La «révolution administrative» que le président Kaïs Saïed appelle de tous ses vœux tarde à être mise en œuvre; d’où l’impatience qu’il montre face à ce qu’il considère comme des services publics réfractaires, récalcitrants et fonctionnant en vase clos.
Lors de sa rencontré mercredi 28 mai 2025 au palais de Carthage avec la Première ministre Sarra Zaâfrani Zenzeri pour examiner plusieurs projets de loi, le chef de l’Etat est revenu sur cette thématique qui lui tient tellement à cœur : la révolution législative qui ne saurait réussir, selon lui, sans une révolution administrative. Traduire : les politiques sociales qu’il est en train de promouvoir dans le pays ne sauraient réussir sans la promulgation de lois répondant à ce qu’il appelle «la volonté du peuple» et sans l’adhésion totale d’une administration plus proactive et réceptive des changements qu’il cherche à imprimer.
Saïed a aussi souligné que cette démarche doit être collective, car elle concerne le destin de la nation et celui d’un peuple déterminé à «construire une nouvelle histoire», a déclaré le président selon le communiqué officiel. «Il ne s’agit pas de résoudre des problèmes sectoriels isolés, les uns après les autres», a-t-il déclaré, soulignant que la justice et la dignité ne peuvent être instaurées que par une nouvelle législation accompagnée d’une révolution administrative.
Ceux qui négligent leurs responsabilités, qui sont un devoir national sacré, qui recherchent les privilèges au lieu d’incarner les aspirations du peuple, doivent céder la place à une jeune génération capable d’offrir de meilleures solutions et des idéaux plus élevés, conformes aux priorités nationales globales, a encore menacé le président, laissant ainsi entendre, pour la énième fois, que son combat pour la «libération nationale», autre concept qui lui est cher et qui reste vague et flou pour beaucoup de ses compatriotes, rencontre une certaine résistance de la part d’une partie de l’administration publique, plus soucieuse de ses privilèges que de l’intérêt des couches populaires de la population.
Dans pratiquement toutes ses rencontres avec les membres du gouvernement, Kaïs Saied ne cesse de mettre en avant le rôle social de l’Etat et la nécessité de prendre des mesures à caractère social dans tous les domaines, dans ce qui ressemble à une politique socialisante en rupture avec celles vaguement libérales en oeuvre dans le pays depuis les années 1990. Il l’a encore fait, lundi 26 mai 2025, en recevant, au Palais de Carthage, la cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzeri et la ministre des Finances, Mechket Slama Khaldi.
Cette fois, et pour la énième fois, le chef de l’Etat souligné la nécessité de faire prévaloir le volet social dans la conception de la politique financière de l’Etat, et ce «à la lumière de choix typiquement nationaux», comme indiqué dans le communiqué publié à l’issue de la rencontre. Traduire : la loi de finances et le budget de l’Etat pour 2026 devraient avoir une orientation encore plus sociale que ne l’ont été ceux des années précédentes.
Rouvrir la porte aux recrutements publics
Le peuple tunisien paie aujourd’hui un lourd tribut résultant des choix et orientations qui avaient creusé la pauvreté d’une large frange de ses élites, a encore indiqué le président de la République, en rappelant que bon nombre de crédits accordés à la Tunisie sont assortis d’intérêts qui pèsent lourdement sur la communauté nationale sans que celle-ci en tire un bénéfice. Faut-il en conclure que M. Saïed s’oppose à la politique d’endettement que suit actuellement le gouvernement ? Auquel cas, où l’Etat va-t-il trouver les financements nécessaires pour son train de vie qui s’alourdit d’année en année avec les vagues successives de recrutements dans la fonction publique, laquelle étouffe déjà sous le poids d’une masse salariale dont la moyenne est parmi les plus élevées au monde.
En effet, le budget de l’État de 2025 a fixé le montant alloué aux dépenses des salaires à 24,389 millions de dinars, en hausse de 8,1% par rapport à 2024, la masse salariale des fonctionnaires représentant ainsi 40,7% des dépenses globales du budget.
Ces chiffres ne sont pas pour impressionner le chef de l’Etat qui, poursuivant ses politiques sociales, a donné des instructions, hier, pour «rouvrir la porte aux recrutements publics dans plusieurs secteurs», soulignant qu’«il est grand temps de régulariser plusieurs dossiers découlant de l’adoption de politiques publiques d’exclusion ayant conduit à des situations intolérables».
