En ce 13 aoĂ»t 2025 jour de la fĂȘte nationale de la femme tunisienne, on ne peut que se souvenir des deux acquis majeurs que Bourguiba nous a offert, conscient quâil Ă©tait du rĂŽle primordial que pouvaient jouer les femmes dans une nouvelle RĂ©publique.
Ainsi, il dĂ©crĂ©ta lâĂ©ducation obligatoire pour toutes et promulgua le Code du Statut Personnel. Deux acquis majeurs qui ont favorisĂ© notre Ă©mancipation en nous garantissant un certain nombre de droits assez uniques dans le monde arabo-musulman. Aujourdâhui, soixante neuf ans plus tard, il est utile de faire le point sur lâimpact de ses acquis sur la sociĂ©tĂ© tunisienne. Sans avoir de statistiques officielles et Ă titre strictement personnel, je distingue quatre diffĂ©rentes catĂ©gories de femmes :
â La premiĂšre catĂ©gorie est celle que jâappellerai les filles et les petites filles de Bourguiba qui ont fait des Ă©tudes leur principal atout. MĂ©decins, biologistes, architectes, commandants de bord, juges, avocates, journalistes, ingĂ©nieurs, enseignantes, femmes entrepreneur, citoyennes et mĂȘme politiciennes etc..
Elles travaillent, produisent, payent leurs impĂŽts exactement au mĂȘme titre que les hommes mĂȘme si au moment de lâhĂ©ritage, elles nâhĂ©ritent que la moitiĂ© de la part des hommes alors que câest contraire Ă la dĂ©finition dâune RĂ©publique oĂč tous les citoyens, hommes et femmes, sont sensĂ©s ĂȘtre Ă©gaux devant la loi.
Ces femmes sont les mĂšres Ă©ducatrices qui par leur Ă©ducation sont sensĂ©es moderniser les mentalitĂ©s. Elles sont les piliers dâune sociĂ©tĂ© moderne que les gĂ©nĂ©rations montantes se doivent de prendre en exemple et en considĂ©ration.
NĂ©anmoins les hommes tunisiens dans leur ensemble, nâont pas tous bien intĂ©grĂ©, compris et admis lâintĂ©rĂȘt de cette Ă©volution qui lĂšse leur autoritĂ© traditionnelle millĂ©naire. La meilleure preuve en est que cette indĂ©pendance financiĂšre et intellectuelle des femmes tunisiennes est Ă lâorigine dâun nombre grandissant de divorce. Comme si le divorce pouvait restaurer lâautoritĂ© masculine. En rĂ©alitĂ© il ne fait que confirmer leur Ă©chec Ă Ă©voluer crĂ©ant ainsi chez les femmes la nĂ©cessitĂ© dâune lutte continue pour faire accepter leur nouveau statut.
Je ne saurai Ă©valuer le temps quâil faudra pour que ces Messieurs apprennent Ă apprĂ©cier lâintĂ©rĂȘt de cette Ă©mancipation fĂ©minine en espĂ©rant que nous ne nous trouverons pas carrĂ©ment dans lâobligation de nous battre pour dĂ©fendre ces acquis qui dĂ©rangent tant.
A mes yeux, ce sont ces femmes lĂ , diplĂŽmĂ©es et travailleuses, qui sont les gardiennes de la RĂ©publiques tunisienne, telle que nous en rĂȘvons depuis lâindĂ©pendance.
Et mĂȘme si je ne suis pas en accord avec ses mĂ©thodes ni sa vision dâune dĂ©mocratie qui puisse exclure une partie de la sociĂ©tĂ©, Madame Abir Moussi est une preuve vivante de la nĂ©cessitĂ© de cette lutte. Il faut lui reconnaitre son appartenance, voire son leadership sur cette catĂ©gorie de femmes, citoyennes courageuses, libres et indĂ©pendantes qui ont totalement intĂ©grĂ©es la mission que Bourguiba leur a implicitement confiĂ©e.
Toutes aussi exemplaires, jâidentifie une seconde catĂ©gorie formĂ©e de celles qui, pour diffĂ©rentes raisons nâont pas pu terminer leurs Ă©tudes ou nâont pas pu carrĂ©ment en faire mais qui participent quand mĂȘme Ă la croissance Ă©conomique du pays.
On y trouve toutes les ouvriĂšres des diffĂ©rents secteurs, industriel et agricole, ainsi que les artisanes dans toutes sortes de domaines. Toutes ces petites mains, beaucoup moins avantagĂ©es que les femmes de la premiĂšre catĂ©gorie, forment nĂ©anmoins par leur nombre la colonne vertĂ©brale de lâĂ©conomie officielle tunisienne, surtout si lâon en exclu les trafiquants de toutes sortes qui opĂšrent clandestinement dans le marchĂ© parallĂšle au mĂ©pris dâun systĂšme officiel qui semble soit totalement impuissant soit carrĂ©ment impliquĂ©.
ENDA inter-arabe, créée par Madame Essma Ben Hamida, encore une autre femme dâexception, qui a Ă©tĂ© la pionniĂšre du secteur de la micro-finance en Tunisie, tĂ©moigne, dans un petit livre intitulĂ© « La dĂ©brouille au fĂ©minin », de la plus belle des maniĂšres sur le parcours de ces femmes courageuses et ambitieuses, qui ont travaillĂ© trĂšs dur si ce nâest pour elles- mĂȘmes, câĂ©tait au moins pour leurs familles. Elle nous raconte, entre autre, comment les artisanes kairouanaises qui fabriquaient chez elles les tapis de Kairouan ont Ă©tĂ© Ă lâorigine du dĂ©veloppement du secteur touristique en Tunisie. Elles avaient confiĂ© leurs Ă©conomies Ă leurs pĂšres, leurs frĂšres, leur Ă©poux ou leurs fils pour investir dans les tous premiers hĂŽtels privĂ©s. Ainsi les Milad, les Fourati, les Khechine, les Allani etc .. sont les pionniers kairouanais du tourisme tunisien.
