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La Tunisie face à la réalité des violences à l’égard des femmes et des féminicides

Sept ans après l’entrée en vigueur de la loi 58 contre les violences faites aux femmes, les chiffres demeurent alarmants. En 2022, près de 85 % des Tunisiennes déclaraient avoir subi une forme de violence. Dans ce qui suit nous allons essayer de présenter, données à l’appui, un aperçu de ce phénomène et de son évolution sous nos cieux.

Les violences faites aux femmes et aux filles n’ont ni frontières ni exceptions. Aujourd’hui encore, malgré les efforts déployés à travers le monde, aucun pays n’a réussi à éradiquer les violences basées sur le genre. Chaque 11 minutes, un féminicide est perpétré, soit 133 femmes victimes chaque jour à l’échelle mondiale.

Selon les données globales disponibles, environ 137 femmes sont tuées chaque jour dans le monde par un partenaire intime ou un membre de leur famille, selon un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC – 2018).

La Tunisie aussi n’est pas épargnée et connaît même une augmentation constante du nombre de victimes de féminicide. Le plus récent s’est produit le 5 juin dernier à Bou Salem (gouvernorat de Jendouba), où une femme d’une cinquantaine d’années a été poignardée à mort par son ex-mari avant d’être immolée. Elle quitte ce monde avec, pour dernière image, celle de l’homme qui devait partager ses rêves, devenu son bourreau.

Une réalité persistante et systémique

Ce drame porte à 14 le nombre de féminicides recensés depuis le début de l’année en cours, alerte l’association « Aswat Nissa », qui suit et documente ces meurtres à travers le pays. Une liste tragique qui ne cesse de s’allonger atteignant, jusqu’à maintenant, 109 féminicides recensés depuis janvier 2018, selon diverses sources dont un rapport du ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, (entre janvier 2018 et 30 juin 2023) et le rapport annuel sur les crimes de féminicides en Tunisie pour l’année 2024 de « Aswat Nissa » et les derniers chiffres susmentionnés.

Une tendance qui est en nette augmentation depuis 2018 et ne faiblit pas avec presque une victime toutes les trois semaines en moyenne.

De ces 26 victimes recencées, une tentative de féminicide a été relevée sans aucune nouvelle sur le sort de la victime. « Même si le nombre de féminicides n’a pas considérablement augmenté par rapport à l’année dernière, il reste stablement élevé – ce qui est en soi extrêmement inquiétant. Plus alarmant encore, ces actes ont fait d’autres victimes collatérales : quatre femmes de l’entourage proche ont également perdu la vie. Trois mères et une fille ont été tuées, non pas parce qu’elles étaient visées, mais parce qu’elles étaient présentes au moment du drame, témoins involontaires ou tentant d’intervenir pour sauver la victime principale. », déclare à La Presse Mohamed Mkaddem, chercheur en droit pénal et sciences criminelles et chargé de la recherche à « Aswat Nissaa » . Il a de même souligné l’absence de nouvelles statistiques officielles, les dernières en date étant le rapport du ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées mentionné ci-haut et auparavant une enquête nationale réalisée par l’Institut National de la Statistique (INS) fin 2022, sur la violence à l’égard des femmes.

16 gouvernorats ont été touchés par ces féminicides en 2024 contre 11 gouvernorats en 2023.  « Aswat Nissa » lie cela en premier lieu à la recrudescence de la criminalité d’une manière générale et au sentiment d’impunité présent malheureusement auprès de certains de nos concitoyens.

Ce phénomène d’impunité, Yosra Gaaloul, membre du comité directeur de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), le considère comme l’une des principales raisons contribuant à la persistance de ces crimes. Dans certains cas,  « les auteurs peuvent échapper à la justice en raison du manque d’application effective des lois, des retards dans les procédures judiciaires, notamment pendant les vacances judiciaires annuelles du 15 juillet au 15 septembre, ou parce que l’auteur (l’homme qui agresse sa femme) est libéré peu après avoir purgé sa peine, que ce soit à la demande de la famille de la victime d’abandonner les poursuites ou faute de preuve de préjudice matériel et/ou moral. Cela contribue à la persistance des violences et accroît le sentiment d’insécurité des victimes.»

64% de ces actes barabares contre des femmes ont été commis dans le Grand Tunis, avec Tunis en tête suivie de l’Ariana, Ben Arous et La Manouba. On peut remarquer que ce fléau qu’est le féminicide ne se concentre pas nécessairement dans les régions les moins développées bien au contraire. Ainsi Kairouan qui compte parmi les gouvernorats les plus pauvres n’a compté qu’un féminicide en 2024.

