Tunisie : lâĂ©conomie sous pression, mais pas sans ressort
LâĂ©conomie tunisienne traverse une zone de fortes turbulences. Endettement insoutenable, fuite des capitaux, rĂ©serves de change en dĂ©clin⊠Le modĂšle Ă©conomique, centrĂ© sur lâĂtat, donne des signes dâĂ©puisement. Pourtant, des signaux positifs Ă©mergents : reprise des investissements directs Ă©trangers, redressement du tourisme, stabilitĂ© relative de lâinflation. Lâavenir reste ouvert, Ă condition de faire des choix clairs.
Dans la derniĂšre Ă©dition dâEcoweek, Hechmi Alaya ne mĂąche pas ses mots : le modĂšle Ă©conomique tunisien montre des signes de saturation. DominĂ© par lâĂtat, peu rĂ©formĂ©, fortement dĂ©pendant de la dette, il freine aujourdâhui toute perspective de relance durable. Aucune rĂ©forme structurelle significative nâa Ă©tĂ© engagĂ©e, alors mĂȘme que le financement privĂ© se contracte et que la pression fiscale sur les entreprises sâaccentue.
Le constat est alarmant : la dette publique absorbe désormais plus de 146% des recettes combinées du tourisme et de la diaspora. La stabilité du dinar est de plus en plus menacée, tout comme la capacité du pays à financer ses besoins essentiels.
IDE : des signaux encourageants
Et pourtant, tout nâest pas figĂ©. Lors du grand dĂ©bat « La Tunisie et la nouvelle gĂ©oĂ©conomie » organisĂ© par Universnews, Jalel Tebib, directeur gĂ©nĂ©ral de la FIPA, a apportĂ© une touche dâoptimisme : en 2024, les investissements directs Ă©trangers ont atteint 3 158,5 MDT, retrouvant les niveaux de 2010.
Le dĂ©but de lâannĂ©e 2025 confirme cette dynamique. Sur le premier trimestre, 730,8 MDT dâinvestissements Ă©trangers ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s (+26,1 % par rapport Ă 2024), dont 727,2 MDT sous forme dâIDE (+25,6 %). Le secteur des industries manufacturiĂšres concentre prĂšs de 62 % de ces flux, avec 452 MDT investis, en hausse spectaculaire de 72 %.
Mais une érosion silencieuse des capitaux
Ce redressement masque cependant une rĂ©alitĂ© plus fragile. Comme le rappelle Hechmi Alaya, ces volumes dâIDE, bien que positifs, restent insuffisants Ă lâĂ©chelle des besoins du pays. Surtout, ils sont Ă©clipsĂ©s par la fuite massive des capitaux de portefeuille, soit prĂšs de 3,2 milliards de dinars de sorties nettes sur la mĂȘme pĂ©riode. Autrefois soutien de la balance des paiements, ces flux spĂ©culatifs aggravent aujourdâhui la vulnĂ©rabilitĂ© financiĂšre du pays.
Un équilibre extérieur en alerte
Selon Ecoweek n°22, le dĂ©ficit courant a atteint 2,3 milliards de dinars au T1 2025, son plus haut niveau depuis cinq ans. Le dĂ©ficit commercial frĂŽle les 8 milliards, tandis que les rĂ©serves en devises fondent dangereusement : 4,2 milliards de dinars sâĂ©vaporent en trois mois. Le pays ne dispose plus que de 97 jours dâimportations couvertes, contre 131 en 2020.
La stratĂ©gie du « compter sur soi », portĂ©e par un discours souverainiste, montre ici ses limites. Elle sâaccompagne de restrictions sur les importations, dâun risque Ă©levĂ© de dĂ©valuation, et dâune Ă©rosion continue du pouvoir dâachat.
Le poids dâune dette Ă©crasante
Le service de la dette extĂ©rieure a atteint 7,25 milliards de dinars Ă fin mai, soit 32 % des recettes dâexportation, un record. Ce montant dĂ©passe Ă lui seul les recettes touristiques et les transferts de la diaspora rĂ©unie.
Les alternatives au FMI, comme les crĂ©dits dâAfreximbank, nâont pas produit les effets estimĂ©s : Ă©valuĂ©s, partiellement gelĂ©s et conditionnĂ©s Ă des dĂ©pĂŽts de garantie, ces financements pĂ©nalisent davantage quâils ne soulagent lâĂ©conomie.
Tourisme, diaspora, inflation : quelques lueurs
Le tableau, cependant, nâest pas totalement sombre. Le secteur touristique reprend avec 2,56 milliards de dinars de recettes fin mai, en hausse de 7,8 %. Les transferts de la diaspora ont dĂ©passĂ© le milliard de dollars sur cinq mois â un niveau record.
Lâinflation donne Ă©galement un court rĂ©pit : 5,4 % en mai 2025, en net recul par rapport aux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Une stabilitĂ© fragile cependant, tant le recours Ă la planche Ă billettes reste massif.
Une sortie de crise est encore possible
Le positionnement gĂ©ographique de la Tunisie, son capital humain, ses liens naturels avec lâEurope et la rĂ©silience de sa population pourront-ils sauver lâĂ©conomie nationale ?
Pour y arriver, des dĂ©cisions politiques rĂ©flĂ©chies et pondĂ©rĂ©es sont nĂ©cessaires. Cela passe par la rĂ©ouverture du dialogue avec les bailleurs de fonds, lâadoption dâun programme de rĂ©formes ciblĂ©es et la mise en Ćuvre de politiques favorables Ă lâinvestissement, Ă la transparence et Ă la gouvernance.
Il faut espĂ©rer quâun pays qui a traversĂ© nombre de tempĂȘtes trouve une boussole et sache sâen servir.
Amel Belhadj Ali
EN BREF
- Le modĂšle Ă©conomique tunisien, dominĂ© par lâĂtat et lourdement endettĂ©, atteint ses limites.
- Les IDE repartent Ă la hausse (+25,6 % au T1 2025), mais les fuites de capitaux explosent.
- Le déficit courant et le niveau des réserves en devises inquiÚtent les experts.
- Le service de la dette Ă©trangĂšre atteint 32 % des recettes dâexportation.
- Tourisme et diaspora apportent un lĂ©ger soulagement, tout comme le repli de lâinflation.
- Une sortie de crise reste possible, mais dépend de décisions politiques audacieuses.
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