Alors que la RĂ©publique islamique dâIran dormait sur ses deux oreilles durant de longues annĂ©es, IsraĂ«l lâa infiltrĂ© jusquâĂ la moelle. Avec la guerre du mois dernier qui a rĂ©vĂ©lĂ© au grand jour lâampleur de lâinfiltration, le rĂ©veil fut brutal. La lĂ©thargie a laissĂ© place Ă la suspicion. Câest dĂ©sormais dans un climat de paranoĂŻa que se dĂ©roule la chasse aux espions Ă la solde de lâennemi israĂ©lien. (Les Iraniens se sont rassemblĂ©s dimanche pour protester contre lâattaque amĂ©ricaine contre les sites nuclĂ©aires du pays. Ph. Arash Khamooshi pour le New York Times).
Imed Bahri
Dans une enquĂȘte dâErika Solomon et de Sanam Mohoozi consacrĂ©e au climat de suspicion extrĂȘme qui prĂ©vaut aujourdâhui en Iran, le New York Times indique quâĂ la suite des attaques israĂ©liennes contre ses installations militaires et nuclĂ©aires, la RĂ©publique islamique a lancĂ© une campagne contre lâennemi intĂ©rieur.
Suite aux raids israĂ©liens, les autoritĂ©s iraniennes ont demandĂ© Ă la population de signaler toute personne portant des sacs, des lunettes de soleil la nuit ou un chapeau, une raretĂ© en Iran. Elles ont exhortĂ© le public Ă signaler les plaques dâimmatriculation volĂ©es, les pickups avec des caisses fermĂ©es ou les camions circulant Ă des heures inhabituelles. Elles ont averti que tous ces comportements pourraient ĂȘtre le signe dâennemis opĂ©rant de lâintĂ©rieur.
Traque intensive des espions présumés
Sous le choc de lâampleur des frappes israĂ©liennes du mois dernier, lâIran mĂšne une traque intensive contre les infiltrĂ©s et les espions prĂ©sumĂ©s en sâappuyant sur la population pour cette campagne.
Si les autoritĂ©s ont arrĂȘtĂ© des centaines de personnes, elles ont accĂ©lĂ©rĂ© les procĂšs et les exĂ©cutions dâespions prĂ©sumĂ©s et une loi a Ă©tĂ© modifiĂ©e pour Ă©tendre le recours Ă la peine de mort pour toute personne reconnue coupable dâespionnage.
Compte tenu de lâampleur de la campagne dâarrestations, mĂȘme aprĂšs le cessez-le-feu de la semaine derniĂšre, certains en Iran craignent quâelle ne se transforme en une nouvelle rĂ©pression de la dissidence politique par un gouvernement qui a une longue tradition de rĂ©pression.
«Tel un lion blessĂ©, la RĂ©publique islamique poursuit chaque menace perçue dans le pays avec une force meurtriĂšre», a dĂ©clarĂ© Hadi Ghaemi, directeur du Centre pour les droits de lâhomme en Iran, citĂ© dans un communiquĂ© publiĂ© jeudi dernier.
IsraĂ«l a une longue tradition dâinfiltration en Iran pour recueillir des renseignements et commettre des assassinats et des sabotages. Des responsables des deux camps affirment que lors de la derniĂšre guerre, IsraĂ«l a dĂ©montrĂ© sa capacitĂ© Ă construire des rĂ©seaux et Ă lancer des attaques de grande envergure de lâintĂ©rieur mĂȘme du territoire iranien.
Des responsables iraniens ont dĂ©clarĂ© avoir dĂ©couvert plusieurs Ă©lĂ©ments de preuve indiquant que le Mossad, lâagence israĂ©lienne de renseignement extĂ©rieur, reçoit lâaide dâagents sur le terrain. Ces preuves, selon les autoritĂ©s, incluent lâassemblage et le dĂ©ploiement de missiles israĂ©liens Ă lâintĂ©rieur du pays et la dĂ©couverte de milliers de petits drones dans la capitale TĂ©hĂ©ran.
Faille massive dans la sécurité et le renseignement
«Il est clair que le Mossad dispose dâun rĂ©seau trĂšs Ă©tendu en Iran et environ 90% de ses effectifs sont locaux», a dĂ©clarĂ© la semaine derniĂšre Mohammad Ali Shabani, analyste iranien et rĂ©dacteur en chef du site dâinformation indĂ©pendant Amwaj Media. Il ajoute: «La question la plus importante est: qui sont-ils? Aujourdâhui, leq doigts accusateurs sont partout».
