Rym Zaryat – Coats Tunisie : “Nous tisserons l’avenir de notre secteur fil par fil” Partie I
Dans un contexte mondial bouleversé par des tensions géopolitiques et conduit par des impératifs de durabilité, l’industrie textile tunisienne tente de conforter sa place en Méditerranée et ambitionne de conquérir de nouveaux marchés et séduire de nouveaux partenaires. Rym Zaryat, membre du bureau exécutif de la FTTH, livre une analyse lucide et sans langue de bois sur les transformations du marché, les attentes des donneurs d’ordre européen, et les enjeux d’un repositionnement stratégique de la Tunisie dans les chaînes de valeur mondiales.
Entretien en deux temps :
Le textile tunisien a longtemps été affecté à la proximité géographique avec l’Europe. Cette position reste-t-elle un avantage aujourd’hui ?
La proximité géographique est toujours un atout, mais elle ne suffit plus. Ce qui fait la différence aujourd’hui, c’est la réactivité, la qualité et la capacité à proposer des solutions intégrées. Le modèle « Cut-make-trim » (CMT, « Couper-Fabriquer-Tailler”), où la Tunisie n’était qu’un simple exécutant, est dépassé. Les donneurs d’ordre attendent désormais de leurs sous-traitants une capacité à gérer toute la chaîne de valeur : conception, prototypage, logistique, traçabilité… Nous devons évoluer vers des partenariats stratégiques, pas juste exécuter des commandes.
Qu’est-ce qui a changé dans les attentes des donneurs d’ordre européen ?
Plusieurs éléments. D’abord, ils veulent des délais toujours plus courts. La fast fashion a imprimé un rythme frénétique qui n’a pas disparu, même si on parle beaucoup de durabilité. Ensuite, il y a une pression très forte sur la transparence et la traçabilité. Il ne s’agit plus simplement de produire au moindre coût, mais de pouvoir prouver que chaque étape respecte les normes sociales, environnementales et sanitaires. Enfin, les marques veulent plus d’agilité : pouvoir commander de petites quantités, changer rapidement de modèles, tester des micro-collections… Cela bouleverse complètement les modèles traditionnels.
Coats Tunisie est une filiale d’un groupe mondial. Comment cela influence-t-il votre positionnement ?
C’est une chance. Coats est une entreprise avec une culture industrielle extrêmement rigoureuse, qui investit massivement dans la R&D, dans la digitalisation, et dans la durabilité. Nous sommes souvent en avance sur les normes du marché. Cela nous permet d’être un fournisseur de confiance, certifié et audité régulièrement, capable de répondre aux exigences croissantes de clients premium. Mais cela nous impose aussi une discipline : la compétitivité, chez nous, est permanente. On n’a pas droit à l’erreur.
La Tunisie est-elle toujours compétitive face aux pays d’Asie ?
Si l’on considère le seul critère du coût unitaire, bien sûr que non. Mais les choses évoluent. Avec les tensions géopolitiques, les problèmes logistiques post-Covid, et les exigences de durabilité, beaucoup de donneurs d’ordre reconsidèrent leurs choix. Le coût global d’un produit — incluant le délai, la qualité, les risques — est plus favorable à la Méditerranée qu’il y a dix ans.
La Tunisie peut tirer partie de cette reconfiguration, à condition d’investir dans les compétences, la modernisation des outils de production, et l’intégration sectorielle.
On parle beaucoup de relocalisation ou de “nearshoring”. Cela profite-t-il réellement à la Tunisie ?
Il y a un mouvement, oui, mais il est encore timide. Il faut être honnête : les décisions de relocalisation ne se prennent pas à Tunis, elles se prennent à Paris, Milan ou Düsseldorf. Ce qui peut faire pencher la balance en notre faveur, c’est notre capacité à innover, à rassurer, à être fiable.
Certains donneurs d’ordre ont décidé de revenir en Tunisie, notamment pour des raisons de traçabilité ou de neutralité carbone. Mais cela reste fragile : un décalage de qualité, un retard, ou une instabilité sociale peuvent suffire à faire fuir un client.
Justement, quels sont les principaux freins au développement du textile tunisien aujourd’hui ?
Il y en a plusieurs. Le premier, c’est la stabilité du cadre réglementaire. Nos clients détestent l’incertitude. Quand ils entendent parler de grèves, de pénurie d’eau ou de blocages administratifs, cela les fait fuir.
Ensuite, il y a la question des compétences. Nous avons un tissu de PME très dynamique, mais qui peine à trouver des profils formés aux nouveaux métiers : automatisation, digitalisation, Lean management… Enfin, il y a un vrai problème de financement.
Le secteur a besoin d’investissements lourds pour se moderniser, mais les lignes de crédit restent difficiles à mobiliser, surtout pour les petites structures.
Comment répondez-vous, chez Coats, à ces défis ?
Nous avons une stratégie claire, qui repose sur trois piliers.
- D’abord, l’excellence opérationnelle : nous investissons constamment dans nos machines, dans la formation de nos équipes, dans l’optimisation de nos processus.
- Ensuite, l’innovation : Coats développe des fils techniques, des produits intelligents, des solutions pour les textiles durables.
- Enfin, l’engagement sociétal : nous sommes très attentifs à notre empreinte environnementale et sociale. Cela fait partie de notre ADN. Et nous espérons que cet engagement sera aussi un facteur de fidélisation des clients.
La transition écologique est-elle une contrainte ou une opportunité pour le textile tunisien ?
C’est les deux. Une contrainte, parce que cela demande des investissements importants, des certifications complexes et une adaptation rapide. Mais c’est aussi une immense opportunité. Les marques européennes recherchent des partenaires capables de les accompagner dans leur transition.
Si la Tunisie arrive à se positionner comme une plateforme de production responsable, bas carbone, traçable, nous pourrons devenir un acteur-clé. Mais il ne faut pas se contenter d’un verdissement cosmétique et à la FTTH, nous ne faisons pas dans la dentelle, nous sommes décidés à être des acteurs concrets de la transition écologique.
Que faudrait-il pour accélérer cette transition au niveau national ?
Il faut une vision claire. Un vrai plan textile durable, piloté par les pouvoirs publics en concertation avec le secteur privé. Cela passe par des incitations fiscales, des facilités de financement vert, des centres de formation spécialisés, et une diplomatie économique active pour positionner la Tunisie comme un hub textile responsable.
Nous avons les atouts pour réussir. Mais cela exige une mobilisation collective et une volonté politique forte.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
Chiffres clés
- 48 heures — C’est le délai que réclament désormais certains clients pour obtenir des prototypes.
- +30% — Hausse des exigences en matière de traçabilité et de neutralité carbone sur les marchés européens.
- 3 piliers — Excellence opérationnelle, innovation, responsabilité sociétale : la stratégie de Coats Tunisie.
- 10 ans — Retour progressif de la Méditerranée dans les circuits d’approvisionnement mondiaux.
- 100% — Objectif de traçabilité des chaînes de valeur imposé par certaines marques d’ici 2030.
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