Retour sur l’Affaire TSI : Le choix d’un homme, la chute d’une institution, chronique d’un naufrage
Créé pour l’exercice des activités d’intermédiation sur le marché financier, notamment l’exécution des ordres portant sur des valeurs mobilières et la gestion de portefeuille pour le compte de tiers, l’intermédiaire en Bourse TSI s’est transformé en maillon faible d’un système de prédation financière. Au cœur du scandale : une gestion irresponsable, des manquements éthiques graves, et des complicités silencieuses à plusieurs niveaux. Retour sur une affaire où la moralité aurait dû être la première exigence.
Une origine bancaire, un potentiel trahi
La Tuniso-Séoudienne d’Investissement (TSI) est un intermédiaire en Bourse né dans le giron de l’ancienne STUSID Bank — devenue aujourd’hui TS Bank — avec la participation du groupe industriel HBA. À l’instar d’autres banques qui disposent de leur propre structure d’intermédiation, la TSI avait vocation à devenir un acteur crédible du marché financier. Mais l’histoire a pris une autre tournure.
Une nomination fatale : quand la morale est négligée
Le déclin de TSI commence avec une décision pour le moins irresponsable, première faute : la nomination d’un directeur général dont la moralité était déjà entachée et qui aurait dû être écarté d’emblée de toute fonction de responsabilité dans une institution financière. Or, cette nomination, validée par le Conseil d’Administration, a ouvert la voie à une série de pratiques frauduleuses — notamment l’usage massif d’un montage de type pyramide de Ponzi.
Une chaîne de responsabilités brisée
La TSI a progressivement cessé d’être un acteur au service du financement de l’économie pour devenir un fonds vautour, tirant profit de la détresse financière de nombreuses entreprises.
Ce dérèglement éthique n’aurait jamais dû échapper à la vigilance de ses partenaires, actionnaires et superviseurs.
Les souscripteurs : aveuglés par le gain facile
Deuxième faute majeure : celle des souscripteurs. Alléchés par des rendements défiant toute logique économique — souvent supérieurs à 10 % — ils n’ont pas vu ou n’ont pas voulu voir les signes avant-coureurs d’une arnaque. La cupidité a pris le pas sur le bon sens, dans une dynamique où la responsabilité morale des investisseurs n’est pas moindre.
Où était le conseil d’administration ?
Troisième erreur et pas des moindres : celle du Conseil d’Administration censé savoir ce qu’il en est. Le rôle des membres d’un Conseil d’Administration n’est-il pas de superviser le bon fonctionnement de la société et de mettre en place ses stratégies ? N’est-il pas responsable de la gouvernance de l’entreprise, définissant les politiques, supervisant la gestion, et veillant à la protection des intérêts des actionnaires et des autres parties prenantes ?
Ne doit-il pas être le gardien de la conformité, de la performance financière et de la création de valeur à moyen et long termes ?
D’après nos informations, il comprenait notamment un représentant du groupe HBA, un représentant de la TS Bank et le DG lui-même – celui-là même à l’origine de la fraude. En l’absence d’un véritable expert financier indépendant, le Conseil a laissé l’entreprise dériver, compromettant gravement l’éthique de la profession.
Commissaires aux comptes et CMF : inattention ou carence ?
La responsabilité des commissaires aux comptes reste, elle aussi, en suspens. S’ils n’ont théoriquement qu’une obligation de moyens et non de résultat, force est de constater que les moyens mis en œuvre n’ont pas permis de découvrir une fraude d’une telle ampleur. Il parait qu’il est même question de double comptabilité. Le commissaire aux comptes, conformément aux dispositions de l’article 270 du code de Sociétés Commerciales, a révélé toutes les infractions relevées, au procureur de la république.
La lumière sur ce volet devrait être faite par l’expertise judiciaire en cours. Le juge d’instruction a préféré attendre les résultats de cette expertise avant de déterminer les responsabilités des uns et des autres, sachant que le Conseil du Marché Financier (CMF) a ouvert une enquête sur la TSI au mois d’avril 2025, un peu tard, estiment les observateurs.
L’éthique au cœur du métier
Pouvons-nous espérer une éthique dans le milieu financier où le gain revêt une dimension presque divine ? Le scandale de la TSI met en lumière un principe fondamental trop souvent négligé : un intermédiaire en Bourse n’est pas un simple vecteur de transaction, mais un acteur éthique de la transparence et de la stabilité des marchés.
Quand la morale est absente, les dégâts deviennent systémiques. Dans cette affaire, toutes les lignes rouges ont été franchies : la moralité du dirigeant, l’intégrité des contrôles, la vigilance du conseil, et la responsabilité des souscripteurs. Il ne s’agit pas seulement d’une défaillance technique, mais d’un effondrement éthique, dont les conséquences sont aujourd’hui évaluées à plus de 250 millions de dinars envolés.
Cette affaire pose une question brûlante : Comment garantir que les intermédiaires en Bourse en Tunisie soient éthiques, compétents et rigoureusement contrôlés ? Là où la finance oublie l’éthique, c’est toute l’économie qui finit par vaciller, en sommes-nous conscients ?
Amel Belhadj Ali
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