Fruit de cinq années de travail coordonné par l’Alliance internationale de l’édition indépendante (Aiei), en partenariat avec le ministère tunisien des Affaires culturelles, l’Alecso et l’OIF, cette étude de 130 pages vise à fournir une base de données fiable sur les politiques publiques du livre dans 18 pays arabes.
Au cœur d’une rencontre professionnelle exceptionnelle à Tunis, réunissant 30 maisons d’édition de 17 pays arabes et francophones, la Palestine s’est imposée non seulement comme sujet central, mais aussi comme révélateur des fractures et aspirations du secteur du livre dans le monde arabe. Cet événement, organisé dans le cadre du lancement de la «Cartographie des politiques publiques du livre dans le monde arabe», a dressé un tableau sans concession des défis structurels, tout en mettant en avant des dynamiques de solidarité éditoriale inédites.
Fruit de cinq années de travail coordonné par l’Alliance internationale de l’édition indépendante (Aiei), en partenariat avec le ministère tunisien des Affaires culturelles, l’Alecso et l’OIF, cette étude de 130 pages vise à fournir une base de données fiable sur les politiques publiques du livre dans 18 pays arabes. Toutefois, seules 11 ont pu être couvertes, en raison de contraintes majeures: absence de données officielles, méconnaissance du cadre juridique par les professionnels et décalage entre lois et pratiques.
Parmi les principales recommandations : la réforme des cadres juridiques, la promotion de la liberté d’expression, le soutien à l’édition indépendante, la lutte contre le piratage et l’amélioration de la formation professionnelle, quasi inexistante dans la région. L’étude pointe également le manque criant de politiques culturelles claires dans certains pays comme le Yémen ou le Soudan, ainsi que le rôle trop exclusif des institutions officielles dans la définition de ces politiques.
Si les éditeurs palestiniens n’ont pu être présents, empêchés par la guerre en cours dans les Territoires occupés depuis octobre 2023, leur voix a résonné à travers les livres présentés par leurs confrères. Cette solidarité s’est matérialisée par la mise à disposition d’une collection d’ouvrages palestiniens pour échange de droits de traduction ou de réédition.
Des œuvres comme «Un pays appelé Jabalia» de Hassan Hamid, récit poignant d’un directeur d’hôpital à Gaza, «Portrait collectif d’une femme» d’Amal Ismail ou encore «Je ne partirai pas, mon histoire est celle de la Palestine» de Mohamed El Sabaaneh, bande dessinée en noir et blanc sur la résistance palestinienne, incarnent une littérature de témoignage, de mémoire et d’engagement. Autant de récits qui redessinent les contours d’une lutte pour la dignité, au-delà des frontières.
La cartographie révèle un paradoxe : alors que le livre est porteur de mémoire, d’émancipation et d’identité, les politiques publiques dans le monde arabe entravent souvent sa libre circulation. Les éditeurs dénoncent la censure — qu’elle soit administrative, judiciaire ou électronique —, la lourdeur des procédures fiscales, l’inadéquation des lois sur la propriété intellectuelle, et un manque flagrant de soutien à la traduction.
Par ailleurs, l’absence de statistiques fiables empêche une lecture claire des besoins et des évolutions du secteur. Dans ce contexte, les éditeurs indépendants jouent un rôle crucial mais sous-financé. La solidarité éditoriale, comme celle exprimée envers les éditeurs palestiniens, devient un levier de résilience et de création.
L’événement de Tunis n’a pas esquivé les enjeux futurs : les ateliers consacrés à l’intelligence artificielle ont posé la question de l’éthique, des droits d’auteur et du rôle de la technologie dans une industrie encore marquée par des outils traditionnels. Le professeur tunisien Hamadi Jaballah a rappelé combien, dans l’histoire du monde arabe, la publication de livres a souvent été synonyme de résistance, face à la répression politique ou religieuse.
La Tunisie, le Maroc, l’Algérie, l’Égypte ou l’Arabie saoudite ont également contribué à cette mosaïque éditoriale en présentant des œuvres traduites, rééditées ou engagées, telles que «Masque de la couleur du ciel» de Bassem Khondaqji, lauréat du «Booker du roman arabe» 2024, écrit depuis une prison israélienne, ou encore «Souvenirs de Jérusalem» de Sirine Husseini Shahid, mémoire historique d’un exil.
La cartographie initiée par l’Aiei ouvre une voie, mais reste inachevée. Le défi est double : construire des politiques publiques cohérentes, inclusives et transparentes, tout en préservant la liberté de création et la diversité éditoriale. La Palestine, bien que meurtrie, s’affirme comme un catalyseur symbolique, rappelant que la culture est un territoire de résistance autant que de dialogue.
Cette rencontre inédite à Tunis a permis de mettre en lumière l’urgence d’une réforme globale du secteur du livre dans le monde arabe. Une réforme qui passe autant par la volonté politique que par la mobilisation des éditeurs, auteurs, traducteurs et lecteurs. La Palestine y tient lieu de boussole morale et littéraire.
Synthèse Asma DRISSI avec TAP