Karim Thlibi à La Presse : « Je redécouvre « Imagine » à chaque fois avec le public »
« Imagine », de Karim Thlibi, est un spectacle musical d’envergure qui a déjà conquis le public à travers de nombreuses représentations. Il réunit des artistes tunisiens de renom autour d’une fusion de musiques traditionnelles et symphoniques, le tout enrichi par des projections visuelles. Comme il s’apprête désormais à briller sur la scène du Festival International de Carthage, Karim Thlibi revient avec nous sur la genèse et les coulisses de ce spectacle.
La Presse—« Imagine » est présenté comme étant le premier psychodrame musical produit à l’échelle arabe. Qu’est-ce qu’un psychodrame musical selon votre approche ?
On parle de psychodrame lorsque la musique ne vise pas à transmettre un texte, mais plutôt à exprimer une situation psychologique et dramatique précise. L’œuvre s’appuie sur les voix et les instruments plutôt que sur des acteurs.
Le spectacle a été joué plusieurs fois auparavant, mais avec des modifications à chaque représentation. Pourquoi tenez-vous à apporter autant de changements ?
La nature évolue, tout comme nos états d’âme. Notre manière de ressentir et d’exprimer change également. C’est cela, un spectacle vivant, une œuvre qui se réinvente avec le temps de façon naturelle et spontanée. Moi-même, je ne m’exprime plus aujourd’hui comme je le faisais il y a deux ans. Nous suivons simplement le cours naturel des choses.
Un spectacle figé, que l’on ressort à l’identique comme un plat conservé au frigo, me paraît contraire à l’essence même de l’art et de la vie. La version qui sera présentée à Carthage a été pensée spécialement pour ce festival. Elle reste fidèle à l’esprit de la création originale tout en portant une énergie propre à ce moment précis.
Lors des festivals d’été, le public cherche souvent un divertissement simple et léger. Comment « Imagine » peut-il être intégré dans cet esprit ?
Ce spectacle peut être abordé à plusieurs niveaux. Il peut d’abord être perçu avec légèreté, comme un moment de musique de qualité à savourer. Mais il peut aussi inviter à la réflexion, voire à une forme d’immersion plus profonde. Chacun est libre de recevoir l’œuvre selon sa sensibilité et ses attentes.
C’est dans cette pluralité que se rencontrent la dimension psychologique et la portée esthétique et artistique du projet. C’est cette vision que nous souhaitons porter à Carthage, en tenant compte à la fois de la diversité du public et de la singularité du contexte.
À partir de quel âge peut-on comprendre « Imagine » ?
Il peut être vu même par des enfants. C’est un spectacle qui n’exige ni un niveau intellectuel requis ni des connaissances particulières.
Le spectacle repose sur un texte de Mohsen Ben Nefissa que vous avez développé musicalement et dramatiquement. Pourquoi avoir choisi de transposer un livre sur scène ?
C’est mon idée. Je pense que la musique tunisienne est capable de traduire un contenu littéraire, une attitude, une réflexion, un sentiment… Diverses approches sont possibles. Il y a de la matière dont la richesse dépasse la simple idée d’une chanson. Elle peut être romantique, épique. Notre musique est aussi expressive que les musiques internationales.
Dans «Imagine», la musique n’était pas purement tunisienne. Certains morceaux rappellent même le chœur de l’église. Quelle était votre intention en créant cette œuvre hybride ?
J’ai voulu intégrer des pôles extrêmes et opposés. C’est l’Occident contre l’Orient. Une sorte de tiraillement que j’ai illustré par la musique. Il y a d’un côté notre culture et de l’autre le courant occidental qui submerge notre identité et notre mémoire et cherche à nous imposer un modèle unique.
Il y a eu un grand nombre de musiciens et de choristes sur scène. Comment a été la gestion des artistes pendant la préparation du spectacle ?
Le point le plus important, c’est qu’ils soient tous conscients et convaincus des idées que porte ce projet musical. Ce n’est pas comme gérer un personnel d’une manière générale. Dans le domaine artistique, les relations ne sont ni pragmatiques ni calculées. C’est plutôt l’appartenance au projet et l’adhésion aux idées qui nous réunit.
Dans « Imagine », tout comme pour « Les chevaux et la nuit », le violon est au cœur de l’œuvre. Pourquoi offrez-vous tant d’espace à cet instrument ?
C’est parce que je suis violoniste, tout simplement. Je m’exprime à travers cette musique qui me traverse et me bouleverse, corps et âme.
Qu’est-ce que ça vous fait de revoir le spectacle à chaque nouvelle représentation ?
Je le redécouvre à chaque fois avec le public. Je le revis et j’essaie de me laisser emporter avec les compositions, tout comme les spectateurs.
Est-ce que vous avez d’autres projets en vue ? D’autres psychodrames peut-être ?
Oui. Nous commencerons à travailler sur une nouvelle création à partir du mois d’octobre prochain. Elle sera plus sophistiquée. C’est toujours selon le principe du psychodrame qui fait vivre des moments émotionnels successifs en fonction d’un plan artistique. L’objectif est de transmettre une idée, une vision et de toucher la psychologie du spectateur.
C’est au-delà d’une musique rythmique ou décorative. Une musique de pensée. Il y aura toujours ce même engagement par rapport à notre identité, à nos maux et notre vision de la société et de tout ce chaos qui nous entoure depuis l’histoire. Nous aspirons au final à rester positifs, à garder le sourire face aux atrocités de la vie. L’optimisme est le premier pas qui changera tout vers le meilleur.