Quelques heures aprĂšs la premiĂšre frappe contre lâIran, le 13 juin, IsraĂ«l a dĂ©montrĂ© la prĂ©cision de ses renseignements en tuant plusieurs gĂ©nĂ©raux et scientifiques nuclĂ©aires de haut rang Ă leur domicile. Ces attaques ont Ă©galement dĂ©truit des lanceurs de missiles et des systĂšmes de dĂ©fense aĂ©rienne, contraignant le guide suprĂȘme iranien Ă se cacher.
«Nous avons Ă©tĂ© tĂ©moins dâune faille massive dans la sĂ©curitĂ© et le renseignement. Câest indĂ©niable», a concĂ©dĂ© Mehdi Mohammadi, conseiller principal du prĂ©sident du Parlement iranien, dans un enregistrement audio.
Depuis des annĂ©es, le gouvernement iranien est confrontĂ© Ă des failles. Aujourdâhui, sa campagne de contre-espionnage nationale intervient Ă un moment particuliĂšrement sensible.
Les Iraniens interrogés par le New York Times, y compris ceux qui sont critiques du gouvernement, ont déclaré comprendre les préoccupations sécuritaires de Téhéran, un sentiment ancré dans la colÚre nationale face aux pertes civiles causées par les attaques israéliennes.
Toutefois, les responsables iraniens nâont montrĂ© aucune volontĂ© publique de reconnaĂźtre leurs graves dĂ©faillances en matiĂšre de renseignement alors mĂȘme quâils poursuivent une campagne rĂ©pressive qui, selon les groupes de dĂ©fense des droits humains, touche de maniĂšre disproportionnĂ©e les minoritĂ©s ethniques et religieuses, les figures de lâopposition et les Ă©trangers.
Ces groupes affirment que nombre des personnes arrĂȘtĂ©es ces deux derniĂšres semaines ont Ă©tĂ© dĂ©tenues sans mandat et nâont pas Ă©tĂ© autorisĂ©es Ă consulter un avocat. Amnesty International sâest dĂ©clarĂ©e prĂ©occupĂ©e par les procĂšs sommaires et les exĂ©cutions manifestement inĂ©quitables dans plusieurs affaires, qualifiant les derniĂšres actions de lâIran de dĂ©monstration de force malavisĂ©e.
Sollicités par le NYT, les responsables iraniens se sont abstenus de tout commentaire.
Mercredi 25 juin, le Mossad a publiĂ© une vidĂ©o rare de son directeur David Barnea accueillant un parterre dâespions aux visages floutĂ©s quâil a vivement remerciĂ© de leur travail en Iran. Barbea a ajoutĂ©: «Nous serons lĂ -bas comme nous lâavons toujours Ă©té», a-t-il dĂ©clarĂ©.
Le djihad du renseignement contre les agents israéliens
Le ministĂšre iranien du Renseignement a jurĂ© de poursuivre sans rĂ©serve ce quâil a appelĂ© son «djihad du renseignement contre les agents israĂ©liens».
Le gouvernement qui a reconnu avoir coupĂ© Internet en Iran pendant plusieurs jours par crainte de cyberattaques continue dâexhorter les Iraniens Ă Ă©viter les rĂ©seaux sociaux internationaux et Ă privilĂ©gier les plateformes nationales.
Les agents Ă©trangers cherchant Ă recruter en Iran nâhĂ©siteront pas Ă trouver des citoyens mĂ©contents parmi sa population de prĂšs de 90 millions dâhabitants. LâIran a connu des pĂ©riodes de protestations populaires pendant des dĂ©cennies qui ont Ă©tĂ© matĂ©es par une rĂ©pression meurtriĂšre. De plus, lâespionnage pourrait trouver un terreau favorable Ă cause des problĂšmes dâargent, lâIran Ă©tant embourbĂ© dans une crise Ă©conomique paralysante causĂ©e par des dĂ©cennies de sanctions occidentales et de mauvaise gestion gouvernementale. La population est en proie Ă lâhyperinflation, Ă la paupĂ©risation et au chĂŽmage des diplĂŽmĂ©s.
