine. Il parle d’un «scandale» et d’une «atteinte à la dignité humaine»… sans oser nommer l’Etat génocidaire auteur de ces crimes contre l’humanité. Et là encore, aucune annonce d’action immédiate. Le mot «colère» est lâché, mais ne se transforme ni en sanction, ni en pression réelle.

Selon le ministère de la Santé de Gaza, environ 550 personnes ont été tuées et plus de 4 000 blessées lors de rassemblements autour des centres de distribution de vivres, depuis le début des opérations de la très controversée Fondation humanitaire de Gaza, un machin créé par Israël et les Etats-Unis pour servir les desseins sordides de l’armée israélienne.

De son côté, António Guterres, le secrétaire général de l’Onu, a affirmé que «chercher de la nourriture ne devrait pas équivaloir à une condamnation à mort», dénonçant – enfin – un système de distribution qui tue. Mais là encore, les Nations unies sont tenues à l’écart.

Mourir de faim ou mourir sous les balles

Depuis le 27 mai, les États-Unis et Israël ont instauré un nouveau mode de distribution de l’aide humanitaire, hors du contrôle des agences internationales. L’armée israélienne y supervise directement la foule, et tire à balles réelles sur ceux qui osent approcher.

Les Palestiniens sont ainsi acculés à un choix inhumain : mourir de faim ou mourir sous les balles.

Et pendant ce temps, l’Occident conjugue au futur. Il va faire quelque chose. Il prépare une réponse. Il s’engagera un jour. Mais Gaza, elle, saigne au présent.

* Ecrivain et traducteur.

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