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Tribune –  24 Juin 2025, 69e Anniversaire de l’Armée Nationale:  Hommage à l’Armée nationale et gloire au soldat tunisien (3e partie)  

Le commandant des Forces de l’Onuc, le général suédois Carl Von Horn, satisfait des résultats obtenus par la Brigade tunisienne dans la province du Kassai et voulant empêcher le commandement des troupes ghanéennes qui ont été désignées pour tenir la capitale du Congo ex-belge, Léopoldville, de continuer à s’immiscer davantage dans les affaires congolo-congolaises, décida la permutation de la brigade tunisienne qui tenait la province du Kassai avec la brigade ghanéenne. De ce fait, le commandement militaire de l’Onuc de la place de Léopoldville est passé sous l’autorité effective de la Brigade tunisienne à compter du 11 novembre 1960 à 12 heures. C’est encore le Ghana qui a été la cause du premier incident sérieux que nous avons eu avec l’armée congolaise. En effet, des soldats congolais ayant voulu arrêter l’ambassadeur du Ghana — déclaré persona non grata — pour l’expulser, les soldats tunisiens qui étaient chargés de garder sa résidence, comme c’était le cas pour les autres ambassades, les en ont empêchés, ce qui provoqua le déclenchement d’une longue fusillade sur nos troupes qui, usant du droit de légitime défense, ont riposté énergiquement. C’est l’incident le plus grave et le plus sérieux auquel les Forces de l’ONUC en général et les troupes tunisiennes en particulier ont eu à faire face au cours des six premiers mois de présence dans ce pays. Cet incident eut pour résultat la mort du Colonel Nkokolo, le responsable militaire congolais de Léopoldville, et la blessure d’autres soldats congolais ainsi qu’un mort et sept blessés dans nos rangs dont le lieutenant Mahmoud Gannouni qui a été sérieusement blessé. C’est dans cette ambiance de méfiance, d’incertitude et de crainte des uns par rapport aux autres qu’en janvier 1961, notre camarade de promotion, le Lieutenant Khelifa Dimassi, officier de transmissions, voulant dépanner l’une de nos unités implantée à l’Université de Luvanium, située à 25 km de la capitale dont le poste radio était tombé en panne, s’est rendu sans chauffeur ni escorte pour la dépanner. En quittant la capitale, Léopoldville, on est, immédiatement, en pleine brousse et notre camarade tomba dans une embuscade qui serait montée par des soldats de l’Armée nationale congolaise, voulant, probablement, venger le Colonel Nkokolo. Et ainsi, le Lieutenant Dimassi a été porté disparu et nos recherches n’ont donné aucun résultat ; le commandement de l’ANC, répondant aux énergiques injonctions de l’ONUC et de la Brigade Tunisienne, nia, totalement, l’implication de ses hommes dans cette affaire.

Cette première mission des Casques bleus durera jusqu’à fin juillet 1961 quand le gouvernement tunisien, suite à la guerre de Bizerte, demanda le rapatriement de ses troupes pour faire face à cette nouvelle situation. La brigade a été, en totalité, rapatriée  le 1er août 1961.

Notre armée nationale souffla sa cinquième bougie, en continuant à faire face aux nombreuses tensions et difficultés occasionnées par les provocations, les incursions et les accrochages, le long des  frontières tuniso-algériennes, avec les harkis, les commandos et les groupes  spéciaux de l’armée française d’Algérie. Ceux-ci s’infiltraient, de temps à autre, dans le but de rechercher des renseignements sur les camps de l’ALN algérienne ou poser des mines sur les pistes frontalières. Dans tous les cas de figure, nos hommes se sont comportés avec courage, détermination et bravoure. C’est alors que nous avons été obligés de mener un autre combat, plus difficile, plus meurtrier et plus injuste, celui de la guerre de Bizerte. En effet, alors que la Tunisie souhaitait reprendre les négociations avec la France en vue de fixer la date de l’évacuation de cette base, elle a été surprise de constater le début des travaux d’extension des pistes d’atterrissage de la base de Sidi Ahmed. Cela signifie, clairement, la volonté de la France d’y rester encore pour une bonne période. C’est ce qui provoqua le 19 juillet 1961 le déclenchement de cette guerre inégale à tous points de vue. En effet, feu le général Said el Kateb, lieutenant à cette époque posté, depuis plusieurs jours et très discrètement, tout près de la clôture de la base, avec une section de mortiers 81 mm, bombarda, de nuit, les installations militaires françaises de Sidi Ahmed, lui occasionnant de sérieux dégâts et se replia, avant le lever du jour, malgré l’intervention de l’artillerie et de l’aviation ennemies. Nos unités, compte tenu des moyens disproportionnés avec ceux de l’adversaire, ont mené un combat retardateur jusqu’à la médina qu’elles ont investie et interdite à l’ennemi d’y pénétrer. Cette guerre, asymétrique, dura quatre longues, dures et pénibles journées avec de nombreuses pertes dont le commandant Mohamed Bejaoui, commandant l’artillerie, mort l’arme à la main, avec ses troupes. Cette situation durera jusqu’à ce que le Conseil de sécurité  de l’ONU ordonnât le cessez le feu le 22 juillet 1961 à 20h30. De cette guerre déséquilibrée, on peut retenir : 

– D’abord, la détermination d’un groupe de très jeunes officiers courageux appartenant, pour la plupart, à la 1ère promotion d’officiers de St Cyr, la Promotion « Bourguiba » et dont nous sommes très fiers, dix lieutenants au total ( Said El Kateb, Hamida Ferchichi, Noureddine Boujellebia, Bechir Ben Aissa, Salah Bouhelel, Abbes Atallah, Ammar Kheriji, Mohamed Benzerti, Abdelhamid Escheikh, Abdelhamid Lajoued), qui, bien que n’ayant pas encore assez d’expérience (5 ans de service), mais animés de cet esprit patriotique, du sens de l’honneur et du devoir, et convaincus de leurs droits, n’ont pas baissé les bras et ont relevé le défi : celui de tenir coûte que coûte la médina de Bizerte, malgré le déséquilibre des forces en présence et ont tous juré de se battre jusqu’à la mort. Avec eux, se trouvaient deux autres jeunes sous-Lieutenants de la 2e et 3e Promotion de St Cyr ( S/Lt Aziz Tej et Hedi Ouali) ainsi que quatre sous-lieutenants issus des rangs (Abderrahman Chihi, Boualem, Salem et Naji).

– Ensuite, les pertes en vies humaines, assez nombreuses dont celle du commandant Mohamed Bejaoui, brillant officier supérieur, l’un des quatre premiers officiers diplômé de l’Ecole d’Etat-Major française, et commandant de l’artillerie tunisienne, mort l’arme à la main.

– Enfin, l’anarchie indescriptible provoquée par l’intrusion de milliers de jeunes tunisiens, citoyens désarmés pour la plupart, et qui n’ont servi qu’à gêner les opérations de nos troupes.      

On épiloguera, longtemps sur les véritables raisons qui ont poussé le Président Bourguiba, lui le Grand Homme politique habitué aux grandes manœuvres politiciennes, à mettre en difficulté son armée, nouvellement créée, très peu armée et sans aucune expérience.

Beaucoup de gens ont spéculé sur la guerre de Bizerte. Mon opinion est que le Président Bourguiba, en mobilisant le peuple et surtout les jeunes, pour la récupération, au plus tôt, de Bizerte, voulait faire une démonstration de force… politique à la France pour la convaincre d’évacuer la base.    

Une fois le problème de la guerre de Bizerte réglé, l’ONU, satisfaite du rendement du premier contingent tunisien, demanda à notre pays l’envoi d’un deuxième contingent au Congo. Celui-ci, arrivé, en totalité, à Léopoldville, le 4 janvier 1962, a été affecté à la province du Katanga, province qui fit sécession sous la présidence de Moïse Tshombe. Au Katanga, nous avons été chargés de la protection et du soutien du camp de près de quatre- vingt mille réfugiés Balubakat (les Balubas du Katanga, une tribu hostile à Tshombe et que l’ONU a prise sous sa protection) et qui a été installée dans ce qui fut l’un des plus beaux parcs d’Afrique. Nous avons participé, avec les autres contingents dont le plus important, celui des Indiens, les Gurkhas, des guerriers redoutables qui se déplacent toujours avec leurs trophées, et celui des Ethiopiens, à la déroute de la gendarmerie katangaise, appellation donnée à l’armée du Katanga, qui, durant deux mois et depuis octobre 1962, harcelait tous les soirs les contingents de l’ONU par des tirs de mortiers imprécis et qui provoquèrent, avec l’autorisation de New York, la riposte onusienne le 28 décembre 1962. La gendarmerie katangaise, décrochant au fur et à mesure que les Casques bleus avançaient, s’est en fin de compte évaporée, sans combattre sérieusement et sans avoir opposé une résistance digne d’être signalée. C’est ainsi que prit fin le régime de Moïse Tshombe et le Katanga redevint une province congolaise.

