Si vous dĂ©sirez connaĂźtre les raisons cachĂ©es de la genĂšse du conflit russo-ukrainien, cet article tirĂ© de lâhistoire de la Russie et des pays membres du Pacte de Varsovie â un traitĂ© dâamitiĂ©, de coopĂ©ration et dâassistance mutuelle, conclu le 14 mai 1955 et dissous en juillet 1991 â pourrait vous y aider.
Habib Glenza
Durant les 36 ans de coopĂ©ration et dâassistance, lâURSS a certes dominĂ© les pays de lâalliance, mais elle les a Ă©galement aidĂ©s Ă reconstruire les infrastructures dĂ©truites lors de la deuxiĂšme guerre mondiale, ce qui a nĂ©cessitĂ© un investissement colossal pour remettre sur pieds toutes les Ă©conomies des pays du pacte.
A en croire la rhĂ©torique des mĂ©dias occidentaux, le conflit russo-ukrainien a commencĂ© lorsque lâarmĂ©e russe a envahi lâUkraine le 24 fĂ©vrier 2022. Le seul objectif de Poutine, dâaprĂšs eux, est dâannexer ce pays. Et aujourdâhui, on parle dâune menace russe dâannexion des pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), en plus de la Pologne et de la Finlande. Une fois ces pays annexĂ©s, Poutine ferait la guerre Ă toute lâEurope, rĂ©pĂšte-t-on aussi.
Cette rhĂ©torique cherche, en rĂ©alitĂ©, Ă impliquer lâOtan dans le conflit russo-ukrainien afin de dĂ©stabiliser et affaiblir la Russie pour la partager ensuite en trois grands territoires : la partie de la Russie occidentale passera sous la souverainetĂ© de lâUnion europĂ©enne; les deux autres, qui se trouvent en Asie, passeront sous contrĂŽle des AmĂ©ricains.
LâOccident cherche Ă cacher ce qui a Ă©tĂ© rapportĂ© par Zbigniew Brzezinski dans son livre ââLe grand Ă©chiquierââ paru en 1997. Ce politologue amĂ©ricain dâorigine polonaise Ă©tait conseiller Ă la sĂ©curitĂ© nationale du prĂ©sident des Etats-Unis Jimmy Carter. Brzezinski a Ă©tĂ© un artisan majeur de la politique Ă©trangĂšre de Washington, soutenant une tendance plus agressive vis-Ă -vis de lâURSS. Il est restĂ© jusquâĂ sa mort un russophobe farouche, et son origine polonaise y Ă©tait sans doute pour beaucoup.
Dans son livre, Brzezinski Ă©crivait : «Si les Etats-Unis veulent dominer le monde, ils doivent dĂ©piĂ©cer la Russie en trois parties pour lâaffaiblir et sâemparer de ses richesses naturelles (Ă©nergies, mĂ©taux. mĂ©taux rares, etc.) et ensuite neutraliser la Chine».
Lâextension de lâOtan vers lâEst
Au moment de la chute du mur de Berlin en 1989, James Baker a Ă©tĂ© chargĂ© par le prĂ©sident amĂ©ricain Georges Bush de rĂ©organiser lâEurope autour dâun noyau dur quâest la rĂ©unification des deux Allemagne et lâextension de lâOtan vers lâEst de lâEurope
La rĂ©unification fut actĂ©e en un temps record. Le traitĂ© y affĂ©rent fut signĂ© Ă Moscou le 12 septembre 1990 mettant fin Ă la question qui empoisonnait les relations internationales depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Chacun des partenaires a essayĂ© de tirer avantage de la nouvelle situation. LâAllemagne a retrouvĂ© son unitĂ©, et les Russes ont reçu la promesse que lâOtan ne sâĂ©tendra pas jusquâĂ ses frontiĂšres, la dĂ©claration de Baker selon laquelle lâOtan ne sâĂ©tendra pas vers lâEst ayant Ă©tĂ© prise au mot par Moscou.