Concernant l’âge des victimes, les chiffres indiquent que les femmes entre 26 et 35 ans ont été les plus touchées (28%) et que le nombre des victimes qui ont plus de 35 ans dépasse celui des plus jeunes. Cependant ce phénomène du féminicide ne se limite pas à une tranche d’âge spécifique et touche des femmes de tous âges avec un important pourcentage de victimes mariées. Fathia Saïdi, docteure en sociologie, professeure à l’Université de Tunis et activiste féministe, attribue à cela à « l’inégalité de pouvoir entre les sexes et à la domination masculine dans les relations conjugales, les hommes ayant recours à la violence pour affirmer leur domination au sein de la famille…».

L’année 2024 marque une intensification de la brutalité des crimes recensés. Parmi les 26 féminicides documentés, une majorité a été commise à l’aide d’armes blanches, soulignant un usage direct et extrêmement violent de la force. 13 victimes ont été poignardées, une autre a été tuée à la hachette, une au marteau et une autre encore à l’aide d’une barre métallique.

Mais la violence ne s’arrête pas à ces armes classiques. Certaines femmes ont été tuées par des moyens tout aussi cruels, bien que moins « conventionnels » : l’une a été écrasée par une voiture, une autre électrocutée à l’aide d’un câble électrique, et une étranglée à mains nues. Pour quatre des meurtres recensés, le mode opératoire demeure non précisé dans les sources accessibles.

Quand le couple devient l’espace où les femmes sont le plus en danger

« Aswat Nissa » indique dans son rapport que les liens entre victimes et agresseurs révèlent que 36% des crimes ont été commis par les conjoints (10 cas), 2 par des ex-conjoints, 1 par un partenaire intime, 3 par les fils des victimes, 2 par des pères contre leurs filles et 4 par des beaux-fils. Dans 5 cas, les auteurs n’ont pas été identifiés. De même pour le rapport du ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées qui note que « la plupart de ces crimes ont eu lieu au domicile et que le mari est l’auteur dans 71 % des meurtres de femmes..».

Voici un aperçu estimatif du taux de féminicides conjugaux en Tunisie entre 2018 et 2024, basé, entre autres, sur les données disponibles de rapports de l’association Aswat Nissa, du ministère de la Famille et de la femme. Ces chiffres peuvent légèrement varier selon les sources, mais permettent d’illustrer la tendance préoccupante :

Ces femmes rejoignent la liste où figure Refka Charni, tuée par balles par son mari agent de la garde nationale le 10 mai 2021, Wafa Sebai immolée par son ex-mari le 29 octobre 2022, Souad, Sabrine et d’autres encore assassinées en privé par leurs conjoints ou des membres de leur famille.

Ces crimes ont ébranlé notre société et sonné l’alarme quant à la condition des femmes tunisiennes, malgré le développement de l’arsenal juridique avec la promulgation en 2017 de la loi n° 58 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Une loi pionnière qui reconnaît la diversité des violences (physiques, sexuelles, morales, économiques).

Cette loi, bien que ne retenant pas le terme féminicide qui désigne le meurtre de femmes, lui préfèrant le terme généraliste d’homicide, a incité la société civile à prendre des mesures fortes pour dénoncer les meurtres de femmes et faire pression sur l’État afin qu’il leur fournisse des mécanismes efficaces de protection.

« Il existe pourtant des auteurs, des causes et des circonstances tout à fait caractéristiques du féminicide. Dans la plupart des cas, l’auteur s’avère être le partenaire ou ex-partenaire de la victime. », nous dit Monia Kari, Professeur en droit spécial et ancienne présidente de l’Observatoire national pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Et d’ajouter : « Le féminicide n’est pas un crime banal ni un simple homicide. On ne tue pas un homme pour ce qu’il est et pour ce qu’il représente. On ne tue pas non plus les hommes de la même manière de laquelle on tue les femmes. Il est important d’examiner le féminicide comme un meurtre et un crime particulier qui mérite une attention particulière et une analyse particulière.»

Un mot pour dire un crime

En Tunisie, le terme « féminicide » reste relativement nouveau dans l’espace public. Il est principalement utilisé par des ONG et autres associations féministes qui militent pour visibiliser ces meurtres et faire pression pour une reconnaissance institutionnelle du phénomène.

En France par exemple le mot s’est frayé depuis quelques années, une place dans les articles de presse et les discours des responsables politiques. Mais avant de s’imposer dans le vocabulaire courant, il a effectué un long voyage militant des deux côtés de l’Atlantique, jusqu’à devenir le symbole d’une prise de conscience collective face aux violences faites aux femmes.

