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Tunisie | L’inflation de médecins n’est pas une solution

La déclaration récemment faite avant-hier, lundi 7 juillet 2025, par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mondher Belaïd, concernant la décision des autorités compétentes d’augmenter de 30%, à partir de la rentrée universitaire 2025/2026, le nombre de places ouvertes aux bacheliers qui souhaitent faire des études de médecine en Tunisie mérite une sérieuse attention. (Ph. Hôpital de Médenine).

Raouf Chatty *

Cette décision serait judicieuse et pertinente si notre pays manquait de médecins et si notre économie nationale était capable de répondre dignement aux attentes légitimes des centaines de médecins qui sont mis chaque année sur le marché du travail. Or la réponse est tout simplement non. Le pays risque même de connaître une inflation de médecins… au chômage. Personne, bien entendu, ne désire que ce triste sort soit réservé aux médecins ni aux diplômés des autres secteurs. 

La situation actuelle est d’autant plus pénible que les jeunes médecins qui protestent aujourd’hui pour exiger l’amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération comptent parmi les élèves qui ont brillamment réussi au baccalauréat, qui ont longuement et durement investi dans leurs études et qui ont consacré, chacun, une douzaine d’années de leur jeunesse (soit de 20 à 32 ans) aux études et au travail dans les hôpitaux publics dans des conditions extrêmement pénibles. 

Le pays ne manque pas de médecins

La Tunisie ne manque pas aujourd’hui de médecins. Elle n’en manquera pas dans l’avenir. Les quatre facultés de médecine du pays forment, depuis cinq décennies, des centaines de médecins chaque année. Nous n’avons pas besoin non plus d’en construire d’autres. 

Le fait que des établissements hospitaliers, à Tunis et dans des villes et villages de l’intérieur, manquent de personnel médical doit être imputé aux stratégies suivies dans l’affectation et la répartition de nos jeunes médecins et aux raisons qui les incitent à fuir nos hôpitaux voire même pour beaucoup, le pays lui-même. 

Nous savons que des centaines de médecins attendent aujourd’hui impatiemment d’être recrutés et ne demandent qu’à travailler dans des conditions dignes avec des salaires gratifiants. Malheureusement, la situation économique et financière du pays ne le permet pas. Le ministre de la Santé se débat très sérieusement pour améliorer la situation. Depuis son arrivée à la tête du Département, les choses commencent à bouger. Fort de sa longue expérience de professeur de médecine et de celles de ses collaborateurs, Mustapha Ferjani est présent sur tous les terrains. Cela est à mettre à son actif.

Toutefois, l’examen de la question de l’augmentation des capacités d’accueil des facultés de médecine reste épineuse et nécessite un débat national digne de ce nom dans le cadre d’une vision globale de l’avenir de la santé en Tunisie 

Nombreux parmi les jeunes médecins choisissent de quitter le pays à la recherche de perspectives meilleures, en particulier en France et en Allemagne. Beaucoup le font dans la précipitation. Nombreux ne savent pas qu’il s’agit souvent d’une décision lourde et grave qui va engager leur avenir. Souvent, il s’agit d’un ticket aller sans retour. Ils ne savent pas non plus qu’ils doivent batailler dur pour s’imposer compte tenu de l’environnement nouveau où ils vont travailler et vivre… Ils seront généralement exploités et beaucoup rémunérés que leurs confrères originaires de ces pays.  

La tentation de l’expatriation

Parmi les raisons qui incitent les médecins, jeunes et moins jeunes, à s’expatrier figurent les modestes salaires servis en Tunisie, les misérables conditions de travail dans lesquelles ils exercent leur métier, la dégradation  de leur statut social, l’insécurité, les risques auxquels ils s’exposent dans les hôpitaux  en relation avec un environnement peu propice à l’exercice de la médecine, la faiblesse de l’encadrement, la  modicité des moyens mis à disposition, la vétusté du matériel, les relations difficiles avec des patients souvent issus de classes défavorisées qui déversent toutes leurs frustrations sur les jeunes médecins, et, last but not least, l’environnement souvent tendu dans lequel ils exercent. 

N’oublions jamais que les médecins pratiquent une profession très honorable où ils font face à la précarité humaine ce qui a un fort impact sur leur psychisme 

En somme, les jeunes médecins travaillent souvent dans des conditions indignes de jeunes personnes qui ont consacré une dizaine d’années de leur vie à des études souvent difficiles et exigeantes et au travail dans des hôpitaux publics manquant de tout et où ils se sont dépensés sans compter. Il est crucial de les écouter…

Augmenter de 30% le nombre des bacheliers autorisés à faire des études de médecine c’est tout simplement se risquer de charger démesurément nos facultés de médecine, d’affaiblir les capacités d’encadrement des apprentis médecins souvent laissés à eux-mêmes, de porter un coup dur à la qualité de la formation médicale, de dévaloriser la réputation de nos médecins en Tunisie et à l’étranger. Bref, c’est courir le risque de former des médecins au rabais… et de les voir gonfler les rangs des diplômés chômeurs. À moins qu’on ait d’ores et déjà prévu des solutions pratiques et fiables pour désamorcer ces bombes à retardement. 

On n’aimerait pas voir des centaines de jeunes médecins, au terme de douze ans d’études et de résidanat dans les hôpitaux, attendre des années pour trouver du travail dans le secteur public ou pour pouvoir s’installer dans le privé, entreprise qui nécessite des fonds conséquents et dont la réussite n’est souvent pas assurée compte tenu de la concurrence effrénée dans le domaine.

Ceux qui croient que les jeunes futurs médecins pourront toujours trouver des postes dans les déserts médicaux à l’étranger ont une vision courte des choses. La France a déjà commencé à mettre la barre très haut pour l’accès de médecins étrangers à ses établissements hospitaliers. Les restrictions à l’entrée iront crescendo dans les prochaines années. Le marché allemand ne tardera pas à réagir de la même façon dans les prochaines années. Celui du Golfe également. Il viendra un jour où ces pays fermeront leurs portes aux médecins étrangers ou mettront des conditions draconiennes pour les prendre dans leurs hôpitaux. Il faut donc être attentif à l’évolution de la situation.

 L’urgence d’un débat national

J’ose espérer que toutes les parties concernées par une décision aussi importante et aux conséquences prévisibles aient été consultés à l’avance et leurs points de vue entendues. Je pense en particulier à l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites), aux professionnels de l’enseignement médical, aux doyens des facultés de médecine, au Conseil national de l’ordre des médecins, aux syndicats de médecins, à l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), aux ministères des Finances, des Affaires sociales, des Affaires étrangères…

Il faut prendre le temps nécessaire pour réfléchir à la question dans toutes ses dimensions et décider ensuite des mesures à prendre. Le credo doit être l’intérêt général et, bien entendu aussi, celui légitime des médecins car personne ne souhaite que la profession médicale en Tunisie soit dévalorisée et que la santé des citoyens soit mise à rude épreuve… Nos médecins et notre médecine, qui a toujours privilégié le mérite personnel et l’efficacité professionnelle, ne méritent pas d’être galvaudés !

* Ancien ambassadeur.

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