Du point de vue des Russes, lequel doit ĂȘtre Ă©galement entendu, cette promesse non tenue est Ă lâorigine des tensions actuelles Ă lâest de lâEurope, dont celle qui a surgi rĂ©cemment en Ukraine. Les AmĂ©ricains ont en effet permis Ă lâOtan dâintĂ©grer de nouveaux membres parmi les pays qui faisaient partie du Pacte de Varsovie. De cette expansion, Gorbatchev dira plus tard que la promesse non tenue Ă©tait une provocation et une violation de lâesprit des assurances faites en 1990.
Câest ce qui reviendra, des annĂ©es aprĂšs, comme un leitmotiv dans la bouche de Poutine qui ne cesse dâaffirmer que «lâOccident a trichĂ© et nous a trompĂ©s de maniĂšre abjecte».
LâĂ©chec des accords Minsk I et Minsk II
Le protocole de Minsk, puis les accords de Minsk I et II, ont Ă©tĂ© adoptĂ©s par la Russie et lâUkraine pour mettre fin Ă la guerre dans le Donbass qui a fait plus de 14 000 morts depuis 2014. Pourtant, selon certains experts, ces deux textes Ă©taient vouĂ©s Ă lâĂ©chec dĂšs leur signature, le 5 septembre 2014 (Minsk I) et le 12 fĂ©vrier 2015 (Minsk II).
La chanceliĂšre allemande Angela Merkel et le prĂ©sident français François Mitterrand avoueront eux-mĂȘmes avoir dupĂ© Poutine en donnant Ă lâUkraine le temps de sâarmer!
Câest en tout cas ce quâa affirmĂ© sans ciller lâancienne chanceliĂšre allemande en 2022.«Lâaccord de Minsk de 2014 Ă©tait une tentative de donner du temps Ă lâUkraine. Elle en a Ă©galement profitĂ© pour devenir plus forte, comme vous pouvez le voir aujourdâhui» , a-t-elle dĂ©clarĂ© Ă lâhebdomadaire Die Zeit, le 7 dĂ©cembre 2022.
«Il Ă©tait clair pour nous tous que le conflit Ă©tait dans une impasse, que le problĂšme nâavait pas Ă©tĂ© rĂ©solu, mais câest prĂ©cisĂ©ment ce qui a donnĂ© un temps prĂ©cieux Ă lâUkraine» , a insistĂ© la chanceliĂšre allemande.
Lâaccord de Minsk, que Merkel avait signĂ©, en septembre 2014, avec le prĂ©sident français de lâĂ©poque, François Hollande, le prĂ©sident ukrainien Petro Porochenko et le prĂ©sident russe Vladimir Poutine est aujourdâhui dĂ©peint comme un effort de paix que le prĂ©sident russe aurait dĂ©savouĂ©. Ce point de vue est pour le moins inexact et orientĂ©.
Par ses dĂ©clarations, Merkel a confirmĂ© que lâOtan voulait la guerre dĂšs le dĂ©but, mais quâelle avait besoin de temps pour sây prĂ©parer militairement.
Depuis la dissolution de lâUnion soviĂ©tique en 1991, les Ătats-Unis poursuivent lâobjectif de rester la «seule puissance mondiale» . Ă cette fin, Washington a menĂ© de nombreuses guerres et a Ă©tendu lâOtan Ă lâEurope de lâEst. Aujourdâhui, ils veulent Ă©galement intĂ©grer lâUkraine, la GĂ©orgie et dâautres anciennes rĂ©publiques soviĂ©tiques dans lâOtan et soumettre la Russie afin de piller ses ressources et dâisoler la Chine.
Deux mois Ă peine aprĂšs lâentrĂ©e en fonction du troisiĂšme gouvernement de Merkel, les Ătats-Unis et lâAllemagne ont organisĂ© un coup dâĂtat en Ukraine en fĂ©vrier 2014, qui a fait appel Ă des milices pour aider un rĂ©gime pro-Otan Ă prendre le pouvoir. Washington et Berlin ont toutefois eu un problĂšme. Le rĂŽle dominant jouĂ© dans le nouveau rĂ©gime par les nationalistes de droite, admirateurs du collaborateur des Nazis, Stepan Bandera, et les milices fascistes, a divisĂ© le pays, en particulier dans lâEst, majoritairement russophone, oĂč la perspective dâĂȘtre dirigĂ© par des ultranationalistes ukrainiens Ă©tait accueillie avec horreur.