Ce mot est reconnu par les instances internationales puis intégré dans le droit dans de nombreux pays latino-américains et quelques pays européens. En tant que concept, le féminicide permet de rendre visible le genre comme schéma interprétatif des meurtres.

«Le terme féminicide qui est le meurtre de femmes et de filles en raison de leur sexe n’a pas d’équivalent dans notre langue arabe. On parle de meurtre ou assassinat de femmes  قتـل النسـاء . Le fait de tuer une femme au motif qu’elle est une femme n’est pas reconnu comme un crime spécifique pour le législateur tunisien.», note Monia Kari et de poursuivre : « On ne peut élaborer une réelle stratégie d’Etat sans une reconnaissance légale et statistique de ces meurtres sexistes.» Pour elle le débat sur la possibilité d’introduire le féminicide en droit pénal est toujours sur la table et pas qu’en Tunisie d’ailleurs. En France par exemple où le code pénal français ne contient pas encore ce terme, même si des circonstances aggravantes sont prévues, la proposition de l’intégrer a été refusée sous le principe de l’égalité des genres. Certains ne lui trouvent aucune pertinence juridique, les peines étant les mêmes que pour un homicide.  « On ne cherche pas à endurcir les peines. Notre démarche est plus symbolique et vise à sensibiliser et prévenir. », déclare dans ce sens Kari.

85 % des Tunisiennes déclaraient avoir subi au moins un acte de violence en 2022

Le féminicide étant la plus extrême des violences contre les femmes et leur inégalité, il faut cependant revenir sur les autres types et les formes de violences faites aux femmes. Les violences conjugales par exemple, souvent suivies de récidives, mènent dans les cas les plus graves au meurtre. D’autres revêtent des aspects non moins dramatiques avec des séquelles indélébiles sur les femmes qui les subissent et leur entourage, principalement leurs enfants (victimes par ricochet).

En 2022, près de 85 % des Tunisiennes déclaraient avoir subi au moins un acte de violence, notamment physique, psychologique, économique et sexuel que ce soit dans le cadre familial, professionnel ou public.

Il n’existe pas de nouvelles statistiques officielles au-delà de 2022 sur les violences à l’égard des femmes et des filles. Les derniers chiffres proviennent d’une enquête nationale réalisée par l’Institut National de la Statistique fin 2022, sur la violence à l’égard des femmes âgées de 15 à 74 ans, portant sur un échantillon de 11.610 ménages, représentatif au niveau des grandes régions (District de Tunis, Sud- Est, Sud-Ouest, Centre-Ouest, Centre-Est, Nord-Ouest et Nord-Est).

Les indicateurs liés aux signalements de violences faites aux femmes fournis par le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées via la ligne verte 1899 (lancée en 2008), et les rapports du ministère de l’Intérieur signalant le nombre de cas et d’arrestations peuvent nous donner une idée sur l’évolution de ce phénomène.

Les signalements sont restés élevés entre 50 000 et 58 000 cas par an, sans tendance significative à la baisse.

Les derniers chiffres en date publiés en 2023 par le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées, révèlent que la Ligne verte 1899 a reçu du 25 juin au 25 juillet 2023, 733 appels liés à des violences faites aux femmes. Ces appels se répartissent entre 216 appels liés à des signalements sur la violence à l’égard des femmes et 517 appels inhérents aux consultations juridiques, contre 92 appels administratifs et 16 autres appels concernent la clarification des services de la ligne.

Les 216 signalements de violences se répartissent entre 158 signalements liés à la violence verbale, 84 à la violence psychologique et morale, 156 aux violences physiques et matérielles, 39 à la violence économique et 19 signalements de violences sexuelles.

La violence conjugale représente le taux le plus élevé, avec 70% des cas de violences faites aux femmes, soit le même taux enregistré durant la période précédente, du 25 mai au 25 juin 2023

Les derniers statistiques de l’INS publiés en 2020, indiquent que les femmes des milieux urbains (59,7 %) sont plus nombreuses à déclarer des violences que celles des zones rurales (51 %). Une tendance qui ne semble pas avoir changée selon les dernières études faites par des associations et autres ONG.

Les femmes les plus vulnérables sont souvent jeunes, instruites et actives :73,7 % des jeunes femmes de 15-24 ans, 80 % des étudiantes, 70 % des femmes ayant un niveau d’instruction supérieur et 63,2 % des femmes salariées.

L’enquête INS 2022 met en évidence un modèle de violence dominé par la violence psychologique, suivi des violences sexuelles, de la cyberviolence, ensuite viennent les violences économiques et physiques.