La mission du contingent tunisien deviendra plus importante, plus grave, très délicate et plus accentuée après le mois de décembre 1962 et jusqu’à notre retour définitif en Tunisie en mars 1963, lors de l’effondrement du régime de Tshombe. Obligés de suppléer l’autorité qui s’est évaporée, et étant le seul contingent parlant français, nous avons assumé les tâches auparavant imparties à la police et il fallait:

1- assurer la sécurité de toute la population dans cette ville de plus de deux cent mille habitants à cette époque;

2- sauvegarder les personnes et les biens ;

3- éviter les pillages et les règlements de comptes dans une période d’incertitude, d’anarchie et d’absence totale de l’autorité légale ;

4- et surtout protéger les minorités de tout acte de vengeance.

Cette mission, loin d’être aisée pour des militaires habitués aux exercices de combat et aux manœuvres, a été remarquablement remplie par nos hommes qui ont mérité, à la fin de notre séjour, les félicitations, les remerciements de l’ONUC, ainsi que la reconnaissance de la population congolaise (katangaise) et celle de tous les Européens qui étaient fort nombreux à Elisabethville. Le rapatriement de notre contingent eut lieu en mars 1963.

Quels enseignements tirer alors  de cette première mission de maintien de la  paix réussie par cette très jeune Armée tunisienne au Congo et au Katanga sous l’égide  de l’ONU ?

D’abord, ce témoignage de reconnaissance du rédacteur en chef du quotidien L’Echo du Katanga qui s’est fait le porte- parole de tous les habitants d’Elisabethville, sans distinction de race, d’origine ou de couleur, qui a écrit, le 26 février 1963, dans un flash en première page :

« Le bataillon tunisien nous quitte : hier soir, le colonel Remiza, commandant le bataillon tunisien, recevait le tout E’ville, à l’occasion du prochain départ. Les E’villois, de toutes les factions (jadis opposées) étaient présents. Tous regrettent le départ des Tunisiens. Ils ont accompli ces derniers temps un travail de police très efficace et qui a été l’un des éléments de base du rétablissement rapide des conditions normales de vie dans notre ville. C’est de tout cœur que nous leur disons: au revoir et bon voyage. Si jamais un bataillon tunisien devait revenir au Congo, nous souhaitons qu’encore une fois il soit commandé par un homme de la trempe du Colonel Remiza ».

Ce vibrant témoignage du journaliste congolais relatif au succès de la mission tunisienne au Congo et au Katanga était, pour nous tous, la meilleure reconnaissance pour le travail accompli  car on ne doit jamais oublier que servir la paix est pour un soldat plus difficile, à certains égards, que de faire la guerre. En plus des qualités militaires normales, cela demande, non seulement une fermeté inébranlable mais aussi du courage, de l’expérience, une patience infinie, de la réserve et de la tolérance.

Cependant, les relations de notre pays avec notre voisin du sud-est n’ont toujours pas été brillantes et se sont dégradées davantage après l’échec du projet d’Union signée à Djerba en 1973-74. Kadhafi, le président de la Jamahiria,  a même tenté, en 1978, d’encourager une rébellion en essayant de lui fournir une grande quantité d’armes et de munitions capables d’équiper près de deux cents hommes qu’il a fait introduire, secrètement, et déposée, en territoire tunisien, entre Lorzot et Bir Zaar, à près de 70 km au sud de Remada et qui a été découverte par une patrouille méhariste, deux ou trois jours plus tard, les restes de pastèques encore assez frais le confirmant. Cet armement devait être récupéré par d’autres convoyeurs en vue de le remettre à ses acolytes à Gafsa où la révolte devait avoir lieu en 1978. C’est la raison pour laquelle la tentative d’insurrection  qui eut lieu à Gafsa en janvier 1980 a été, rapidement, matée et que l’Armée nationale et les services de sécurité tunisiens ont été à la hauteur de leurs responsabilités et ont mis en échec flagrant cette tentative. C’est la raison pour laquelle six nouveaux postes frontaliers sahariens ont été, aussitôt, créés et mis en place, en février 1980, deux semaines après l’affaire de Gafsa, dans un secteur frontalier allant de Benguerdane, au nord, jusqu’à Dhibat, au sud  et qui, quoique très dense par sa population, et carrossable pour tout type de véhicules et d’engins, n’en était pas pourvu et disposait seulement de quelques postes de la Garde nationale aux moyens très limités. 

Ces souvenirs, vieux déjà de près de soixante cinq ans, sont ressentis par tous ceux qui les ont vécus comme datant d’hier. Une pieuse pensée à tous nos martyrs et en particulier au premier de la Promotion, notre camarade le Lt Khelifa Dimassi.   

Aussi, et grâce à la formation, à l’expérience et aux connaissances acquises par les premières promotions d’officiers et dans le but de nous rassurer quant à  notre autonomie en matière de formation et d’éviter toute dépendance vis-à-vis de l’étranger, nous avons créé toutes les institutions, centres et écoles de formation nécessaires au développement de notre armée dont essentiellement l’Ecole des sous-officiers, l’Académie militaire, les Cours spécialisés d’armes, l’Ecole d’Etat-Major, l’Ecole supérieure de guerre et l’Institut de défense nationale.        

De même, c’est avec une immense fierté que nous constatons aujourd’hui que le Soldat tunisien a été, depuis cette  épopée et tout le long des soixante, cinq dernières années, présent aux quatre coins du globe dans des missions onusiennes de maintien de la paix : au Congo ex-belge, au Sahara ex-espagnol, au Cambodge, en Somalie, au Rwanda, aux Iles Comores et ailleurs. Nos braves et vaillants soldats, malgré toutes les difficultés dues à l’environnement hostile et des sacrifices consentis, ont été admirables de sérieux, d’honnêteté et de compétence. Ils ont hissé haut les couleurs nationales, à la satisfaction de l’ONU et surtout des populations protégées.

C’est la raison pour laquelle nous, leurs anciens, en leur rendant l’hommage qu’ils méritent, nous leur faisons part de notre admiration et de notre fierté pour leurs réalisations partout dans le monde, et de nos encouragements pour qu’ils perpétuent les grandes qualités du soldat tunisien en ayant toujours présent à l’esprit la devise qui nous anime tous « Dévouement à la Patrie et fidélité à la République ».   

L’enseignement qui serait à tirer donc, s’il n’y avait qu’un seul à tirer, serait que l’Armée tunisienne a misé, dès le départ, sur le capital humain, a parié sur ses soldats, techniquement bien formés, mais aussi imbus de valeurs de patriotisme, de désintéressement et de sacrifices. Ces mêmes valeurs, enracinées dans nos écoles de formation des cadres, continuent en effet jusqu’à ce jour à motiver les générations qui se suivent. C’est au commandement de veiller à les perpétuer et les renforcer par un minimum de moyens matériels nécessaires à l’accomplissement des missions qui leur sont dévolues. Naturellement, de la considération et de la reconnaissance de la part de la communauté nationale aux soldats de l’ombre, aux soldats de la Grande Muette, leur donneront encore plus de force et de détermination, surtout quand les moyens s’avèrent modestes.      

J’ai profité du 69e anniversaire de l’Armée nationale pour présenter à nos concitoyens et essentiellement à notre élite les réalisations de la génération de l’indépendance durant la première décennie. Cette élite qui, depuis l’indépendance, n’a pas donné au service national l’importance qu’il mérite et considérant qu’il ne la concerne guère, a, malheureusement, négligé ce devoir constitutionnel, oubliant que la défense du pays mérite qu’on s’y prépare sérieusement et d’avance. Bien que les moyens de notre pays soient plus que limités lors de l’indépendance et que notre solidarité avec l’Algérie combattante soit indiscutable même si elle nous a privés de l’assistance et de l’aide de certains pays occidentaux, notre génération a réalisé de grandes et belles choses : elle a mis sur pieds les composantes d’un Etat moderne, s’est occupé à améliorer les conditions sociales du peuple tunisien qui, en plus des malheureuses conséquences de la Seconde Guerre mondiale, cette guerre qui traversa, treize ans plus tôt, notre pays, du sud au nord en y laissant de sérieux traces et dommages, avait connu la faim, la pauvreté, la misère, les diverses épidémies dont le typhus et l’analphabétisme qui touchait la majorité des adultes.