Un seul Etat, une seul pouvoir
Dans le même temps, le chef de l’Etat a réitéré ses critiques envers certains agents publics qui ne montrent pas le zèle requis dans la mise en œuvre des politiques de l’Etat. Il a ainsi «donné ses instructions pour ne plus tolérer une carence ou manquement émanant d’un quelconque responsable qui ne se plie pas à la politique de l’Etat et qui se prévaut de faux prétextes pour ne pas fournir des services aux usagers de l’administration dans les meilleures conditions.»
L’«État profond», qui est «facilement identifiable», doit impérativement s’éclipser à jamais, a fait savoir le chef de l’Etat, rappelant, à ce propos, qu’«il n’y a qu’un seul et unique État», celui dont les institutions émanent du libre choix du peuple, indique encore le communiqué de la présidence. Inutile d’ajouter, ici, qu’il est entendu que cet Etat est celui qu’incarne et conduit Kaïs Saïed, dans l’exclusion de toute autre source de légitimité ou de pouvoir.
En termes de visions, de plans et de stratégies, les gouvernements qui se succèdent en Tunisie n’ont de cesse de nous gaver. Tout est bon sur le papier. Tant qu’il s’agit de tirer des plans sur la comète, on est bien servis. Nous n’allons tout de même pas exiger que les paroles soient traduites en actes et les promesses en réalisations concrètes (croissance économique, relance de l’investissement, baisse du chômage, amélioration du niveau de vie, etc.)! Ce serait trop demander à ces chers bureaucrates fort en maths!
C’est dans ce contexte que la Première ministre, Sarra Zaâfrani Zenzeri, emboîtant ainsi le pas à ses successeurs au poste, a présenté, lors d’un conseil des ministres tenu samedi 24 mai 2025, au Palais du gouvernement à la Kasbah, ce qu’elle a appelé le «programme économique et social de l’État».
Ce programme, qui laisse une forte impression de déjà entendu, reposerait, selon un communiqué officiel, sur des principes fondamentaux, notamment la préservation de la souveraineté nationale, l’autonomie décisionnelle et, tenez-vous bien, l’autosuffisance. Il renforcerait aussi les choix nationaux concernant le rôle social de l’État et le développement local, régional et territorial.
Ce programme s’inscrit dans la vision globale du Président de la République visant à concilier croissance économique et justice sociale, a déclaré la Première ministre, en soulignant l’importance de mettre en œuvre des réformes législatives profondes permettant de stimuler le développement économique et social, renforcer les piliers de la croissance économique et répondant aux défis actuels, selon le même communiqué.
Les secteurs clés couverts par ce programme sont la santé, les finances, l’éducation, la science, l’industrie, l’énergie, la jeunesse, les sports, la culture, l’administration et tous les types de services publics, a souligné Mme Zaâfrani Zenzeri.
Le programme met principalement l’accent sur l’emploi, l’amélioration du niveau de vie, le renforcement du système de protection sociale et la valorisation du capital humain, notamment par l’élaboration de politiques sociales visant à instaurer la justice sociale. Plusieurs mesures seront adoptées pour préserver le pouvoir d’achat des groupes à faibles et moyens revenus, élargir le soutien social aux populations vulnérables et accompagner le démarrage de projets, précise le communiqué.
En outre, le programme vise à accélérer les mesures liées à l’amélioration des revenus, à renforcer les mécanismes d’intégration économique et sociale, à créer des opportunités d’emploi, à garantir des conditions de travail décentes et à éliminer la précarité. Il vise également à faciliter l’accès au logement, à renforcer la cohésion sociale, à améliorer les services publics et à développer les systèmes de sécurité et de couverture sociale.
Le programme économique et social de l’État comprend également des réformes législatives, levier fondamental pour traduire les approches économiques et sociales en réalités concrètes, en adaptant le cadre juridique aux exigences et aux défis actuels, selon la même source.
La réforme du système éducatif
Le programme met également l’accent sur la réforme et le développement des systèmes d’éducation, d’enseignement supérieur et de formation professionnelle afin de les aligner sur les exigences du marché du travail.
Il vise à améliorer le système de santé, à promouvoir les activités culturelles, de jeunesse et sportives afin de valoriser le capital humain, et à stimuler l’investissement dans un cadre global qui encourage l’entrepreneuriat et améliore le climat des affaires.
Stimuler l’investissement dans un cadre global
Cette approche repose également sur la promotion de l’investissement par une stratégie globale incluant la libération de l’initiative privée, la diffusion d’une culture entrepreneuriale, l’amélioration du climat des affaires, l’optimisation du patrimoine immobilier, l’avancement des projets publics et le développement des infrastructures de transport.