A préciser que la collecte des données s’est faite de novembre à décembre 2022 et que ces déclarations de violences correspondent aux 12 derniers mois qui précèdent l’enquête de l’INS.

42,7% des femmes mariées ou divorcées ou veuves ont déclaré avoir au moins un acte de violence de la part de leur mari ou ex-mari.

14,4 % des actes de violence déclarés en 2022 ont été commis dans l’espace virtuel (réseaux sociaux, messageries, etc.).

Selon la sociologue Fathia Saïdi, tous les types et toutes les formes de violences existent dans notre pays. La violence conjugale est le type qui prédomine et qui est derrière la recrudescence des cas de féminicides. Elle souligne que la cyberviolence, bien qu’elle ne soit pas explicitement mentionnée dans la loi organique n°2017-58, revêt une dimension de plus en plus préoccupante en Tunisie. « Des études menées sur la cyberviolence ont démontré que ce qui se fait dans la sphère virtuelle finit par migrer vers l’espace « réel ». Cette forme est d’autant plus dangereuse que ses manifestations, entre intimidations, harcèlements, menaces, propos haineux et sexistes, renforcent les inégalités entre les deux sexes et accentuent toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, participant ainsi à la normalisation avec les violences extremes telles que les féminicides » souligne-t-elle

Ce type de violence touche particulièrement les adolescentes (15–17 ans) . 37,1 % d’entre elles ont déclaré avoir subi au moins un acte de violence électronique ou cyberviolence.

Certaines normes sociales continuent d’alimenter un climat favorable à la violence conjugale. Selon l’enquête de l’INS, 10,6 % des femmes interrogées estiment qu’un mari est parfois justifié d’user de violence physique contre sa femme, une proportion qui grimpe à 16 % en milieu rural contre 8 % en milieu urbain. Ces justifications sont souvent liées à une supposée contestation de l’autorité masculine ou à une négligence perçue du rôle traditionnel de l’épouse.

Cette acceptation partielle de la violence, enracinée dans des mentalités patriarcales, contribue à renforcer un sentiment d’impunité pour les auteurs et nourrit la persistance du phénomène. En conséquence, les femmes victimes sont non seulement exposées à la violence, mais aussi à une insécurité psychologique durable, exacerbée par l’absence de soutien réel de leur environnement social ou familial.

Avancée législative, impact limité

« La loi 58 est une loi organique, les lois organiques se situant au-dessus des lois ordinaires, mais sous les lois constitutionnelles dans la hiérarchie des normes. De plus il s’agit d’une première loi de ce genre dans le monde arabe et la 5ème au niveau mondial. », affirme la sociologue Fathia Saïdi.

Cette loi, selon elle, se fonde sur ce qu’on appelle les « 4 P » qui sont : Prévention, Protection, Poursuites et Partenariats :  » Pour ce qui est de la prévention on n’a pas encore de réelles politiques publiques dans ce sens. En terme de protection on a quand même parcouru un petit chemin avec la création des unités spécialisées dans les enquêtes sur les infractions de violences à l’égard des femmes et des enfants (mises en place à partir de 2018, en application de l’article 25 de la loi 58) dont le nombre je pense a atteint 180, mais qui malheureusement n’existent pas dans tous les postes de police et encore moins dans les zones rurales. Il y a aussi les centres d’hébergement des victimes de violences et de leurs enfants, mais qui se limitent uniquement à 13 centres qui ne sont pas présents sur tout le territoire. On espère avoir au moins un centre par gouvernorat. Il y a eu également l’instauration des instances régionales de coordination de lutte contre les violences en 2019. »

Yosra Gaaloul constate que malgré cette loi et ces différentes mesures de protection, il y a des difficultés majeures dans leur mise en œuvre effective et que la dissuasion contre les auteurs sur le terrain reste modeste. Par exemple, le Code pénal (le législateur tunisien s’appuie sur les articles du Code pénal relatifs aux accusations de meurtre) comporte des dispositions qui traitent explicitement du meurtre prémédité des femmes, et ne font pas de distinction entre le meurtre prémédité en cas de violence conjugale et de violence domestique. Il existe également des dispositions légales, comme les articles 21 et 22 du Code pénal, qui traitent de la tentative de meurtre prémédité, mais aucune disposition légale claire ne définit le meurtre prémédité des femmes dans ces cas.

Elle déplore le manque de places dans les tribunaux pour accueillir les victimes de violences, le manque de soutien médical et psychologique et la longueur des procédures judiciaires pour les victimes, qui en supportent les coûts et les frais de traitement, alors que la loi 58 impose à l’État de prendre en charge tout cela.