La Russie, craignant pour sa base de la flotte de la mer Noire Ă SĂ©bastopol, a annexĂ© la CrimĂ©e. Les sĂ©paratistes soutenus par la Russie ont proclamĂ© des rĂ©publiques indĂ©pendantes Ă Donetsk et Ă Lougansk, dans lâest de lâUkraine. Les nouveaux dirigeants de Kiev nâont pas Ă©tĂ© en mesure dâempĂȘcher cela. LâarmĂ©e ukrainienne sâest effondrĂ©e. Les soldats peu enclins Ă se sacrifier pour le nouveau rĂ©gime avaient dĂ©sertĂ© en masse.
Kiev cherchait Ă gagner du temps pour sâarmer
Presque rien des accords de Minsk nâa Ă©tĂ© mis en Ćuvre par lâOccident. En particulier, la partie ukrainienne a boycottĂ© tous les accords. Elle ne voulait pas dâun rĂšglement nĂ©gociĂ©. Faute de soldats prĂȘts Ă se battre, le prĂ©sident nouvellement installĂ© Petro Porochenko a mobilisĂ© le bataillon Azov et dâautres milices, que lâoligarque milliardaire a en partie financĂ©es lui-mĂȘme. Ces milices ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©es aux forces armĂ©es et envoyĂ©es dans les rĂ©gions sĂ©paratistes pour terroriser la population locale et alimenter le conflit.
Le rĂ©gime de Kiev â que ce soit sous la direction de Porochenko ou de son successeur Volodymyr Zelensky â et ses bailleurs de fonds Ă Berlin et Washington nâont jamais voulu une solution pacifique. Ce qui les intĂ©ressait câĂ©tait de gagner du temps pour prĂ©parer la guerre, mĂȘme si cela avait des consĂ©quences dĂ©sastreuses pour la population des zones touchĂ©es.
Du point de vue de Kiev, la construction de la paix «ne sera possible quâune fois les territoires libĂ©rĂ©s, câest-Ă -dire une fois quâils seront Ă nouveau entiĂšrement sous contrĂŽle ukrainien» . Position que conforte cet aveu de François Hollande en 2022 : «Les accords de Minsk ont permis Ă lâUkraine de renforcer ses capacitĂ©s militaires».
Le rĂ©pit, lâOccident et Kiev semblent lâavoir mis Ă profit : depuis 2014, lâUkraine a renforcĂ© ses capacitĂ©s militaires. Et lâarmĂ©e ukrainienne est complĂštement diffĂ©rente de celle de 2014. Elle est mieux entraĂźnĂ©e et mieux Ă©quipĂ©e. Câest le mĂ©rite des accords de Minsk dâavoir donnĂ© Ă lâarmĂ©e ukrainienne cette opportunitĂ©.
Ces accords auraient aussi empĂȘchĂ© la zone contrĂŽlĂ©e par les sĂ©paratistes de sâĂ©tendre. Ă lâhiver 2015, ces derniers Ă©taient aux portes de Marioupol et venaient de remporter deux batailles dĂ©cisives, reprenant lâaĂ©roport de Donetsk et la ville de Debaltsevo.
La confiance perdue entre Moscou et lâOccident
Regrettant les divisions au sein de lâUnion europĂ©enne (UE) et lâambiguĂŻtĂ© de lâAllemagne, «refusant de mettre en question le pipeline Nord Stream 2 », François Hollande a rapportĂ© quâil Ă©tait partisan de sanctions maximales, rappelant quâil avait lui-mĂȘme annulĂ© la vente de navires Mistral Ă la Russie en 2014.
Ătrangement, Hollande, qui estime quâune solution pĂ©renne est nĂ©cessaire pour la paix en Ukraine, a achevĂ© son propos en affirmant que «les accords de Minsk peuvent ĂȘtre ressuscitĂ©s pour Ă©tablir un cadre lĂ©gal dĂ©jĂ acceptĂ© par toutes les parties ».