Il s’agit de moderniser les ports et les aéroports, de renforcer les réseaux ferroviaires, d’étendre les réseaux routiers, de renforcer les échanges commerciaux, d’aménager le territoire, d’assurer la sécurité alimentaire, de développer l’industrie et le tourisme, de numériser les services publics, de protéger le tissu économique, de réguler les importations, de soutenir les exportations, de simplifier les procédures douanières et de mettre en œuvre les mécanismes de défense commerciale.
Le programme de l’État prévoit également l’accélération de la transition énergétique et l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité afin de répondre aux défis climatiques et énergétiques croissants, la protection du littoral et la promotion d’une économie circulaire.
Stimuler le développement régional
Le programme adopte une approche de développement régional fondée sur des principes constitutionnels pour stimuler la croissance des régions, ce qui contribuera à définir leurs priorités grâce à une méthodologie participative.
Ce processus commence par la proposition de programmes et de projets au niveau des conseils locaux, puis au niveau régional, puis au niveau des conseils de district, et enfin au niveau national.
Sur cette base, le Plan de développement 2026-2030 sera élaboré, tout en soutenant le système des entreprises communautaires, ajoute le communiqué.
La transformation numérique de l’administration
Le programme comprend également la transformation numérique de l’administration, en accélérant les interconnexions qui constitueront un levier essentiel du programme économique et social de l’État. Cette transformation modernisera l’administration, assurera la transparence, facilitera les transactions, ouvrira de nouveaux horizons à l’économie numérique, stimulera les initiatives des jeunes, développera les services administratifs à distance, fera progresser l’économie numérique, protégera le cyberespace national et renforcera la confiance numérique.
La Première ministre a souligné qu’une méthodologie avancée sera adoptée pour suivre la mise en œuvre de l’ensemble des mesures et projets du programme économique et social.
Ce suivi s’appuiera sur des indicateurs de performance assortis d’échéanciers précis et s’appuiera sur des outils de suivi technologiques modernes pour relever proactivement les défis et garantir la réalisation rapide de ces mesures et projets, selon le communiqué.
Le président du conseil d’administration du Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades), Badr Mohammed Al Saad, a affirmé la volonté de son institution de développer sa coopération avec la Tunisie et contribuer à la mise en œuvre de projets phares à moyen et long terme, dans des secteurs prioritaires ayant un impact sur le cycle économique.
M. Al Saad et la délégation qui l’accompagne ont été reçus vendredi 23 mai 2025 au palais du gouvernement à la Kasbah par le Premier ministre, Sarra Zaâfrani Zenzeri, dans le cadre de sa visite officielle en Tunisie du 21 au 25 mai.
Il convient de noter la signature de plusieurs accords au cours de cette visite, en particulier celui portant sur l’extension et la réhabilitation de la route nationale n° 20 entre El Faouar et Rjim Maatoug à Kébili, dans le cadre du projet de renouvellement et de développement des lignes ferroviaires.
Selon un communiqué de la présidence du gouvernement, plusieurs projets sont actuellement à l’étude pour être mis en œuvre dans divers secteurs, notamment les infrastructures routières, les autoroutes, les pistes rurales, l’agriculture, l’eau et les projets prioritaires liés à l’eau potable.
Lors de la réunion, axée sur la coopération à moyen et long terme, le Premier ministre a souligné que l’État tunisien prévoit plusieurs projets majeurs, notamment dans les domaines du transport ferroviaire, de l’éducation, de la santé et des énergies renouvelables.
«Elle a également passé en revue les principaux piliers du programme économique et social du pays, fondés sur la vision globale du président Kaïs Saïed», note le communiqué. Cette vision, rappelons-le, est fondée sur l’indépendance et l’autonomie e la décision nationale, les politiques sociales et l’intégration régionale du pays.
Le Fades est un partenaire important pour la Tunisie et a contribué à la mise en œuvre de 65 projets dans divers domaines, notamment les infrastructures (barrages, routes et autoroutes), la production dans les secteurs industriel, agricole et du développement rural, ainsi que l’enseignement primaire et supérieur.
Le fonds contribue actuellement à la mise en œuvre de 17 projets dans divers secteurs, ainsi qu’à plusieurs programmes d’assistance technique.
La réunion s’est déroulée en présence du ministre de l’Économie et de la Planification, Samir Abdelhafidh, du directeur de cabinet du Premier ministre, Moncef Hamdi, et de plusieurs cadres du Premier ministère.