Pour ce qui est des unités spécialisées, elles manquent de ressources financières et humaines pour mener à bien leurs missions, elles ne sont pas toujours accessibles 24h/24 et ne sont pas pleinement fonctionnelles dans certaines régions du pays.

« De nombreuses formations ont été organisées pour les membres de ces équipes immédiatement après l’adoption de la loi », explique Monia Kari, « cependant, cet effort a progressivement diminué, et nombre d’entre eux se sont vu confier d’autres tâches sans être rémunérés, ce qui a inévitablement affecté les performances des équipes.»

De plus, les mesures de protection, qui consistent principalement à éloigner l’agresseur du domicile conjugal et à l’empêcher de harceler la victime à son domicile ou sur son lieu de travail, ne sont pas toujours mises en œuvre. En réalité, il est souvent demandé à l’agresseur de signer un engagement au poste de police de ne pas la harceler. Aucun mécanisme ne permet de vérifier le respect de cet engagement.

Pour une réelle politique publique de prévention

«La loi 58 a raté l’occasion de consacrer le féminicide, considérant l’atteinte à la vie d’une femme ou son meurtre comme une « violence physique.», regrette cette dernière. Nombreuses militantes féministes et organisations de la société civile tunisiennes œuvrent à l’inclusion de ce type de crime dans le code pénal ou à la création d’une définition distincte. En attendant elles appellent à une application complète de cette loi, à plus de sensibilisation, à l’instauration d’un protocole unique de la prise en charge des femmes violentées, à une réponse plus rapide des juges, à des études et des statiques officielles actualisées sur ce fléau des violences faites aux femmes et à une réelle politique publique de prévention.

Fragment d’une oeuvre de Hope Mokded.

Lamia Habassi El Abed, Directrice générale de l’Observatoire National pour la Lutte contre la Violence à l’Egard des Femmes (créé en vertu de la loi 58 – article 40) ) parle d’un nouveau plan d’action basé sur différents points, entre autres, la sensibilisation auprès des femmes (dont certaines et surtout dans les zones rurales, ont une faible connaissance des droits et des services disponibles pour leur protection), d’un numéro vert pour documenter les cas de récidives de quoi aider à identifier les signaux rouges pouvant mener au féminicide. Ce plan se fera, selon elle, avec le concours d’autres institutions publiques à l’instar du ministère de l’Intérieur.

Autant de vies et de familles brisées derrière les statistiques et autres chiffres avancés dans cet article. Et le constat est sans appel : la violence fondée sur le genre dans notre pays n’est pas marginale, elle est systémique. Si la loi 58 a posé les bases d’un arsenal juridique solide, elle doit aujourd’hui être suivie d’une action publique cohérente, avec des ressources, de la formation, des campagnes d’information, et un accompagnement durable des victimes.

Meysem M.

*Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une formation et aide à la production de travaux journalistiques sur la participation citoyenne avec le soutien de Media Development Center (MDC)

Célébration des 50 ans de la disparition d’Oum Kalthoum : « La Voix des femmes » de Zeid Hamdan

L’artiste a imaginé ce concert monumental autour de la langue arabe, comme un trait d’union musical entre passé et présent, fédérant des voix de femmes et d’hommes d’horizons musicaux éclectiques.

La Presse — Oum Kalthoum, surnommée : la « Quatrième Pyramide » ou « l’Astre de l’Orient », objet d’emphase et de dévotion, celle dont le vibrato déflagratoire procurait des «eargasm» à son audience et mettait à genoux les rois et les présidents, continue de chanter dans les échoppes du Caire, les taxis et le cœur de tout le monde arabe.

Elle continue de fasciner encore et ne cesse d’inspirer en agrémentant les répértoires des chanteurs arabes et même occidentaux. Ses chansons sont chantées à tous les registres, reprises en cover ou en mixtapes animant festivals et autres concerts.

Cette année marque le 50e anniversaire de la disparition de la diva qui nous a quittés le 3 février 1975 à 76 ans. Ses funérailles ont été un véritable événement national en Egypte. «Un demi-siècle s’est écoulé depuis que des millions de personnes lui ont dit adieu, mais au cours de ces cinq décennies, aucun chanteur, homme ou femme, n’a imaginé pouvoir s’approcher de sa place ou de son statut», écrit Al Araby Al Jadid le 3 février dernier.

