BRICS : la Tunisie doit garder ses distances, éviter les aventures hasardeuses et idéations fallacieuses

RĂ©cemment, un dĂ©bat mĂ©diatique a Ă©tĂ© enclenchĂ© au sujet du principe de lâadhĂ©sion ou pas de la Tunisie au bloc des BRICS. Certains Ă©conomistes et avec lâappui de MĂ©diaĆ Ă la recherche du buzz ont soutenu lâadhĂ©sion. Ils ont tout fauxâŠ
Faut-il que la Tunisie rejoigne les BRICS ? Cette question, longtemps thĂ©orique, prend aujourdâhui un tour plus concret. Depuis que le bloc sâest Ă©largi en 2024 avec lâintĂ©gration de nouveaux membres comme lâĂgypte, lâArabie saoudite ou lâIran, lâidĂ©e circule Ă Tunis : pourquoi ne pas envisager une adhĂ©sion ?
Dans un monde devenu multipolaire, le groupe emmenĂ© par PĂ©kin et Moscou reprĂ©sente, pour certains, une alternative crĂ©dible Ă lâordre occidental dominĂ© par Washington et Bruxelles.
Mais derriÚre cette perspective séduisante, se cache une réalité bien plus nuancée.
Rejoindre les BRICS ne serait pas seulement un symbole géopolitique : ce serait un engagement profond, aux implications économiques, diplomatiques et stratégiques majeures. Et à ce jour, rien ne garantit que la Tunisie y trouverait son compte.
Les BRICS : une dynamique qui séduit
NĂ©s au dĂ©but des annĂ©es 2000 sur une hypothĂšse Ă©conomique, les BRICS se sont transformĂ©s, deux dĂ©cennies plus tard, en force politique. Ils regroupent aujourdâhui des gĂ©ants dĂ©mographiques (Chine, Inde), des puissances rĂ©gionales (BrĂ©sil, Russie), et des Ătats Ă©mergents cherchant Ă remodeler les rĂšgles du jeu international. Lâajout de nouveaux membres du Moyen-Orient et dâAfrique renforce cette tendance.
Ce bloc ambitionne de crĂ©er un ordre mondial « plus Ă©quilibrĂ© », remettant en question lâunilatĂ©ralisme occidental. Il dispose de sa propre banque de dĂ©veloppement, milite pour des Ă©changes commerciaux en monnaies locales, et prĂŽne un rejet des standards imposĂ©s par les grandes institutions financiĂšres traditionnelles.
Un discours qui, forcément, trouve un certain écho en Tunisie, pays fragilisé par une décennie de crise économique et de dépendance extérieure.
Une Tunisie Ă la recherche dâoptions
La Tunisie traverse une pĂ©riode dĂ©licate. LâĂ©conomie peine Ă se relever : croissance molle, dette publique en hausse, pression du FMI, perte de pouvoir dâachat, et fuite des jeunes diplĂŽmĂ©s. Face Ă cela, le discours prĂ©sidentiel de rupture avec les anciennes logiques de dĂ©pendance occidentale prend de lâampleur.
Dans ce contexte, les BRICS peuvent apparaĂźtre comme une alternative â une ouverture vers dâautres partenaires, une chance de financement sans conditionnalitĂ© politique, une opportunitĂ© dâĂ©chapper Ă lâĂ©tau des plans dâajustement. Lâattrait est comprĂ©hensible.
Dâautant que certains voisins (comme lâAlgĂ©rie ou lâĂgypte) ont dĂ©jĂ manifestĂ© un intĂ©rĂȘt fort, voire entamĂ© des dĂ©marches concrĂštes.
Mais des obstacles sérieux sur la route
Pourtant, un examen plus rigoureux sâimpose. Car les BRICS ne sont ni une organisation Ă©conomique homogĂšne, ni une union politique cohĂ©rente.
Câest un club informel, sans rĂšgles fixes dâadhĂ©sion, sans mĂ©canisme de redistribution, et sans garantie de solidaritĂ©.