Bien que la comparaison entre la première décennie de l’indépendance et la première décennie post-révolution ne puisse être assez objective étant donné la différence entre les deux époques et le niveau intellectuel et matériel des citoyens de chacune d’elles, et les résultats obtenus dans tous les domaines, je laisse le soin au citoyen de méditer sur ces deux périodes et de tirer lui-même ses propres enseignements ou conclusions.

A priori, le premier constat qui peut être fait est la différence au niveau du comportement, de la discipline, du sérieux, du civisme, du patriotisme et des valeurs morales entre les deux générations. Le deuxième constat est l’existence, lors de l’indépendance, d’un leader charismatique qui brilla et s’imposa par sa longue lutte contre le colonialisme, par ses nombreuses années de prison, de déportation et d’exil, et surtout par ses vues avisées, subtiles et ingénieuses. Il a su avoir la meilleure pédagogie pour convaincre la majorité du peuple pour le suivre et l’appuyer, les évènements lui ayant donné raison. Par contre, et suite à la révolution, le nombre de chefs politiques autoproclamés a, au début, dépassé l’entendement et nous avons cru que cela allait empêcher, assurément, et au désespoir de tout le peuple, l’aboutissement à un programme sérieux et réaliste de développement économique et social. Mais ce ne fut, heureusement, pas le cas. Le troisième constat, dix ans après l’indépendance, a été l’union sacrée de tout un peuple derrière ses dirigeants alors que la révolution qui permit l’éclosion de très nombreux partis politiques et qui ne sont intéressés que par le pouvoir, encouragea les ambitions des uns et les prétentions des autres au détriment du réalisme alors que le patriotisme observé chez le concitoyen post révolution est juste à fleur de peau, pour ne pas dire utopique .

Je voudrais, avant de clore cet article, à l’occasion du 69e anniversaire de la création de l’Armée nationale, le 24 juin 1956, rendre le plus vibrant des hommages à notre premier Chef Suprême des Forces Armées, le Président Bourguiba qui, compte tenu des priorités qu’il avait, durant les deux premières décennies de l’indépendance, était assez avare quant à l’acquisition d’armes sophistiquées et dissuasives, assez coûteuses par ailleurs, mais était très généreux quand il s’agissait de la formation de ses officiers. C’est ainsi qu’il a permis aux officiers des premières promotions de fréquenter toutes les écoles militaires supérieures du monde occidental ainsi que les écoles techniques spécialisées. C’est pour cette raison que, grâce à cette formation de très haut niveau et à la fréquentation de stagiaires venus des quatre coins du globe, que nos cadres officiers ont été imbus de cet esprit républicain, de fidélité et de dévouement à la Patrie qui sont les clés de la répartition des tâches dans les sociétés évoluées et démocratiques. C’est pourquoi nos cadres officiers sont convaincus de la mission et du rôle de chacune des composantes de la société.

Et c’est bien cela la spécificité de l’Armée nationale tunisienne dont nous sommes très fiers.

Que  Dieu veille et protège la Tunisie éternelle, l’héritière de Carthage et de Kairouan.                  

(*) Ancien sous-chef d’état-major de l’Armée de terre, ancien commandant de la Brigade saharienne, ancien gouverneur.

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

Tribune – 24 Juin 2025, 69e Anniversaire de l’Armée Nationale : Hommage à l’Armée nationale et gloire au soldat tunisien (2e partie)

Nous, les  officiers, appartenant à la 1ère promotion d’officiers de la Tunisie indépendante, la promotion Bourguiba, de retour au pays, début 1958, après avoir terminé notre formation à l’Ecole spéciale militaire inter-armes de  St Cyr Coëtquidan (France), avons été affectés aux unités implantées à la frontière tuniso-algérienne, alors que la guerre d’indépendance de l’Algérie battait son plein depuis 1954, avons eu l’opportunité et le plaisir de commander des soldats du contingent de la classe 58/1 qui, à trois ou quatre ans près, avaient le même âge que nous.

Une grande complicité était née avec ces jeunes soldats et indépendamment du grand respect qu’ils nous portaient, ils étaient très proches de nous et pendant les moments de repos, il nous arrivait de jouer ensemble au foot, et nous prenions ensemble et régulièrement le même repas, ce qui nous rapprochait les uns des autres, et cela était excellent pour le moral et pour le bon accomplissement de la mission. 

J’ai eu la chance de faire partie du groupe d’officiers, composé de sept officiers d’infanterie et d’un officier du génie qui a été désigné pour servir au valeureux 2e bataillon dont le poste de commandement était situé à Aïn Draham  et dirigé par le Commandant Lasmar Bouzaiane et qui couvrait les gouvernorats de Souk Larbaa devenue Jendouba, et du Kef, avec des compagnies implantées à Aïn Draham, à Ghardimaou, à Souk Larbaa (Jendouba), au Kef, à Sakiet Sidi Youssef, à Boujabeur (une mine de plomb désaffectée située à un km de la frontière et à six Km de Kalaat Senane), et un remarquable centre d’instruction à Tabarka.

Celui-ci occupe une très belle caserne qui surplombe la ville et sa plage. Je me souviens que notre Commandant de Bataillon, le Commandant Lasmar Bouzaiane, chef remarquable et très proche de ses hommes, devenu célèbre auprès de l’ONU suite à sa brillante réussite lorsqu’il a commandé une Brigade de Casques Bleus tunisiens au Congo (au Kassai et à Léopoldville) en 1960-61, a, dès notre arrivée au corps, eu l’intelligence et la pédagogie nécessaires pour nous détacher, durant trois mois, au Centre d’Instruction de Tabarka, pour nous permettre, comme il l’avait dit lui-même, de nous familiariser avec le commandement en arabe d’une part et d’autre part avec les cadres sous-officiers que nous côtoyons pour la première fois de notre carrière.

Son idée, ingénieuse, a été très intéressante puisqu’elle nous facilita, énormément la tâche. Je n’oublierai jamais que dans ce centre d’instruction et pour pallier le manque d’armement adéquat, dans les exercices de combat, le tir du fusil mitrailleur ou de la mitrailleuse était remplacé par le sifflet d’arbitre qui, en ronronnant, faisait un bruit représentant le tir des mitrailleuses ! 

Quant à nos amis de l’ALN, l’Armée de libération nationale algérienne, le fait d’être en Tunisie, leur permettait de bénéficier des conditions très favorables pour qu’ils se consacrent entièrement à leur mission sacrée. L’armement, les munitions et tous genres d’équipements militaires commençaient à leur parvenir de l’extrême sud tunisien grâce aux moyens de transport militaires tunisiens du fait de la présence, encore, de certaines troupes françaises dans plusieurs villes tunisiennes (Bizerte, Tunis, Sousse, Sfax, Gabès, Tataouine, Remada, etc.).

Cependant, jamais, ni le gouvernement tunisien, ni les autorités régionales, ni l’Armée ne se sont impliqués dans leurs affaires qu’ils avaient la liberté absolue de mener à leur guise. D’autre part, leurs effectifs augmentaient d’année en année, leur organisation et leur formation s’amélioraient progressivement et à un certain moment, l’ALN, en Tunisie, qui ressemblait à une armée régulière par sa formation, son organisation et surtout par sa discipline, est arrivée à un effectif de près de 25.000 combattants.

Ceci est dû au résultat de l’excellent travail réalisé par feu le Colonel Haouari Boumediene (le futur 2e président de la République algérienne) qui a été désigné, en 1959, chef d’état-major de l’Armée des frontières et qui a eu le courage d’utiliser la douzaine d’officiers algériens (de brillants capitaines pour la plupart) qui ont déserté l’armée française, depuis la France et l’Allemagne mais qui ont été mis à l’écart durant une bonne période.