Nombreuses sont les initiatives qui rendent hommage à l’icône éternelle Oum Kalthoum, à travers des expositions, des éditions spéciales ou encore des concerts. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le projet musical «La Voix des femmes» du Libanais Zeid Hamdan : un concert monumental dévoilé en France, le 17 avril dernier au Printemps de Bourges, et programmé le 14 juillet prochain dans le cadre de la 79e édition du Festival d’Avignon.

Figure marquante de la pop arabe, Zeid Hamdan est un musicien et producteur libanais, connu comme le « Pape de l’underground du Moyen-Orient ». En Tunisie, il compte plusieurs ami.e.s de la scène musicale et s’est produit à différentes occasions. La dernière en date étant l’édition de 2024 du festival international de Hammamet, où il était en compagnie de la chanteuse syrienne Lynn Adib (Duo « Bedouin Burger »).

Zeid Hamdan a imaginé ce concert monumental autour de la langue arabe, comme un trait d’union musical entre passé et présent, fédérant des voix de femmes et d’hommes d’horizons musicaux éclectiques, toutes et tous situés à la croisée du monde arabe et occidental.

Parmi elles : la chanteuse française Camélia Jordana, qui revient à l’arabe avec le morceau Win Rak, l’Égyptienne Maryam Saleh, figure de la scène alternative, Natacha Atlas qui fusionne jazz et musiques orientales, ou encore Souad Massi, artiste franco-algérienne aux accents folk. Le concert accueille aussi le musicien, écrivain et comédien égyptien Abdullah Miniawy, et deux rappeurs : Danyl, Franco-Algérien nourri de raï, et Rounhaa, remarqué avec Möbius en 2022.

Revisiter l’œuvre d’Oum Kalthoum, connue pour sa complainte «Enta Omri» («Tu es ma vie»), n’est pas chose facile. Cela relève même du défi, car outre son puissant vibrato, la chanteuse donnait des concerts aux allures de récitals, où une chanson pouvait durer une heure.

«C’est une femme qui répète la mélodie avec groove comme les chanteurs de blues, dans un gimmick (courte formule rythmique ou mélodique, Ndlr) et puis ils l’accrochent et ils le hurlent avec tout leur cœur», a déclaré à l’AFP Hamdan.

Pour s’approprier cet héritage, il dit avoir passé des heures à s’imprégner de ses chansons, à en décortiquer les structures : «Les mélodies sont absolument géniales. C’est là où je vois l’immensité du talent, une fois retirée cette épluchure orchestrale classique arabe avec laquelle les gens ont du mal peut-être», a-t-il souligné.

Afin de mener à bien son ambitieux projet et d’éviter toute trahison de l’œuvre, le producteur libanais s’est entouré d’un spécialiste compatriote: le joueur d’oud Oussama Abdel Fattah, grand connaisseur d’Oum Kalthoum qui participe à la création aux côtés d’un ensemble acoustique (oud, percussions, violon, qanoun). 

A l’annonce de sa création, il a fait la promesse de «ne pas tartiner de musique contemporaine» et que cela va se construire avec les chansons d’Oum Kalthoum auxquelles il a ajouté «ce petit twist contemporain».

42e édition du festival international de Bizerte du 15 juillet au 19 août 2025 : Des noms attendus et d’autres à découvrir

« Ragouj », Wael Jassar, Al-Shami, Mortadha Ftiti, Balti et la Chorale du Patrimoine Oriental du Canada parmi les soirées annoncées.

La Presse — Le Festival international de Bizerte lève le voile sur les têtes d’affiche de quatre soirées phares, en attendant de dévoiler la programmation complète de sa 42e édition qui se tiendra du 15 juillet au 19 août 2025.

Il est question de «Ragouj», le nouveau spectacle des frères Bouchnak, Abdelhamid et Hamza qui signeront leur grand retour en soirée de clôture du festival, le 19 août, sur la scène de l’amphithéâtre de plein air de Bizerte.

Le jeune chanteur tunisien Mortadha Ftiti, qui avait affiché complet lors de sa précédente participation, reviendra lui aussi pour une deuxième année consécutive.

Parmi les autres grands noms attendus, le public retrouvera le chanteur libanais Wael Jassar, dont la dernière participation au festival remonte à 2022, et découvrira pour la première fois sur la scène bizertine le jeune chanteur syrien Al-Shami.

Le directeur du festival, Lotfi Sfaxi, a, par ailleurs, annoncé sur les ondes de la radio nationale que la programmation comptera entre 18 et 19 spectacles. L’ouverture sera marquée par une création originale du festival, «Rehlet Ajyel» (Périple de générations), un hommage au patrimoine musical de la région de Bizerte, de Khemaïes Tarnane à feu Fayçal Rjiba. Dirigée par Yosri Mokdad, cette production mobilisera près de 70 artistes originaires de Mateur, Ras Jbal, Menzel Abderrahmane et d’autres villes de la région.

