Gisement de phosphate de Sra ouertane : Les enjeux
En stand bye depuis 1979, le projet d’exploitation du gisement de phosphate de Sra-ouertane, déclaré, en 1986, non rentable par un bureau d’études américain et objet en 2009 d’un appel d’offres international infructueux, est, enfin, sur le point d’être relancé sur de bonnes bases. Et pour cause.
En visite, en ce mois de juillet 2025, dans la région du Kef où est localisé le projet, le président d’une multinationale chinoise, en l’occurrence, le groupe Asie — Potash International investment ( Guangzhou ), spécialisé dans le commerce des céréales, le potasse, le transport maritime et la logistique internationale, a annoncé son intention d’investir, dans une première étape, 800 MDT pour le développement de ce gisement dont les réserves sont estimées à des milliards de tonnes.
Le groupe chinois Asie — Potash International
Se propose d’investir 800 MDT
Lors d’une réunion tenue avec les autorités régionales du Kef, le président du groupe dont le nom n’a pas été bizarrement révélé a confirmé « la volonté de son entreprise d’accélérer les démarches administratives pour obtenir les autorisations nécessaires au démarrage du projet ».
Les quelques informations fournies officiellement à l’issue de cette réunion, nous apprennent que le groupe Asie-Potash projette de produire, annuellement, dans une première phase 1 million de tonnes de phosphate et à moyen terme 8 millions de tonnes et de créer à terme 1500 emplois.
A priori, les avantages sont multiformes et certains
En principe, en réaction à cette annonce d’intention d’investissement même si elle n’est pas engageante pour l’investisseur chinois au plan juridique, nous ne pouvons que nous réjouir de cette nouvelle, et ce, pour deux raisons principales.
La première est que cet investissement chinois pour peu qu’il se concrétise va contribuer, de manière significative, au développement du gouvernorat du Kef, une région marginalisée depuis l’accès du pays à l’indépendance et où le taux de chômage est un des plus élevés du pays.
C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre d’ailleurs, du moins de notre point de vue, la joie criante manifestée au cours de cette réunion du gouverneur du Kef Walid Kbaïa. Ce dernier a promis à l’investisseur chinois toutes facilités possibles afin qu’il officialise les démarches et entame le développement du gisement dans les meilleurs délais.
La deuxième raison a trait à la qualité de cet investissement. Il sera mobilisé pour valoriser une richesse minière stratégique, celle des phosphates. Il n’est pas besoin de rappeler la persistance, à l’échelle internationale, du phosphate et ses dérivés en tant que produits stratégiques pendant de longues années, voire des décennies. Mieux, le phosphate demeure une ressource rentable. Ces trois dernières années, par l’effet des conséquences négatives de la pandémie du corona virus, de la guerre russo ukrainienne, du réchauffement climatique et d’autres fléaux, le cours mondial du phosphate a quadruplé passant de 100 dollars la tonne métrique en moyenne à 400 dollars.
Néanmoins, abstraction faite de ces éléments de satisfaction, nous ne pouvons nous interdire de relever trois principales négligences.
L’absence de communication sur cette intention d’investissement chinoise est inacceptable
La première a été, à notre avis, la fâcheuse tendance du ministère de l’industrie, des mines et de l’énergie à ne pas avoir assez communiqué sur la visite de la délégation du groupe chinois. Normalement, au regard de l’importance du projet de Sra-ouertane et de l’annonce de cette intention d’investissement chinoise, une conférence de presse aurait du être organisée pour informer l’opinion publique des détails de ce partenariat tuniso-chinois.
Il s’agit particulièrement de la nature de ce partenariat :
Est ce une concession, et si c’est le cas quelle est la durée de cette concession ?
Est-ce un investissement mixte : dans ce cas quel sera la part de la Tunisie en matière d’emplois et de bénéfices?
Est-ce que l’investisseur chinois s’est engagé à respecter la soutenabilité, voire l’acceptabilité sociale et environnementale du développement du gisement et à ne pas se préoccuper uniquement de la rentabilité économique ? A ce sujet, la future société mixte qui va exploiter le gisement Sra Ouertane doit opter, obligatoirement, pour le transport souterrain du phosphate à travers la technique du Slurry pipe-line comme c’est le cas au Maroc. L’investisseur chinois doit se soucier également, au cas il envisagerait de construire des unités de transformation du phosphate, du stockage ou de la réutilisation du phosphogypse rejeté par de telles unités.
Morale de l’histoire : il s’agit d’éviter tout simplement les graves erreurs écologiques commises dans le bassin minier de Gafsa et dans les industries chimiques de Gabes.
Autre interrogation et non des moindres: les chinois quant ils remportent un marché, ils ont l’habitude bénéficier d’autres concessions, voire d’autres marchés.
Pour le cas du gisement de Sra-ouertane, l’étude de faisabilité technico économique du projet effectuée, dans les années 80, par le bureau d’étude américain Jacobs engineering, avait prévu en accompagnement de l’exploitation du gisement d’autres projets logistiques : extension de la ligne de chemin de fer devant desservir le gisement et l’aménagement à proximité d’un ouvrage portuaire à Cap Serrat pour l’exportation du phosphate.
La question qui se pose dès lors est de savoir si ces projets d’accompagnement seront maintenus et reviendront au groupe chinois ou non.
Le phosphate ce n’est pas seulement du minerai, des engrais, de l’emploi mais aussi de l’uranium
Et pour ne rien oublier, rappelons que le vif intérêt qu’avaient porté, durant la période 2000-2010 les multinationales américaine, française, brésilienne, indiennes, britanniques, australiennes, chinoises…au gisement de Sra-ouertane, n’était pas uniquement motivé par la production de phosphate ou de la création de simples emplois mais surtout par la transformation du phosphate en acide phosphorique à partir duquel on pourrait extraire de l’uranium. L’enjeu était donc : le phosphate du gisement de Sra-ouertane contiendrait un fort potentiel d’uranium.
Dans une étude faite par le chercheur Med Dhia Hammami, on y lit notamment : « Il est vrai qu’on trouve des traces d’uranium dans tout gisement de phosphate, mais la spécificité de la mine de Sra Ouertane est que sa teneur en U3O8 : la forme primaire de l’uranium utilisé dans l’industrie nucléaire et connue sous le nom de « yellowcake ». Cette teneur est estimée à 150ppm (partie par million) ».
Comprendre : par delà le côté rébarbatif de ces formules, les quantités d’uranium contenues dans l’acide phosphorique extrait du phosphate de Sra ouertane seraient supérieures à la normale.
C’est pourquoi, les responsables tunisiens sont invités à accorder, lors de la négociation du contrat, toute l’attention requise à cette question d’uranium. L’ultime but étant d’ en tirer le meilleur des avantages. La règle étant, le phosphate ce n’est pas seulement du minerai, de l’engrais, des emplois mais c’est aussi de l’uranium.
Pour mener à bien de telles négociations, la Tunisie pourrait s’inspirer d’expertises étrangères réussies en la matière.
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