L’implantation de l’ALN dans les gouvernorats de Jendouba, du Kef et de Kasserine, s’étendant de la région de Tabarka jusqu’au Djebel Chaambi inclus, était conditionnée par le terrain. D’ailleurs, les dizaines de grottes découvertes au Djebel Chaambi, ces dernières années, sont l’œuvre de nos frères algériens pour se protéger du froid et du soleil, en hiver comme en été. La trentaine de positions qu’ils occupaient, du nord au sud, et avec poste de commandement de l’Armée  des frontières à Ghardimaou, étaient comme suit : 

A- Gouvernorat de Jendouba : 1er sous-secteur : région de Tabarka, PC à El Mankoura avec les unités implantées comme suit :

1-El Mankoura, 2-Ain Tacha, 3-Gomd Ezzen, 4-Oued Frour,

2e sous-secteur : région d’Ain Draham, PC à Djebel Dinar avec les Unités implantées comme suit:

5- Djebel Dinar, 6-Djebel Dhelma, 7- Djebel Adissa, 8- Ain Sarouia, 9- Oued Bou Adila,

3e Sous-Secteur : région de Ghardimaou, PC à Ghardimaou avec les unités implantées comme suit: 

10- Ghardimaou, (P.C. de l’état-major de l’Armée des frontières), 11- El Ghorra, 12- El Oummajen, 13- Ain Soltane ( c’était la base du Bataillon dont le chef était le Commandant Chedli Ben Jedid, le futur Président de la République), 14- El Faija, 15- Kalaat el Frass, 16- Les quatre Chemins, 17-Kef el Brel, 18- Chemtou (centre de santé et hôpital de campagne au site archéologique de Chemtou),

B – Gouvernorat du Kef :

19- Bases logistiques au Kef et à Tajerouine,

20- Ecole des cadres à la ferme Beni à 15 Km du Kef et centre d’instruction à Mellègue, et des unités implantées comme suit :

– région de Touiref : 21-Djebel Soudane et Ain Zana,

– région de Sakiet Sidi Youssef : 22-mine de Sakiet, 23- Djebel Koucha (nord est d’Ain Karma),

– région de Tajerouine : 24-Garn Halfaya, 25-Jebel Sidi Ahmed,

– région de Kalaat Essnam : 26-Ain Anègue,

C– Gouvernorat de Kasserine : 

27- Jebel Chaambi, 28- région de Rmila (secteur de Feriana).

La Tunisie, compte tenu de ses positions solidaires avec l’Algérie combattante, et consciente de  l’avenir commun du Maghreb, s’attendait aux réactions violentes de l’armée française d’Algérie, du fait de l’aide qu’elle apportait à l’ALN. En effet, les incursions des troupes françaises ont été fort nombreuses et parfois d’une intensité et d’une violence inimaginables et je citerai, entre autres : 

Le 22 octobre 1956, des troupes françaises ont franchi la frontière tunisienne, ont tenté d’occuper, sans y parvenir,  le poste de police de Ben Gardane pour s’emparer des documents et des dossiers qui s’y trouvaient.  

Le même jour, le 22 octobre 1956, l’armée française d’Algérie s’empara, en plein vol, de l’avion qui transportait du Maroc une délégation algérienne de très haut niveau devant assister au sommet maghrébin de Tunis et composée de Mohamed Boudiaf, d’Ahmed ben Bella, de Houcine Aït Ahmed, de Mohamed Khider et de Mustapha Lachref. 

Le 24 octobre 1956, des soldats français voulant forcer des barrages dressés entre  Aïn Draham et Jendouba par la population pour les empêcher de se déplacer sans autorisation, des accrochages se produisirent et entrainèrent des blessés.

Trois semaines plus tard, et sans demander l’autorisation au gouvernement tunisien, les autorités militaires françaises présentes en Tunisie installèrent des équipements radar sur les hauteurs de Bir Drassen (Cap Bon). Les populations ont protesté et il y eut deux morts et des blessés.

Dans le but d’éviter les frictions et de rapprocher les points de vue des deux gouvernements, la France, en vue de prouver ses bonnes intentions, décide de remettre au gouvernement tunisien la caserne de La Kasbah à Tunis le 21 mars 1957.

Le 31 mai 1957, fuyant les ratissages, les arrestations, les tortures, les assassinats et les massacres, des Algériens, hommes, femmes et enfants, se sont réfugiés en Tunisie. Des unités de l’armée française d’Algérie, pour les en empêcher, les ont poursuivis dans les cheikhats tunisiens des Ouled Mssallem et des Khemairia, dans la région d’Aïn Draham.

L’Armée tunisienne et la Garde nationale tentant de les protéger et leur porter secours se sont trouvées face à face avec elles, et ce fut l’affrontement qui eut pour résultat la mort de neuf membres et la blessure de plusieurs autres du côté des forces de l’ordre tunisiennes ainsi que du côté français.

Monsieur Khemaies Hajri, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, qui se rendait pour examiner la situation des réfugiés algériens en vue d’en rendre compte au HCR ( Haut Commissariat pour les réfugiés à Genève) et qui était, malencontreusement, de passage par là, a été gravement blessé et succomba à ses blessures quelques jours plus tard. Il était accompagné de Monsieur Béji Caïd Essebsi, directeur général de l’Administration régionale au ministère de l’Intérieur.

Début juin 1957, un accrochage à El Hamma de Gabès eut lieu et coûta la vie à deux soldats français. 

Ces  graves incidents eurent pour conséquences l’arrangement proposé par le Gouvernement de M. Bourgès-Maunoury permettant l’évacuation de tout le territoire tunisien, à l’exception de Bizerte, El Aouina, Gafsa, Sfax et Remada. L’application de l’évacuation commença en juillet par Tozeur, Kairouan, Jendouba, Sbeïtla et Le Kef.

Le 1er septembre 1957, une incursion de l’armée française eut lieu du côté de Hydra et s’attaqua à des forces de l’Armée tunisienne et de la Garde nationale qui se portèrent à sa rencontre. 

Le 5 septembre 1957, une incursion de l’A.F. au cheikhat des Khemairia, région d’Ain Draham, a fait deux morts parmi les Tunisiens.

Le 11 septembre 1957, une incursion  de l’A.F. eut lieu dans la région de Kasserine et quatre citoyens tunisiens furent enlevés ; quatre autres  l’ont été à Redeyef.  

Cependant, le commandement de l’armée française à Alger veut aller plus loin; il veut étendre le droit de poursuite, en Tunisie, à une profondeur de 25 km et a préparé le plan d’une « reprise du contrôle temporaire du territoire tunisien ».  Son plan n’a pu être exécuté.

Les 1er et 2 octobre 1957, les troupes françaises d’Algérie soumettent le village de Sakiet Sidi Youssef à des tirs d’artillerie lourde et violent l’espace aérien, usant d’armes automatiques, tuant une jeune fille et blessant une dizaine de civils pour la plupart des enfants.

En vue de détendre l’atmosphère, le gouvernement de Bourgès-Maunoury autorise le transfert aux autorités tunisiennes des casernes d’El Hamma de Gabès, des locaux restant de la caserne Forgemol à Tunis et l’armée française se retire, début décembre des casernes de Médenine, de Tataouine, de Ben Guerdane et de Zarzis.

Cependant, les différents gouvernements français, soucieux de relancer les négociations avec le gouvernement tunisien, ont vu leurs efforts bloqués par l’attitude du commandement militaire français d’Algérie. Celui-ci procéda, le 2 janvier 1958, avec une colonne de vingt blindés, au franchissement de la frontière, du côté de Sendes, dans la région de Redeyef, encercla la localité de Foum el Khanga, procéda à des perquisitions, puis se retira emportant effets et argent trouvés dans le village, enleva dix hommes et en tua trois autres.   

Le 11 janvier 1958, un accrochage très important eut lieu au djebel El Ousta, en Algérie, non loin de Sakiet, entre un élément de l’ALN et un groupe de militaires français. Les résultats ont été terribles : quatorze soldats français tués et quatre faits prisonniers. 

Conscient de la gravité de la situation, le Président Bourguiba soutient que l’engagement s’est produit loin de notre territoire alors que le général Salan met en cause l’entière  responsabilité de la Tunisie qui héberge et aide les combattants algériens et leur permet d’utiliser son territoire comme base de départ. 

 Le Président du Conseil, Felix Gaillard, voulant montrer son énergie et son mécontentement, dépêcha, par avion spécial, le général Buchalet et son chef de cabinet, porteurs d’un message au Président Bourguiba relatif à cet accrochage. Il voulait aussi demander au gouvernement tunisien de mettre fin à l’aide fournie aux combattants algériens d’une part, et d’autre part de libérer les soldats français faits prisonniers par l’ALN.

L’envoi de pareille délégation ayant été considéré, par la Tunisie, comme un ultimatum, Bourguiba refusa de la recevoir. Celle-ci rentra à Paris bredouille. Cette situation envenima davantage les relations entre les deux pays. La presse conservatrice française parle d’affront diplomatique et de  «  nouvelle version des coups d’éventail ».