Le rappeur tunisien Balti figure également à l’affiche de cette 42e édition, qui comprendra quatre spectacles étrangers, dont deux dans le cadre de la coopération internationale, notamment un concert de jazz et de blues venu du Sénégal.

S’inscrivant dans le partenariat culturel entre la Tunisie et le Canada, la Chorale du Patrimoine Oriental du Canada ouvrira sa tournée estivale à Bizerte le 6 août, avant de se produire au Festival international de Monastir puis aux Nocturnes d’El Jem.

Cette année, l’identité visuelle du festival s’enrichit d’un nouveau symbole fort : un épi de blé doré face à une sirène. Entre terre et mer, mythe et mémoire, ce logo illustre l’âme même de la ville de Bizerte, nourrie par son héritage, sa créativité et son imaginaire collectif.

« Fakarouni » de Asma Ben Aissa à la galerie Selma Feriani : Quand la mémoire s’inscrit dans le fil

Les images des mains tricoteuses de sa maman qui l’ont accompagnée, une photographie familière et affective, sont derrière son intérêt pour le fil et le travail artisanal. Un fil conducteur qui la suivra en grandissant, la menant, au fil du temps, vers d’autres fils provenant de différents types de tissus (toiles de jute, lin, velours, satin…) ou de cordes, qu’elle choisira comme l’on choisit, précieusement, ses couleurs et ses pinceaux, en fonction de leur texture, consistance et nuances de couleurs.

La Presse — La galerie Selma Ben Feriani abrite du 9 juillet au 30 août une exposition personnelle de Asma Ben Aissa, intitulée «Fakarouni». L’artiste célèbre l’intimité du geste et la charge affective profondément enracinée dans des savoir-faire artisanaux, où chaque point devient un acte de mémoire et de résistance.

Dans son nouveau travail du textile, Asma s’inspire des ballades iconiques d’Oum Kalthoum. Ses œuvres tissent ensemble mémoire, chant et transmission de l’héritage. Par la broderie et le fil, elle donne une forme tangible aux récits oraux, aux savoirs intergénérationnels et aux émotions collectives. 

Ce travail, qui est à la croisée de l’artisanat et de l’expérimentation plastique, a émergé à la faveur de rencontres entre l’artiste et des artisanes tunisiennes — les Maalma, détentrices d’un savoir ancestral souvent relégué à l’invisible. Au fil de ces échanges, les mains s’activaient, les fils se nouaient et les souvenirs refaisaient surface, portés parfois par les voix d’Oum Kalthoum en arrière-plan.

«Cette chanson m’accompagne depuis les années 70 », confie l’une d’elles. De ces mots partagés, de ces silences habités, Asma Ben Aïssa tisse une œuvre à la fois intime et suspendue, où la mémoire s’inscrit dans le fil et le geste devient récit. Née en 1992 à Bizerte, Asma Ben Aissa vit et travaille à Tunis.

Artiste émergente mais déjà confirmée, elle a exposé, à différentes occasions  : en groupe, entre autres, à la galerie de la Bibliothèque nationale de Tunis, à Yosr Ben Ammar Gallery à Gammarth, à Elbirou à Sousse, à la galerie «Violon Bleu» à Sidi Bou Saïd, mais aussi en solo. Elle a pris part à des résidences à Marrakech, Londres, et Riyad. 

Sa pratique artistique s’articule autour du paysage — non seulement en tant que sujet visuel ou géographique, mais comme construction esthétique et émotionnelle. Son travail interroge les notions d’habitat, de transmission, ainsi que l’architecture des espaces intérieurs et extérieurs.

Elle explore les transformations sociales et le patrimoine local, à la croisée des environnements bâtis et de l’expérience vécue. Les images des mains tricoteuses de sa maman qui l’ont accompagnée, une photographie familière et affective, sont derrière son intérêt pour le fil et le travail artisanal.

Un fil conducteur qui la suivra en grandissant, la menant, au fil du temps, vers d’autres fils provenant de différents types de tissus (toiles de jute, lin, velours, satin…) ou de cordes, qu’elle choisira comme l’on choisit, précieusement, ses couleurs et ses pinceaux, en fonction de leur texture, consistance et nuances de couleurs.