La Tunisie, aujourdâhui, nâa pas les atouts Ă©conomiques qui justifieraient son intĂ©gration. Son marchĂ© intĂ©rieur est limitĂ©, ses exportations peu diversifiĂ©es, et son niveau dâendettement rĂ©duit sa marge de manĆuvre. Contrairement Ă lâĂgypte ou Ă lâArabie saoudite, elle ne possĂšde pas de ressources stratĂ©giques qui intĂ©ressent directement les gĂ©ants du bloc. Et sa capacitĂ© Ă peser dans les dĂ©cisions communes serait plus que marginale.
Sur le plan diplomatique, lâadhĂ©sion poserait Ă©galement problĂšme. Elle risquerait dâaltĂ©rer les relations dĂ©jĂ fragiles avec lâUnion europĂ©enne, qui reste â malgrĂ© les tensions â le principal partenaire Ă©conomique de la Tunisie. Elle brouillerait aussi le message traditionnel de neutralitĂ© active portĂ© par la diplomatie tunisienne depuis lâindĂ©pendance.
Une posture de prudence constructive
Cela ne signifie pas que la Tunisie doit ignorer les BRICS. Au contraire, un rapprochement pragmatique, une participation en tant quâobservateur, ou un approfondissement des relations bilatĂ©rales avec certains membres (Chine, Inde, Afrique du SudâŠ) peuvent constituer des pistes pertinentes. Ce serait une maniĂšre de diversifier ses options, sans sâenfermer dans une logique dâalignement systĂ©matique.
La Tunisie nâa pas besoin de changer de dĂ©pendance â de lâOuest vers lâEst â mais de sortir de la dĂ©pendance tout court. Cela suppose de reconstruire une Ă©conomie productive, de restaurer la confiance des investisseurs, dâoffrir une visibilitĂ© politique claire, et de maĂźtriser son avenir diplomatique avec intelligence.
En conclusion, lâadhĂ©sion aux BRICS, aujourdâhui, serait une dĂ©cision prĂ©cipitĂ©e, plus dictĂ©e par la frustration que par une vision de long terme.
La Tunisie a dâabord besoin de se consolider, de se projeter, et de renforcer sa voix, avant de prĂ©tendre jouer dans la cour des puissances Ă©mergentes.
La Tunisie est pays lilliputien, une Ă©conomie qui a besoin de marchĂ© et dâouverture sur le monde, des pays les plus proches aux plus lointains. LâEurope reste le marchĂ© naturel de la Tunisie. LâAsie câest trĂšs loin et sur tous les plans, Ă©conomiques, culturels, social, etc.
On se rappelle des enseignements de Bourguiba qui a Ă©tĂ© lâun des fondateurs des pays non-alignĂ©s. Des enseignements qui restent actuels et des directives pertinentes encore aujourdâhui.
Rejoindre les BRICS ne doit pas ĂȘtre un geste de posture. Ce doit ĂȘtre un choix stratĂ©gique, cohĂ©rent, et soutenu par des capacitĂ©s rĂ©elles. Pour lâinstant, la sagesse commande de rester Ă distance⊠tout en gardant les yeux ouverts.
Par Moktar Lamari
E4T, 24 juillet 2025
EN BREF
- Le dĂ©bat sur une possible adhĂ©sion de la Tunisie aux BRICS refait surface, amplifiĂ© par le discours prĂ©sidentiel et lâĂ©largissement du bloc.
- Si les BRICS offrent une alternative Ă lâordre occidental, leur structure informelle limite les garanties concrĂštes.
- La Tunisie manque pour lâinstant de leviers Ă©conomiques et diplomatiques pour peser dans un tel groupe.
- Une posture de neutralité active et des partenariats bilatéraux ciblés seraient plus cohérents à ce stade.
- La prudence stratĂ©gique sâimpose : renforcer la souverainetĂ© avant dâenvisager un alignement.
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