Non satisfaite de ce revers, la France maintient sa pression, arrête sa coopération financière, suspend les négociations en cours, et rappelle son ambassadeur, M. George Gorse. Comme souvent un malheur n’arrive jamais seul, c’est encore sur la frontière algéro-tunisienne, au djebel Tarf, à l’ouest de Tebessa, que vers la mi-janvier 1958, eut lieu l’un des plus importants accrochages entre des éléments de l’ALN et des unités de l’armée française fortement appuyées par l’aviation et des hélicoptères.

Le bilan était lourd et  catastrophique : des dizaines de soldats français tués, et une grande quantité d’armes légères et collectives récupérée. Cet accrochage eut pour résultat la multiplication de la violation du territoire tunisien par l’aviation française. D’ailleurs, un avion T6 a été touché le 30 janvier 1958 par la D.C.A. (défense contre-avions) tunisienne et a été obligé  de  se poser  en rase campagne en Algérie, non loin des frontières.

De même, un autre avion T6 a été l’objet de  tirs tunisiens dans la région de Sakiet le 7 février 1958. Le 8 février vers 09h00, un autre avion a été gravement atteint par des tirs provenant de l’Armée tunisienne implantée à Sakiet, et a subi d’importants dégâts qui l’obligèrent à se poser en détresse à Tébessa. C’est alors que le général Salan, Commandant en chef en Algérie, donna l’ordre d’attaquer Sakiet Sidi Youssef.

Et l’irréparable eut lieu ce même jour vers 11h00 : plusieurs escadrilles d’avions français d’Algérie ont bombardé, durant une bonne heure, le paisible village de Sakiet Sidi Youssef. Les résultats étaient de près de 100 morts et 400 blessés, tous des civils sans armes ainsi que d’énormes dégâts matériels.      

Les conséquences politico-stratégiques du raid sur Sakiet Sidi Youssef étaient fort importantes :

a- d’abord, il y a eu, du côté tunisien, une mobilisation du front intérieur, une mobilisation de l’opinion française ainsi qu’une mobilisation internationale,

b- ensuite, sur le plan international, la guerre d’Algérie n’est plus, comme la France l’a toujours soutenu, une affaire intérieure française, 

c- enfin, le C.C.E algérien (le Comité de coordination et d’exécution) qui deviendra le 9 septembre 1958 le Gouvernement provisoire de la République Algérienne, exprime sa solidarité totale avec le peuple tunisien et ses dispositions pour mettre ses forces militaires aux côtés des forces tunisiennes afin de défendre l’indépendance tunisienne.

Le bombardement de Sakiet a rendu d’énormes services non seulement à l’Algérie combattante puisqu’il a permis l’internationalisation de «l’affaire algérienne» mais  encore  au raffermissement des relations entre nos deux pays dont le passé, le présent et l’avenir sont communs.  

La Tunisie, profitant, avec beaucoup de subtilité, de cette agression caractérisée, prit les mesures suivantes :

1- une plainte fut déposée auprès du Conseil de sécurité de l’ONU, 

2- une mesure d’interdiction à l’armée française, stationnée en Tunisie, de quitter ses casernements fut prise, 

3- des barrages furent dressés devant toutes les casernes françaises par les jeunes destouriens appartenant au Parti au pouvoir ; ceux-ci étaient munis de gourdins, de bâtons et se relayaient jour et nuit. La population voisine était chargée de leur alimentation et souvent les femmes venaient, tout près d’eux, pousser des youyous pour les encourager ; par ailleurs, ces jeunes étaient appuyés, d’assez près, par des éléments de l’armée placés non loin de là, 

4- la Tunisie demanda officiellement l’évacuation de toutes les troupes françaises stationnées sur son territoire, 

5- une campagne de presse, savamment orchestrée, maintenait la pression sur les troupes françaises d’une part et d’autre part gonflait à bloc notre moral.Cependant, des renseignements dignes de foi nous parvenaient de l’extrême sud tunisien confirmant que les instructions du gouvernement tunisien quant à l’interdiction de mouvement des troupes françaises n’étaient pas appliquées par le Colonel Mollot, commandant la zone saharienne, et ses patrouilles arrivaient même jusqu’à Bir Amir, à mi-chemin entre Remada et Tataouine. Ce comportement a été la cause de la bataille de Remada qui eut lieu le 25 mai 1958 et au cours de laquelle le capitaine Zaier, commandant la compagnie de Tataouine, attaqua, de nuit, en utilisant des mortiers, le casernement de Remada, lui occasionnant d’importants dégâts.

D’autre part, d’anciens résistants dont Mosbah Jarbou3 qui ont, sans coordination avec l’armée, attaqué, en plein jour, la caserne de Remada ont été, sauvagement, éliminés  par les troupes françaises, lors de leur décrochage, ainsi que le directeur de l’école primaire, son épouse et ses enfants.

Le 1er juin 1958, le Général de Gaulle a été investi par l’Assemblée nationale française comme Président du Conseil des ministres. L’une de ses premières actions a été d’assainir la situation avec la Tunisie et le Maroc. Par un accord signé le 17 juin 1958, le général de Gaulle s’engage  que toutes les troupes françaises, encore stationnées en Tunisie, soient évacuées au plus tard le 1er octobre 1958, exception faite de Bizerte. Les Unités sahariennes tunisiennes ont pris alors la relève et s’investirent totalement, malgré leurs faibles moyens, dans ce Sahara majestueux.

 Compte tenu de tous ces évènements et pour y faire face, l’Armée nationale a mis sur pieds d’autres unités, entre 1957 et 1960 : le 4e bataillon d’infanterie à Gafsa commandé par le capitaine Salah Hachani, le 5e bataillon à Bizerte commandé par le commandant Mohamed Kortas, les 6e et 7e bataillons à Tunis, le 8°bataillon au Kef commandé par le commandant Kaddour Ben Othman, les 9e et 10e Bataillon ( commandés par les commandants Mohamed Limam et Ahmed Elabed) mis à la disposition de l’ONU au Congo ainsi que les bataillons des transmissions (commandant Bechir Bouaich), du génie (commandant Bechir Hamza), et du transport (commandant Sadok Ben Mansour). 

Les effectifs de l’Armée qui étaient de 1700 hommes en juin 1956 ont été portés à 10.000 hommes en 1958 et à 30.000 hommes en 1960.              

Notre pays, en seulement quatre ans d’indépendance et grâce à l’immense  stature et prestige du Président Bourguiba, a acquis une notoriété internationale. Fervent défenseur de l’amitié et de l’entente entre les peuples, et grâce à sa diplomatie active et positive qui tend à rapprocher les peuples et renforcer leur solidarité, et à ne jamais intervenir dans les affaires intérieures des autres pays, sa politique était tellement appréciée que l’Organisation des Nations unies n’a pas hésité à nous demander de participer à la mission de maintien de la paix qu’elle a décidée, à la demande du gouvernement congolais, dans ce pays.

Et c’est ainsi que la Tunisie, malgré ses faibles moyens et ses préoccupations à la frontière tuniso-algérienne, participa, en  1960,  à cette mission par l’envoi d’un contingent de deux mille cinq cents hommes commandés par le Colonel  Lasmar  Bouzaiane et qui fut, à la demande du regretté Mongi Slim, le représentant de la Tunisie aux Nations unies et candidat à la Présidence de la 16e Assemblée générale de l’ONU qui allait avoir lieu dans quelques semaines, et qui la présidera, en effet deux mois plus tard, le premier à fouler le sol congolais le 15 juillet 1960 et c’est ce qui s’est passé.

La Brigade tunisienne a été chargée de la province du Kassai où, dès son arrivée, elle a été, aussitôt, déployée sur le terrain. Les villes tenues par nos unités étaient les suivantes : Luluabourg (capitale de la province)-Port Franqui- Mweka- Lac Makamba- Tshikapa- Bakwanga- Gandajika- Luputa et Mwene Ditu.  La mission reçue par la Brigade tunisienne était «d’assurer le maintien de la sécurité et de l’ordre public dans la province du Kassai tout en neutralisant l’ANC (Armée nationale congolaise) en la désarmant ». Cette dernière mission a été accomplie en très peu de temps.

Le Commandement des Forces de l’ONUC a été surpris par la rapidité avec laquelle nous avions accompli la mission qui nous a été confiée et qui était la suivante : pacifier très rapidement cette province, de loin plus vaste que notre pays et y maintenir la paix et la sécurité. C’est pourquoi  le Commandant en Chef des Forces de l’ONU au Congo, le Général Suédois Carl Von Horn, en reconnaissance de l’excellent travail effectué par nos hommes, attribua, au Colonel Lasmar, commandant de la Brigade tunisienne, le surnom prestigieux et symbolique de « Prince du Kassai » ; d’ailleurs, il parle longuement, et en de termes flatteurs, du contingent tunisien et de son chef dans son livre «  Soldering for peace » dont le paragraphe suivant : 

« A Léopoldville, j’avais l’excellente brigade ghanéenne commandée par le général Michel en l’absence d’Alexander. Pendant un certain temps, les deux bataillons tunisiens lui furent subordonnés, mais il y eut des frictions parce que leur chef, le Colonel Lasmar, très décoré, supérieur en tout sauf par le grade, en fut mécontent. Ultérieurement, nous les envoyâmes au Kassai, alors en ébullition dont le premier ministre Albert Kalongi, était sur le point de proclamer l’indépendance.