Elle les manipulera, telle une laborieuse araignée, pour les plier, les étirer, les filer, les inciser (pour y ouvrir des fenêtres sur le monde), y retenir la lumière, les teinter parfois pour apporter sa propre chromatie, les coller, etc…

Elle dit aborder le textile avec un intérêt accordé au mouvement qui va de l’intérieur vers l’extérieur, à ces ouvertures dans le temps pour aller d’un temps subjectif vers des temps autres, pluriels, et au paysage et à sa représentation : un paysage nuancé et multiple où le langage plastique est en perpétuel mouvement.

Des plis, des fibres et des interstices de la matière tissée sans ou avec support, se révèlent à nous, comme dans une chambre noire sous l’effet d’un révélateur, ses tableaux-tissus aux jeux de nuances, de reliefs et de lumières. Asma Ben Aissa fait sien le temps, le met à son service, se soumettant des fois à ses exigences pour sculpter sa matière et le dompte des fois encore, le filant pour ne pas le laisser filer…

Un travail à découvrir!

Le film « Le Pont » de Walid Mattar remporte deux prix à Khouribga-Maroc : Une belle consécration

Une double distinction pour un film qui vient consolider la présence du cinéma tunisien sur la scène africaine et internationale, tout en affirmant Walid Mattar comme l’une des voix cinématographiques les plus marquantes du paysage arabe et africain.

Le film « Le Pont » du réalisateur tunisien Walid Mattar s’est illustré en remportant deux distinctions majeures lors de la cérémonie de clôture de la 25e édition du Festival du cinéma africain de Khouribga, au Maroc — l’un des plus anciens rendez-vous cinématographiques du continent.

Fondé en 1977 par la Fédération nationale des ciné-clubs du Maroc et le Ciné-club de Khouribga, le festival œuvre à promouvoir un cinéma engagé, populaire et ancré dans les réalités sociales africaines. 

En compétition avec 14 autres longs-métrages issus de 12 pays africains, « Le Pont » s’est vu attribuer le Prix Don Quichotte de la Fédération internationale des ciné-clubs (Ficc), saluant l’audace de son propos, la force de son langage cinématographique et l’impact visuel et émotionnel qu’il provoque chez le spectateur.

L’actrice Sarra Hannachi a été primée pour la meilleure interprétation féminine (Prix Amina Rachid), grâce à sa performance habitée d’un personnage féminin complexe, reflet des enjeux sociaux et psychologiques contemporains auxquels la jeunesse africaine est confrontée.

«Le pont» est le deuxième long métrage de fiction de Walid Mattar, un réalisateur issu de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs. Son premier film, « Chirch » (Vent du nord, 2017), salué par la critique, lui avait valu trois prix aux Journées Cinématographiques de Carthage (JCC).

Avec «Le pont», Mattar poursuit dans une veine sociale, tout en optant pour une forme plus accessible et un ton teinté de comédie dramatique. Si « Chirch » mettait en scène la solidarité ouvrière entre deux mondes séparés par la Méditerranée, « Le pont » aborde d’autres réalités tunisiennes : les disparités sociales, le culte de la réussite rapide, la consommation de drogues dures, la corruption, et même l’abattage brutal des chiens errants.

Le film suit un trio improbable : Tita, un rappeur inconnu (interprété par Saif Omrane), Foued, un ami réalisateur (Mohamed Amine Hamzaoui), et Safa, une instagrameuse sarcastique (campée par Sarra Hannachi, magnétique). Réunis autour du tournage amateur d’un clip, ils incarnent à eux trois des figures typiques de la jeunesse tunisienne urbaine. 

À court d’argent, les trois protagonistes se retrouvent sur le tournage d’un clip amateur réalisé pour Tita. Le ton est donné : tout vire rapidement à la dérision. Tita, avec son budget dérisoire, tente de marchander le cachet de Safa, une instagrameuse inflexible engagée pour apparaître dans le clip. Celle-ci arrondit ses fins de mois en animant des lives où elle vend ses bijoux sur Instagram. Foued, quant à lui, s’occupe de la réalisation et de la logistique. Tous trois incarnent avec justesse les stéréotypes de leurs milieux respectifs.

Dès la première scène, l’ambiance décalée du film s’installe, promettant un ton à la fois comique et critique. Tita rêve de tourner sur un yacht, mais finit sur une modeste barque de pêcheur. C’est en pleine mer que le récit bascule : ils découvrent un mystérieux paquet flottant sous leur embarcation… L’histoire prend alors une tournure inattendue.

Cette double distinction du film vient consolider la présence du cinéma tunisien sur la scène africaine et internationale, tout en affirmant Walid Mattar comme l’une des voix cinématographiques les plus marquantes du paysage arabe et africain. 

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