La problématique des entreprises communautaires en Tunisie
L’expérience tunisienne des entreprises communautaires, entreprises publiques conçues pour stimuler le développement local et lutter contre le chômage, notamment en milieu rural, est de plus en plus scrutée, leur efficacité et leur viabilité à long terme étant remises en question.
Khaled Hedoui
Les milieux politiques affirment que ce modèle de développement innovant nécessite une évaluation minutieuse afin d’identifier les lacunes qui ont parfois entravé les résultats escomptés, notamment face à ce que certains qualifient de «forces de régression» qui cherchent à saper cette initiative, ainsi que d’autres réformes défendues par le président Kaïs Saïed.
Les critiques imputent en grande partie la responsabilité aux responsables publics, soulignant un décalage entre la vision de Saïed et les efforts de ces derniers de la mise en œuvre des entreprises communautaires. Ils affirment que le modèle reste flou, tant sur le plan juridique qu’organisationnel, et qu’il manque d’un cadre clair et accessible aux citoyens.
Un accompagnement public
La secrétaire d’État tunisienne chargée des entreprises communautaires, Hasna Jiballah, a récemment annoncé le lancement d’une nouvelle plateforme numérique interactive baptisée Rafikni (Accompagne-moi). Intégrée à l’intranet de l’Agence nationale pour l’emploi, cette plateforme permettra de suivre et d’accompagner les entreprises communautaires, selon un communiqué du ministère.
S’exprimant à l’issue d’une formation destinée aux directeurs régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle sur les entreprises communautaires, Mme Jiballah a déclaré que la plateforme fournira un tableau de bord complet permettant de suivre en temps réel les progrès et les défis des entreprises. Cet outil permettra une prise de décision rapide pour surmonter les obstacles tout au long du cycle de vie des entreprises, de leur création légale à leur exploitation.
Elle a souligné que Rafikni permet aux agences pour l’emploi et aux centres d’initiative de mieux accompagner les entreprises communautaires, conformément aux directives du président Saïed. Cette initiative s’inscrit dans le cadre du programme plus vaste de numérisation du gouvernement visant à simplifier les procédures administratives et à améliorer les services aux citoyens, y compris aux porteurs de projets.
La formation visait à améliorer la gouvernance des entreprises communautaires aux niveaux régional et local. Jiballah a souligné que ces entreprises font partie intégrante de la vision nationale stratégique de la Tunisie : promouvoir le développement local, impliquer les citoyens dans la création de richesses et parvenir à la justice sociale grâce au capital collectif et à une large participation régionale.
Les entreprises communautaires sont considérées comme un outil efficace pour générer une nouvelle vague d’investissements participatifs favorisant l’appartenance, la responsabilité et l’autonomie. Elles devraient être des moteurs clés du progrès économique et social de la Tunisie en défendant les valeurs humaines, le travail collectif et la solidarité. Le nombre d’entreprises actives continue de croître et devrait bientôt dépasser la soixantaine.
Ces entreprises visent le développement régional, notamment dans les petites zones, en s’appuyant sur la volonté collective des communautés locales et les besoins spécifiques de leurs régions. Elles mènent des activités économiques ancrées dans les territoires où elles sont implantées.
Le militant politique Nabil Rabhi a noté que si le modèle a vu le jour dans le village de Jemna, au sud du pays, «le président Saied semble adhérer à cette vision, tandis que d’autres ministres semblent être ailleurs. Une plus large sensibilisation de toutes les parties était nécessaire avant le lancement des entreprises communautaires.»
Ecart entre l’idée et sa mise en œuvre
Il a déclaré à The Arab Weekly qu’il y avait «une certaine négligence parmi les responsables et les ministères, ainsi qu’une méconnaissance de la véritable raison d’être de ces entreprises. Le cadre juridique est également incomplet. L’erreur initiale incombe aux responsables. Il s’agit d’une stratégie d’État, et le président Saïed et la Première ministre Sarra Zaafrani Zenzeri sont les seuls à pouvoir l’évaluer correctement. Il existe un écart important entre les idées du président et leur mise en œuvre par les responsables.»
Rabhi a ajouté : «Des forces s’opposent au succès des entreprises communautaires et des autres initiatives présidentielles. Le président Saïed doit trouver des solutions, et l’expérience doit être évaluée en profondeur en raison de ces forces régressives.»
Depuis son entrée en politique, Saïed a constamment insisté sur deux objectifs principaux pour les entreprises communautaires : récupérer les fonds publics détournés et employer les jeunes chômeurs afin de stimuler l’économie.
Les experts considèrent les entreprises communautaires comme des solutions temporaires pour résorber le chômage et autonomiser les jeunes demandeurs d’emploi, tout en offrant aux entrepreneurs des opportunités de création et de gestion de projets.
L’analyste politique Mondher Thabet a commenté : «Au départ, certains soutiennent ce modèle de développement, tandis que d’autres le considèrent comme insuffisamment étudié.» «Ce modèle est suivi dans de nombreux pays et représente une forme d’économie solidaire à vocation sociale, mais son efficacité est souvent limitée», a-t-il déclaré à The Arab Weekly.
Des objectifs non atteints
Thabet a souligné que «les entreprises communautaires ne peuvent constituer la base d’un modèle de développement complet. Une évaluation est nécessaire, tout comme des conditions essentielles telles qu’une gestion financière et une coordination solides.» Il a ajouté que ce qui manque actuellement aux entreprises communautaires, c’est une supervision et un soutien adéquats, et que la nouvelle plateforme numérique contribuera à clarifier leur mode de fonctionnement.
En vertu de nouvelles lois, les entreprises communautaires, qui devraient comprendre une cinquantaine de membres, mènent leurs activités selon les principes de l’initiative collective, du développement régional et de l’intérêt social.
Elles sont constituées selon un statut type fixé par décret présidentiel, qui régit leur organisation administrative et financière ainsi que leurs méthodes de gestion.
Traduit de l’anglais.
Source : The Arab Weekly.
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