Le Colonel Lasmar, qui ne portait jamais une de ses nombreuses décorations, pas même un ruban, mais dont on apercevait les cicatrices sur le col ouvert de sa chemise, conduisit ses troupes à Luluabourg, désarma l’A.N.C, et, par ses méthodes fermes mais justes, mérita le titre de « Prince du Kassai ». J’étais très fier de lui et il devint l’un des officiers en qui j’avais le plus confiance. »

C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles, devant les problèmes de sécurité qui commençaient à devenir sérieux à Léopoldville, capitale du Congo, le Commandant en Chef des  Forces de l’ONU décida, en octobre 1960, de permuter la Brigade tunisienne avec la Brigade ghanéenne. Il voulait en même temps éloigner la Brigade ghanéenne de Léopoldville, la capitale du Congo ex-belge, pour l’empêcher de s’immiscer davantage dans les affaires congolo-congolaises, le Ghana ayant, dès le départ, pris fait et cause pour le Premier ministre Patrice Lumumba qui a été démis de ses fonctions, arrêté et emprisonné ; s’étant enfui avec certaines complicités, il a été repris et remis à son pire ennemi, le président du Katanga, Moïse Tshombe, qui le fit exécuter aussitôt.     

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

Tribune – 24 Juin 2025, 69e Anniversaire de l’Armée Nationale : Hommage à l’Armée nationale et gloire au soldat tunisien (1ère partie)

De bout en bout de cet article, en avant-plan ou en toile de fond, un acteur majeur aura jeté son ombre tutélaire sur le parcours que plus de cinq millions de jeunes concitoyens qui ont eu le mérite et l’honneur d’effectuer, lors du service national, entre 1956 et 2025, ce devoir constitutionnel que la majorité de l’élite tend, malheureusement, à oublier, et que je tiens à retracer dans l’unique but de contribuer, pour une part si modeste fût-elle, à l’éclairage de certaines stations de l’histoire contemporaine de notre pays : l’Armée nationale. C’est que celle-ci est devenue une partie constitutive de notre être, nous les officiers, appartenant à la génération de l’indépendance et aux premières promotions d’officiers de la Tunisie indépendante.

Sous l’uniforme ou en tenue de ville, dans des fonctions et missions militaires ou civiles, elle préside à chaque instant de notre vie. Elle nous inspire à tout moment, nous imprégnant jusqu’à la moelle épinière de ses nobles valeurs. En cela, certes, nous sommes semblables à tous les enfants de l’Institution, de l’homme de troupe aux plus haut gradés, mais avec une sensibilité toute particulière que ne peut partager avec nous qu’un groupe de compagnons d’armes de plus en plus restreint au fil des jours : tous ceux qui ont constitué, à l’automne 1956, le premier contingent de cette armée assurément singulière parti se former, en France, dans la prestigieuse Ecole Spéciale Militaire Inter Armes de St Cyr  Coëtquidan.

Oui, ceux-là ont vu naître cette grande institution qui, à son tour, les a vus grandir dans son giron. A peine sortis de l’adolescence, nous avons, en effet, trouvé en elle non seulement l’horizon de notre vie professionnelle mais encore une école de civisme, de don de soi, de discipline, de dévouement et de sacrifice. Elle a développé en nous ce nationalisme et ce patriotisme qui nous collent à la peau ainsi que les grandes qualités morales qui nous ont guidés tout au long de notre carrière.    

En effet, le 20 mars 1956, la France reconnaît solennellement l’indépendance de la Tunisie et l’abrogation des protocoles du protectorat de 1881 et 1883 qui sont devenus caducs. Le texte stipulait que la Tunisie a accédé à l’indépendance dans le cadre de l’interdépendance avec la France. Ce dernier terme a été ajouté à la déclaration, avec l’accord du Leader Bourguiba, dans le but de calmer et les faucons de Paris et les colons français de Tunis. Cette indépendance a été obtenue malgré le déchirement cruel, au sein du parti du Néo-Destour, entre son président, le Combattant Suprême Habib Bourguiba et son secrétaire général, le grand leader Salah Ben Youssef, déchirement relatif à l’institution par Bourguiba de la « politique des étapes » qui s’est, d’ailleurs, avérée, positive, puisque moins sanglante.  

Notre Armée nationale fête, ce 24 juin, son 69e anniversaire. C’est l’occasion de rappeler au peuple tunisien, dont l’attachement à son armée qu’il retrouve, à chaque fois, est indéfectible, les différentes étapes et les vicissitudes par lesquelles elle est passée. Je le fais parce que nombre de nos concitoyens, dont une bonne partie de l’élite, ignorent, malheureusement, tout de l’Armée et surtout les circonstances dans lesquelles elle a été créée ainsi que les difficultés qu’elle a rencontrées pour l’acquisition, au départ, du minimum d’armement.

En effet, les pays occidentaux, par solidarité avec la France, ont décidé, durant quelques années, d’un embargo à notre encontre, sous prétexte que cet armement pourrait être cédé aux combattants algériens qui, depuis le 1er novembre 1954, menaient ce combat libérateur contre l’occupant. La particularité de notre Armée est qu’elle est l’une des rares armées au monde à s’être formée par elle-même et grâce à ses propres enfants. En effet, il est de tradition que lorsqu’un pays colonisé ou sous protectorat accède à l’indépendance, c’est l’ex-puissance  occupante  qui l’aide à créer les attributs de sa souveraineté, dont l’armée.

Cependant, la Tunisie ne l’a pas fait, pour les raisons évidentes qu’il n’est pas difficile d’imaginer. C’est pourquoi je rends un vibrant hommage à nos anciens, les vingt-quatre officiers tunisiens qui avaient servi dans  l’armée française et qui ont été transférés, sur leur demande, à la jeune armée tunisienne et avec eux le contingent composé de près de mille quatre cents militaires comprenant un certain nombre de sous-officiers et dont la grande majorité était des hommes de troupe (soldats et caporaux). A ce petit contingent s’est greffée la petite Garde beylicale.

Je voudrais citer parmi ces anciens qui ont eu ce grand mérite et cet honneur, les commandants Mohamed El Kéfi, Habib Tabib, Amor Grombali, les capitaines Mohamed Habib Essoussi, Lasmar Bouzaiane, Sadok Mansour, Béchir Bouaïche, Chérif Slama, Abdelaziz Ferchiou, Hassine Remiza, Mohamed Missaoui, Mohamed Kortas, Ahmed El Abed, Mohamed Limam, Amara Fecha, Kaddour Ben Othmane, Mohamed Abbès, Ali Charchad, Hassine Hamouda, les lieutenants Mohamed Béjaoui, Abdelhamid Benyoussef, Moncef Essid, Sadok Ben Saïd et Mohamed Salah Mokaddem.

Se sont joints à eux quelques officiers formés aux académies du Moyen–Orient avant l’indépendance, dont Abdallah Abab, Abdelaziz Chouchane, Hedi Zammouri, etc. Ces officiers ont, tout au long de leur carrière dans l’Armée tunisienne, avancé en grade et certains parmi eux ont même atteint le grade de Général (Mohamed el  Kefi, Habib Tabib, Mohamed Habib Essoussi, Mohamed Salah Mokaddem et Abdelhamid Benyoussef ). Cette petite escouade d’officiers, à l’exception d’un tout petit nombre, n’avait pas bénéficié d’une formation militaire suffisante car elle n’avait pas suivi de formation dans les grandes Ecoles d’Etat-Major ou d’Ecoles de Guerre, vu leur origine et leur niveau.

Pour forger la nouvelle entité, ils ont pioché dans leur riche expérience d’hommes engagés aux premières lignes sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale et même, hélas, des guerres coloniales françaises (en particulier en Indochine) pour créer et organiser une armée avec un Etat-Major, des unités de combat ainsi que des services de soutien, des centres d’instruction et des écoles de formation. En un mot, ils ont su assurer et garantir une vie normale à des dizaines de milliers d’hommes dans tous les domaines (recrutement, hébergement, habillement, alimentation, salaires, santé, matériels et équipements, armement et munitions, matériels roulants, instruction, formation et manœuvres, etc.). 