Lâaveu de Merkel a pourtant dĂ©jĂ suscitĂ© une vive rĂ©action du prĂ©sident Poutine : «La confiance est presque inexistante, mais aprĂšs de telles dĂ©clarations, une question de confiance se pose : comment nĂ©gocier, sur quoi, et sâil est possible de nĂ©gocier avec quelquâun, quelles sont les garanties? », sâest-il interrogĂ©.
«JâespĂ©rais encore que les autres parties prenantes Ă ce processus Ă©taient sincĂšres avec nous. Il sâavĂšre quâils nous trompaient aussi. Il sâagissait uniquement de renforcer lâUkraine avec des armes, en la prĂ©parant aux hostilitĂ©s », a ajoutĂ© Poutine. Au vu de ces nouveaux Ă©lĂ©ments, Moscou aurait «peut-ĂȘtre » dĂ» lancer son opĂ©ration militaire en Ukraine plus tĂŽt, a-t-il estimĂ©, soulignant que la Russie espĂ©rait pour sa part ĂȘtre en mesure de rĂ©soudre le conflit dans le Donbass par le biais des Accords de Minsk.
Lâaccord dâIstanbul aurait pu apporter la paix
Plusieurs politologues pensent que les nĂ©gociations dâIstanbul en 2022 ont Ă©tĂ© une occasion ratĂ©e pour arrĂȘter un conflit insensĂ©. Cette chance a Ă©tĂ© torpillĂ©e par le Premier ministre britannique Boris Johnson, dĂ©pĂȘchĂ© par les EuropĂ©ens. LâexpĂ©rience des rĂ©publiques post-soviĂ©tiques en matiĂšre dâaccords de sĂ©curitĂ© avec Moscou montre que les pourparlers russo-ukrainiens de 2022 avaient peu de chances dâaboutir.
En conclusion, la genĂšse du conflit russo-ukrainien sert seulement les intĂ©rĂȘts des AmĂ©ricains pour sâemparer des richesses naturelles russes: pĂ©trole, gaz, or, mĂ©taux et surtout mĂ©taux rares. LâUkraine nâest quâun moyen pour parvenir dĂ©membrer la Russie et ensuite isoler la Chine
Les allĂ©gations selon lesquelles lâobjectif de lâintervention de lâarmĂ©e russe en 2022 est lâannexion de lâUkraine nâest quâun mensonge et une rhĂ©torique des mĂ©dias occidentaux. En effet, la Russie possĂšde 17 millions de km2 pour une population de 150 millions de personnes, par consĂ©quent Poutine nâest pas dans le besoin dâannexer dâautres terres et encore moins incapable de faire la guerre Ă toute lâEurope
La Russie cherche Ă ce que lâon accorde plus de libertĂ© Ă la minoritĂ© russe du Donbass, afin quâelle puisse avoir accĂšs Ă la langue et Ă la culture russes dans les Ă©coles publiques ukrainiennes, ce que refusent dâentendre les ultras nationalistes de Stepan Bandera. Poutine exige aussi la dĂ©militarisation de lâUkraine et sa non adhĂ©sion Ă lâOtan.
Ceux qui avancent que lâUkraine est libre dâintĂ©grer lâOtan et dâinstaller une base militaire occidentale tout prĂšs de la frontiĂšre russe doivent se rappeler quâen 1962 une troisiĂšme guerre mondiale, nuclĂ©aire celle-lĂ , aurait pu ĂȘtre dĂ©clenchĂ©e entre lâURSS de Nikita Khrouchtchev et les Etats-Unis de John Kennedy, suite Ă lâinstallation de missiles russes Ă Cuba. A cette Ă©poque les AmĂ©ricains jugeaient inadmissible lâinstallation de telles armes non loin de leurs frontiĂšres. Pour Ă©viter un conflit armĂ© lourd de consĂ©quences, Khrouchtchev a dĂ» retirer ses missiles de Cuba.
Les puissances mondiales, Etats-Unis, Chine et Russie ne permettront jamais lâinstallation de bases militaires hostiles Ă leurs frontiĂšres. Demain, si les choses se dĂ©tĂ©riorent entre lâOtan, les Etats-Unis et la Chine, nous aurions certainement un conflit, plus dĂ©vastateur, entre la Chine et TaĂŻwan.
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