Mes Humeurs : Brendel ou la musique hors sol
La Presse — «Je suis né en Moravie (ex-Tchécoslovaquie), j’ai vécu en Autriche, je vis en Angleterre depuis 50 ans, mais je suis entièrement contre toute forme de nationalisme. Ce qui m’a façonné, c’est la musique allemande», ainsi s’exprimait Alfred Brendel, immense pianiste décédé le 17 juin à Londres, à l’âge de 94 ans.
Amateur, branché tout le temps sur une radio musicale, Fr Musique pour ne pas la citer, j’ai parcouru les éloges des spécialistes et des amateurs ; les journaux et revues spécialisés, écouté les hommages qui ont afflué de partout, individuellement et collectivement, les uns érudits ( les grands pianistes et critiques de renom), j’ai évidemment apprécié les notes anecdotiques et écouté avec admiration les interprétations du maître et les commentaires qui les accompagnaient.
Profondément habitée par son discours, nourrie par la pensée et par l’humeur, son jeu, sa carrière était traversée par des fidélités au premier desquelles Beethoven. «Il me rend heureux», disait Brendel qui avait une idée exigeante de son métier, un pianiste qui a marqué le XXe siècle.
Les critiques sont unanimes, avec lui, pensent-ils, s’éteint une certaine idée du piano : l’esthète a laissé une immense discographie et aura, par ses interprétations, influencé le monde musical pendant plus d’un demi-siècle : il fut l’un des rares à avoir gravé trois intégrales des sonates de Beethoven, en dehors de celui-ci, on compte dans ses préférences, Schubert, Liszt, ou Mozart.
Couronné par la reine Elisabeth II, Brendel était un interprète qui a servi le piano avec une très rare élégance. L’homme était curieux, il n’était pas seulement pianiste, mais un intellectuel, essayiste, poète loufoque (2 recueils), un pince-sans rire qui jouait avec un rare brio.
Le monde musical (classique) ne rend pas hommage seulement au pianiste, mais à un homme érudit, ses commentaires sur la musique sont des références ; son répertoire qui fait aussi une place à Haydn lequel est « le plus malicieux des compositeurs, un génie de la surprise et de l’ironie», disait-il.
Qu’évoque pour lui, lui qui se présentait comme autodidacte ? «Informer, distraire et éduquer, telle est la mission de l’artiste». «Actif, artiste, musicien et penseur jusqu’au bout», ajoute Philippe Cassard, critique musical et pianiste. Les grands chefs ( de Karajan à Abbado ou Harnoncourt…) avec qui il a joué lui portent un respect singulier et mentionnent souvent son érudition musicale et littéraire.
Brendel qui s’est arrêté de jouer à la fin de 2008 a laissé des traces indélébiles chez les pianistes, il était très sollicité par les jeunes, les musiciens confirmés et les critiques, tous étaient subjugués par ses connaissances, son humour et sa modestie,il a fait rayonner son art, sa pensée auprès de plusieurs générations de musiciens, il a écrit de nombreux ouvrages sur la musique, sur des œuvres en particulier, sur des compositeurs (Busoni, Haydn Mozart et évidemment Beethoven), c’est un artiste multiple, un penseur, un penseur de la musique, comme il y en a peu.