C’est seulement à notre maturité, après tant d’années de service, avec l’expérience que nous avons acquise et les responsabilités que nous avons assumées, que nous, les officiers de la première promotion d’officiers de l’indépendance, issus de St Cyr (la Promotion Bourguiba), nous nous sommes rendu compte de la complexité de la tâche de nos aînés, les officiers transférés de l’Armée française et de la garde beylicale. Ceux-ci et ceux-là ont rendu à la jeune armée tunisienne des services énormes que nous apprécions, jusqu’à maintenant, à leur juste valeur.

C’est, d’ailleurs, grâce à eux que nous sommes fiers et nous nous vantons d’être parmi les rares armées au monde à avoir formé et organisé notre Institution militaire sans conseillers ni techniciens étrangers et nous n’avons eu, à ce propos, ni aide ni assistance d’un pays tiers. Bravo à nos anciens qui se sont ingéniés avec les moyens du bord à créer de toutes pièces et organiser une armée moderne digne de ce nom. Pour tout ce qu’ils ont fait, nous, les  officiers de la Promotion Bourguiba, les premiers officiers de la Tunisie indépendante qui, près de 15 ans plus tard, avons commencé à prendre les rênes du commandement, nous leur sommes reconnaissants pour toujours. 

L’Armée nationale que le peuple tunisien n’a, véritablement, découverte qu’à l’occasion de la révolution, en décembre 2010- janvier 2011, et qu’il continue de découvrir davantage depuis, étant donné les différents évènements que vit notre pays, fêtera, ce 24 juin, son 69e anniversaire.

Sa mission principale étant la défense du pays, ses missions secondaires sont multiples : elles se rapportent à l’appui aux forces de sécurité intérieure pour le maintien de l’ordre lorsque celles-ci se trouvent dépassées par les évènements, à l’intervention lors des catastrophes naturelles (inondations, incendies, sauterelles, étourneaux, etc.) ou d’accidents graves (sur  voies routières ou ferrées) et à l’exécution de certaines actions de développement dans les régions difficiles d’accès ou n’attirant pas les entreprises privées telles que la route du Chott el Jerid Kébili-Tozeur, l’Oasis de Rjim Maatoug, l’adduction d’eau potable à l’île de Kerkennah, la construction des villages de Bordj Bourguiba et Bordj el Khadra, etc.).

D’autre part, fidèle, depuis l’indépendance et grâce au choix et aux conceptions du Président Bourguiba, relatifs à une politique de paix, d’amitié et de non–ingérence dans les affaires internes des autres pays, la Tunisie a été, à plusieurs reprises, sollicitée pour participer aux opérations de maintien de la paix, sous la bannière des Casques bleus de l’Organisation des Nations unies et à chaque fois, elle a été présente et nos hommes ont, partout où ils ont été déployés, en Afrique ou en Asie, admirables de correction, de sérieux et d’efficacité.  

Mais avant d’en arriver là, notre Armée a connu des vertes et des pas mûres : en effet, que de difficultés, que de problèmes, que d’insuffisances, que d’ennuis et que d’obstacles ont rencontrés nos anciens, ceux qui ont eu, sans aide et sans assistance, le sublime honneur créer, en partant de zéro ou presque, une armée avec toutes ses composantes et qui sont fort nombreuses !     

Et aussitôt, la Tunisie s’est mise au travail : il fallait, aussitôt, mettre sur pied les composantes d’un Etat indépendant: une administration nationale et régionale, des forces de sécurité intérieure, une diplomatie, une justice et une armée. En ce qui concerne la création de l’armée, deux actions ont été prises simultanément :

1: une demande à la France pour le transfert des militaires tunisiens servant dans l’armée française et volontaires pour servir dans la jeune armée tunisienne,

2 : l’organisation d’un concours pour le recrutement d’une centaine de jeunes tunisiens destinés à être formés en France comme officiers à la prestigieuse Ecole spéciale militaire interarmes de St Cyr  Coëtquidan et devant composer les futurs cadres de l’armée.

 D’abord, je voudrais rappeler que normalement, lorsqu’un pays acquiert son indépendance, il demande au pays  occupant  de lui fournir des conseillers pour l’aider à créer son armée. Cela ne s’est pas passé ainsi pour notre pays pour une double raison : 

1- d’une part, la guerre d’indépendance de l’Algérie entamant bien, en 1956, sa troisième année, il était absolument normal que la Tunisie accueille, aussitôt, et les réfugiés algériens et les combattants de l’Armée de libération nationale algérienne, 

2- d’autre part, l’Armée française était encore présente dans la plupart de nos villes et son évacuation n’interviendra que deux ans plus tard et Bizerte ne le sera que plus tard encore, en 1963.

 Il y a lieu de rappeler que la création de l’Armée Tunisienne débuta par l’intégration des mille quatre cents militaires dont vingt-quatre officiers servant dans l’armée française et qui ont été volontaires pour servir dans la jeune Armée nationale tunisienne. Ces effectifs qui ont défilé le 24 juin 1956 sur l’avenue Gambetta, devenue avenue Mohamed-V, ont constitué le 1er régiment interarmes composé de trois compagnies d’infanterie, d’une compagnie de chars, d’une compagnie d’artillerie et de quelques éléments d’armes, de commandement et de soutien (transmissions, génie, santé, transport, etc.).

Il va s’en dire que ces officiers, à l’exception de trois ou quatre, et du fait de leur origine, n’ont pas suivi la formation d’officiers et sont donc issus du rang. D’ailleurs, le plus haut gradé d’entre eux était un officier du grade de commandant (feu le Commandant Habib Tabib) et il était, donc, le seul officier supérieur du groupe. Près de deux cents * militaires* de la garde beylicale (ils n’avaient de militaire que le nom à l’exception de deux ou trois officiers dont feu le Colonel Abdelaziz Ferchiou, responsable de l’intendance habillement et subsistances pendant une quinzaine d’années), se sont joints au contingent provenant de l’armée française.

Cependant, les officiers provenant de la garde beylicale ont vu leurs grades revus à la baisse et pour cause… Et c’est à ces deux douzaines d’officiers qu’est revenue la tâche dure, difficile et certainement compliquée mais exaltante, de penser, concevoir, organiser et mettre sur pied les composantes d’une armée avec son état-major, ses organes de commandement, ses services de soutien, ses centres d’instruction, ses écoles de formation, ainsi que ses unités de combat.

D’autre part, et compte tenu des suites de la guerre d’indépendance de l’Algérie, les réfugiés algériens affluèrent en Tunisie par centaines et par milliers dès la proclamation de notre indépendance dans le but de fuir les combats, les exactions, les arrestations, les brimades, les emprisonnements que leur faisaient subir les troupes françaises d’Algérie. Des camps de toile ont été installés, en Tunisie, non loin des frontières pour les accueillir dans les meilleures conditions possibles. 

Toutefois, des actes de provocation, des incursions et des accrochages le long de nos frontières sont devenues monnaie courante. En effet, quelques mois seulement après l’indépendance, un violent accrochage opposa, le 16 octobre 1956, une compagnie de l’armée française à un groupe de résistants algériens dirigés par si Abbes, entre Bouchebka et Kasserine, près de Thélepte.

Le bilan de l’accrochage a été lourd autant pour l’unité française qui eut de nombreux morts et blessés ainsi que du côté de l’ALN algérienne. Les troupes françaises, appelées en renfort, se livrèrent, en territoire tunisien, à un ratissage systématique des cheikhats de Fej Hassine et de Hidra et exercèrent des représailles contre la population tunisienne.

Des femmes ont été blessées, des hommes ont été arrêtés et conduits en prison, des gourbis ont été incendiés et beaucoup de monde a été contraint à fuir. Dans son discours du 19 octobre 1956, le Premier ministre Bourguiba remet en question le statut de la présence des troupes françaises en Tunisie et pose le problème de leur évacuation et rappelle que « les autorités françaises doivent comprendre qu’elles sont tenues de respecter dans chaque algérien qui se trouve dans ce pays l’autorité tunisienne, que la Tunisie ne permettra pas que la France se serve de notre pays comme base de départ dans la guerre qu’elle mène en Algérie.

La France doit savoir que l’armée française stationnée en Tunisie ne doit être en aucune manière articulée sur l’armée française qui opère en Algérie ». D’autre part, il donne l’ordre à l’armée tunisienne, en formation, de protéger les frontières et de résister, au besoin, aux troupes françaises. 