Sourour, une TĂ©hĂ©ranaise de 39 ans, estime quâil existe un vaste rĂ©seau dâespions dans le pays. Elle a demandĂ© Ă nâĂȘtre identifiĂ©e que par son prĂ©nom craignant des rĂ©percussions pour avoir parlĂ© Ă des journalistes internationaux. «Dans notre quartier, on a signalĂ© une cachette», a-t-elle dĂ©clarĂ©, ajoutant avoir vu les autoritĂ©s arrĂȘter plusieurs personnes et retirer des drones du site. «Jâai tout vu de mes propres yeux», a-t-elle prĂ©cisĂ©.
Les autoritĂ©s iraniennes affirment que les agents dâIsraĂ«l sur le terrain utilisent des cachettes pour assembler des missiles et des drones qui sont ensuite secrĂštement transportĂ©s, stockĂ©s et dĂ©clenchĂ©s. Elles ont autorisĂ© les mĂ©dias locaux Ă filmer ce quâelles ont dĂ©crit comme des ateliers et des compartiments destinĂ©s Ă dissimuler des drones sur des camions. Cependant, le New York Times nâa pas Ă©tĂ© en mesure de vĂ©rifier de maniĂšre indĂ©pendante lâauthenticitĂ© des vidĂ©os.
Pour tenter de dĂ©masquer ces cellules, les autoritĂ©s iraniennes ont publiĂ© des notices sur les rĂ©seaux sociaux et les sites dâinformation, parfois accompagnĂ©s de caricatures de saboteurs utilisant des outils et du matĂ©riel dâassemblage. Lâune des notices indiquait: «Si vous avez louĂ© votre propriĂ©tĂ© ou votre logement ces derniers mois, que ce soit par des moyens traditionnels ou non, sous couvert dâun usage rĂ©sidentiel Ă court ou Ă long terme, Ă une entreprise, veuillez le signaler», rapporte un communiquĂ© publiĂ© par lâagence de presse Fars, affiliĂ©e au gouvernement, au nom dâAhmad Reza Radan, chef de la police iranienne.
Depuis lâattaque israĂ©lienne contre lâIran le 13 juin, les autoritĂ©s iraniennes affirment avoir dĂ©tectĂ© plus de 10 000 petits drones rien quâĂ TĂ©hĂ©ran, selon lâagence de presse Fars.
Ces petits drones, parfois Ă©quipĂ©s dâintelligence artificielle, ont Ă©tĂ© utilisĂ©s lors de rĂ©cents assassinats de scientifiques liĂ©s au programme nuclĂ©aire, selon des responsables de la sĂ©curitĂ© iranienne citĂ©s par la mĂȘme agence de presse.
Afin dâencourager la coopĂ©ration populaire, les autoritĂ©s annoncent rĂ©guliĂšrement que leurs arrestations ou confiscations dâarmes ont Ă©tĂ© facilitĂ©es par des Iraniens ordinaires.
«Ce public ne souhaite gĂ©nĂ©ralement pas interagir avec le ministĂšre du Renseignement», a dĂ©clarĂ© Shabani, lâanalyste iranien. «Dans un Ătat autoritaire, moins on a de contacts avec ces personnes, mieux câest. Mais dans une nouvelle dynamique, il semble que certaines personnes souhaitent rĂ©ellement les aider», a-t-il ajoutĂ© affirmant que lâattaque israĂ©lienne a galvanisĂ© un sentiment dâunitĂ©. Certains responsables politiques modĂ©rĂ©s ont exhortĂ© les autoritĂ©s Ă capitaliser sur le soutien du public pour une introspection.
«La guerre et lâunitĂ© du peuple ont Ă©tĂ© lâoccasion de changer notre vision de la gouvernance et du comportement de nos responsables», a dĂ©clarĂ© le prĂ©sident Massoud Pezeshkian Ă son cabinet, selon les mĂ©dias dâĂtat.
«Câest une occasion en or de changer les choses», a ajoutĂ© Pezeshkian, Ă©lu grĂące Ă une campagne visant Ă amĂ©liorer lâĂ©conomie en difficultĂ© et Ă nouer des relations avec lâOccident.
Mohammad Reza, un quadragĂ©naire habitant Ă Tabriz dans le nord-ouest de lâIran, a estimĂ© que ce nâest quâune question de temps avant que le gouvernement nâintensifie sa rĂ©pression contre les opposants politiques. «Pour lâinstant, ils veulent sâassurer que personne ne se moque du rĂ©gime ni nâespĂšre de changement. La principale crainte du rĂ©gime est que les gens le perçoivent comme faible. Si les gens savent que le pouvoir est fĂ©brile, ils se rĂ©volteront», a-t-il dĂ©clarĂ©.
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