Par ailleurs, lorsque je faisais ma campagne Ă©lectorale dans le gouvernorat de Monastir, jâavais Ă©tĂ© effarĂ©e par le nombre de femmes qui travaillaient dans les usines alors que les hommes remplissaient les cafĂ©s Ă longueur de journĂ©e refusant les petits mĂ©tiers Ă petits salaires. Ces mĂȘmes hommes nâont aucun problĂšme Ă tendre la main Ă leur sĆur ou leur mĂšre ou encore leur Ă©pouse pour quĂ©mander un peu dâargent de poche. Le chĂŽmage en Tunisie est aussi dĂ» Ă cette catĂ©gorie dâhommes qui prĂ©fĂšrent le trafic Ă certains travaux quâils considĂšrent indignes de leur statut social alors que les femmes le font sans rechigner en toute lĂ©galitĂ©.
Quant Ă la troisiĂšme catĂ©gorie, elle est essentiellement formĂ©e de celles qui pour diffĂ©rentes raisons, malgrĂ© leur diplĂŽmes, nâont pas su oĂč nâont pas pu se faire une situation. Elles se sont gĂ©nĂ©ralement rĂ©fugiĂ©es dans le mariage.
Etant financiĂšrement dĂ©pendantes, elles vivent un mode de vie plutĂŽt conservateur qui ne leur offre pas beaucoup dâopportunitĂ©s pour leur Ă©panouissement personnel. Elles se rabattent sur lâengagement social. Câest comme cela que nous trouvons une majoritĂ© de femmes dans tout ce qui a trait aux Ćuvres sociales. Couffins de Ramadan, fournitures scolaires et toutes sortes de travaux associatifs sont assurĂ©s par les femmes dans toutes les rĂ©gions de la RĂ©publique. Si les hommes participent par le don dâargent, ils sont rarement sur le terrain et dans le contact direct avec les populations dĂ©favorisĂ©es.
Ces femmes aussi sont Ă remercier pour leurs efforts. GrĂące Ă elle une solide trame sociale sâest tissĂ©e et sera surement un jour un excellent filtre contre toutes les intrusions possibles.
Enfin avec lâavĂšnement dâinternet, ses rĂ©seaux sociaux et lâintelligence artificielle qui sâĂ©tend Ă une trĂšs grande vitesse, une quatriĂšme catĂ©gorie de femmes est entrain dâapparaitre. Celles que jâappellerai comme lâair du temps, « les femmes pressĂ©es ». Elles veulent en mĂȘme temps et rapidement la cĂ©lĂ©britĂ©, la fortune et le pouvoir.
Sâil est vrai quâInternet permet une ouverture exceptionnellement enrichissante sur le monde entier et quâil prĂ©sente plein dâavantages, il faut admettre quâil prĂ©sente aussi beaucoup dâinconvĂ©nients lorsquâil est mal utilisĂ©.
A ce jour en Tunisie on voit bien plus les inconvĂ©nients dus Ă la rapiditĂ© et Ă la facilitĂ© de lâusage de cet outil. On constate une perte palpable du respect et du savoir vivre ensemble grĂące Ă une libertĂ© dâexpression mal comprise et mal exploitĂ©e.
Une flopĂ©e dâinfluenceuses dans diffĂ©rents domaines a Ă©mergĂ© dont une partie agit trĂšs nĂ©gativement sur les rĂ©seaux. En soi, chacune dâentre elle nâest quâun epsilon, le danger rĂ©side par contre dans le nombre ahurissant de « followers » qui sâintĂ©ressent Ă leurs bĂȘtises. Signe dâune disparition des traditions et dâune dĂ©gradation gĂ©nĂ©ralisĂ©s des mĆurs sociales quâil faudra dĂ©noncer et combattre Ă tout prix pour Ă©viter encore plus de dĂ©rives. Ce phĂ©nomĂšne est lui-mĂȘme liĂ© Ă lâattitude nĂ©gative des hommes face Ă cet excĂšs de libertĂ©s mal assumĂ©es.
Il serait bien plus rentable et bien plus constructif de se pencher sur lâInternet qui permet dâaccĂ©der Ă toutes sortes dâinformations, de rencontrer toutes sortes de personnes inaccessibles dans la vie rĂ©elle, qui facilite la communication, le commerce, les connexions, les Ă©tudes, les formations en ligne et une multitude dâautres options Ă exploiter dans tous les domaines. Une source infinie dâoccupations et dâemplois Ă partir de chez soi qui pourrait amĂ©liorer la vie de tant de femmes.
Et mĂȘme si pour le moment beaucoup dâentre elles sont plus attirĂ©es par la facilitĂ© que par des rĂ©sultats concrets et durables, je ne doute pas quâun Ă©veil sâopĂ©rera tĂŽt ou tard.
Un Ă©veil que nous devons promouvoir et encourager Ă travers cet outil miraculeux. Mesdames votre mission envers la RĂ©publique ne fait que commencer, nâhĂ©sitez pas Ă vous impliquer.
Neila Charchour
Tunis le 13 Août 2025
Lâarticle Neila Charchour: La femme tunisienne gardienne de la RĂ©publique est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.