Aussi, du fait de l’arrivée, en Tunisie, des katibas de l’ALN et de leur renforcement, d’office, par les jeunes algériens réfugiés avec leur famille en Tunisie , en ce lieu sûr leur permettant de s’organiser, de s’équiper, de s’entraîner et de repartir combattre en Algérie, l’Armée Tunisienne s’est organisée pour être présente le long de la frontière pour la protéger des incursions françaises et permettre aux combattants de l’ALN d’être rassurés quant à leur sécurité. C’est pour cela que quelques semaines seulement après le transfert, de l’armée française à l’armée tunisienne, du régiment inter armes composé de Tunisiens volontaires, le service militaire d’une durée d’une année a été institué pour les jeunes Tunisiens âgés de vingt ans.

D’autre part, et devant le besoin urgent en encadrement, il a été fait appel aux réservistes, les anciens engagés et les retraités de l’armée française et qui étaient encore relativement jeunes. Les besoins de défense de la frontière tuniso-algérienne nécessitèrent, aussitôt, la mise sur pied, et même avant la fin de l’année 1956, de plusieurs bataillons d’infanterie qui ont été implantés, le long de la frontière comme suit : le 1er bataillon d’infanterie couvrant les gouvernorats de Gabès et Gafsa avec poste de commandement à Gabès sous le commandement du Commandant Mohamed Missaoui, le 2e bataillon d’infanterie couvrant les gouvernorats de Souk Larbaa (Jendouba) et Le Kef avec poste de commandement à Ain Draham et commandé par le Commandant Lasmar Bouzaiane, le 3e Bataillon d’infanterie couvrant le gouvernorat de Kasserine avec poste de commandement à Kasserine et commandé par le Commandant Ahmed El Abed et à partir de 1958, le Groupement Saharien, couvrant la zone saharienne avec Poste de Commandement à Remada et commandé par le Commandant Abdallah Abab.

Pour ce faire, des postes frontaliers, dont le niveau varie, selon le terrain et l’importance de la position, entre un groupe de combat ( 11 hommes) et une section ( 31 hommes) ont été implantés le long de la frontière dans des conditions parfois difficiles. Leurs positions dépendaient, essentiellement, du terrain et certains étaient à quelques centaines de mètres de la frontière alors que d’autres, étaient implantés à quelques kilomètres.

En effet, la plupart des postes ont été installés, au départ, dans des tentes et au fur et à mesure des possibilités et des opportunités, les militaires ont occupé soit des constructions abandonnées que les soldats eux-mêmes ont réparées  ou agrandies et badigeonnés, soit ils ont construit eux-mêmes leur poste utilisant les matériaux trouvés sur place ( la pierre, le mortier composé de terre et de paille, les branchages  d’arbres pour la toiture) ; pour un petit nombre, ils ont utilisé les fermes des colons français dont les terres ont été nationalisées avant terme du fait de leur proximité de la frontière; en fait, soixante postes partant de la mer Méditerranée, depuis Tabarka au Nord et allant au Sud, jusqu’au grand Erg Oriental, à Bordj El Khadhra, veillaient jour et nuit, été comme hiver, sur nos frontières ;  c’étaient, du Nord  au Sud,  les postes suivants:

1- Secteur du 2e Bataillon (gouvernorat de Jendouba) ; postes implantés à : 1- Ain Baccouch, 2- Ain Saïda, 3-Fej el Kahla (Babouch), 4-Adissa, 5-Rouii,6-Ain Adissa, 7- Sidi Kaddour 8-BouDhalaa ; 9-Souk Halima, 10-El Ghorra, 11-Ain Soltane,  12-El Faija, 13-El Gueliaa,14-Sraia,15-Giani Zini, 

16-Ferme Dubois. 

2– Secteur du 8e Bataillon (gouvernorat du Kef) ;postes implantés à :

17- Ain Zana, 18-Oued Zitoun, 19-Ain Oum Jera, 20-Sakiet Sidi Youssef, 21-Ain Kerma, 22-Oued El Malah, 23-El Biar (Sidi Rabah) 24-El Gouaten, (il s’agit d’un poste composé de quelques tentes et installé au pied du Jebel Sidi Ahmed auquel cette appellation a été donnée), 25-Sidi Ahmed, 26-Bou-ghanem, 27-El Felta, 28-Bir Hamida, 29-Bou Jabeur, 30-Jerissa, 31-Kalaa Jerdaa (Kalaa Khasba).

3– Secteur du 3e Bataillon (gouvernorat de Kasserine) ; postes implantés à :

32-Loubira, 33-Sraï, 34-Hidra, 35-Remila, 36-AinBouderias, 37-Bouchebka, 38-Tamesmida, 39-Dernaya, 40-Kchem el Kelb, 41-Telept, 42-Bordj oum Ali, 43-Feriana.

4 – Secteur du 4e Bataillon (gouvernorat de Gafsa) ; postes implantés à : :

44-Om Laksab, 45-Foum el Khanga, 46-Midès, 47-Tamerza, 48-Chbika, 49-Redeyef, 50-Metlaoui, 51-Hazoua,

5- Secteur des Unités Sahariennes (gouvernorats de Gabes et de Medenine) ; à partir de Juillet 1958, postes implantés à :

52-Rjim Maatoug, 53-Bir El Gonna, 54-Bir Aouine, 55-Garaat Sabeur,56-Tiaret, 57-Mchiguig, 58-Bordj Lebœuf (Bordj Bourguiba), 59-Fort Saint-Nicolas (Bordj El Khadra), 60- Remada . 

D’autre part, cinq autres postes frontaliers ont  été créés, en 1980, entre Ben Gardene et Dhibat suite à l’affaire de Gafsa et dont j’en expliquerai les raions plus loin.  

Ces postes qui ont été maintenus jusqu’en 1962, date de l’indépendance de l’Algérie, exception faite pour les postes sahariens qui existent toujours, ont été, avec le temps, agrandis et aménagés. Bien sûr, ils ont tous fait l’objet de travaux d’organisation de terrain avec des tranchées de protection et de circulation entre les casemates et les positions de tir et pour la protection contre les tirs d’artillerie ou de mortiers français venant de l’autre côté de la frontière, à titre de provocation ou d’intimidation.

Ces postes, étant donné leur importance, devraient être commandés par des officiers. Cela ne fut guère possible du fait du manque de l’encadrement officiers et nous étions heureux de trouver des sous-officiers pour le faire. Certains postes ont même été confiés à des caporaux qui, en situation régulière, ne devraient commander que des équipes de quatre ou cinq hommes. Les conditions de vie étaient dures mais les soldats avaient quand même des lits de camp en toile. 

Les soldats recevaient, régulièrement, le ravitaillement et les produits frais étaient fournis tous les trois jours lorsque les moyens de transport étaient disponibles.

Le grand problème auquel les autorités politiques devaient faire face était le manque d’armement pour équiper les personnels des unités créées car les pays occidentaux, par solidarité avec la France, ont décidé, durant quelques années, de ne pas nous fournir les armes dont nous avions besoin, sous prétexte que cet armement pourrait être cédé à l’ALN algérienne. Heureusement que le Président Nasser, d’Egypte, nous a fourni le cargaison d’un bateau en fusils *Hakim* avec leurs munitions. Plus tard le Président Tito, de Yougoslavie, nous a livré des fusils *Mauser*, des lance-roquettes et des mortiers. 

Les activités quotidiennes au poste étaient très bien agencées : une partie de l’effectif s’occupait des aménagements de la position, de l’amélioration des postes de combat et de l’instruction, une autre partie effectuait des patrouilles, sur la piste longeant la frontière pour découvrir les éventuelles mines posées par les harkis de l’armée française et pistait d’éventuelles infiltrations dans notre territoire. 

Les patrouilles quotidiennes étaient effectuées, à pied, et étaient d’environ sept à dix kilomètres à l’aller et au retour. Les congés étaient rares mais le moral était toujours élevé et il n’y a jamais eu de désertion ou d’absence illégale. 

Un fait important est digne d’être signalé : le contingent de la classe 1958/1 qui a été appelé pour une année de service, a été maintenu, par nécessité, pendant deux ans, ce qui fait qu’il a effectué trois ans de service en continuant à être payé sous le régime d’appelé. Et le fait important et digne d’intérêt, est qu’il n’y a pas eu de protestations, de réclamations, de manifestations ou de désertions, à tel point que ce contingent a marqué de son empreinte l’histoire de l’Armée nationale et était, souvent, cité en exemple. Tous ces jeunes ont fait preuve d’un nationalisme et d’un amour remarquables pour la patrie.

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