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Secteur des cuirs et chaussures : Entre héritage et survie

Même en disposant d’un savoir-faire artisanal et industriel et en incarnant l’image de l’excellence, le secteur du cuir et de la chaussure en Tunisie reste aujourd’hui fragilisé par de grandes difficultés qui menacent son avenir. Avec plus de 30.000 emplois directs, plus de 2 milliards de dinars d’exportations annuelles et un tissu d’entreprises autrefois florissant, le secteur lutte pour préserver sa place face à des défis majeurs.

La Presse —«Depuis 2011, nous avons perdu plus de la moitié de nos ateliers et le nombre d’artisans a chuté de façon dramatique », a déclaré, en mars dernier, Wajdi Dhouib, artisan et membre de la Chambre nationale des artisans du cuir et de la chaussure (Cnacc), lors d’une intervention sur les ondes d’une radio privée. « Aujourd’hui, il reste moins de 200 entreprises actives, contre plus de 500 auparavant. C’est un désastre pour l’économie locale et pour nos familles», s’est-il inquiété.

Concurrence déloyale accablante

Parmi les défis, la pire des difficultés reste incontestablement la concurrence déloyale exercée par des produits importés, souvent de qualité inférieure, mais vendus à des prix bien plus bas. À ce propos, Raouia Ben Smaïl, tout juste diplômée en design, affirme: « La friperie, la contrefaçon et la contrebande ont envahi le marché tunisien, mettant à rude épreuve les fabricants locaux».

De son côté, A. Knani, gérant d’une unité de fabrication de chaussures à la médina de Tunis, témoigne : «On voit arriver chaque jour des chaussures d’occasion importées, souvent usées, qui détruisent à la fois notre marché et notre santé. Nous ne pouvons pas rivaliser sur les prix, surtout quand ces produits échappent à toute régulation ou taxation».

Ce phénomène affecte ainsi le marché intérieur, où la consommation de produits tunisiens stagne, voire régresse. Les consommateurs tunisiens sont donc tiraillés entre leur désir de soutenir la production nationale et la tentation de se tourner vers des alternatives moins coûteuses.

À ce sujet, Imed Selmi, client régulier d’un atelier artisanal dans la vieille-ville de Tunis, résume cette ambivalence : «J’achète tunisien parce que je connais la qualité du cuir et la finesse du travail, mais je regrette que les modèles soient parfois un peu dépassés et qu’ils manquent de variété. Il faudrait innover pour séduire davantage de clients, surtout les jeunes».

Une main-d’œuvre en déclin et un déficit de formation

Par ailleurs, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée est un autre obstacle majeur. La filière peine à attirer les jeunes, qui préfèrent s’orienter vers d’autres secteurs ou émigrer à l’étranger. Une formatrice du Centre Sectoriel de Formation Technique et Artisanale en Chaussure (Csftac) déplore : «Les jeunes ne veulent plus faire ce métier, ils le jugent trop dur et peu valorisant».

Ce centre, qui propose des formations en stylisme, modélisme, technique du cuir et maintenance des équipements, tente néanmoins de répondre aux besoins en compétences. Cependant, selon plusieurs acteurs, ces efforts restent insuffisants face à l’ampleur du problème. Le secteur souffre d’un manque de coordination avec les politiques publiques et d’un déficit d’incitations financières.

Face à ces défis, certains professionnels misent sur la montée en gamme, l’innovation et la promotion du «Made in Tunisia». Une directrice marketing d’une entreprise exportatrice affirme : «Il faut créer des labels tunisiens, garantir la qualité et valoriser notre savoir-faire dans l’export».

Elle souligne également l’importance de s’ouvrir à de nouveaux marchés, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, au-delà des traditionnels partenaires européens comme l’Italie, la France ou l’Allemagne. Cette diversification pourrait réduire la dépendance vis-à-vis d’un marché européen parfois instable.

Par ailleurs, des pistes d’innovation technique émergent, notamment dans le développement de bio-cuirs à partir de matières locales comme l’alfa, ainsi que dans la démarche d’écoconception pour répondre aux attentes environnementales mondiales. Ahmed, ingénieur R&D dans un laboratoire de la région, précise : «Nous explorons des cuirs végétaux et des procédés moins polluants, c’est un levier pour conquérir des segments Premium».

Renforcer la coordination entre l’administration et les professionnels 

Dans ce contexte, le Centre national du cuir et de la chaussure (Cncc), sous la tutelle du ministère de l’Industrie, joue un rôle important en matière de formation, de recherche et d’assistance technique. Néanmoins, pour de nombreux acteurs, les moyens restent limités face à l’ampleur des enjeux.

«Il faut une vraie stratégie nationale avec un soutien fort, notamment en facilitant l’accès au financement pour les PME et en renforçant le contrôle des importations », réclame Wajdi Dhouib.

En mai dernier, lors d’une réunion tenue au siège du ministère du Commerce, le ministre Samir Abid et la Fédération nationale du cuir et de la chaussure ont discuté de la constitution de sous-commissions chargées d’examiner la situation du secteur et de piloter les réformes nécessaires.

Abid a insisté sur la nécessité de renforcer la coordination entre l’administration et les professionnels pour unifier les efforts et améliorer les résultats. Il a souligné que « le secteur du cuir et de la chaussure est un moteur de croissance économique et un levier important pour le développement des exportations». Cette rencontre visait à élaborer une vision constructive en tenant compte des priorités, des moyens disponibles et des évolutions du marché.

Des consommateurs attachés mais exigeants

Malgré les difficultés, une clientèle fidèle et attachée au produit tunisien subsiste. La qualité du cuir, la robustesse des chaussures et l’authenticité du travail artisanal sont des atouts majeurs pour que les consommateurs tunisiens continuent à apprécier la production locale. Samira, une cliente régulière d’un atelier familial dans les souks de la Médina, affirme : «Acheter tunisien, c’est aussi soutenir nos artisans et notre patrimoine». Toutefois, beaucoup soulignent le besoin d’adaptation aux tendances internationales, de renouvellement des modèles et d’une communication plus dynamique.

Le secteur du cuir et de la chaussure en Tunisie est à un tournant. La menace de disparition plane, mais des solutions existent. La modernisation des outils de production, l’innovation produit, la formation adaptée, le renforcement de la réglementation, et la valorisation du «Made in Tunisia» pourraient redonner un souffle à cette filière historique.

Comme le résume Wajdi Dhouib, «nous avons le savoir-faire, le marché et le potentiel humain. Il faut juste que les autorités prennent la mesure du problème et que les professionnels s’unissent pour sauver ce qui fait partie de notre identité».

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