Lâescalade entre TĂ©hĂ©ran et Tel-Aviv marque un tournant stratĂ©gique majeur pour le Moyen-Orient. Au-delĂ du choc rĂ©gional, câest tout lâĂ©quilibre gĂ©opolitique mondial qui vacille. Le Maghreb, et notamment la Tunisie, pourrait en subir des rĂ©percussions Ă©conomiques, sĂ©curitaires et diplomatiques.
DĂ©cryptage dâun basculement aux ramifications multiples
Une rupture historique dans le rapport de force
Lâattaque directe et revendiquĂ©e de lâIran contre IsraĂ«l, aprĂšs le bombardement du consulat iranien Ă Damas, constitue une premiĂšre dans lâhistoire de la rivalitĂ© entre les deux puissances. LâIran ne se cache plus derriĂšre ses rĂ©seaux : il assume ouvertement sa riposte. Ce tournant traduit non seulement une dĂ©monstration de force extĂ©rieure, mais aussi une volontĂ© de raffermir la cohĂ©sion interne face aux dĂ©fis Ă©conomiques et sociaux que traverse la RĂ©publique islamique.
IsraĂ«l, de son cĂŽtĂ©, voit sâeffriter lâefficacitĂ© de sa stratĂ©gie de dissuasion. Pris entre plusieurs fronts â Gaza, Liban, Syrie â lâouverture dâun axe direct avec lâIran redistribue totalement les cartes.
La Tunisie et le Maghreb dans la ligne indirecte du feu
Pour la Tunisie et les pays du Maghreb, cette montĂ©e des tensions nâest pas un spectacle lointain. Elle menace de perturber les Ă©quilibres dĂ©jĂ fragiles de la rĂ©gion.
Sur le plan Ă©conomique, une hausse prolongĂ©e des prix du pĂ©trole affecterait lourdement la facture Ă©nergĂ©tique tunisienne, dĂ©jĂ sous pression. La flambĂ©e des cours du baril pourrait accentuer les dĂ©sĂ©quilibres budgĂ©taires et nourrir lâinflation importĂ©e.
Sur le plan commercial, les perturbations dans les dĂ©troits dâOrmuz et de Bab el-Mandeb â points de passage cruciaux pour le commerce mondial â pourraient dĂ©sorganiser les chaĂźnes logistiques, augmenter les coĂ»ts dâapprovisionnement, et ralentir la croissance.
Sur le plan sĂ©curitaire, le regain de tension au Moyen-Orient pourrait avoir un effet domino en Afrique du Nord et dans le Sahel, zones dĂ©jĂ marquĂ©es par la montĂ©e des rĂ©seaux extrĂ©mistes. La Tunisie, malgrĂ© ses efforts en matiĂšre de sĂ©curitĂ©, reste vulnĂ©rable aux reconfigurations du djihadisme rĂ©gional, notamment dans le cadre dâalliances opportunistes entre groupes transnationaux.
Trois scénarios, trois risques pour le Maghreb
- Le premier risque, lâembrasement militaire global et un choc Ă©nergĂ©tique et diplomatique :
Une confrontation plus prononcĂ©e entre IsraĂ«l et lâIran impliquerait inĂ©vitablement leurs alliĂ©s respectifs. Pour le Maghreb, cela signifierait non seulement des tensions diplomatiques Ă gĂ©rer dans un contexte dâalignements forcĂ©s, mais aussi un choc inflationniste Ă absorber, avec des rĂ©percussions sociales potentiellement explosives.
- Le second risque, la guerre indirecte : instabilité diffuse et menace terroriste :
Dans ce scĂ©nario, les tensions se dĂ©placent vers les théùtres pĂ©riphĂ©riques. Les groupes extrĂ©mistes pourraient tenter de rĂ©investir des espaces fragiles, en particulier au Sahel et en Libye, crĂ©ant un effet de contagion sĂ©curitaire vers lâAlgĂ©rie, la Tunisie et la Mauritanie.
- Le troisiÚme risque, la désescalade diplomatique⊠une opportunité pour les médiations sud-méditerranéennes ?
Si les grandes puissances parviennent Ă imposer un retour au dialogue, cela pourrait ouvrir un espace de repositionnement pour des pays comme la Tunisie, traditionnellement attachĂ©s Ă la non-ingĂ©rence et au multilatĂ©ralisme. Une mĂ©diation rĂ©gionale, voire africaine, pourrait offrir une alternative crĂ©dible Ă lâaffrontement, tout en revalorisant le rĂŽle des pays non alignĂ©s dans la recomposition gĂ©opolitique.
Entre reconfiguration mondiale et dilemmes maghrébins.
Cette crise nâest pas seulement un duel militaire : elle annonce une recomposition gĂ©opolitique. Tandis que lâOccident rĂ©affirme son soutien Ă IsraĂ«l, lâIran bĂ©nĂ©ficie dâune bienveillance stratĂ©gique de Moscou et du silence tactique de PĂ©kin.
Le monde arabe et les pays du Sud, dont le Maghreb, se retrouvent une fois encore confrontés à des choix difficiles : préserver leurs équilibres diplomatiques ou redéfinir leurs alignements stratégiques.
Pour la Tunisie, ces Ă©volutions interviennent dans un contexte de fragilitĂ© Ă©conomique et dâisolement diplomatique relatif. Lâexacerbation des tensions mondiales renforce lâurgence de renforcer les marges dâautonomie stratĂ©gique, de diversifier les partenariats Ă©conomiques et de consolider les mĂ©canismes de sĂ©curitĂ© rĂ©gionale.
Une opportunité à saisir dans la tourmente ?
Si le risque de contagion est rĂ©el, cette crise pourrait Ă©galement inciter les pays du Maghreb Ă accĂ©lĂ©rer leur coordination diplomatique et sĂ©curitaire. Une voix maghrĂ©bine commune sur la scĂšne internationale, axĂ©e sur la paix, la stabilitĂ© rĂ©gionale et la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts Ă©nergĂ©tiques, pourrait redonner du poids Ă la rĂ©gion dans un monde multipolaire en gestation.
In fine, le moment de lucidité stratégique
Les frappes iraniennes contre IsraĂ«l ne sont pas quâun Ă©pisode de plus dans lâinstabilitĂ© moyen-orientale. Elles annoncent une rupture durable, dont les ondes de choc atteindront inĂ©vitablement la rive sud de la MĂ©diterranĂ©e.
Pour la Tunisie et ses voisins, le dĂ©fi est triple : contenir les rĂ©percussions Ă©conomiques, prĂ©venir les menaces sĂ©curitaires, et se positionner intelligemment dans un monde oĂč la neutralitĂ© devient un art diplomatique de plus en plus stratĂ©gique.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-EconomĂštre.
Ancien Enseignant-Chercheur Ă lâISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de lâInstitut Africain
DâEconomie FinanciĂšre (IAEF-ONG)
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